L’Encéphale (2012) Supplément 4, S167-S172 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Trouble bipolaire et comorbidités somatiques : diabète et troubles cardiométaboliques Données physiopathologiques Bipolar disorders and somatic comorbidities: a focus on metablolic syndrome, diabetes and cardiovascular disease Jean-Christophe Chauvet-Gélinier1,*, Isabelle Gaubil3, Arthur Kaladjian2, Bernard Bonin1 1Service de Psychiatrie/Addictologie, Hôpital Général Centre Hospitalier Universitaire 3, rue du Faubourg Raines 21033 Dijon cedex 2Service de Psychiatrie des Adultes, Centre Hospitalier Universitaire Robert Debré, rue du Général Koenig 51090 Reims cedex 3Service d’Endocrinologie, de diabétologie et de Nutrition, Centre Hospitalier Universitaire Robert Debré, rue du Général Koenig 51090 Reims cedex MOTS CLÉS Trouble bipolaire ; Comorbidités somatiques ; Syndrome métabolique ; Diabète ; Pathologies cardiovasculaires KEYWORDS Bipolar disorders; Somatic comorbidities; Metabolic syndrome; Diabetes; Résumé Le trouble bipolaire est de plus en plus considéré comme une pathologie multidimensionnelle, comprenant à la fois des déterminants psychiques et somatiques. Si les variations thymiques interpellent en premier lieu dans cette maladie, du fait de leur caractère quelquefois spectaculaire, il paraît essentiel de rappeler qu’une symptomatologie organique sévère lui est souvent associée. En effet, les comorbidités somatiques assombrissent de façon considérable l’évolution des troubles de l’humeur et diminuent l’espérance de vie des patients, d’une durée estimée de 25 à 30 ans, plus particulièrement suite à l’apparition de désordres cardio-métaboliques. Dans cette revue, les auteurs précisent les données épidémiologiques relatives aux comorbidités cardio-métaboliques du trouble bipolaire avant d’aborder la question encore controversée des mécanismes étiologiques et physiopathologiques de cette association délétère. Même si aujourd’hui les données scientifiques portant sur les relations entre trouble bipolaire et pathologies cardiométaboliques restent préliminaires, il semble indispensable de considérer avec attention cette co-occurrence, notamment afin d’améliorer la prise en charge de ces patients par une approche pluridisciplinaire. © L’encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés. Summary Bipolar Disorders (BD) are currently regarded as a multidimensional disease involving both psychological and physical determinants. If mood dimension and thymic instability have usually been considered as the « core » aspect of bipolar disorders, it’s crucial to note that somatic problems frequently occur in BD, deeply worsening the prognosis of this affection. Indeed, comorbid somatic illnesses of bipolar disorder are mainly represented by cardiovascular and metabolic disorders, which are shortening life expectancy by 25 to 30 years as compared to the general population. In this review, the authors examine epidemiological data about this comorbidity, then they attempt to provide etiologic and physiopathologic hypotheses about the links between bipolar disorders and *Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] © L’Encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés. S168 Cardiovascular disease J.-C. Chauvet-Gélinier, et al metabolic diseases. Despite the absence of strong scientific explanation for this link, its existence highlights the need for more integrated care and interdisciplinary collaboration in order to improve patients’outcome. © L’encéphale, Paris, 2012. All rights reserved. Inroduction Au cours des dernières années, le regard sur le trouble bipolaire a sensiblement évolué : alors que le terme de psychose maniaco-dépressive renvoyait à une pathologie psychique binaire intermittente, la conception actuelle de ce trouble en fait une affection multidimensionnelle d’évolution chronique. Dans cette conception, le trouble bipolaire représente une pathologie dont l’expression sémiologique principale est psychique, mais qui comporte également des désordres somatiques associés. Au sein des pathologies somatiques co-occurentes, les désordres métaboliques et cardiovasculaires sont les plus fréquents et les plus délétères. En effet, ces comorbidités représentent à elles-seules un coût humain et social très important, entrainant une mortalité « naturelle » excessive, estimée à deux fois plus importante que celle de la population générale [1]. Ce constat requiert donc