Prendre en charge… Le syndrome tardif aux neuroleptiques Quelle place pour la tétrabénazine ? n Le syndrome tardif aux neuroleptiques, parfois irréversible, concerne 15 à 20 % des patients sous neuroleptiques. Sa prise en charge est décevante. Excepté le traitement préventif, qui consiste à ne prescrire des neuroleptiques que si l’indication est indiscutable, sa prise en charge est décevante. Des études préliminaires ont toutefois suggéré l’intérêt de la tétrabénazine (Xénazine®) dans cette indication. Leur niveau de preuve reste cependant faible, et c’est pour cette raison que XELADYS, essai thérapeutique prospectif multicentrique en double aveugle versus placebo impliquant 20 centres français, débutera en février 2012 afin d’évaluer l’efficacité et la bonne tolérance de cette molécule dans cette indication.Pierre Krystkowiak et le groupe XELADYS* Le syndrome tardif aux neuroleptiques Le syndrome tardif aux neuroleptiques (ou “dyskinésies tardives”) (1-4) consiste en l’apparition de mouvements anormaux involontaires (MAI) d’évolution chronique, parfois irréversibles (persistance des symptômes dans plus de 50 % des cas malgré l’arrêt du neuroleptique incriminé), chez des patients traités par neuroleptiques depuis au moins 3 mois. Cet important problème de santé publique concerne 15 à 20 % des *Groupe XELADYS CHU d’Amiens : Pr Krystkowiak (coordonnateur), Dr Duru CHU de Lille : Pr Defebvre, Dr Moreau, Dr Devos CHU de Rouen : Dr Maltête CHU de Caen : Pr Defer, Dr Danaila CHU de Rennes : Pr Vérin, Dr Drapier CHU de Nantes : Pr Derkinderen, Pr Damier CHU de Limoges : Dr Gallouedec CHU de Poitiers : Pr Houéto, Dr Benatru CHU de Bordeaux : Pr Burbaud, Dr Guehl CHU de Toulouse : Dr Brefel-Courbon, Dr Ory-Magne, Dr Simonetta CHU de Montpellier : Dr Gény CHU de Nîmes : Dr Castelnovo CHU de Marseille : Pr Azulay, Dr TWitjas, Dr Fluchere CHU de Nice : Pr Borg, Dr Giordana CH d’Aix en Provence : Dr Viallet, Dr Gayraud CHU de Lyon : Pr Broussolle, Dr Thobois CHU de Strasbourg : Pr Tranchant CHU de Reims : Dr Doe CHU Saint-Antoine, Paris : Dr Mesnage CHU de Clermont-Ferrand : Pr Durif, Dr Ulla Neurologies • Janvier 2012 • vol. 15 • numéro 144 patients sous neuroleptiques, psychotropes parmi les plus prescrits dans les pathologies mentales en France, et impacte sérieusement la qualité de vie. Les facteurs de risque L’âge et le sexe féminin sont établis. Une posologie élevée du neuroleptique, une longue durée de traitement, une affection psychiatrique autre que la schizophrénie sont des facteurs de risque probables. Le traitement intermittent, les antécédents de dyskinésies aigües, les neuroleptiques puissants ou de durée prolongée, l’utilisation de traitements correcteurs notamment anticholinergiques sont plus discutés. Une physiopathologie complexe De nombreux systèmes de neurotransmetteurs sont impliqués dans sa physiopathologie, expliquant la multiplicité des approches thérapeutiques. Cependant, leur corollaire est un dysfonctionnement du système des ganglions de la base, entraînant un déséquilibre dopaminergique au niveau striatal, avec un blocage des récepteurs dopaminergiques D2 et une hypersensibilité des récepteurs D1, le tout aboutissant à une hyperactivité de la voie thalamo-corticale, et par conséquent à des MAI. Une phénoménologie polymorphe Globalement, 3 tableaux cliniques sont fréquemment rencontrés. • Des mouvements choréiformes, c’est-à-dire des mouvements spontanés, irréguliers, polymorphes. Ils intéressent principalement l’extrémité céphalique (ce sont les classiques “dyskinésies bucco-faciales”) ; la langue est animée de mouvements incessants de protraction et de retrait ; les lèvres sont également concernées, ainsi que parfois la mâchoire inférieure. A côté du caractère disgracieux, de 33 Prendre en charge… la gêne liée au regard des autres, les dyskinésies bucco-faciales peuvent aboutir dans certains cas à une gêne dans la parole et dans la prise des repas ou des boissons. Les dyskinésies tardives peuvent être plus diffuses et