Le TDA Un trouble qui affecte aussi l`adulte

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DOSSIER : DÉFICIT DE L’ATTENTION ET HYPERACTIVITÉ
Le TDA
Un trouble qui affecte
aussi l’adulte
mettent à voir des enfants hyperactifs
trop facilement et à vouloir se faire confirmer un trouble déficitaire d’attention
sans avoir analysé l’ensemble du problème et tenté au préalable des interventions plus exigeantes. On devient
même parfois impatient devant le psychologue qui veut mettre en place diverses approches avant de se rabattre
sur la médication ou qui propose, par
exemple, d’ajouter au Ritalin un programme de formation aux habiletés sociales pour l’enfant rejeté des autres.
Pour moi, il est devenu indéniable
que le Ritalin fait maintenant partie
des solutions utiles. L’enfant n’est pas
parfaitement libre, on ne construit ou
ne reconstruit pas tous les enfants
avec nos seules interventions pédagogiques ou thérapeutiques. Aujourd’hui,
avec plusieurs enfants en difficulté, je
consacre du temps à convaincre des
parents de consulter le pédiatre parce
que je crois à un déficit d’attention, je
consacre du temps à convaincre des
enseignants de modifier leurs interventions plutôt que de recourir trop vite à
la médication miracle, je consacre du
temps à aider des parents convaincus
d’être responsables de l’hyperactivité
de leur enfant, je tente d’aider les enfants avec leurs habiletés sociales maladroites, je travaille avec les orthopédagogues qui doivent aider tous ces
enfants qui persistent avec leurs difficultés scolaires, Ritalin ou pas.
La petite révolution qu’a amenée le
Ritalin ne m’a pas réduit au scepticisme
quant à la valeur de mon travail. L’enfant, les parents et les enseignants ont
encore besoin de mon aide dans tout
ce qui reste à faire une fois que l’enfant
a avalé la petite pilule bleue. ■
Richard Gagné est psychologue scolaire à
la Commission scolaire du Val-des-Cerfs, à
Granby.
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PSYCHOLOGIE QUÉBEC NOVEMBRE 2000
Par Mélanie Larochelle, M. Ps.,
et Sherley Racine, M. Ps.
L
E TROUBLE de déficit
de l’attention (TDA)
chez les enfants a fait
l’objet de multiples recherches au
cours des dernières années, ce qui a
conduit à une meilleure compréhension de celui-ci. Jusqu’à récemment, on
croyait que les symptômes du TDA disparaissaient à l’adolescence avec le
développement du cerveau, les changements hormonaux et développementaux. Or, on reconnaît maintenant que
plusieurs des symptômes persistent
chez l’adulte pour une majorité des individus présentant le trouble. En fait,
l’hyperactivité se résorbe dans plusieurs cas à l’adolescence, mais les déficits de l’attention persistent chez
l’adulte dans 30 % à 70 % des cas (Boisvert et Boisvert, 1999). Ainsi, en 1980,
on reconnaissait dans la troisième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), pour
la première fois, que le TDA se poursuit
à l’âge adulte chez certains individus.
Par ailleurs, en 1990, le Dr Alan Zametkin et ses collègues publiaient le premier article traitant du TDA chez
l’adulte.
Plusieurs adultes présentant un
TDA n’ont pas été diagnostiqués pendant l’enfance ou ont été sous-diagnostiqués. Ils recherchent souvent
une évaluation et un traitement seulement après qu’un de leurs enfants ait
été diagnostiqué. Les parents se reconnaissent alors dans les explications, par les spécialistes, des symptômes du TDAH. D’ailleurs, on croit de
plus en plus à une composante génétique dans la compréhension du
trouble.
Le diagnostic
chez l’adulte
L’autodiagnostic est
un des principaux dangers lorsque l’individu
entend parler de ce
trouble pour la première fois. Une évaluation par des spécialistes est essentielle pour éliminer
toutes autres conditions maladives. Le
diagnostic chez l’adulte requiert l’examen de l’histoire académique et comportementale lors de l’enfance (questionnaire rempli par le sujet et un parent). Il
est important d’insister sur le fait que le
TDA n’apparaît pas à l’âge adulte : il est
forcément présent dès l’enfance, c’est-àdire avant l’âge de sept ans.
