Progrès en urologie (2014) 24, 479—481 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com CAS CLINIQUE Angiomyolipome rénal géant compliqué d’insuffisance cardiaque droite Giant renal angiomyolipoma with right heart failure R. Le Huu Nho a,b, S. Renard a,c, C. Maurin a,d, P. Souteyrand a,e, Y.P. Le Treut a,b,∗ a Aix Marseille université, 13284 Marseille, France Service de chirurgie digestive et de transplantation hépatique, hôpital de la Conception, AP—HM, 147, boulevard Baille, 13005 Marseille, France c Unité de cardiologie, hôpital de la Conception, AP—HM, 147, boulevard Baille, 13005 Marseille, France d Service d’urologie et transplantations rénales, hôpital de la Conception, AP—HM, 147, boulevard Baille, 13005 Marseille, France e Service de radiologie, hôpital de la Conception, AP—HM, 147, boulevard Baille, 13005 Marseille, France b Reçu le 2 décembre 2013 ; accepté le 11 février 2014 Disponible sur Internet le 27 mars 2014 MOTS CLÉS Angiomyolipome ; Embolisation artérielle ; Fistule artério-veineuse ; Insuffisance cardiaque droite KEYWORDS Angiomyolipoma; Arteriovenous fistula; Heart failure; Arterial embolization ∗ Résumé Nous rapportons le cas d’une patiente de 63 ans présentant un angiomyolipome rénal de 26 cm compliqué d’insuffisance cardiaque droite secondaire à un shunt gauche-droit extracardiaque chronique à haut débit conséquence d’une fistule artério-veineuse intratumorale. Un traitement chirurgical radical précédé d’une embolisation préopératoire sélective a permis la régression des anomalies cardiaques sans complication périopératoire. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary We report the case of a 63-year-old woman presenting a 26 cm right renal angiomyolipoma with intratumoral arteriovenous fistula responsible for a high-output right heart failure. A radical surgical treatment after preoperative embolization allowed rapid improvement of cardiac symptoms with an uneventful postoperative course. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (Y.P. Le Treut). 1166-7087/$ — see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.purol.2014.02.001 480 R. Le Huu Nho et al. L’angiomyolipome (AML) est une tumeur solide bénigne du rein composée de tissu adipeux, de cellules musculaires lisses et de vaisseaux anormaux en proportion variable. Il représente 1 à 3 % des tumeurs solides du rein, avec une très forte prédominance féminine. Il est associé à une sclérose tubéreuse de Bourneville dans 10 à 20 % des cas et reste asymptomatique dans 40 % à 75 % des cas [1,2]. Nous rapportons le cas exceptionnel d’un AML rénal sporadique de 26 cm de grand axe, compliqué d’insuffisance cardiaque droite (ICD). Cas clinique Une patiente de 63 ans ayant un AML connu du rein droit consultait pour prise en charge de douleurs abdominales associées à une augmentation du volume de l’abdomen, une asthénie et une dyspnée d’aggravation progressive. L’AML avait été diagnostiqué 12 ans plus tôt à la suite de douleurs abdominales. Compte tenu d’une taille initiale d’environ 10 cm, une résection chirurgicale avait été tentée dans un centre expert, mais non réalisée en raison du risque hémorragique. Depuis cette époque, la lésion était restée pauci-symptomatique jusqu’à l’apparition depuis quelques semaines de douleurs abdominales et d’une dyspnée d’aggravation progressive. L’examen clinique de cette patiente de 53 kg pour 1,52 m montrait une masse panabdominale associée à des œdèmes des membres inférieurs et une turgescence jugulaire, évoquant une insuffisance cardiaque droite. Une tomodensitométrie abdominale (Fig. 1) montrait une tumeur rénale droite de 26 cm de plus grand axe, hétérogène avec composante graisseuse, et une hypervascularisation intratumorale avec dilatation majeure des vaisseaux du rein droit. L’échocardiographie retrouvait une dilatation des cavités cardiaques droites (surface diastolique du ventricule droit [VD] 33 cm2 , de l’oreillette droite [OD] 25 cm2 ), un septum paradoxal, une insuffisance tricuspidienne modérée et une veine cave inférieure (VCI) dilatée (33 mm). Les pressions artérielles pulmonaires systoliques (PAPs) étaient élevées à 50 mmHg (avec pression veineuse centrale de 15 mmHg au minimum). La fraction d’éjection ventriculaire gauche était normale et le débit cardiaque augmenté. En l’absence de cardiopathie congénitale, ces anomalies pouvaient être rattachées à la surcharge volumique chronique générée par la volumineuse fistule artério-veineuse (FAV) intratumorale. L’état clinique était partiellement amélioré par un traitement diurétique d’une semaine. En raison de la taille de la lésion et de son retentissement cardiaque, une indication chirurgicale était retenue. Pour minimiser le risque hémorragique lié à la taille et à l’angiogénèse tumorale, une embolisation des artères rénales droites était réalisée immédiatement