Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité bioéthique N°133 : Janvier 2011 Lois de bioéthique: vers la création d‘embryons pour l’industrie de la fécondation ? Nous souhaitons montrer que malgré le rappel et le maintien du principe fondateur d’interdire la création d’embryon humain pour la recherche tel que défini par l’article L.2151-2 du Code de la Santé publique « la conception in vitro d’embryon humain à des fins de recherche est interdite », le projet de loi de bioéthique va tout organiser pour en donner une autorisation implicite et favoriser les besoins de l’industrie de la procréation. Il propose pour faire sauter les verrous, de modifier les conditions de l’Assistance médicale à la procréation (AMP), celles de la recherche puis les conditions d’obtention et de conservation des gamètes. Conditions d’AMP modifiées L’article L2141.3 qui spécifie les modalités de conception d’un embryon in utero dans le cadre d’une AMP, précisait en 2004 que l’AMP est faite pour remédier à l’infertilité. Dans le projet de loi, cette indication est étendue à la conception in vitro, transfert d’embryons, insémination artificielle et conservation des gamètes et des embryons… La conception d’embryons n’est donc plus exclusivement permise pour remédier à l’infertilité mais pour permettre la réalisation des techniques d’AMP, ce qui introduit l’espace/temps de la création d’embryon pour la recherche. L’Etude d’impact accompagnant le projet de loi, rappelle que les parlementaires en 2004 avaient explicitement refusé, en raison de l’interdit de création d’embryon pour la recherche, la mise en œuvre de techniques d’AMP innovantes. Pour contourner cet interdit, l’OPECST a proposé dans ses rapports sur la bioéthique de 2008 et 2010 de considérer la recherche sur les embryons dans le cadre de l’AMP comme étant des pratiques de soin : «Toute technique ayant pour objectif d’améliorer les possibilités de développement in utero d’un embryon humain devrait être considérée comme un soin et non comme une recherche.» Dans un de ces rapports on apprenait aussi que plusieurs demandes d’autorisation d’essais cliniques sur les techniques de fécondation et de congélation sont déposées auprès de l’AFSSAPS : projet de vitrification ovocytaire, congélation lente d’embryons, projet de recherche incluant un embryon. Le projet de loi ne retient pas ces distinctions byzantines mais pour contourner l’interdit, il présente ces recherches comme de simples améliorations de techniques. Recherche à visée médicale L’article 23 de l’actuel projet de loi, traitant de la recherche sur l’embryon, en proposant de substituer à thérapeutique, la notion de médical pour obtenir les dérogations de recherche sur l’embryon signe évidemment un chèque en blanc à la recherche sur l’embryon dans le cadre de l’Assistance médicale à la procréation. Le dernier verrou d’ordre général saute. Accroître les stocks Enfin les modalités du consentement du couple à la recherche sur ses embryons, telles qu'elles sont détaillées par l'article R. 2151-4 du décret d'application relatif à la recherche sur l'embryon et sur les cellules embryonnaires signé le 6 février 2006, permettent la création d'embryons pour la recherche. Dans le cadre d’une AMP, le couple peut "consentir dans le même temps par écrit à ce que les embryons, qui ne seraient pas susceptibles d'être transférés ou conservés, fassent l'objet d'une recherche". Ce consentement a priori constitue donc la conception in vitro d'embryons à des fins de recherche. La loi aménagée, les parents étant consentants, il ne reste plus qu’à organiser l’obtention et la conservation des gamètes. Les campagnes en faveur des dons d’ovocytes et des différentes techniques de conservation ovocytaire ont cet objectif. La denrée rare, le nouvel étalon or c’est l’ovocyte et une fois levé ce dernier obstacle, tout sera en place pour permettre en France l’épanouissement de l’industrie de la procréation. Marché florissant de la procréation Dans de nombreux pays, les gamètes et les techniques d’AMP se vendent librement, constituant un marché de l’enfant, désormais mondialisé. Les exemples foisonnent : aux Etats-Unis, on peut acheter du sperme (275 000 USD la dose), des ovocytes (de 2 500 à 50 000 USD, selon les critères morphologiques et raciaux de la "vendeuse") ; en Ukraine, une mère porteuse loue son utérus entre 25 000 et 45 000 USD… Ce marché est estimé à 3 milliards USD par an aux EtatsUnis, sans compter le reste du monde. Endocell :culture d’embryon-endomètre Le 11 juin 2010, les laboratoires Genévrier ont inauguré l'extension de leur centre "Genévrier Biotechnologie, premier centre européen de culture cellulaire à visée thérapeutique". Le site de Sophia-Antipolis a été transformé en un "véritable centre de production industrielle" dédié à la production d'Endocell, un système de coculture embryon-endomètre. René Frydman et Jean Leonetti étaient présents à cette inauguration. Système présenté comme "une avancée pour la procréation médicalement assistée", Endocell permet à partir d'une simple biopsie d'endomètre, de fournir un milieu de culture apportant tous les facteurs de croissance nécessaires au développement de l'embryon in vitro jusqu'au stade de blastocyste. C’est la Gènéthique - n°133 – Janvier 2011 réalisation d'un tapis cellulaire à partir des cellules prélevées sur la muqueuse utérine de la femme. R. Frydman explique dans le Quotidien du médecin (28 juin 2010) que cela permettrait "le transfert d'un embryon unique, sans perte de chances pour la patiente et en lui évitant donc les risques d'une grossesse multiple". Ce système séduit depuis plusieurs mois les professionnels de l’AMP bien que sa commercialisation ne soit prévue que pour janvier 2011, les résultats d'études cliniques étant encore attendus, indique le journal Libération le 30 septembre 2010. Autorisé à