que les cliniciens portent une attention spécifique sur les comorbidités somatiques, et plus particulièrement sur les atteintes cardio-vasculaires et métaboliques associées à la maladie bipolaire. Épidémiologie et définitions On estime actuellement que le fardeau du trouble bipolaire s’accompagne d’une diminution de l’espérance de vie de 25 à 30 ans, liée en grande partie aux pathologies somatiques associées de types cardio-vasculaires et métaboliques [2]. Avant de préciser l’importance du syndrome métabolique dans cette maladie, rappelons qu’il s’agit d’un concept clinique et biologique permettant de définir un risque de diabète, de pathologie cardio-vasculaire ou d’accident vasculaire cérébral. Selon les références du NCEP/ATP3, le syndrome métabolique se définit [3] par la présence d’au moins 3 des 5 éléments suivants : périmètre abdominal > 102 (homme) ou 88 (femme), pression artérielle > 130/85, triglycérides > 150mg/ dl, HDL-Cholestérol < 40mg/dl (homme) ou 50mg/ dl (femme), glycémie à jeun > 110mg/dl. Au regard de ces critères, au sein des pays industrialisés, le taux des sujets qui présentent un syndrome métabolique est de 20 % en population générale avec une augmentation constante de la prévalence. Chez les patients souffrant de trouble bipolaire, les données actuelles montrent l’existence d’une surreprésentation de syndrome métabolique, avec plus de 30 % de patients affectés en moyenne, certaines études épidémiologiques énonçant même des chiffres de plus de 50 % [4]. Ces chiffres soulignent l’importance de la dimension somatique dans le trouble bipolaire, avec d’autant plus d’intérêt que les thérapeutiques semblent pouvoir en moduler l’impact. Outre le syndrome métabolique type, il est intéressant de noter que des perturbations glycémiques sont plus fréquemment rencontrées chez les patients souffrant de trouble bipolaire que dans la population générale, avec 3 fois plus de patients atteints de diabète de type 2, soit une prévalence de 7 à 30 % contre 4 % dans la population générale [5]. De même, d’un point de vue purement épidémiologique, les patients atteints de trouble bipolaire développent plus de maladies cardio-vasculaires, et ce de façon tout à fait indépendante de la prise de traitements psychotropes, même si ces derniers peuvent parfois renforcer la vulnérabilité à ces affections. Pour expliquer ces données épidémiologiques, de nombreuses hypothèses étiopathogéniques ont été avancées sans pour autant qu’une explication consensuelle ait émergé. La difficulté à comprendre les mécanismes d’installation des désordres métaboliques résulte sans doute de la difficulté à préciser expérimentalement les relations complexes entre facteurs psychologiques, comportementaux, biologiques et génétiques. Il faut également noter que les travaux de recherche sur cette question sont très récents dans le trouble bipolaire [4]. Néanmoins, des approches multidimensionnelles de la pathologie bipolaire prenant en compte la pathologie somatique se sont récemment développées et différents facteurs étiologiques ont été invoqués pour expliquer les désordres cardio-métaboliques dans le trouble bipolaire. Éléments étiopathogéniques Mode de vie Le premier facteur incriminé dans les modifications cardiométaboliques est le régime alimentaire et le mode de vie des patients souffrant de trouble bipolaire. En effet, les variations thymiques qui émaillent l’évolution de la maladie représentent des entraves au suivi de règles hygiénodiététiques et à la pratique d’activités physiques régulières. En particulier, l’émergence de symptômes dépressifs semble constituer un facteur prédictif d’apparition du syndrome métabolique, probablement en rapport avec des modifications de l’appétit, une diminution de l’exercice physique et une moindre attention portée à soi-même, perturbations qui sont consubstantielles de la phénoménologie des troubles affectifs [6,7]. Il est à noter que les troubles bipolaires sont également associés à des comportements addictifs, avec notamment une consommation excessive d’alcool et de tabac, qui ont également des conséquences délétères sur le plan cardio-métabolique [8]. Les dérèglements observés dans la maladie bipolaire produisent donc une rupture du mode de vie des patients et perturbent leur équilibre nutritionnel, favorisant l’apparition de facteurs de risques cardio-métaboliques conjugués. Influence des traitements médicamenteux Associés au risque métabolique résultant des désordres