avant la chirurgie. L’intervention était menée par une incision xiphopubienne complétée d’une longue incision sous-costale droite. Malgré ce, le contrôle de l’aorte cœliaque n’était pas possible en raison du volume de la lésion. La tumeur était progressivement mobilisée de bas en haut, jusqu’à contrôler la VCI sous-hépatique. Une exérèse complète était alors réalisée d’avant en arrière, comprenant une néphrectomie droite, une colectomie droite et une résection duodénale latérale de nécessité sans hémorragie notable. Figure 1. Tomodensitométrie abdomino-pelvienne (temps portal) montrant une masse rétropéritonéale droite mesurant 26 × 14 × 23 cm, avec composante graisseuse et vascularisation intratumorale en faveur d’un angiomyolipome. Notez la dimension de la veine rénale droite (flèche). Les veines rénales droites étaient sectionnées à l’agrafeuse linéaire. L’intervention durait 2 heures 30 et nécessitait la transfusion de 2 culots globulaires en raison de l’anémie préopératoire (Hb 9,7 g/dL). Les suites étaient marquées par des rectorragies au 5e jour, sans autre explication qu’un surdosage en anticoagulant. Une échocardiographie de contrôle au 10e jour montrait une quasi-normalisation des paramètres cardiaques : normalisation de la surface du VD (22 cm2 ), diminution de la surface de l’OD (20 cm2 ), diminution du diamètre de la VCI (22 mm), disparition des anomalies de cinétique septale et normalisation des PAPs à 35 mmHg. L’anatomie pathologique confirmait le diagnostic d’AML mesuré à 26 × 22 × 13 cm et pesant 5580 g, avec une composante adipocytaire majoritaire, sans critère de malignité. La patiente quittait le service au 12e jour Angiomyolipome rénal géant compliqué d’insuffisance cardiaque droite postopératoire. Elle allait bien, sans signe de récidive et sans manifestation cardiaque 14 mois après l’intervention. Discussion Cette observation est remarquable par la taille de la tumeur, les manifestations cardiaques et l’usage de l’embolisation artérielle préopératoire. Dans les formes sporadiques d’AML, la taille tumorale moyenne est de 3,7 à 5,4 cm avec une taille maximale rapportée de 11 cm. L’AML associé à une sclérose tubéreuse de Bourneville serait plus volumineux (jusqu’à 16 cm) et presque toujours multiple [1,2]. Les dimensions de notre observation sont donc exceptionnelles. En cas d’AML symptomatique, les principaux symptômes rapportés sont la douleur du flanc, l’hématurie macroscopique et l’asthénie [1,2]. Une symptomatologie cardiaque est très rare, même en cas d’extension à la VCI dont il existe au moins 40 cas rapportés [3]. Tachycardie, dyspnée d’effort et syncopes ont été rapportées dans un cas d’AML de 16 cm de grand axe associé à une extension cavo-auriculaire [4]. Dans notre observation où la tumeur n’envahissait pas la VCI, l’ICD était en rapport avec une surcharge volumique significative liée au haut débit de la FAV intratumorale. Cette physiopathologie est voisine de celle des shunts intracardiaques gauche-droit prétricuspide de type communication inter auriculaire, qui évoluent généralement vers la dilatation des cavités cardiaques droites et l’hypertension pulmonaire. En revanche, les signes d’ICD sont exceptionnels du fait d’une inversion de shunt droit-gauche en cas d’élévation des pressions de remplissage ventriculaire droit [5]. L’autre modèle de shunt artério-veineux extracardiaque est celui des patients dialysés sur FAV notamment lorsque le débit de la FAV est important [6]. La réduction du calibre ou la suppression de la FAV permet généralement l’amélioration du tableau [7]. Les shunts artério-veineux intra-abdominaux sont plus rares, de mécanisme varié et souvent régressifs après cure chirurgicale [8,9]. Il en était ainsi chez notre patiente dont l’exérèse de la tumeur a permis la correction rapide de l’ICD, confirmant alors cette hypothèse physiopathologique. En raison du caractère bénin de l’AML, le traitement de référence des tumeurs de plus de 4 cm et/ou symptomatiques est l’embolisation artérielle par voie percutanée, la chirurgie n’étant indiquée en cas d’échec du traitement 481 radiologique [1,2,10]. Dans notre observation, les dimensions et la symptomatologie de l’AML nous ont fait choisir un traitement chirurgical, malgré une première tentative avortée 12 ans auparavant. L’embolisation préopératoire immédiate de la tumeur nous semble avoir facilité les conditions de cette exérèse difficile, où les contrôles vasculaires premiers n’étaient pas possibles. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Nelson CP, Sanda MG. Contemporary diagnosis and management of renal angiomyolipoma. Ann Rheum Dis 2002;168:727—30. [2] Koo KC, Kim WT, Ham WS, et al. Trends of presentation and clinical outcome of treated renal angiomyolipoma. Yonsei Med J 2010;51:728—34. 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