0 1 0 2 e r b m e v o n E P P I L I H P ---N A E J T E R R E P r a P La roupie Quand on pense au nom de roupie aujourd’hui, des images très contrastées nous viennent en tête : une monnaie de l’Inde fastueuse des Moghols mais aussi l’image moins flatteuse d’une monnaie de pays en voie de développement. Si la roupie correspond en effet à ces deux visions, sa circulation fut beaucoup plus large et concerne également bien d’autres horizons. L’objectif de ce modeste article est double : d’une part introduire au monnayage indien ; d’autre part, présenter l’ampleur de la circulation des monnaies des Indes Britanniques et les autres monnaies associées circulant il y à de cela un siècle. I Une nouvelle monnaie née à la veille de l’Empire Moghol Si on parle de casse tête chinois, en terme de numismatique, celui-ci s’appliquerait plutôt à l’Inde. Entre la multitude de monnaies et de langues utilisées dans le sous-continent, l’invention de la roupie contribua à un peu plus de simplicité et d’unité dans cet espace contrasté. Elle trouva son prototype dans la monnaie d’argent principale émise par le sultanat de Delhi, le tankah, émis pour la première fois sous le règne du sultan Iltumich (1211-1236). Son étalon était fixé selon l’étalon indien, le tola de 96 ratis soit environ 11 grammes. La facture de cette monnaie était purement épigraphique, respectant ainsi les préceptes de l’Islam. Elle portait également la date et la mention du lieu de frappe. Sa bonne qualité lui permit une large circulation mais fut gênée un siècle plus tard par les expériences monétaires du sultan Muhammad ibn Tughlug (1354-1365). Il y gagna le surnom non usurpé de prince des monnayeurs mais ce fut son seul gain dans l’histoire. Muhammad remplaça le tankah d’argent par des espèces fiduciaires de bronze et tenta d’autres expériences politiques qui s’avérèrent malheureuses pour le sultanat. Celui-ci déclina au détriment des autres dynasties islamiques nouvelles, qui se tailleront de larges fiefs en Inde du Nord. Comme les Mamelouks d’Egypte et les créateurs mêmes du sultanat de Delhi, ces nouveaux maîtres étaient souvent des esclaves soldats aux origines turque ou africaine. La division du nord de l’Inde permit à Babur, un chef afghan se prétendant descendant de Gengis Khan, d’établir les bases de l’empire Moghol en conquérant cet espace morcelé en un temps record, de 1525 à 1530. A sa mort, son fils Humayun eut du mal à tenir cet ensemble territorial et ce fut Shir Shah (1538-1547), connu aussi sous le nom de Sher Khan, un autre sultan d’origine afghane, qui en tira les bénéfices. Son vaste domaine s’étendait sur toute l’Inde du nord, de la passe de Khyber afghane au golfe du Bengale. En six années, il se montra un gouvernant remarquable, sachant ménager la majorité hindoue du pays, ce qui était loin d’être le cas chez les conquérants musulmans. Il sera à l’origine de la ville nouvelle de Delhi et réorganisera le réseau routier et marchand. Dans le cadre d’un retour à la bonne monnaie, il reprit l’étalon d’argent du tankah lui donnant désormais le nom de rupiya, terme sanskrit que l’on peut traduire par « argent orné ». Les descendants de Sher Khan ne furent pas à la hauteur et c’est Akbar (1556-1605), petit fils de Babur, qui refondera de manière durable l’empire Moghol. Celui-ci reprit également la roupie d’argent de 11,50 grammes au détriment de ses monnaies antérieures basées sur l’étalon d’Asie Centrale. Roupie de Sher Shah. Ar 20 mm et 11,50 grammes. Les marques de poinçon sont typiques de l’époque ou les changeurs éprouvent par ce moyen la qualité du métal. La roupie était la monnaie d’échange idéale. Au cours de la période, son contenu d’argent sera même renforcé à partir de 1611, mais les autorités reviendront sur leur décision devant la réaction négative du public. La roupie moghole se subdivisait principalement en dams et tankahs de cuivre, courant respectivement pour 40 dams ou 20 tankahs. Ces monnaies restent uniquement épigraphiques, écrites en persan, langue administrative et de culture de l’Empire Moghol. Elles ont un diamètre plus petit que les monnaies européennes de même poids mais sont aussi épaisses que des piéforts. Elles peuvent être rondes ou bien carrées comme dans la seconde moitié du XVIIe siècle. La monnaie d’or était le mohur, le rapport or/argent étant d’un pour neuf, l’argent étant beaucoup plus coté qu’en Europe ou ce rapport était de un pour quinze. Roupie d’Akbar frappée à Allahabad dans la seconde moitié du règne. Ar, 20 millimètres, 11,31 grammes La richesse proverbiale de l’Empire Moghol se traduisit également par des monnaies de prestige. On y monnaiera au XVIIe siècle les plus grosses monnaies d’or jamais frappées, des multiples pouvant correspondre à 200 mohurs sous le règne de Shah Jahan (1628-1658)! Les Moghols prirent également de nombreuses libertés avec l’Islam officiel. Akbar soucieux de conciliation avec ses sujets, envisagea même