comportementaux, les traitements psychotropes représentent également des facteurs aggravant le statut métabolique des patients [9]. De fait, les effets adverses des thérapeutiques proposées dans le trouble bipolaire semblent Trouble bipolaire et comorbidités somatiques contribuer de façon significative à l’augmentation de la fréquence du syndrome métabolique dans cette population. Les agents thymorégulateurs, tels que le lithium ou des anticonvulsivants, ont été associés à des prises de poids [2]. Les antipsychotiques, dont les indications ont été largement élargies dans le trouble bipolaire, sont également connus pour entrainer des effets adverses sur le métabolisme glucido-lipidique [10]. Si les psychotropes favorisent clairement la prise de poids et augmentent le risque de syndrome métabolique, ce constat doit néanmoins être nuancé en fonction des molécules utilisées, ainsi que par l’existence probable d’une importante variabilité de leur impact métabolique selon la vulnérabilité génétique des patients. Il est également essentiel de noter que préexiste, avant toute médication, une cooccurrence d’obésité, de diabète, et de syndrome métabolique dans le trouble bipolaire. Ainsi, les substratum biologiques, neuroendocriniens, immunoinflammatoires et génétiques pourraient ne représenter que des facteurs modulateurs des désordres métaboliques rencontrés dans le trouble bipolaire. Obésité et perturbation du métabolisme lipidique Près de la moitié des sujets bipolaires présentent un surpoids ou une obésité, avec des conséquences somatiques considérables, notamment sur l’appareil cardio-vasculaire. Réciproquement, les conséquences de la surcharge pondérale sur le fonctionnement psychique des patients bipolaires ne sont pas négligeables, dans la mesure où a été mis en évidence un risque supérieur de rechute thymique chez les patients obèses comparativement aux patients de poids normal [11]. Les raisons d’une telle co-occurrence dans les troubles de l’humeur restent encore mal connues, mais il est probable qu’elles soient liées à la perturbation clinique et biologique du métabolisme lipidique dans les troubles de l’humeur. Les comorbidités cardio-vasculaires des troubles affectifs ont en effet été associées à une hyperactivation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. L’hypersécrétion de cortisol qui en résulte conduit le métabolisme glucidolipidique vers la formation de graisse viscérale et à une insulino-résistance [12], participant à la constitution d’un syndrome métabolique par le biais de l’activation de molécules pro inflammatoires [2]. Ce déséquilibre fait le lit des pathologies cardio-vasculaires. Parallèlement aux effets somatiques issus de l’accumulation de mauvaises graisses, plusieurs travaux ont montré l’influence qualitative de certains types d’acides gras sur l’humeur, et plus précisément sur le noyau dépressif. Cette influence est suggérée par les propriétés antidépressives des acides gras polyinsaturés qui ont été mises en évidence chez l’animal. Il a également été montré une influence du profil lipidique de l’alimentation, notamment dans sa composition en acides gras polyinsaturés, sur l’évolution de la maladie bipolaire, en terme par exemple d’amélioration clinique ou de tentatives de suicide [13]. Même si ces données demandent à être confirmées, de même que nécessite d’être précisée la part de régulation génétique, elles suggèrent une relation intéressante entre statut nutritionnel et équilibre psychique. Le style de vie et l’hygiène alimentaire représentent un axe important de recherche clinique, dans une perspective transdisciplinaire, pouvant à terme permettre d’améliorer l’espérance et la qualité de vie des patients souffrant de trouble bipolaire. S169 Inflammation et stress oxydatif L’hypothèse inflammatoire est de plus en plus évoquée dans la physiopathologie des affections mentales, et plus particulièrement dans les troubles de l’humeur. Un des mécanismes mis en jeu dans le trouble bipolaire implique une réponse aux facteurs de stress, représentés par exemple par des événements de vie, des facteurs psychosociaux, ou les variations thymiques elles-mêmes. Dans un tel modèle physiopathologique centré sur le stress, les composantes adaptatives de l’organisme mettent en jeu divers mécanismes aboutissant à un état de sub-inflammation chronique, pouvant expliquer l’augmentation de marqueurs périphériques de l’inflammation (CRP, cytokines, interleukines). Ces