Mars 2005 - À vos soins

publicité
à vos SOINS
Quand un ISRS affecte la vie sexuelle
Présentation de cas
Monsieur J. B., 66 ans, se présente à la pharmacie pour faire mesurer sa tension
artérielle. Dans le bureau de consultation, J. B. vous lance : « Vous savez, les médicaments, ça tue le sexe ! » Il vous apprend qu’il ne présente pas de baisse de libido, n’a pas
de difficulté à avoir une érection ni à la maintenir. Le problème consiste plutôt en une
anorgasmie.
Cet homme souffre d’hypothyroïdie de même que
d’hypertension maîtrisée depuis cinq ans. Il y a
quelques mois, il a reçu un diagnostic de dépression et
il est présentement sous traitement de maintien. Vous
examinez son profil pharmacologique :
• Lévothyroxine 0,100 mg, une fois par jour
• Hydrochlorothiazide 25 mg, une fois par jour
• Ramipril 5 mg, une fois par jour
• Acide acétylsalicylique 80 mg, une fois par jour
• Paroxétine 20 mg, une fois par jour
Monsieur J. B. aimerait savoir s’il existe une solution à
son problème.
Discussion
L’étiologie du dysfonctionnement sexuel révèle diverses
origines. La réponse sexuelle normale peut tout
d’abord être diminuée par une comorbidité physique,
tels le diabète, une cardiopathie ischémique ou un
antécédent d’accident vasculaire cérébral. Le dysfonc-
tionnement sexuel peut aussi être causé par un trouble
d’ordre psychiatrique (p. ex. : une dépression grave) ou
d’ordre psychosocial (p. ex. : une relation conflictuelle,
un stress important). Enfin, elle fait partie des effets
indésirables liés à la prise de certains médicaments. Les
inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine
(ISRS) en sont un bon exemple, puisque 30 % à 70 %
de leurs utilisateurs présentent un dysfonctionnement
sexuel qui peut se produire même chez les individus
sans antécédent. L’effet des ISRS est susceptible de
toucher n’importe laquelle des phases de la réponse
sexuelle : le désir (la libido), l’excitation (l’érection, la
lubrification) et l’orgasme, et ce, autant chez la femme
que chez l’homme. Le problème que l’on rencontre le
plus souvent est l’anorgasmie, suivie d’une diminution
de la libido. Les problèmes d’excitation sexuelle sont
au dernier rang2.
Le mécanisme d’action n’est pas totalement élucidé. Selon une des hypothèses avancées, différents
Texte rédigé par
Ariane Plourde,
étudiante de 4e année,
Faculté de pharmacie
de l’Université
de Montréal.
Texte original soumis
le 13 décembre 2004.
Texte final remis
le 20 décembre 2004.
Révision :
Marie-Michelle
Létourneau,
B. Pharm.
Tableau I : Traitements adjuvants pour contrer le dysfonctionnement sexuel causé par la prise d’ISRS1-5
Médicaments
Posologies
Commentaires
Bupropion
75-150 mg 1 à 2 h avant la relation ou 75 mg
deux à trois fois par jour régulièrement*
Antidépresseur atypique, peut causer
des tremblements, de l’insomnie ou de l’anxiété.
Mirtazapine
15 mg une fois par jour au coucher
régulièrement
Antidépresseur atypique, peut causer de la
somnolence.
Sildénafil
50-100 mg 1 h avant la relation
Inhibiteur de la phosphodiestérase 5, peut être
efficace chez la femme, inefficace pour augmenter
la libido, souvent utile dès la première dose,
contre-indiqué chez les utilisateurs de nitrates.
Yohimbine
5,4-16,2 mg 1 à 4 h avant la relation ou
5,4 mg trois fois par jour régulièrement
Antagoniste des récepteurs pré-synaptiques
α2-adrénergiques, peut causer de la nausée,
de l’anxiété et de l’insomnie.
Cyproheptadine 4-12 mg 1 à 2 h avant la relation
Effet antagoniste de la sérotonine, peut renverser
l’effet antidépresseur de l’ISRS, peut occasionner
de la somnolence.
