Le système postural d`aplomb : réseau d`informations

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Dossier SDP
clinique
Le système postural d'aplomb :
réseau d'informations, de contrôles et d'ordres
Patrick Quercia
Q
uand il n’est pas en mouvement, le corps humain maintient en permanence une
posture (position immobile debout, travail devant l’ordinateur, sommeil…). Ceci
suppose un état de contraction tonique très précis des muscles concernés. L’équilibre
postural normal peut se résumer à une harmonie de l’état des contractions toniques
entre muscles agonistes et antagonistes. Pour que les contractions musculaires soient
adaptées à la position que le sujet veut maintenir, un système complexe d’informations,
de contrôles et d’ordres doit être actif en permanence.
Ce système, nommé “système postural d’aplomb”, est formé de capteurs. Ceux-ci
envoient des informations sensorielles au cerveau qui les traite avant de renvoyer des
ordres adaptés aux muscles. La contraction musculaire modifie à son tour les capteurs.
Le système est ainsi auto-régulé et auto-asservi. La base du cerveau et le cervelet sont
les zones essentielles qui contrôlent le système. La régulation est permanente et, le
plus souvent, inconsciente.
Les capteurs sont aussi appelés
“entrées posturales”
Il s'agit principalement des muscles, de l’œil, de
l’oreille interne, de la surface plantaire et de l’appareil
manducateur.
Fuseaux neuro-musculaires et organes tendineux
de Golgi : capteurs sensoriels des muscles
Les capteurs sensoriels des muscles sont :
– au niveau du corps musculaire : les fuseaux neuromusculaires, constitués de fibres spécialisées renseignant le cerveau sur la longueur du muscle,
– au niveau des tendons : les organes tendineux de
Golgi qui renseignent le cerveau sur l’état de tension
du muscle.
Ces capteurs sensoriels et leurs centres neurologiques
définissent la proprioception
La proprioception est l’épine dorsale du système postural d’aplomb. On peut la considérer comme un
sixième sens. Son existence est volontiers méconnue
car, à l’inverse des autres sens (hormis le toucher),
Beaune - [email protected]
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elle n’est pas portée par un organe bien individualisé
anatomiquement. Elle repose en effet sur des capteurs répartis dans tout l’organisme. Son organisation
physiologique est cependant tout à fait superposable à
celle des autres sens.
Il existe de véritables chaînes proprioceptives
Le système musculaire fonctionne avec des circuits
neurologiques courts médullaires et des voies ascendantes et descendantes qui permettent un contrôle
automatique et coordonné.
En modifiant expérimentalement la proprioception par
des vibrations à haute fréquence et de faible amplitude,
on a pu mettre en évidence l’existence de véritables
chaînes proprioceptives agissant ensemble pour
apporter une information spatiale ou modifier la posture.
L’œil : un double capteur
La rétine périphérique joue un rôle primordial
dans les réactions posturales adaptatives
Elle le doit à ses cellules sensibles aux variations de
contraste et aux mouvements. Les informations sont
véhiculées au cortex par les voies optiques rétino-cor-
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ticales, mais c’est essentiellement le système optique
accessoire qui gère les informations posturales provenant de la rétine. Le colliculus supérieur en est un
élément. Il est considéré comme un des centres de
la régulation motrice œil-tête. Dissimulé à notre
conscience par le flot d’images corticales, le système
optique accessoire fonctionne cependant en permanence.
Il est essentiel d’intégrer l’idée que, dans la phylogenèse, le système visuel fut un système postural
avant d’être un système permettant l’élaboration
d’images conceptualisées.
La sole plantaire constitue un capteur essentiel
du système postural
En effet, elle est très riche en capteurs de pression de
différents types, qui travaillent en synergie avec les
capteurs proprioceptifs des muscles du pied et de la
cheville, et ceux des capsules articulaires voisines.
La mise en vibration des mécanorécepteurs des soles
plantaires provoque des réactions posturales violentes
et reproductibles. On a ainsi pu mettre en évidence
une véritable carte dynamométrique de la sole plantaire. Elle est à l’origine de la conception personnalisée de semelles de posture (encore appelées parfois
semelles proprioceptives (figures 1, 2a et 2b).
Les deux yeux n’ont pas la même importance en posturologie. En enregistrant la stabilité d'un sujet avec
un œil fermé, on a pu montrer que le cerveau favorise
les images d’un œil (appelé œil postural) pour repérer
les informations utiles au maintien de la posture. Ces
informations sont essentiellement les verticales présentes dans l’espace visuel perçu.