Une entrevue clinique permet
d’évaluer l’intensité des symptômes
actuels et les répercussions sur la vie
globale de l’individu. Pour être retenus, les symptômes doivent nuire au
fonctionnement académique, social ou
occupationnel. L’anamnèse, qui inclut
l’histoire scolaire, au travail (capacité
à garder un emploi, relations interpersonnelles au travail), l’histoire amoureuse et familiale, permet de vérifier la
présence du trouble au cours de l’enfance et son évolution au fil des différentes étapes de la vie. L’évaluation
des habilités intellectuelles et d’autres
composantes psychologiques a pour
objectif d’obtenir des informations sur
le fonctionnement (cognitif, émotionnel, comportemental) spécifique de la
personne.
Hallowell et Ratey (1994) proposent différents critères pour établir
le diagnostic du déficit de l’attention
(voir l’encadré). Il ne s’agit toutefois
que d’une suggestion de critères basés
sur une vaste expérience clinique, ne
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reposant pas encore sur une validation
statistique. Les critères doivent être retenus seulement s’ils sont plus fréquents, et de façon considérable, chez
l’individu potentiellement atteint que
chez la majorité des gens du même
âge.
Ces critères font référence à un
portrait général des difficultés. Comme
vous pouvez le constater, les manifestations du trouble ont une composante subjective importante et leur
spectre peut s’étendre à plusieurs
autres diagnostics. Il est alors important d’éviter l’autodiagnostic et de
consulter des professionnels spécialisés. Afin de faciliter la compréhension
de cette problématique, nous pouvons nous référer à la perspective de
Brown (1996), selon laquelle le TDA
serait davantage un trouble de l’inhibition affectant les cinq champs d’activités suivants : la mise en œuvre et
l’organisation ; la vigilance et l’atten-
tion soutenue ; l’effort soutenu et la
planification ; la mémoire de travail.
Comme chez les enfants, tous les
individus diagnostiqués ne présentent
pas les mêmes manifestations du
trouble. Afin de mieux illustrer ces
champs, voici quelques vignettes tirées
de Driven to Distraction (1994), qui mettent en perspective les différentes difficultés rencontrées.
Vignette 1 :
mise en œuvre et organisation
Le bureau de Pierre est plutôt difficile
à décrire. On y retrouve des piles et
chaque chose va dans l’une d’entre
elles. Il y a, un peu partout, de grosses
et de petites piles de livres et de magazines, ainsi que des paquets de papiers. Il n’y a pas d’organisation réelle,
mais plutôt une multitude de tentatives d’organisation qui handicapent
Pierre lorsqu’il se met au travail. Il
commence alors à « butiner », cher-
chant dans chaque pile, trouvant des
choses intéressantes, qui l’amènent
loin de son objectif premier.
Vignette 2 :
vigilance et attention soutenue
Élizabeth et ses parents ont toujours
cru qu’elle ne pouvait rester concentrée
longtemps parce qu’elle n’était pas
assez « brillante ». Le fait qu’elle « tombait continuellement dans la lune » ou
oubliait des choses était causé, estimaient-ils, par un manque de volonté.
Quoi qu’elle fasse pour tenter de se souvenir (moyens mnémoniques), elle finissait toujours par oublier quelque chose.
