Maladie d’Alzheimer et immunothérapie : espoir ou désillusion ? B. DUBOIS (1) L’ESPOIR… La mise au point de modèles expérimentaux de maladie d’Alzheimer suscite beaucoup d’espoir. D’une part, des souris transgéniques, après manipulations génétiques, surexpriment le gène codant pour la protéine amyloïde, qui se dépose dans le cerveau des patients atteints de maladie d’Alzheimer (MA). On en a la preuve en neuropathologie, avec la mise en évidence de plaques amyloïdes chez la souris. D’autre part, Shenk et al. (2000) ont injecté le peptide amyloïde en périphérie, chez la souris. Celle-ci produit des anticorps qui passent en petites quantités dans le cerveau et iront peut-être détruire les plaques amyloïdes fabriquées. En neuropathologie, le résultat est étonnant. Les souris n’ont pas de plaques dans le cerveau. On souhaite répliquer ces travaux chez les patients. LA DÉSILLUSION… L’encéphalite sub-aiguë… Toutefois, l’espoir doit être tempéré. En effet, une patiente suivie en neurologie, puis en gériatrie, à qui l’on a injecté le peptide amyloïde, a développé une méningoencéphalite immuno-allergique (MEIA), imposant l’arrêt immédiat du traitement. Le liquide céphalo-rachidien était inflammatoire et les lésions cérébrales de la substance blanche prenaient le contraste. Dans une étude multicentrique de phase II portant sur 370 patients, 300 reçoivent le peptide amyloïde et 70 le placebo. Dix-huit patients (6 %) ont présenté une MEIA, dont 6 Français. La MEIA est observée dans la majorité des cas après la deuxième injection (91 %), et une latence médiane de 75 jours. Deux tiers des patients récupèrent (12), un tiers gardent des séquelles (6), dont un patient des séquelles graves. De plus, les taux d’anticorps A 42 ne sont pas corrélés à la sévérité de la MEIA. Le développement de l’immunothérapie doit donc être contrôlé : l’étude initiale est interrompue après la deuxième injection, au lieu des six prévues. Cependant, les patients continuent d’être suivis et ont tout de même bénéficié de deux injections. RÉSULTATS PRINCIPAUX Il n’y a pas d’effet significatif des deux vaccinations sur le paramètre cognitif, critère primaire d’efficacité. Les volumes cérébraux et hippocampiques des patients traités diminuent. Cette diminution est inversement corrélée à la tendance observée dans les tests de mémoire. Ce résultat est surprenant. On attendrait plutôt un ralentissement du processus pathologique d’atrophie, en cas d’effet structurel de la vaccination ; au contraire, il y a une augmentation de l’atrophie. Ce résultat inattendu porte à discussion. Traduit-il l’existence d’une encéphalite infraclinique ou d’une gliose ? On peut émettre l’hypothèse mécanistique d’une balance entre les éléments cellulaires, par modification de densité et résultant de la diminution des plaques. Il y aurait une sorte de nettoyage des plaques, qui entraînerait une diminution de volume, donc de densité neuronale ou de matière, ce qui expliquerait l’augmentation de l’atrophie. Malgré tout, il faut garder un espoir mesuré vis-à-vis de l’approche d’immunothérapie, du fait de résultats secondaires encourageants. RÉSULTATS SECONDAIRES Cliniques Ces résultats sont rapportés dans les premiers travaux d’Orgogozo et al. (Neurology, 2003), puis par McLaurin (1) CHU Pitié-Salpêtrière, Paris. Rewriter I. Fabre. S 638 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 638-40, cahier 5 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 638-40, cahier 5 et al. (Alzheimer Dis Assoc Disord, 2004). Ces derniers font une analyse secondaire très critiquée d’une trentaine de patients, extraits de leur population. Dans cet échantillon restreint, les auteurs observent un effet significatif de la vaccination sur le Mini-Mental State (MMS). Gilman et al. (Neurology, 2005) montrent une efficacité significative de la