phénomènes, s’ils sont prolongés ou récurrents, sont connus pour être susceptibles de provoquer des réactions périphériques biologiques favorisant l’émergence d’un dysfonctionnement cardio-métabolique. A été plus particulièrement invoquée une production excessive de radicaux libres qui, à la suite de cascades biologiques, crée un état inflammatoire chronique aboutissant à une résistance à l’insuline, et à une orientation du métabolisme lipidique vers l’accumulation de graisses athérogènes. Cette théorie de l’inflammation et du stress oxydatif se trouve renforcée par des travaux récents qui illustrent les effets anti-oxydants de traitements thymorégulateurs tels que le lithium, dont le mécanisme d’activité normothymique implique probablement des propriétés de protection cellulaire [14]. Ainsi la théorie inflammatoire étaie assez bien l’hypothèse d’un dysfonctionnement global, comportant des mécanismes à la fois somatiques et psychiques pour expliquer la physiopathologie du trouble bipolaire [15]. Perturbations du métabolisme glucidique Plusieurs travaux ont mis en évidence une co-ocurrence entre trouble bipolaire et diabète, particulièrement du type 2. Outre les arguments habituels évoquant la mauvaise hygiène de vie des patients, les effets métaboliques des psychotropes ou une vulnérabilité familiale pour expliquer cette recrudescence de diabète chez les patients bipolaires, il semble que des mécanismes communs aux deux affections puissent également être en œuvre. Comme déjà mentionné, les perturbations de l’axe hypothalamo-hypohyso-surrénalien sont couramment citées parmi ces mécanismes. De fait, les sujets bipolaires présentent une hypercortisolémie significative comparativement à des sujets contrôles. Egalement en faveur de cette hypothèse, il a été montré que le taux de cortisol sérique chez les apparentés de patients bipolaires est à un niveau intermédiaire entre ceux des patients et ceux des sujets sains, ce qui suggère que l’hypercortisolémie serait un marqueur de bipolarité [12]. Dans une perspective intégrative, l’hyperactivation de l’axe hypothalamo-hypohyso-surrénalien serait une conséquence du stress chronique rencontré dans la pathologie bipolaire, qui entraîne à la longue une diminution de la sécrétion d’insuline puis une augmentation de la néoglucogenèse, conduisant à une intolérance glucosée et à une résistance à l’insuline, et donc au diabète de type 2. La co- occurrence diabétique dans le trouble bipolaire nécessite d’envisager une autre piste étiologique, à savoir un dysfonctionnement mitochondrial. En effet, les patients bipolaires présentent souvent des anomalies de l’ADN mitochondrial [16], qui sont similaires à celles décrites chez certains patients diabétiques [17]. Pour expliquer l’effet anti-oxydant et l’action neuroprotectrice des sels de lithium S170 plusieurs auteurs suggèrent que ce produit améliore l’activité mitochondriale [18] et stimule l’expression de gènes (BAG- 1) protégeant la mitochondrie contre les effets du stress oxydatif [19]. En rapport avec la neurotoxicité et les effets du stress oxydatif, les pathologies affectives paraissent avoir une action délétère par une diminution de l’expression puis de la synthèse de facteurs neurotrophiques tels que le BDNF. Or, une augmentation de la glycémie entraine une inhibition de la sécrétion de BDNF, à l’instar de ce qu’on rencontre dans la dépression, ce qui constitue un mécanisme physiopathologique commun entre troubles affectifs et diabète [20]. Autre lien potentiel entre diabète et trouble bipolaire, certains transducteurs cellulaires sont une cible des sels de lithium, tels que la protéine GSK-3, impliquée dans les mécanismes de résistance à l’insuline et de vieillissement cellulaire et dont l’activité hyperglycémiante est inhibée par le lithium [21]. Ces éléments contribuent à la constitution d’un faisceau d’arguments en faveur d’un carrefour biologique commun entre trouble bipolaire et métabolisme glucidique. Altération des rythmes circadiens Dans une perspective multidimensionnelle, l’altération des rythmes circadiens semble représenter une voie d’intérêt et de recherche dans le trouble bipolaire. Certains gènes candidats (Bmal1, TIMELESS, PERIOD3, CLOCK) appartenant au groupe des gènes horloges semblent participer à l’émergence des troubles bipolaires [22], suggérant une relation entre perturbations des rythmes circadiens et troubles de l’humeur. Il est remarquable de constater que des