l’adoption d’une nouvelle religion syncrétique unifiant l’Hindouisme et l’Islam et ressemblant au Sikhisme. Il abandonnera ainsi le comput de l’Hégire pour adopter son ère personnelle à partir de 1586. A sa mort, l’expérience religieuse ne se poursuivra pas. Son successeur Jahangir (1605-1628), brisera l’interdit islamique de la représentation humaine sur les monnaies en y représentant son père. Ce tabou n’en était pas un pour les souverains Moghols et leurs miniatures nous le prouvent, mais il s’agit des premières monnaies islamiques rompant vraiment avec l’interdit de la figuration humaine. On représentera non pas une figure de souverain caractérisé par ses attributs comme on a pu en voir parfois dans cette zone, mais bien d’un portait individualisé, proche de l’esprit de la Renaissance européenne. Jahangir frappera également des mohurs représentant les signes du zodiaque. Ces monnaies singulières ne circulaient que dans le cercle étroit de la cour et furent sans doute peu connues du grand public. Les potentats voisins suivirent cette mode dans leurs Etats en frappant des pièces d’hommage moins dispendieuses mais mieux frappées que les ordinaires. On parle de monnaies nazanara. On les retrouvait surtout déclinée en roupies et en paisa encore frappé parfois au début du XXe siècle par certains états princiers. Le règne d’Akbar correspond à l’âge d’or de l’empire Moghol, s’inscrivant dans la politique de tolérance et de bonne administration de Sher Khan. L’apogée territoriale de l’empire Moghol correspondra au long règne d’Aurangzeb (1658-1707), mais celui-ci, par ses campagnes militaires inutiles et son fanatisme religieux contribuera à disloquer l’empire. A sa mort, l’empire Moghol entamera une lente agonie qui n’est pas sans faire penser à l’empire Romain tardif. Les aventuriers extérieurs venant d’Asie Centrale ou d’Iran feront maintes incursions. Le fanatisme religieux musulman forcera les Hindous et les Sikhs à s’armer et sera à l’origine de la confédération mahratte en Inde centrale et de l’empire Sikh au Pendjab qui deviendront des acteurs importants du XVIIIe siècle indien. Plus largement, les gouverneurs provinciaux prirent beaucoup de liberté et le monnayage s’en ressentit. Il était temps pour les Européens d’entrer en scène par la grande porte. Vasco de Gama arriva en 1498, et dans son sillage les Portugais s’installent à Goa, Cochin, et d’autres comptoirs sur la côte occidentale. Leur désir de conquête était peu de chose comparé à leur ardeur commerciale et ils se contentèrent principalement du rôle d’intermédiaire commercial privilégié. L’arrivée des Européens au début du XVIe siècle contribua ainsi à alimenter l’Inde en métaux précieux. Une bonne part de l’argent monnayé sous forme de roupie eut son origine dans les entrailles des montagnes mexicaines ou péruviennes. Dès le départ, les Portugais émirent des monnaies pour leurs comptoirs à plusieurs usages. L’usage interne nécessitait de la petite monnaie frappée au départ en étain, l’or était monnayé pour les valeurs plus fortes servant d’échange, se calant sur la monnaie locale que les Européens dénommaient la pagode. Cette pièce d’or était la monnaie principale d’Inde du Sud, sur le modèle de la pagode monnayée par le royaume de Vijayanagar, un royaume hindou important qui se maintint jusqu’à la fin du XVIe siècle. La création des différentes compagnies des Indes par les Anglais, Néerlandais, Français créa une forte concurrence. L’East India Company créé en 1600 s’affirme face aux Portugais. Les Anglais obtiennent suite au mariage du roi Charles II et de Catherine de Bragance, fille du roi du Portugal, la cession de Bombay en 1661. L’essor de la compagnie anglaise progresse lentement et s’accélère véritablement à partir des années 1740, exacerbée par la concurrence française. A cette époque, Français et Anglais prennent une plus grande part à la politique indienne. Suite à la bataille de Plassey en 1757, la France se retrouvera reléguée dans ses comptoirs alors qu’elle était en passe de dominer le Deccan. La compagnie anglaise prend possession du Bengale en 1765, accélérant ainsi sa vocation coloniale. Les besoins générés en monnaie par l’administration directe d’une portion non négligeable du sous-continent la pousse à un monnayage conséquent. Celui-ci se calera sur le monnayage local et sera émis en persan. La roupie d’Arcot émise au nom de l’empereur Shah Alam II et au millésime gelé de la 19ème année de son règne, 1282 de l’Hégire soit 1777 sera la monnaie principale frappée jusqu’en 1835. Seules les quelques monnaies de bronze nécessaires aux comptoirs seront frappées suivant des normes européennes. Les guerres napoléoniennes arrondissent encore le domaine britannique ; que ce soit au détriment des Néerlandais a Ceylan ou au détriment des princes locaux qui ont fait l’erreur de s’allier à la France, tels Tipu Sahib, sultan de Mysore. L’administration directe de la compagnie anglaise progresse partout depuis les présidences de Bombay en Inde du Nord, Madras au sud-est, Calcutta au Bengale. La politique de préemption permettait aux Anglais de récupérer les principautés sans héritiers directs ou dont l’héritier ne leur convenait pas. Les trois présidences frappèrent des monnaies très diverses suivant les régions indépendamment jusqu’en 1835. 