vaccination par rapport au placebo, sur un critère cognitif composite. Ce critère associe l’Alzheimer’s Disease Assessment Scale-cognitive subscale (ADAS cog) et une batterie de tests de mémoire (Wechsler mémoire, 15 mots de Rey), et d’attention (empans chiffrés endroit et envers). Le résultat n’est pas significatif sur l’ADAS cog. Maladie d’Alzheimer et immunothérapie : espoir ou désillusion ? rable, sans déclencher de réponse immunitaire à cellules T. Autres voies d’immunisation : transfert passif d’anticorps On obtient une réduction significative des PS amyloïdes dans le cerveau de l’animal, après injection de l’anticorps : 83 à 91 % selon que l’anticorps est polyclonal ou spécifique. Les complications sont dues à la formation de complexes immuns. Transfert passif d’épitopes Données post-mortem Une patiente décédée en phase II précoce d’une étude de tolérance a été prélevée en post-mortem. La mort ne serait pas liée aux vaccinations reçues d’après Nicole et al. En neuropathologie, on observe l’absence de plaques séniles (PS) dans plusieurs régions corticales. Ces résultats sont étonnants et indiquent un effet possible de l’injection. Un travail récent, publié dans Nature en 2002, montre que l’épitope 4-10 (6 AA), a la même efficacité que le peptide complet (42 AA), sans déclencher de réponse immunologique. Il inhibe la formation spontanée de fibres, la cristallisation des peptides A, en présence de sérum A 410. D’une part, il peut donc inhiber la fibrillogénèse et d’autre part, il peut désagréger les fibres préformées. CONCLUSION ÉTUDES EXPÉRIMENTALES La pharmacogénomique recherche des bio-marqueurs prédictifs du risque de MEIA. L’expression de gènes impliqués dans l’apoptose et les processus pro-inflammatoires, est associée au risque de développer une MEIA. On pourrait ainsi identifier efficacement, les sujets à risque de développer une MEIA ou une autre complication, et ceux, répondeurs à la vaccination. Certaines régions corticales sont dénuées de PS. Sur des coupes de cerveau de patients atteints de MA ayant reçu des anticorps, l’immun sérum se fixe sur les PS, mais pas le sérum pré-vaccination. Le phénomène immunologique est donc bien spécifique, avec une reconnaissance par les anticorps des PS amyloïdes. Ceci est confirmé par le double marquage par un anticorps monoclonal, le 4 G 8, marqueur des PS. PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES : TROIS PISTES… Transfert d’immunoglobulines anti-A Les immunoglobulines anti-A sont directement injectées au sujet, qui ne produit donc pas d’anticorps en réponse à l’antigène. Certaines vont passer dans le cerveau : elles détruisent les PS et désagrègent les peptides A. L’objectif est de mettre au point des molécules antigéniques moins puissantes en terme d’effets secondaires, que le peptide A 42 très immunogène. Les recherches portent sur un épitope réduit, qui aurait le même pouvoir favo- L’immunothérapie A est extrêmement efficace dans les modèles animaux de maladie d’Alzheimer. Les cas post-mortem démontrent des effets comparables sur la pathologie amyloïde chez l’homme. Malheureusement, une méningo-encéphalite immuno-allergique survient dans 6 % des 300 cas rapportés, avec des séquelles (2 %), sévères (1 %). L’immunothérapie doit donc être adaptée afin d’éviter cette complication autoimmune liée à l’activation des cellules T. Plusieurs pistes de recherche sont possibles. Question (M. Haddou) L’apprentissage explique-t-il certains résultats cognitifs positifs après vaccination ? Réponse Oui, c’est l’un des biais de ces d’études d’une façon générale. Mais ce biais est compensé par le fait l’effet d’apprentissage est présent dans les deux groupes. C’est la différence d’effet entre groupe traité et groupe placebo, et non la différence par rapport à la ligne de base que l’on recherche. Question (Professeur J.