Amantadine
100-400 mg pour 2 jours avant la relation Mécanisme dopaminergique, propriétés
ou 75-100 mg deux ou trois fois par jour anticholinergiques.
régulièrement
Ginkgo Biloba
60-120 mg deux fois par jour
Diminue l’anesthésie génitale causée par les ISRS, peut
causer des troubles gastro-intestinaux, des céphalées
et une stimulation du système nerveux central.
*comprimés réguliers non offerts au Canada
Québec Pharmacie vol. 52, no 3, mars 2005
155
à vos SOINS
S
J. B. affirme avoir un problème d’anorgasmie depuis quelques mois.
O
Homme de 66 ans
• Antécédents : Hypothyroïdie, hypertension, dépression.
• Médication : lévothyroxine 0,100 mg, une fois par jour; hydrochlorothiazide 25 mg, une fois par
jour; ramipril 5 mg, une fois par jour; acide acétylsalicylique 80 mg, une fois par jour; paroxétine
20 mg, une fois par jour.
A
Les ISRS peuvent être à l’origine d’un dysfonctionnement sexuel. La paroxétine que prend régulièrement le patient depuis plusieurs mois semble être la cause de son problème d’anorgasmie.
P
• Continuer la prise d’ISRS puisque l’état dépressif du patient est très bien maîtrisé par cet agent et
ajouter une médication adjuvante, soit le bupropion (Wellbutrin SRMD) 100 mg, une fois par jour
le matin.
• Discuter avec le patient des options qui s’offrent à lui, suggérer de fixer une rencontre pour un
examen médical et choisir ensemble l’agent à ajouter en fonction des caractéristiques du patient.
• Communiquer avec le médecin traitant, proposer une rencontre d’évaluation complète afin de
confirmer l’origine du trouble sexuel et suggérer l’ajout de bupropion si la cause la plus probable
est bel et bien la prise de paroxétine.
• Conseiller le patient sur la prise du nouveau médicament ainsi que sur les effets indésirables
possibles.
• Effectuer un suivi de l’efficacité, de l’observance du traitement et de l’apparition potentielle
d’effets indésirables, dès le mois suivant l’ajout au traitement.
neurotransmetteurs auraient une influence directe sur
le comportement sexuel. Entre autres, la dopamine
favorise le désir et l’excitation, et la norépinéphrine
stimule aussi l’excitation. Effectivement, il semblerait
que les effets de la sérotonine aient un impact négatif
sur la réponse sexuelle en inhibant les deux phases
mentionnées ci-haut. La sérotonine exercerait également un effet périphérique négatif en diminuant la
perception sensorielle et en contrecarrant les effets de
l’oxyde nitrique, qui est important notamment dans le
mécanisme de l’érection3.
Il existe différentes approches pour résoudre le
problème. Elles ne s’appuient cependant sur aucune
étude à double insu contrôlée par placebo. Les données proviennent plutôt d’études de cas ou, encore,
d’essais ouverts. Plusieurs interventions conservatrices
permettent d’éviter l’ajout d’une médication complémentaire ou de changer de molécule. Tout d’abord,
certains cliniciens attendront qu’une tolérance à l’effet
indésirable s’installe. D’autres tenteront une diminution de la dose de l’antidépresseur. Une autre approche
consiste à modifier le moment de la prise de l’ISRS de
façon à obtenir la concentration sérique la plus faible
possible au moment de la relation sexuelle. On peut
également essayer un congé thérapeutique de deux
jours, ce qui nécessite par contre de surveiller l’apparition de symptômes de sevrage ou même la reprise des
symptômes dépressifs. Ces deux dernières stratégies ne
156
Québec Pharmacie vol. 52, no 3, mars 2005
sont cependant applicables que pour les agents ayant
une courte demi-vie d’élimination comme la fluoxétine. Les méthodes conservatrices donnent toutefois
des résultats modestes2-4. Choisir un agent antidépresseur autre qu’un ISRS est une des possibilités qui
s’offrent aux cliniciens. Le bupropion et la mirtazapine, deux antidépresseurs atypiques, sont reconnus
pour leur faible propension à causer un dysfonctionnement sexuel2,3. Cependant, certains patients dont les
symptômes dépressifs sont parfaitement maîtrisés
avec l’ISRS peuvent ne pas répondre aussi bien à un
nouvel agent3. Le trouble peut en fin de compte être
résolu par l’ajout d’une médication adjuvante. Le
tableau I présente différents agents répertoriés dans la
documentation médicale pour leur usage en traitement d’appoint dans les cas de dysfonctionnement
sexuel secondaire aux ISRS2-5. Il propose des posologies ainsi que des commentaires concernant leur utilisation.