impliquer le larynx (dyskinésies et dysphonie laryngées avec respiration sifflante), le diaphragme (dyskinésies respiratoires avec respiration irrégulière), l’axe rachidien, les épaules et le bassin (mouvements de rotation d’une épaule, de danse à type d’ondulation de la colonne, de twist ou de balancement du bassin), ou encore l’extrémité des membres, avec une présentation choréo-athétosique mais comportant toujours le même caractère répétitif et stéréotypé. • Des manifestations dystoniques qui se présentent comme des mouvements involontaires imposant à certaines parties des membres ou à des parties du corps des attitudes de torsion. Comme les mouvements choréiformes, elles sont le plus souvent focales au niveau de la tête ou du cou, avec notamment rétrocolis, antécolis ou torticolis, mais peuvent intéresser préférentiellement ou s’étendre au tronc ou aux membres au cours de l’évolution. • Dans l’akathisie tardive, le patient a un sentiment interne d’agitation avec incapacité à rester immobile et compulsion de mouvement, pouvant être temporairement contrôlé par la volonté. Les mouvements les plus fréquents consistent à croiser/décroiser les jambes en position assise ou à marcher sur place en position debout. Compte-tenu de leur discrétion habituelle et de l’anosognosie, le diagnostic du syndrome tardif n’est pas fait habituellement à la suite d’une plainte du patient, mais lors 34 de l’examen systématique des patients traités par les neuroleptiques. Le diagnostic différentiel Il convient de différencier les syndromes tardifs post-neuroleptique d’autres manifestations motrices anormales telles que : • les dyskinésies tardives spontanées : elles sont rencontrées notamment chez le sujet âgé ; • les dyskinésies secondaires : - à un problème dentaire (dyskinésies des édentés) ; - à une pathologie psychiatrique (stéréotypies, maniérisme) ; - à un autre traitement médicamenteux non psychotrope (L-dopa, phénytoïne, anticholinergiques, contraceptifs oraux) ou psychotrope mais non neuroleptique (antidépresseurs tricycliques, benzodiazépines, lithium, substances amphétaminiques) ; - à une pathologie neurologique héréditaire (maladie de Huntington), infectieuse (chorée de Sydenham), inflammatoire (lupus), ou une pathologie secondaire à un accident vasculaire cérébral. Des circonstances d’apparition variables Des dyskinésies tardives des neuroleptiques peuvent apparaître : • en cours de traitement (ce sont des dyskinésies manifestes) ; • lors d’une diminution de la posologie (ce sont des dyskinésies masquées) ; • ou lors de l’arrêt du traitement (ce sont des dyskinésies de retrait ou withdrawal dyskinesia). En cas d’arrêt du traitement neuroleptique, les dyskinésies tardives peuvent s’intensifier de façon transitoire, décroître, ou même disparaître de façon progressive dans 25 à 50 % des cas. En cas de maintien du traitement neuroleptique, le syndrome tardif s’aggrave quantitativement jusqu’à un plateau, situé entre les 5e et 10e années de traitement selon une étude, et s’étend géographiquement dans plus de 30 % des cas. Un traitement décevant Les mesures préventives La stratégie thérapeutique des dyskinésies tardives passe d’abord par des mesures préventives et l’établissement de règles d’usage des neuroleptiques, devant la très grande méconnaissance de leur mécanisme d’apparition. • Prévention primaire L’objectif est la diminution de l’incidence en évitant l’apparition des dyskinésies tardives. La prévention primaire repose sur la pertinence et la rigueur dans l’indication d’un traitement neuroleptique prolongé. L’indication la mieux validée est les états psychotiques chroniques, notamment schizophréniques. Il convient de bien évaluer avant la prescription le rapport bénéfice/risque en fonction des facteurs de risque (patient âgé, patient de sexe féminin, antécédents de dysfonctionnement cérébral). • Prévention secondaire Elle a pour but la diminution de la prévalence en favorisant le dépistage des dyskinésies tardives. Elle s’appuie sur des principes