-P. Olié) Que sait-on des corrélations entre évolution neuropathologique et évolution comportementale, voire cognitive ? S 639 B. Dubois L’Encéphale, 2006 ; 32 : 638-40, cahier 5 Réponse Réponse C’est un des points fondamentaux actuels. La meilleure connaissance de la MA permet d’individualiser des affections autrefois assimilées à la MA : démence frontotemporale, démence sémantique, atrophie corticale postérieure, dégénérescence corticobasale, aphémie progressive, démence à Corps de Lewy. On était dans l’incapacité de faire des corrélations anatomocliniques. Depuis que ces entités sont démembrées, la MA apparaît beaucoup plus homogène. Sur le plan qualitatif, l’expression clinique est assez bien corrélée aux données de neuropathologie. La maladie débute vers l’âge de 40 ans. Les lésions initiales siègent dans les structures temporales internes, notamment hippocampe et cortex entorhinal. Puis, les lésions progressent vers les voies limbiques, le cortex frontal, les aires associatives hétéro-modales et le carrefour pariétotemporo-occipital (Braak et Braak). Parallèlement, le tableau clinique débute par des troubles de mémoire et le syndrome amnésique hippocampique. Puis, apparaissent l’apathie, les troubles du jugement et du raisonnement, les difficultés de double tâche dans le traitement de l’information complexe, finalement le syndrome aphaso-apraxo-agnosique, avec des troubles du langage, des praxies et des gnosies. L’apathie, symptôme relativement précoce, est liée à la diffusion précoce des lésions vers les régions orbitoventrales, les phénomènes délirants et hallucinatoires, vers les régions postérieures. Les lésions orbitro-ventrales s’accompagnent d’une perte progressive de l’insight et aboutit à une sorte de retrait et d’isolement par rapport à l’environnement. Sur le plan quantitatif, les corrélations clinicopathologiques sont assez étroites pour la dégénérescence neurofibrillaire. En revanche, il n’y aucune corrélation entre la sémiologie clinique et les plaques séniles. Oui, probablement. On aura l’effet conjoint. Il n’est pas exclu qu’un résultat positif soit le résultat d’une interaction entre les deux traitements. Question Depuis l’arrêt du protocole, les patients ont-ils bénéficié d’anti-cholinestérasiques ? Les effets associés de l’immunothérapie et des traitements anti-cholinestérasiques vont-ils faire l’objet d’une analyse ? S 640 Question Il y a une polémique autour d’une équipe américaine : la substance amyloïde serait une conséquence protectrice éventuelle de la lutte du cerveau contre la maladie. Qu’en penser par rapport à la réaction au vaccin ? D’autre part, puisque les plaques séniles ne sont pas corrélées à la progression de la maladie, pourquoi les combattre, alors qu’il faudrait plutôt attaquer la dégénérescence neurofibrillaire ? Réponse Il est difficile de répondre. Deux courants s’opposent : tauistes et baptistes. Le principal argument en faveur de la piste du peptide amyloïde est que les trois mutations géniques qui s’accompagnent d’une MA familiale, interviennent sur la cascade amyloïde. Par l’immunothérapie, on choisit de lutter contre les plaques amyloïdes. Se pose la question du risque de désagréger des plaques qui sont peut-être un mode de protection : c’est peut-être une façon de neutraliser des oligomères, potentiellement toxiques. Cela dit, même si on avait un effet négatif du vaccin, ce n’est pas pour autant que l’hypothèse de la cascade amyloïde serait infondée. On peut agir sur la cascade : – soit en inhibant la formation de nouvelles plaques (production de peptides A), par les inhibiteurs de sécrétases. Cette approche est la meilleure façon de tester l’hypothèse de la cascade amyloïde car en agissant sur les plaques, on n’est pas sûr d’avoir un effet positif ; – soit en inhibant la dégénérescence neurofibrillaire.