Malgré le fait que les troubles de la fonction
sexuelle associés à la prise d’ISRS soient fréquents, peu
de patients rapportent le problème. En fait, seulement
2 % à 7 % des individus signalent l’effet indésirable de
façon volontaire2. Il est donc important d’avoir une
attitude active et d’interroger nos patients qui débutent un traitement par un ISRS, puisque cet effet
indésirable est très susceptible de nuire à l’observance
du traitement et à la qualité de vie. Quand un ISRS affecte la vie sexuelle
Acte pharmaceutique facturable
Opinion pharmaceutique : Ajouter une médication
complémentaire requise (DIN de facturation :
00999636).
Opinion pharmaceutique
Docteur,
À la suite d’une discussion avec Monsieur J. B. lors de
sa dernière visite à la pharmacie, j’ai constaté chez lui
l’occurrence d’un effet indésirable pouvant être causé
par l’utilisation de PaxilMD, soit de l’anorgasmie. Les
ISRS sont associés à des dysfonctionnements sexuels
chez 30 % à 70 % de leurs utilisateurs. Il existe
plusieurs stratégies pour remédier à la situation.
Puisque les symptômes dépressifs de J. B. sont bien
maîtrisés par la paroxétine, je vous suggère de conserver l’agent et d’y ajouter le Wellbutrin SRMD 100 mg,
une fois par jour, le matin.
Veuillez croire, docteur, à mes sentiments les
meilleurs,
La pharmacienne
Références
1. Richer Monique. Le traitement de la dysfonction érectile.
Québec Pharmacie 1999; 46(4) : 372-79.
2. Gitlin MJ. Treatment of Antidepressant-Induced Sexual
Dysfonction. Medscape Psychiatry & Mental Health
eJournal 1998; 7(1).
3. Fredman SJ, Rosenbaum JF (mai 2003). « AntidepressantInduced Sexual Dysfonction and Its Management ».
American Psychiatric Association, 156th Annual Meeting,
17–22 mai 2003, San Francisco, Californie [En ligne].
Adresse URL: http://www.medscape.com/viewprogram/
2371.
4. Kehoe WA. Treatment of SSRI-Induced sexual dysfonction.
Pharmacist's Letter 2000; 16(3) : 160318.
5. Seibert D (novembre 2001). « Sexual health : counseling in
primary care ». National Conference for Nurse Practitioners
2001, 7-10 novembre 2001, Baltimore, Maryland [En ligne].
Adresse URL : http://www.medscape. com/viewprogram/
852_pnt.
Formation
continue
Veuillez reporter votre
réponse dans le formulaire
de la page 181
1) Parmi les énoncés suivants, lequel est
faux ?
A Les ISRS sont associés à du dysfonctionnement sexuel chez 30 % à 70 %
de leurs utilisateurs.
B Seulement 2 % à 7 % des individus
signalent un dysfonctionnement sexuel
de façon volontaire.
C Pour contrer cet effet indésirable, la
cyproheptadine fait partie des agents
qu’on peut ajouter en prise régulière
à l’ISRS.
D Le problème le plus souvent observé est
l’anorgasmie, suivie d’une diminution
de la libido.
E Les méthodes conservatrices, comme
le congé thérapeutique, donnent de
pauvres résultats pour contrer le
dysfonctionnement sexuel.
Québec Pharmacie vol. 52, no 3, mars 2005
157
Téléchargement