simples : tenter en permanence d’utiliser les neuroleptiques si possibles atypiques à la plus petite dose efficace (OMS, 1991), pendant la durée de traitement la plus brève, en limitant l’association avec des correcteurs anticholinergiques (envisagés seulement Neurologies • Janvier 2012 • vol. 15 • numéro 144 Le syndrome tardif aux neuroleptiques s’il existe un motif clinique et pour une durée limitée), en surveillant et en recherchant les dyskinésies tardives pour en faire un diagnostic précoce, permettant ainsi une prise en charge précoce (réévaluation détaillée et solidement argumentée de l’indication du traitement neuroleptique en terme de rapport bénéfice/risque…). Le traitement étiologique Le traitement étiologique, qui consiste à interrompre le neuroleptique incriminé, n’est efficace que dans moins de 50 % des cas, le syndrome tardif étant ainsi souvent irréversible. Encore faut-il avoir la possibilité de pouvoir l’interrompre, ce qui est le plus souvent impossible sous risque de voir la pathologie mentale pour laquelle le neuroleptique a été prescrit se décompenser. Tableau 1 - Traitements médicaux testés dans les syndromes tardifs. Classe médicamenteuse Antagonistes dopaminergiques Médicament Neuroleptiques Dépléteurs en dopamine Réserpine Méthyldopa Cholinomimétiques Choline Déanol Lécithine Physostigmine Valproate de sodium Anticonvulsivants Benzodiazépines et agonistes du GABA Clonazépam Baclofène Muscimol Progabide - acétylénique GABA - vinyl GABA (vigabatrin) Calcium-bloquants Diltiazem Nifédipine Vérapamil Propranolol Vitamine E Toxine botulinique Bêtabloquants Antioxydants Produits administrés par voie locale Autres médicaments Le traitement symptomatique : décevant dans la plupart des cas Un grand nombre de traitements a été tenté, le plus souvent sur de petites séries et en ouvert, les études contrôlées étant relativement peu nombreuses. Dans le tableau 1 sont présentés les principaux médicaments testés. Nous évoquerons ici plus particulièrement certains médicaments. En terme d’Evidence Based Medecine, le niveau de preuve de ces études est faible. • L’augmentation des doses de neuroleptique Elle améliore les dyskinésies tardives dans un premier temps, mais le problème n’est que reporté dans le temps ; une nouvelle apparition quelque temps plus tard des dyskinésies contraindra une fois de plus à augmenter la posologie pour recommencer ensuite selon un cercle vicieux aboutissant in fine Neurologies • Janvier 2012 • vol. 15 • numéro 144 Traitements non médicamenteux à des effets secondaires de plus en plus sévères. C’est pourquoi cette stratégie thérapeutique est de plus en plus abandonnée. Amantadine Apomorphine Bromocriptine Buspirone Œstrogènes Opiacés Pyridoxine Sismothérapie • La diminution de la posologie du neuroleptique Elle majore les dyskinésies tardives dans un premier temps, mais la symptomatologie s’amende ensuite progressivement. De ce fait, cette stratégie thérapeutique doit être tentée lorsque la diminution des doses, voire l’arrêt des neuroleptiques est envisageable. ou lorsque les dyskinésies persistent à l’arrêt des neuroleptiques. Il convient dans ce cas d’utiliser chaque fois que possible les neuroleptiques atypiques qui sont d’introduction relativement récente (clozapine, rispéridone, olanzapine). De plus en plus, ces derniers sont envisagés en première intention comme en cas de survenue de dyskinésies tardives, car ils semblent en effet entraîner moins de dyskinésies tardives, mais aussi réduire les dyskinésies tardives lorsqu’ils viennent en substitution d’autres neuroleptiques. • Le remplacement d’un neuroleptique par un autre Il est conseillé lorsque le maintien de ces derniers est indispensable • Les anticholinergiques Ils n’améliorent pas et peuvent même aggraver les dyskinésies tardives de type choréiques, no35 Prendre en charge… L’espoir de la tétrabénazine Une seule exception au désert thérapeutique médicamenteux, la tétrabénazine, dépléteur dopaminergique de mécanisme complexe commercialisé