Vignette 3 :
effort soutenu et planification
Georges a longtemps tenté de travailler
dans un bureau. Toutefois, aussitôt installé, il était incapable de soutenir un
effort constant. Au travail, une tendance
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Critères de Hallowell et Ratey pour le diagnostic du TDA
A. Un trouble chronique où l’on
trouve au moins 12 des points
suivants :
11. le sentiment de ne pouvoir
exceller, de ne jamais rencontrer ses objectifs (sans égard
aux efforts) ;
12. la difficulté d’organisation ;
13. la procrastination chronique
ou la difficulté à commencer
une tâche ;
14. un grand nombre de projets
simultanés, mais la difficulté
à faire le suivi ;
15. une tendance à faire des
remarques sans considération
de la nécessité ou du moment
opportun ;
16. une recherche constante de
stimulations fortes ;
17. la tendance à s’ennuyer
facilement ;
18. une facilité à la distraction,
une difficulté à focaliser son
attention, une tendance à
déconnecter ou à dériver au
milieu d’une activité ou d’une
conversation, souvent associée
à la capacité d’hyperfocalisation à certains autres moments ;
19. une personne souvent créative,
intuitive, très intelligente ;
10. la difficulté à respecter les
procédures habituelles pour
suivre ses propres procédures ;
11. impatience et faible seuil
de tolérance à la frustration ;
12. impulsivité en paroles ou
en actes ;
13. tendance à s’inquiéter sans
cesse, inutilement, à entrevoir
quelques problèmes en
alternance avec l’inattention
ou la négligence des vrais
dangers ;
14. une insécurité fondamentale,
alternant avec le besoin de
prendre de gros risques ;
15. une humeur labile, dépressive,
surtout lors d’une rupture
relationnelle ou d’un
quelconque projet ;
16. l’agitation ;
17. la tendance au comportement
d’accoutumance ;
18. les problèmes chroniques
d’estime de soi ;
19. une mauvaise capacité
d’introspection ;
20. une histoire familiale du déficit
d’attention, de la maladie
maniaco-dépressive, de la
dépression, de l’abus de
drogue ou d’autres désordres
de l’impulsion ou de l’humeur.
B. Une histoire infantile du déficit
de l’attention où l’on retrouve
tous les signes et symptômes
(sans que le diagnostic soit
formel).
C. Une situation qui ne s’explique pas
par d’autres conditions médicales
ou psychiatriques. ■
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DOSSIER : DÉFICIT DE L’ATTENTION ET HYPERACTIVITÉ
à la procrastination s’installait et le travail planifié était rarement accompli.
Depuis qu’il est entrepreneur et effectue
la grande majorité de son travail sur la
route, ses efforts sont plus soutenus. Il
respecte la planification établie et la
procrastination a presque totalement
disparu de son quotidien.
Vignette 4 : émotionnel et affectif
Lorsqu’il était jeune, se souvient Henri,
les lettres du directeur ou du professeur débutaient toujours de la même
façon : « Nous avons le regret de… » Il
réussissait bien les tests d’aptitudes,
mais cela ne se reflétait pas dans ses résultats scolaires. Henri n’aimait pas
l’école et manquait de confiance en ses
capacités. Aujourd’hui encore, il manifeste une faible estime de soi.
Vignette 5 : mémoire de travail
Jocelyne fréquente l’université. Ses résultats sont bons, mais elle a toujours
eu de la difficulté à prendre des notes.
La préparation des examens est composée d’une période intense d’étude et,
le lendemain matin, c’est le néant. Jocelyne souffre d’une grande difficulté à se
remémorer, dans un bref délai, les informations emmagasinées.
Les stratégies d’intervention
Le diagnostic du TDA chez l’adulte est
complexe étant donné le taux élevé de
troubles y étant associés tels la dépression, l’anxiété, la dépendance et l’abus
de substances, les troubles d’apprentissage, le TOC, la fatigue chronique et les
troubles alimentaires. Or, l’adulte présentant un TDA vit souvent plusieurs
difficultés, notamment au travail et dans
ses relations interpersonnelles. Des
années à composer avec un désordre
non traité constituent un risque de développement d’autres problématiques
comme une faible estime de soi ou le
sentiment d’être inadéquat. L’individu a
souvent l’impression de manquer de volonté ou de motivation. Les habiletés sociales, la résolution de problèmes et la
maîtrise de soi (pas de contrôle interne)
sont souvent déficitaires.
L’éducation est la première stratégie d’intervention. La plupart des
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PSYCHOLOGIE QUÉBEC NOVEMBRE 2000
adultes aux prises avec le TDA ont une
compréhension limitée, voire inexistante, du trouble. L’information sur le
TDA permet d’acquérir des connaissances sur la nature et l’impact du
trouble (à savoir notamment qu’il ne
s’agit pas d’une question de volonté,
mais de capacité, que le trouble est de
nature neurologique et que chaque individu possède un portrait clinique
spécifique). Lors du diagnostic, plusieurs adultes sentent un voile se lever.
