20-reperes-05-08:Mise en page 1 21/04/08 14:08 Page 231 Librairie Un tel choix est-il le seul résultat de la confrontation ou ne faut-il pas le tenir pour fondateur ab initio de la préférence reconnue à la confrontation et au conflit ouvert ? Comme l’a si fortement souligné Paul Ricœur, à maintes reprises, « une théorie purement procédurale requiert le relais d’une éthique des valeurs1 », de « convictions d’arrière-plan », bref d’une « tradition2 » de l’ordre du « déjà-là » à l’instant où s’engage la discussion qui présuppose Henri Bartoli L’ÉCONOMIE DANS LA REVUE ESPRIT. De la révolution personnaliste à un réformisme dans le fil de l’histoire (1932-2007) Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Économie et société », 2007, 205 p. Le vieil économiste grenoblois Henri Bartoli parcourt 75 ans de la revue Esprit pour analyser son abord des problèmes économiques. Se référant au Manifeste de 1936, il définit l’orientation de la revue comme une recherche de la vérité de la situation historique par l’exercice de l’esprit critique dans tous les domaines. Esprit n’est pas une publication politique, économique et sociale, mais une revue de préoccupation spirituelle. En affirmant la supériorité spirituelle de la personne sur les nécessités matérielles et sur les appareils collectifs, le personnalisme est anticapitaliste et révolutionnaire. Il est contre l’exploitation ouvrière, le profit usuraire, la propriété confisquée par le capital, la spéculation et la primauté du rendement financier. Dans cette ligne, l’auteur rend compte des débats qui agitaient, dans la revue Esprit, ceux qu’on a appelés les anticonformistes des années trente. Lorsqu’en 1944, Mounier relance la revue et la dirige jusqu’à sa mort en 1950, celle-ci demeure fidèle à sa radicalité révolutionnaire : l’économie de marché doit être remplacée par l’économie planifiée et, si le marxisme doit être dépassé, il demeure la référence principale de l’analyse économique. Sa perspective historique est intégrée dans la théologie du travail du père Chenu. Henri Bartoli est représentatif de cette ligne révolutionnaire et anticapitaliste qui, selon lui, reste présente l’appartenance à quelque chose comme un ordre éthique, à la fois supérieur et extérieur, ouvert au conflit des interprétations3. L’obstination positiviste kelsénienne à ne s’en tenir qu’au « comment ? » de la réalité juridique et politique, dans la totale répudiation du « pourquoi ? » rend compte de l’allure claudicante d’une réflexion entravée par son ambition scientiste. On songe, en fermant l’ouvrage, à l’albatros de Baudelaire : Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. Jacques Le Goff 1. Paul Ricœur, « Le juste entre le légal et le bon », repris dans Lectures 1, Autour du politique, Paris, Le Seuil, 1991, p. 189. Voir également P. Welsen, « Principes de justice et sens de justice. Ricœur critique du formalisme rawlsien », Revue de métaphysique et de morale, no 2, 2006, p. 217 sqq. 2. Postface à F. Lenoir (sous la dir. de), le Temps de la responsabilité. Entretiens sur l’éthique, Paris, Fayard, 1991, p. 269. 3. Ibid., p. 270. 231