sous le nom de Xénazine® (posologie maximale : 200 mg/jour) (6). Empiriquement, les neurologues spécialisés en pathologie du mouvement sont quasi unanimes : son efficacité est très Les patients sous neuroleptiques pourront continuer ce traitement, pour peu que la dose soit stable pendant les 3 mois de l’étude, ce qui nécessite donc que la pathologie (psychiatrique ou autre) pour laquelle ces patients reçoivent des neuroleptiques soit également stabilisée. V0 Titration V1 V2 Pallier Tétrabénazine ... Placébo ... V3 V4 V5 Wash-out V6 Visite de fin d’étude • Le traitement chirurgical Une mention spéciale doit être faite pour le traitement chirurgical : des résultats encourageants mais réservés à des cas extrêmes car la morbi-mortalité de la neurochirurgie fonctionnelle, en l’occurrence la stimulation cérébrale profonde du pallidum interne, n’est pas nulle, même si les 1ers résultats sont très encourageants (étude STARDYS pilotée par l’équipe Nantaise de Ph. Damier) (5). Les patients présentant un syndrome tardif invalidant (c’est-à-dire entraînant un handicap fonctionnel et/ou un retentissement dans la vie quotidienne) peuvent être adressés en consultation aux membres du groupe XELADYS afin de leur fournir toutes les informations qui permettront d’éclairer leur décision quant à leur participation à cette étude. Randomisation • Les autres thérapeutiques proposées Elles sont généralement bien tolérées, mais avec une efficacité souvent incertaine ou insuffisante ou transitoire, qu’il s’agisse des benzodiazépines, notamment le clonazépam, de l’acide valproïque, des bêtabloquants comme le propranolol, ou de la vitamine E. La toxine botulinique peut être d’un apport intéressant dans certains cas de dyskinésies et de dystonies tardives. Quels patients pour XELADYS ? Sélection Information Recueil du consentement tamment les dyskinésies buccofaciales, et, s’ils étaient prescrits, doivent être arrêtés. V7 Déroulement de l’étude XELADYS bonne, avec une bonne tolérance. Certaines études préliminaires ont conforté cette impression. Cependant, leur niveau de preuve reste faible et c’est la raison pour laquelle nous nous proposons de mettre en place XELADYS, essai thérapeutique prospectif multicentrique en double aveugle versus placebo impliquant 20 centres français et qui débutera en février 2012. Les critères d’évaluation sont purement cliniques, à l’aide d’échelles validées et reconnues dans le syndrome tardif. L’objectif principal est ainsi d’améliorer le score de l’Extrapyramidal Symptoms Rating Scale (ESRS) d’au moins 30 % et de monter la bonne n tolérance de cette molécule. Correspondance Pr Pierre Krystkowiak Service de neurologie, EA4559 CHU d’Amiens, Place Victor Pauchet 80054 Amiens Cedex 1 Tél. : +333 22 66 82 40 Fax : +333 22 66 82 44 E-mail : krystkowiak.pierre@ chu-amiens.fr Mots-clés : Neuroleptiques, Dyskinésies, Mouvements choréiformes, Dystonie, Akathisie, Anosognosie, Dopamine, Tétrabénazine, Clozapine, Rispéridone, Olanzapine, Anticholinergiques, Clonazépam, Acide valproïque, Bêtabloquants, Vitamine E, Neurochirurgie fonctionnelle Bibliographie 1. Gardos G, Casey DE, Cole JO et al. Ten years outcome of tardive dyskinesia. Am J Psychiatry 1994 ; 151 : 836-41. 2. Jeste DV, Caliguri MP. Tardive dyskinesia. Schizophr Bull 1993 ; 19 : 30316. 3. Kiriakakis V, Bhatia KP, Quinn NP, Mardsen CD. The natural history of tardive dystonia. A long-term follow-up study of 107 cases. Brain 1998 ; 121 : 2053-66. 36 4. Wolf MA, Villeneuve A. Les effets indésirables des neuroleptiques. Encéphale 1990 ; 16 : 111-24. 5. Damier P, Thobois S, Witjas T et al., for the French Stimulation for Tardive Dyskinesia (STARDYS) Study Group. Bilateral deep brain stimulation of the globus pallidus to treat tardive dyskinesia. Arch Gen Psychiatry 2007 ; 64 : 170-6. 6. Guay DR. Tetrabenazine, a monoamine-depleting drug used in the treatment of hyperkinetic movement disorders. Am J Geriatr PharmacoNeurologies • Janvier 2012 • vol. 15 • numéro 144 ther 2010 ; 8 : 331-73.