19-reperes-12-2007:Mise en page 1 27/11/07 15:13 Page 257 Librairie été refoulée en philosophie ? Comment la réhabiliter ? Il lui faut d’abord établir les raisons légitimes pour lesquelles cette inspiration – le mot et la chose – a été bannie dès avant le XVIIIe siècle. La féconde ambiguïté d’un double héritage n’est plus tolérée : l’inspiration devient alors strictement cantonnée au domaine religieux ou poétique – peutêtre les religieux commencent-ils à se la garder pour eux ! –, elle se trouve résolument écartée, par Kant entre autres, du domaine philosophique qui devient celui de la pure raison. Les révélations privées, les illuminations sont rejetées. Le combat contre le fanatisme et la superstition (Locke, Hobbes) aiguise cette méfiance. L’enthousiasme en philosophie est assimilé au fanatisme, voire à la maladie, et l’inspiration, qu’on laisse aux religieux, aux poètes, aux femmes, est finalement discréditée. Aujourd’hui encore nous voyons clairement des enthousiastes faire preuve d’un étonnant manque de jugement, tandis qu’à l’inverse l’abstraction et l’assèchement marquent souvent le style philosophique. espérer, dont on peut travailler à faire en sorte qu’il parvienne à être « suffisamment bon », pour dire les choses à la manière de Winnicott. Sabine Prokhoris Marianne Massin LA PENSÉE VIVE. Essai sur l’inspiration philosophique Paris, Armand Colin, 2007, 228 p., 22,50 € En quoi le style philosophique consiste-t-il pour nous aujourd’hui ? Si peu que nous pensions au rôle de la mania dans le Banquet ou le Phèdre de Platon ou au daïmon de Socrate, nous savons aussitôt que l’amour de la sagesse a été animé dès son début par l’inspiration. Mais quand nous peinons sur une page de Kant ou d’Hegel, il nous arrive de rêver aux surprenants changements de style qui se sont produits en elle au cours des âges jusqu’à aujourd’hui et de nous demander quel style d’inspiration a donné lieu à ces œuvres plus récentes. Ne vaut-il pas la peine de réfléchir un moment sur la façon dont s’organisent nos pensées, nos exposés, les textes que nous lisons ou que nous écrivons ? Notre style philosophique porte la marque d’événements ; parmi ceux-ci ne faut-il pas compter un refoulement conscient de la notion d’inspiration ? Marianne Massin, qui s’est fait connaître en 2001 par un bel ouvrage les Figures du ravissement. Enjeux philosophiques et esthétiques1 qui comportait déjà une étude approfondie de Platon, ne pouvait échapper à ces questions. Comment l’inspiration a-t-elle Quelle définition d’elle-même la philosophie construit-elle ainsi ? À tenir à distance toute réflexion sur la possibilité, la place et la fonction d’une inspiration philosophique, on peut craindre que la philosophie ne s’emmure en ellemême dans un idéal d’auto-fondation et de transparence insoutenable (p. 13-14). Comment laisser venir l’inspiration et la révélation quand elles ne sont plus religieuses ? Des philosophes comme MerleauPonty, Ricœur, Deleuze ont su tourner la question en puisant dans la littérature et en se laissant inspirer par les récits, mais il n’empêche que la question essentielle demeure : quel est le rôle en philosophie, dans le fonctionnement de l’esprit, du moins de certains esprits, de ce qui vient de l’exté- 1. Marianne Massin, les Figures du ravissement. Enjeux philosophiques et esthétiques, Paris, Grasset/Le Monde de l’éducation, 2001. 257