à vos SOINS Quand un ISRS affecte la vie sexuelle Présentation de cas Monsieur J. B., 66 ans, se présente à la pharmacie pour faire mesurer sa tension artérielle. Dans le bureau de consultation, J. B. vous lance : « Vous savez, les médicaments, ça tue le sexe ! » Il vous apprend qu’il ne présente pas de baisse de libido, n’a pas de difficulté à avoir une érection ni à la maintenir. Le problème consiste plutôt en une anorgasmie. Cet homme souffre d’hypothyroïdie de même que d’hypertension maîtrisée depuis cinq ans. Il y a quelques mois, il a reçu un diagnostic de dépression et il est présentement sous traitement de maintien. Vous examinez son profil pharmacologique : • Lévothyroxine 0,100 mg, une fois par jour • Hydrochlorothiazide 25 mg, une fois par jour • Ramipril 5 mg, une fois par jour • Acide acétylsalicylique 80 mg, une fois par jour • Paroxétine 20 mg, une fois par jour Monsieur J. B. aimerait savoir s’il existe une solution à son problème. Discussion L’étiologie du dysfonctionnement sexuel révèle diverses origines. La réponse sexuelle normale peut tout d’abord être diminuée par une comorbidité physique, tels le diabète, une cardiopathie ischémique ou un antécédent d’accident vasculaire cérébral. Le dysfonc- tionnement sexuel peut aussi être causé par un trouble d’ordre psychiatrique (p. ex. : une dépression grave) ou d’ordre psychosocial (p. ex. : une relation conflictuelle, un stress important). Enfin, elle fait partie des effets indésirables liés à la prise de certains médicaments. Les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) en sont un bon exemple, puisque 30 % à 70 % de leurs utilisateurs présentent un dysfonctionnement sexuel qui peut se produire même chez les individus sans antécédent. L’effet des ISRS est susceptible de toucher n’importe laquelle des phases de la réponse sexuelle : le désir (la libido), l’excitation (l’érection, la lubrification) et l’orgasme, et ce, autant chez la femme que chez l’homme. Le problème que l’on rencontre le plus souvent est l’anorgasmie, suivie d’une diminution de la libido. Les problèmes d’excitation sexuelle sont au dernier rang2. Le mécanisme d’action n’est pas totalement élucidé. Selon une des hypothèses avancées, différents Texte rédigé par Ariane Plourde, étudiante de 4e année, Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. Texte original soumis le 13 décembre 2004. Texte final remis le 20 décembre 2004. Révision : Marie-Michelle Létourneau, B. Pharm. Tableau I : Traitements adjuvants pour contrer le dysfonctionnement sexuel causé par la prise d’ISRS1-5 Médicaments Posologies Commentaires Bupropion 75-150 mg 1 à 2 h avant la relation ou 75 mg deux à trois fois par jour régulièrement* Antidépresseur atypique, peut causer des tremblements, de l’insomnie ou de l’anxiété. Mirtazapine 15 mg une fois par jour au coucher régulièrement Antidépresseur atypique, peut causer de la somnolence. Sildénafil 50-100 mg 1 h avant la relation Inhibiteur de la phosphodiestérase 5, peut être efficace chez la femme, inefficace pour augmenter la libido, souvent utile dès la première dose, contre-indiqué chez les utilisateurs de nitrates. Yohimbine 5,4-16,2 mg 1 à 4 h avant la relation ou 5,4 mg trois fois par jour régulièrement Antagoniste des récepteurs pré-synaptiques α2-adrénergiques, peut causer de la nausée, de l’anxiété et de l’insomnie. Cyproheptadine 4-12 mg 1 à 2 h avant la relation Effet antagoniste de la sérotonine, peut renverser l’effet antidépresseur de l’ISRS, peut occasionner de la somnolence. Amantadine 100-400 mg pour 2 jours avant la relation Mécanisme dopaminergique, propriétés ou 75-100 mg deux ou trois fois par jour anticholinergiques. régulièrement Ginkgo Biloba 60-120 mg deux fois par jour Diminue l’anesthésie génitale causée par les ISRS, peut causer des troubles gastro-intestinaux, des céphalées et une stimulation du système nerveux central. *comprimés réguliers non offerts au Canada Québec Pharmacie vol. 52, no 3, mars 2005 155 à vos SOINS S J. B. affirme avoir un problème d’anorgasmie depuis quelques mois. O Homme de 66 ans • Antécédents : Hypothyroïdie, hypertension, dépression. • Médication : lévothyroxine 0,100 mg, une fois par jour; hydrochlorothiazide 25 mg, une fois par jour; ramipril 5 mg, une fois par jour; acide acétylsalicylique 80 mg, une fois par jour; paroxétine 20 mg, une fois par jour. A Les ISRS peuvent être à l’origine d’un dysfonctionnement sexuel. La paroxétine que prend régulièrement le patient depuis plusieurs mois semble être la cause de son problème d’anorgasmie. P • Continuer la prise d’ISRS puisque l’état dépressif du patient est très bien maîtrisé par cet agent et ajouter une médication adjuvante, soit le bupropion (Wellbutrin SRMD) 100 mg, une fois par jour le matin. • Discuter avec le patient des options qui s’offrent à lui, suggérer de fixer une rencontre pour un examen médical et choisir ensemble l’agent à ajouter en fonction des caractéristiques du patient. • Communiquer avec le médecin traitant, proposer une rencontre d’évaluation complète afin de confirmer l’origine du trouble sexuel et suggérer l’ajout de bupropion si la cause la plus probable est bel et bien la prise de paroxétine. • Conseiller le patient sur la prise du nouveau médicament ainsi que sur les effets indésirables possibles. • Effectuer un suivi de l’efficacité, de l’observance du traitement et de l’apparition potentielle d’effets