Le corps musculaire et les tendons des muscles
oculomoteurs possèdent des récepteurs proprioceptifs
C'est d'ailleurs le cas de tous les muscles de l’organisme.
La découverte, ancienne, de ces récepteurs a été
volontiers occultée en raison du caractère archaïque
de leur structure. De nombreux faits cliniques et expérimentaux prouvent pourtant leur rôle primordial.
Les voies neurologiques qui conduisent les informations proprioceptives oculaires passent par le nerf
trijumeau. Le noyau de ce nerf crânien est en relation
étroite avec les voies neurologiques essentielles au
maintien de la posture.
Figure 1. Les renflements qui provoquent des réflexes posturaux
sont très fins (inférieurs à 3 mm).
La stimulation des récepteurs proprioceptifs des
muscles oculo-moteurs représente actuellement le
moyen thérapeutique le plus puissant pour agir sur la
proprioception et ses dérèglements.
On peut considérer que les muscles oculaires représentent la partie supérieure des chaînes proprioceptives essentielles. À ce titre, agir à leur niveau peut
entraîner des changements à distance sur les muscles
sous-jacents.
En posturologie, l'intérêt de l’oreille interne est limité
Grâce aux otolithes et aux canaux semi-circulaires,
elle renseigne le cerveau sur la position de la tête. Son
intérêt est limité en posturologie car l’oreille interne
est surtout sensible aux accélérations linéaires ou
angulaires et elle n’est pas modifiable par une action
directe.
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Figures 2a et 2b. Exemple de mauvaise semelle de posture
proposée pour un pseudo-pied creux en valgus.
L'épaisseur du renflement situé seulement sous l'arche plantaire
atteint 8 à 10 mm et n'a aucun intérêt postural.
Sur le plan proprioceptif, l’appareil manducateur
interfère avec les muscles oculo-moteurs
Les dents, les mâchoires, les articulations temporomandibulaires et leurs muscles comportent aussi des
capteurs.
Il est important de noter que les informations qui proviennent de ces capteurs passent par le nerf trijumeau, qui véhicule aussi les informations proprioceptives des muscles oculaires.
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Pour certains aspects, on peut considérer en posturologie que l’œil et la mâchoire représentent un seul et
même capteur. Ceci explique notamment qu’il puisse
exister des interférences (positives ou négatives) entre
les traitements qui s’adressent à la proprioception
oculaire et au capteur manducateur.
(on connaît par exemple des voies neurologiques inhibitrices entre colliculus et corps genouillés). L’examen
des patients atteints de syndrome de déficience postural (SDP) montre facilement l’existence de perturbations au niveau de l’intégration des données visuelles
quand on modifie la proprioception oculaire.
Physiologiquement, le système
postural d'aplomb intervient
dans trois domaines
Du système postural d'aplomb
au syndrome de déficience posturale
Le système postural, notamment la proprioception qui
en est l’épine dorsale, joue un rôle dans la régulation
du tonus musculaire, la localisation spatiale des objets
regardés et la modification des perceptions sensorielles.
La régulation du tonus musculaire
est le premier rôle qui ait été décrit
On doit cette description à Sherrington (1900). Les
perturbations du système postural ont donc avant tout
intéressé les spécialistes traitant les douleurs osseuses et musculaires.
Localisation spatiale des objets : la vision
dépend des autres capteurs du système
L'intervention du système postural d'aplomb dans la
localisation spatiale des objets regardés a été bien
documentée par les expériences de Roll. Elle oblige à
considérer la fonction visuelle non comme le seul apanage de l’œil et de ses connections neurologiques,
mais comme dépendante des autres capteurs du système postural. C’est le pas que les ophtalmologistes
ont le plus de mal à franchir !
La modulation des perceptions sensorielles
influence l'action
Les zones associatives corticales sont le siège d'un
équilibre sensoriel multimodal dont un des rôles est
d’adapter la perception à l’action.
La proprioception, au même titre que les autres sens,
intervient dans cet équilibre et est susceptible de le
modifier aux dépens ou à l’avantage des autres perceptions. Citons par exemple la possibilité de diminuer
transitoirement une négligence visuelle en modifiant
la proprioception des muscles du cou. Il est possible
que l’interaction existe aussi à un niveau sous-cortical
Le dysfonctionnement du système postural d’aplomb
aboutit à une altération des trois fonctions physiologiques que sont la régulation du tonus musculaire, la
localisation spatiale des objets regardés et la modification des perceptions sensorielles. C'est ainsi que
peut apparaître un SDP. Les tableaux, très variables,
dépendent des possibilités spontanées de correction
que le sujet peut mettre en place.
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