perturbations du rythme circadien ont également été retrouvées dans les pathologies cardio-métaboliques [23]. Des données récentes soulignent le rôle du système de régulation des horloges biologiques sur le métabolisme glucido-lipidique [12]. La réduction du temps de sommeil apparaît associée à une diminution de la sensibilité à l’insuline, augmentant de 1,6 à 1,8 fois le risque de développer un diabète comparativement au sommeil normal [24]. Les troubles du sommeil étant très souvent rencontrés dans le trouble bipolaire, une augmentation du risque diabétique par cette voie apparait cohérente. D’autres travaux soulignent l’influence des gènes horloge sur le métabolisme glucidolipidique par le biais d’horloges périphériques situées dans différents organes (foie, pancréas, tissu adipeux, etc.) dont les perturbations sont susceptibles d’engendrer des pathologies métaboliques et cardio-vasculaires [25]. De nombreux gènes impliqués dans le fonctionnement du cœur et de l’aorte auraient également une expression circadienne [26]. Ainsi, chez le hamster syrien « insuffisant cardiaque », la diminution de l’amplitude de variation de la température centrale est prédictive d’un décès 8 semaines plus tard [27], illustrant l’influence de la dysrégulation circadienne sur la fonction cardiaque. Ces résultats confortent l’hypothèse que la désynchronisation circadienne engendre non seulement des désordres affectifs et comportementaux, mais expose également à des complications métaboliques et cardio-vasculaires. Synthèse : Apport de la génétique et de l’épigénétique L’essor récent de la génétique moléculaire a permis d’apporter des arguments complémentaires pour étayer les liens physiopathologiques entre trouble bipolaire et affections cardio-métaboliques. Les programmes d’études J.-C. Chauvet-Gélinier, et al réalisées à grande échelle sur les associations pangénomiques n’ont donné que des résultats assez décevants à ce jour, puisqu’aucun gène spécifique n’a été retrouvé responsable à la fois du diabète et de troubles psychiques… Néanmoins, des analyses complémentaires réalisées à partir d’études « génome-wide » ont permis d’identifier des relations entre différentes familles de gènes impliqués à la fois dans la vulnérabilité au trouble bipolaire et dans des processus métaboliques. Ainsi, un travail réalisé à partir des 1 000 SNPs les plus significatives pour 7 maladies importantes, comprenant le trouble bipolaire, a permis de montrer une corrélation robuste entre ce dernier, le diabète de type 2 et les coronaropathies [28]. De plus, les études pangénomiques portant sur la proximité philogénétique de ces pathologies ont montré que le trouble bipolaire, le diabète de type 2 et les maladies cardio-vasculaires appartenaient à une famille génétique commune, bien qu’il n’y ait pas de pléiotropie parfaite, c’est à dire de gène commun à ces maladies. En synthèse, on peut avancer qu’il existe des liens forts unissant trouble bipolaire et pathologies cardio-métaboliques. À travers les interactions gènes-environnement, il est possible d’avoir une vision intégrative de cette comorbidité. Nous savons que les événements de vie traumatisants, particulièrement les blessures précoces, constituent des éléments de fragilisation du psychisme, conduisant au développement de pathologies mentales à l’âge adulte. Dans le trouble bipolaire, il existe une fréquence élevée de traumatismes dans l’enfance, avec un chiffre de l’ordre de 50 % de maltraitance physique ou psychologique au cours de cette période [29]. Ces traumatismes sévères ou autres facteurs de stress, lorsqu’ils sont difficilement tolérables pourraient entraîner des remaniements de l’architecture de l’ADN dans des tissus spécifiques, illustrant ainsi les effets de l’environnement sur la structure génétique. Il a été montré que les phénomènes de stress précoce pouvaient être associés à une augmentation des méthylations de la région promotrice d’un gène codant pour un récepteur aux glucocorticoïdes, inhibant alors l’expression de ce gène au niveau de l’hippocampe [30]. En réponse à cette sous-expression, il se produirait un mécanisme d’« up-regulation » de la CRH avec hypersécrétion de cortisol. Ainsi, des sujets soumis à des phénomènes de stress précoce pourraient développer des mécanismes biologiques adaptatifs trop sensibles concrétisés par l’hyperactivation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrenalien. De même, dans le diabète de type 2, il semble