la mise sur le marché en 2007 par l'AFSSAPS, Endocell aurait été testé sur près de 300 femmes et aurait donné lieu à une trentaine de naissances. Un produit en plein essor Dans son article sur les laboratoires Genévrier du 4 octobre 2010, la Tribune annonçait pour 2009, 21,4 millions d'euros consacrés à la recherche et au développement, avec un chiffre d'affaires de 120 millions d'euros contre 112 millions en 2008. Aujourd'hui, l'entreprise, qui détient 83 brevets industriels, emploie plus de 380 salariés et table sur un chiffre d'affaires de 135 millions d'euros en 2010, ce qui en fait le quatrième laboratoire pharmaceutique indépendant français. On comprend mieux que Jean Leonetti, approuvant le "coup de force médical" de René Frydman sur la vitrification ovocytaire ait déclaré dans le Journal du dimanche (7/11/2010) : il faut "offrir aux chercheurs une liberté maximale et leur permettre d’améliorer les conditions de fécondation – ce qui ne peut se faire qu’en maniant l’embryon". Conclusion Malgré quelques hésitations de principe, et sous couvert de simple amélioration de techniques, le projet de loi met en place un système qui ne permettra plus aucun contrôle des manipulations sur l’embryon dans le cadre de l’AMP. Les débats sur la levée de l’interdiction de recherche sur l’embryon seront sans objet si ces recherches sur l’embryon et leur création dans le cadre de l’AMP sont autorisées. C’est un abandon programmé de tout contrôle, amplifié par un transfert de pouvoir vers l’ABM. Le législateur saura-t-il protéger l’embryon contre les convoitises ? Le Sénat : l’euthanasie ne passera pas La commission des Affaires sociales du Sénat a adopté le 18 janvier 2011, une proposition de loi visant à légaliser l’euthanasie. Adopté à 25 voix contre 19 et 2 abstentions l’article premier stipule que « toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable, peut demander à bénéficier (…) d’une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et délibérée ». Le texte est une synthèse de trois propositions de loi visant toutes à légaliser l’euthanasie et déposées l’une par Jean-Pierre Godefroy (PS), l’autre par Alain Fouché (UMP) et la troisième par François Autain et Guy Fischer (CRC-SPG). Signalons que Muguette Dini, présidente de la commission des Affaires sociales du Sénat, fait partie du comité de parrainage de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Arguments présentés Auditionné par la commission, Jean-Luc Romero, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), a énuméré en faveur de l’euthanasie les arguments naguère utilisés par les défenseurs de la dépénalisation de l’avortement : puisque l’euthanasie aujourd’hui illégale existe en France, il faut légiférer pour la rendre légale ; légaliser l’euthanasie combattrait l’inégalité suivante : « aux plus fortunés, le dernier voyage en Suisse, aux autres, la mort violente » ; ne pas légaliser l’euthanasie ferait de la France une exception ; le geste d’euthanasie ne tue pas quelqu’un. Subjectivité et déficit d’informations Outre la question de la subjectivité des critères posés par la proposition de loi (selon quels critères objectifs peut-on définir la souffrance ?), de nombreuses voix, dont celle du Premier ministre François Fillon dans une tribune du Monde, se sont élevées contre ce texte dénonçant notamment le risque de pression morale sur les plus vulnérables, le bouleversement de la confiance dans les professionnels de santé et la faiblesse des connaissances scientifiques sur le sujet. Faute d’études rigoureuses, difficile en effet d’appréhender la réalité quantitative et qualitative des demandes d’euthanasie. En novembre 2010, l’Observatoire national sur la fin de vie regrettait déjà que « les débats sur la fin de vie restent aujourd’hui encore pour l’essentiel fondés sur des convictions personnelles et sur une dimension émotionnelle peu compatibles avec la rigueur nécessaire à la construction d’une véritable politique de santé ». Pour cela l’Observatoire sur la fin de vie a lancé deux études, dont les résultats sont attendus début 2012. Cette proposition de loi est examinée alors que l’on sait, d’une part, que la loi Leonetti de 2005 sur la fin vie demeure mal connue et peu appliquée et que, d’autre part, la culture palliative se diffuse inégalement. D’après un sondage Opinion Way réalisé début janvier 2011, le développement des soins palliatifs est, pour 60% des personnes interrogées, la priorité en terme de fin de vie avant la légalisation de l’euthanasie (38%)… Coup de théâtre sénatorial Alors que les sénateurs devaient se prononcer le 25 janvier 2011 au soir sur le texte adopté le 18 par la commission des Affaires sociales, un amendement présenté par Marie-Thérèse Hermange et Gilbert Barbier qui vide de sa substance l’article 1er de la proposition de loi visant à légaliser l’euthanasie a été adopté le 25 janvier au matin. Marie-Thérèse Hermange a montré que l’adoption de la proposition de loi s’était faite "dans la précipitation". "Comment par exemple définit-on la souffrance, notamment psychique, pour le parent qui a un enfant autiste, schizophrène ou maniaco-dépressif ?". Le vote de son amendement rejetant l’euthanasie s'est effectué dans le cadre des amendements dits "extérieurs" que peuvent présenter les sénateurs. Enfin dans la nuit du 25 au 26 janvier, le projet de loi visant à légaliser l’euthanasie a été repoussé à 170 voix contre 142. Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune – 37 rue des Volontaires, 75 725 Paris cedex 15. Siège social : 31 rue Galande, 75 005 Paris - www.genethique.org – Contact : [email protected] – Tél. : 01.44.49.73.39 Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Aude Dugast - Imprimerie PRD S.A.R.L. – N° ISSN 1627 - 498 Gènéthique - n°133 – Janvier 2011 Gènéthique - n°133 – Janvier 2011 Gènéthique - n°133 – Janvier 2011