Ils peuvent enfin donner un sens aux
difficultés qu’ils ont toujours rencontrées. Certains diront qu’ils se percevaient comme peu intelligent, stupide
ou paresseux. En fait, l’individu doit
comprendre que le TDA n’est pas une
excuse, mais une explication.
L’intervention consiste aussi à établir des suggestions spécifiques, permettant un ajustement, selon les difficultés particulières. Une modification du
rythme de vie par une sélection réaliste
des activités peut s’avérer bénéfique.
Des moyens palliatifs tels le réaménagement de l’environnement, l’utilisation
d’un agenda ou d’une liste quotidienne
des tâches à effectuer, du codage-couleur pour attirer l’attention, le suivi
d’une routine et des activités physiques
régulières peuvent permettre une
meilleure adaptation. En fait, l’adulte
TDA doit développer des habiletés d’organisation et de gestion du temps.
La thérapie a souvent pour objectifs la modification du comportement,
l’entraînement à des habiletés spécifiques et le traitement des composantes affectives. Lorsqu’il y a présence
de comorbidité, cette dernière est traitée de façon prioritaire. Par ailleurs, la
médication (psychostimulants) peut
être efficace sur le plan de l’attention.
Toutefois, lorsqu’il y a comorbidité,
l’usage pharmacologique diffère en
fonction de la problématique. L’usage
d’antidépresseurs ou d’anxiolytiques
est parfois approprié.
Pour des ressources adéquates
Il est important de souligner que le TDA
chez l’adulte est un trouble nouvellement reconnu par les professionnels
d’ici. Peu de ressources sont dispo-
nibles afin d’évaluer le trouble et d’intervenir auprès de cette population. Cependant, la situation est différente aux
États-Unis, où une loi, The American
with disabled act, reconnaît le droit à
chaque individu d’obtenir les mêmes
chances à l’emploi et à l’éducation. De
ce fait, plusieurs ressources spécialisées
sont disponibles tant pour l’étudiant
que le travailleur (Goldstein, 1996).
Compte tenu de la complexité diagnostique de ce trouble et de son
impact sur le développement et le fonctionnement de l’individu, des ressources adéquates devraient être
mises sur pied afin de répondre aux
besoins grandissants des personnes
vivant avec cette problématique.
En fait, le TDA ne doit pas être
perçu comme une déficience, mais
comme une différence dans la façon de
porter attention à l’environnement, différence qui ne cadre pas toujours facilement avec le style de vie propre à
notre culture. Les particularités du
TDA entraînent donc des difficultés. Cependant, elles comportent aussi des aspects positifs. Ces personnes démontrent souvent une énergie remarquable,
de l’enthousiasme, de la créativité, de
la spontanéité… En fait, ils ne sont pas
déficients, mais différents. ■
Les psychologues Mélanie Larochelle et
Sherley Racine pratiquent à la Clinique des
déficits de l’attention et de l’hyperactivité.
Bibliographie
American Psychiatric Association. (1980). Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (3rd
ed.), Washington, DC : Author.
Boisvert, R. et Boisvert, C., Conférence donnée à
L’AQETA. ADD de l’enfance à l’adulte, avril 1999.
Brown, T. E. (1996). « Hyperactivité et troubles de
l’attention : bien poser le diagnostic », Psychologie Québec, p. 13-15.
Goldstein, S. (1997). Managing Attention and Learning Disorders in late Adolescence & Adulthood: A
guide for Practioners. New York: Jonh Wiley &
Sons.
Hallowell, E. M., & Ratey, J. (1994). Driven to Distraction: Recognizing and Coping With Attention
Deficit Disorder From Childhood Through Adulthood. New York: Pantheon Books.
Nadeau, K. G. (1996). Adventures in Fast Forward:
Life, Love and Work for the ADD Adult. New York:
Brunner/Mazel.
Zametkin, A. J. Nordahl, T. E., Gross, M., King, A. C.,
Semple, W. E., Rumsey, J., Hamburger, S., &
Cohen, R. M. (1990). « Cerebral glucose metabolism in adults with hyperactivity of childhood
onset », New England Journal of Medicine, 323,
1361-1366.
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