que des facteurs de stress précoce soient prédictifs de l’émergence ultérieure de la pathologie. L’hypersecrétion cortisolique associée au stress chronique provoque progressivement une diminution de la sécrétion insulinique, aboutissant finalement à un diabète. Ainsi, il a été mis en évidence que des enfants exposés à des événements de vie pénibles activaient leur système inflammatoire avec des taux élevés de CRP, protéine marqueur de risque cardio-vasculaire [31]. D’autres travaux ont montré une élévation des marqueurs inflammatoires (CRP, IL-6) à la fois dans le trouble bipolaire et le diabète. Ces données confirment le caractère multidimensionnel [15] du trouble bipolaire et l’unité psychosomatique de l’être humain, de même que les intrications entre l’environnement potentiellement stressant et la « machinerie » biologique et génétique. Conclusion À la suite de ces constats épidémiologiques et ces arguments physiopathologiques, la prise en compte de la comorbidité Trouble bipolaire et comorbidités somatiques cardio-métabolique dans le trouble bipolaire apparaît cruciale afin d’améliorer l’espérance de vie des patients qui en souffrent. Notamment, une surveillance régulière des paramètres cliniques et biologiques qui constituent le syndrome métabolique est souhaitable, avec idéalement une collaboration pluridisciplinaire entre médecins traitants, endocrinologues et cardiologues. Sur un plan conceptuel, cette comorbidité permet également de faire évoluer les représentations des troubles de l’humeur. En effet, elle impose d’appréhender le trouble bipolaire de façon intégrative et de la considérer à travers différents domaines médicaux. En rappelant la nécessité d’un double traitement, à la fois psychique et biologique, cette approche valorise les thérapeutiques éducatives fondées sur la promotion d’un équilibre de vie intégrant dimension biologique et sociale (équilibre nutritionnel, hygiène du sommeil, alternance équilibrée entre activités de travail, activités physiques, loisirs, etc.). En particulier, les stratégies de lutte contre le stress se montrent bénéfiques aussi bien au plan somatique que psychologique. Si dans le domaine des affections cardio-métaboliques, l’intérêt des thérapeutiques non pharmacologiques semble unanimement reconnu, [12,32] ; elles restent encore insuffisamment encouragées dans le trouble bipolaire, et ce malgré des preuves de leur efficacité. Or, les patients bipolaires pratiquant un exercice physique régulier à raison de 30 minutes, 4 fois par semaine, voient leur niveau de réponse aux facteurs de stress considérablement atténué [33]. Chez ces patients, la pratique d’une marche régulière s’accompagne de scores plus bas aux échelles d’anxiété et de dépression [26,34] comparativement à des sujets ne faisant pas d’exercice. De même, il a été montré que l’activité physique régulière accroît l’expression du facteur neurotrophique BDNF, aboutissant à une réponse neuroprotectrice, ce qui constitue une forme d’interaction gène-environnement bénéfique pour le sujet [35]. À l’issue de cette revue de la littérature, il semble nécessaire de réaliser des études complémentaires pour mieux comprendre la comorbidité cardio-métabolique de trouble bipolaire. Nous pouvons cependant considérer que l’approche intégrative de cette maladie multidimensionnelle représente un futur enjeu à la fois sur le plan conceptuel et thérapeutique. Dans cette perspective, le psychiatre revêt ainsi une fonction cruciale de thérapeute psychique, coordinateur de soin global où il aborde le fonctionnement psychique de façon spécifique, tout en prenant en compte la problématique cardio-vasculaire et métabolique, au travers d’une collaboration pluridisciplinaire. C’est ainsi qu’il peut espérer contribuer à l’amélioration de la qualité de vie des patients. Déclarations d’intérêts J.-C. Chauvet-Gélinier et A. Kaladjian ont déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêts. I. Gaubil et B. Bonin n’ont pas transmis leurs conflits d’intérêts. Références [1] Ösby U, Brandt L, Correia N, et al. Excess mortality in bipolar and unipolar disorder in Sweden. Arch Gen Psychiatry 2001;58:844-50. [2] de Almeida,KM, Moreira CL, Lafer B, et al. Metabolic syndrome and bipolar disorder: what should psychiatrists know? CNS Neurosci Ther 2012;18(2):160-6. S171 [3] Kassi E, Pervanidou P, Kaltsas G, et al. Metabolic syndrome: definitions and controversies. 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