indésirables, dès le mois suivant l’ajout au traitement. neurotransmetteurs auraient une influence directe sur le comportement sexuel. Entre autres, la dopamine favorise le désir et l’excitation, et la norépinéphrine stimule aussi l’excitation. Effectivement, il semblerait que les effets de la sérotonine aient un impact négatif sur la réponse sexuelle en inhibant les deux phases mentionnées ci-haut. La sérotonine exercerait également un effet périphérique négatif en diminuant la perception sensorielle et en contrecarrant les effets de l’oxyde nitrique, qui est important notamment dans le mécanisme de l’érection3. Il existe différentes approches pour résoudre le problème. Elles ne s’appuient cependant sur aucune étude à double insu contrôlée par placebo. Les données proviennent plutôt d’études de cas ou, encore, d’essais ouverts. Plusieurs interventions conservatrices permettent d’éviter l’ajout d’une médication complémentaire ou de changer de molécule. Tout d’abord, certains cliniciens attendront qu’une tolérance à l’effet indésirable s’installe. D’autres tenteront une diminution de la dose de l’antidépresseur. Une autre approche consiste à modifier le moment de la prise de l’ISRS de façon à obtenir la concentration sérique la plus faible possible au moment de la relation sexuelle. On peut également essayer un congé thérapeutique de deux jours, ce qui nécessite par contre de surveiller l’apparition de symptômes de sevrage ou même la reprise des symptômes dépressifs. Ces deux dernières stratégies ne 156 Québec Pharmacie vol. 52, no 3, mars 2005 sont cependant applicables que pour les agents ayant une courte demi-vie d’élimination comme la fluoxétine. Les méthodes conservatrices donnent toutefois des résultats modestes2-4. Choisir un agent antidépresseur autre qu’un ISRS est une des possibilités qui s’offrent aux cliniciens. Le bupropion et la mirtazapine, deux antidépresseurs atypiques, sont reconnus pour leur faible propension à causer un dysfonctionnement sexuel2,3. Cependant, certains patients dont les symptômes dépressifs sont parfaitement maîtrisés avec l’ISRS peuvent ne pas répondre aussi bien à un nouvel agent3. Le trouble peut en fin de compte être résolu par l’ajout d’une médication adjuvante. Le tableau I présente différents agents répertoriés dans la documentation médicale pour leur usage en traitement d’appoint dans les cas de dysfonctionnement sexuel secondaire aux ISRS2-5. Il propose des posologies ainsi que des commentaires concernant leur utilisation. Malgré le fait que les troubles de la fonction sexuelle associés à la prise d’ISRS soient fréquents, peu de patients rapportent le problème. En fait, seulement 2 % à 7 % des individus signalent l’effet indésirable de façon volontaire2. Il est donc important d’avoir une attitude active et d’interroger nos patients qui débutent un traitement par un ISRS, puisque cet effet indésirable est très susceptible de nuire à l’observance du traitement et à la qualité de vie. Quand un ISRS affecte la vie sexuelle Acte pharmaceutique facturable Opinion pharmaceutique : Ajouter une médication complémentaire requise (DIN de facturation : 00999636). Opinion pharmaceutique Docteur, À la suite d’une discussion avec Monsieur J. B. lors de sa dernière visite à la pharmacie, j’ai constaté chez lui l’occurrence d’un effet indésirable pouvant être causé par l’utilisation de PaxilMD, soit de l’anorgasmie. Les ISRS sont associés à des dysfonctionnements sexuels chez 30 % à 70 % de leurs utilisateurs. Il existe plusieurs stratégies pour remédier à la situation. Puisque les symptômes dépressifs de J. B. sont bien maîtrisés par la paroxétine, je vous suggère de conserver l’agent et d’y ajouter le Wellbutrin SRMD 100 mg, une fois par jour, le matin. Veuillez croire, docteur, à mes sentiments les meilleurs, La pharmacienne Références 1. Richer Monique. Le traitement de la dysfonction érectile. Québec Pharmacie 1999; 46(4) : 372-79. 2. Gitlin MJ. Treatment of Antidepressant-Induced Sexual Dysfonction. Medscape Psychiatry & Mental Health eJournal 1998; 7(1). 3. Fredman SJ, Rosenbaum JF (mai 2003). « AntidepressantInduced Sexual Dysfonction and Its Management ». American Psychiatric Association, 156th Annual Meeting, 17–22 mai 2003, San Francisco, Californie [En ligne]. Adresse URL: http://www.medscape.com/viewprogram/ 2371. 4. Kehoe WA. Treatment of SSRI-Induced sexual dysfonction. Pharmacist's Letter 2000; 16(3) : 160318. 5. Seibert D (novembre 2001). « Sexual health : counseling in primary care ». National Conference for Nurse Practitioners 2001, 7-10 novembre 2001, Baltimore, Maryland [En ligne]. Adresse URL : http://www.medscape. com/viewprogram/ 852_pnt. Formation continue Veuillez reporter votre réponse dans le formulaire de la page 181 1) Parmi les énoncés suivants, lequel est faux ? A Les ISRS sont associés à du dysfonctionnement sexuel chez 30 % à 70 % de leurs utilisateurs. B Seulement 2 % à 7 % des individus signalent un dysfonctionnement sexuel de façon volontaire. C Pour contrer cet effet indésirable, la cyproheptadine fait partie des agents qu’on peut ajouter en prise régulière à l’ISRS. D Le problème le plus souvent observé est l’anorgasmie, suivie d’une diminution de la libido. E Les méthodes conservatrices, comme le congé thérapeutique, donnent de pauvres résultats pour contrer le dysfonctionnement sexuel. Québec Pharmacie vol. 52, no 3, mars 2005 157