Pression artérielle : la mesure importe plus que tout

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ÉDITORIAL
Pression artérielle :
la mesure importe plus que tout
“
Arterial pressure: measurement matters the most
L
Pr Philippe
Gabriel Steg
Rédacteur en chef
de La Lettre du Cardiologue,
département de cardiologie,
hôpital Bichat, AP-HP, Paris.
a prise en charge de l’hypertension artérielle est un des grands
succès de la prévention : un traitement précoce et efficace permet
de retarder, voire d’éviter, les conséquences de l’hypertension sur
les organes cibles et de réduire le risque d’accident vasculaire cérébral,
d’infarctus du myocarde, d’insuffisance cardiaque et d’insuffisance rénale.
Ces dernières années, de vifs débats ont opposé les spécialistes sur les
stratégies optimales de prise en charge : choix des classes thérapeutiques
à mettre en œuvre en première intention, identification des valeurs
cibles, importance relative des chiffres de pression artérielle systolique et
diastolique, importance de la variabilité tensionnelle. Ces débats ont été
ravivés par la publication des résultats de l’étude SPRINT (1). Comme
nous l’avons déjà évoqué dans le numéro de La Lettre du Cardiologue
de septembre, cet essai randomisé, coordonné par l’Institut américain
de la Santé (NIH), a comparé 2 cibles de pression artérielle systolique :
120 contre 140 mmHg. Le groupe assigné à une cible de 120 mmHg
a eu une réduction franche du risque d’événements cardiovasculaires
(infarctus du myocarde, syndrome coronaire aigu, accident vasculaire
cérébral, insuffisance cardiaque ou décès cardiovasculaire), de 5,2
contre 6,8 %, p < 0,001. Il y avait également une réduction du risque
d’insuffisance cardiaque (1,3 contre 2,1 %) et, surtout, une réduction de
la mortalité toute cause (3,3 contre 4,5 %, p = 0,003). Malgré un risque
d’effet indésirable du traitement plus important dans le groupe “traitement
intensif ”, avec plus d’insuffisance rénale aiguë (4,3 contre 2,5 %), plus
d’hypotension artérielle (2,4 contre 1,4 %), l’ampleur du bénéfice
cardiovasculaire et, surtout, la réduction de la mortalité totale sur une
courte durée de traitement constituent des arguments forts pour viser une
cible à 120 mmHg.
La méthode de mesure de la pression artérielle est un aspect
important du débat : dans l’essai SPRINT, la mesure était réalisée
de façon automatisée après 5 minutes de repos et en l’absence
d’observateur susceptible d’interférer avec cette mesure. C’est un
point crucial car on sait depuis longtemps que la pression artérielle
est une grandeur labile, susceptible d’être fortement influencée
par le repos, l’activité physique ou le stress, et d’être surestimée
de façon parfois notable, lorsqu’elle est prise à l’hopital ou au cabinet
médical, et par un professionnel de santé : c’est ce que l’on appelle
“l’hypertension à la blouse blanche”. Pour minimiser les interférences
liées à ce phénomène, on recommande aux professionnels de santé
de standardiser la mesure de la pression artérielle, en la prenant
4 | La Lettre du Cardiologue • N° 499 - novembre 2016
ÉDITORIAL
1. SPRINT Research Group,
Wright JT Jr, Williamson JD
et al. A randomized trial of
intensive versus standard
blood-pressure control. N Engl
J Med 2015;373:2103-16.
2. Vidal-Petiot E, Ford I,
Greenlaw N et al. Cardiovascular event rates and mortality
according to achieved systolic
and diastolic blood pressure in
patients with stable coronary
artery disease: an international
cohort study. Lancet 2016
388(10056):2142-52.
3. Kjeldsen S, Lund-Johansen
P, Nilsson PM, Mancia G.
Unattended Blood Pressure
Measurements in the Systolic
Blood Pressure Intervention
Trial. Implications for entry
and achieved blood pressure values compared with
other trials. Hypertension
2016;67(5):808-12.
P.G. Steg déclare avoir reçu
des bourses de recherche
de Merck, Sanofi et Servier, ainsi
que des honoraires de Amarin,
Amgen, AstraZeneca, Bayer,
Boehringer-Ingelheim, BristolMyers Squibb, CSL Behring,
Daiichi-Sankyo, GlaxoSmithKline,
Janssen, Lilly, Merck, Novartis,
Pfizer, Regeneron, Sanofi,
Servier, The Medicines Company.
après un repos de 5 minutes, en position allongée ou demi-assise,
lors de plusieurs consultations différentes, et de confirmer le
diagnostic, avant toute instauration de traitement médicamenteux,
par une automesure ou une mesure ambulatoire automatisée (MAPA).
En effet, cela évite le traitement intempestif des sujets “émotifs” dont
la pression artérielle pourrait être surestimée au cabinet médical mais
parfois notablement plus basse dans la vie quotidienne. Chez ces
sujets, un traitement excessif entraîne une majoration substantielle du
risque d’effets indésirables, parfois sans bénéfice, voire, si la pression
artérielle est trop basse, avec des effets délétères notables, compte tenu
de l’existence d’une courbe en J de la relation entre pression artérielle
et risque cardiovasculaire dans les populations fragiles telles que les
coronariens (2). Or, si la cible visée dans SPRINT est de 120 mmHg,
ceci est mesuré dans des conditions tellement drastiques que cela peut
correspondre à une pression artérielle “casuelle” au cabinet médical
qui pourrait être aisément de 5 à 10 mmHg plus élevée, voire jusqu’à
15 mmHg. Une difficulté majeure est que la pression artérielle mesurée
en consultation casuelle est souvent plus élevée que la pression artérielle
ambulatoire, mais aussi plus variable et donc qu’on ne peut “calculer”
une différence standardisée qui permettrait de relier l’une à l’autre.
Essayer d’obtenir une pression artérielle systolique de 120 mmHg lors
d’une prise casuelle correspondrait peut-être, chez certains patients
(mais pas chez tous !), à des chiffres beaucoup plus bas de pression
artérielle réelle (3). C’est probablement une des raisons qui a freiné la
Société francaise d’hypertension artérielle (SFHTA) et la Haute Autorité
de santé dans l’adoption d’une stratégie visant une pression cible à
120 mmHg, et qui explique que les toutes récentes recommandations
françaises continuent de préconiser une cible de traitement à
140/90 mmHg.
En pratique, pour le clinicien, il n’y a pas d’autre choix que de
s’acharner à obtenir une mesure fiable de pression artérielle, en “prenant
le temps” de la mesure, en multipliant les mesures et, surtout, en
s’appuyant chaque fois que cela est possible, pour les modifications du
traitement, sur les résultats de l’automesure, qui ont l’avantage d’être un
bien meilleur reflet de la pression artérielle “ambulatoire” du ou de la
patient.e, et d’impliquer celui-ci ou celle-ci dans sa prise en charge.
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”
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