2 V cash de la présidence de Madras frappé en 1803. Ae, 21 millimètres, 3,23 grammes II Un monnaie coloniale Britannique dépassant largement les frontières indiennes En 1835, les ateliers monétaires de Bombay, Calcutta et Madras frappèrent désormais des monnaies aux normes européennes. La fiction moghole fait place au portrait de Guillaume IV de Hanovre, roi de Grande-Bretagne, qui figure sur tous les avers des monnaies d’or et d’argent. Les armoiries de la compagnie des Indes, quant à elles, se cantonnent aux monnaies de bronze. La roupie reste la monnaie de compte principale, le rapport or/argent est désormais de 15 roupies pour un mohur, équivalent à la livre sterling et au cours du bimétallisme européen. La roupie est fractionnée en 16 annas, chaque anna est elle-même subdivisée en quatre paisa fragmentés chacun en cinq pie. La nouvelle roupie pèse exactement 11,66 grammes pour un taux de fin de 917 pour 1000. Pour l’or sont frappées des monnaies de un et deux mohur ; pour l’argent la roupie, la demi-roupie, le quart de roupie et la pièce de deux annas qui correspond au huitième de roupie. L’anna n’est pas frappée mais on trouve des demi-anna et quart d’anna en bronze ainsi qu’une pièce d’un pie. Seule la valeur en persan nous rappelle que nous sommes en présence de monnaies destinées à un espace extra-européen. Un autre élément rappelant le monnayage antérieur est le gel des dates, 1835 pour les monnaies de Guillaume IV (1828-1837), 1840 pour les monnaies de Victoria (1837-1901) jusqu’en 1862. Ainsi pour Victoria, deux portraits se suivent, le premier frappé dans les années 1840 et le second jusqu’à la révolte des cipayes en 1858. Cette révolte sanglante est peu connue en France et sera marquée par des atrocités commises par les deux camps. A l’issue de la révolte, le Royaume Uni prend donc possession officielle des Indes, déposant le dernier grand Moghol. Roupie de Guillaume IV (1830-37) frappée à Calcutta (signature F incuse à la base du cou, initiale du maître de la monnaie William N. Forbes) Ar, 30 millimètres, 11,66 grammes, 1835 Roupie de Victoria comme reine d’Angleterre frappée à Bombay (présence de 19 baies sur la couronne de lauriers au revers sans autres marques, les signes de distinction internes aux ateliers des Indes Anglaises sont très confidentiels) Ar, 31,6-31,8 millimètres, 11,66 grammes, 1840 Quart de roupie de Victoria comme reine d’Angleterre frappée à Madras (lettre S incuse à la base du cou et diamètre de la pièce) Ar, 19,6 millimètres, 2,92 grammes, 1840 En 1862 est introduit un nouveau monnayage au portrait couronné de Victoria et au revers floral sur les mêmes monnaies et métaux. La date reste gelée en 1862, à l’exception des roupies qui portent la véritable année de frappe. Le premier ministre Benjamin Disraeli parvient à faire proclamer Victoria impératrice des Indes en 1877. Le monnayage continua avec les mêmes espèces, seule la titulature de l’avers la désigne désormais sous le titre d’impératrice. Par contre, toutes les pièces porteront désormais le véritable millésime. Son successeur Edouard VII (19011910) frappa à peu près les mêmes monnaies mais y figura buste nu et sans couronne, le monnayage ayant commencé avant le durbar de Delhi où l’on couronne l’empereur. La seule innovation est l’introduction plus tardive d’une pièce d’un anna en nickel ou Edouard est représenté dûment couronné. La série de Georges V apportera plus de nouveautés, un recours plus important aux monnaies de nickel et la disparition des monnaies d’or après la première guerre mondiale. La roupie subit également sa première dévaluation en 1927 et ne changera plus jusqu’à l’indépendance en 1947. Quart de roupie pour Victoria comme reine d’Angleterre frappé à Calcutta (diamètre entre 19,3 et 19,4 millimètres). Ar, 2,92 grammes, 1862 Roupie pour Victoria impératrice des Indes frappée à Calcutta (décoration florale de la robe et forme de la fleur en haut de la pièce) Ar, 30 millimètres, 11,66 grammes, 1900 Quart d’anna pour Victoria impératrice des Indes frappée à Bombay (décoration florale de la robe et forme du feuillage) Ae, 24,4 millimètres, 6,4 grammes 1887 Roupie d’Edouard VII (1901-1910) frappé à Calcutta Ar, 30,5 millimètres, 11,66 grammes, 1903 Anna d’Edouard VII frappé à Bombay Nickel, 3.84 gr et 20 millimètres, 1909 Quart d’anna pour Edouard VII des Indes frappé à Calcutta Ae, 24,4 millimètres, 6,4 grammes, 1906 Ce monnayage était devenu le système principal des Indes mais les Anglais sont connus pour leur préférence marquée pour le protectorat: l’indirect rule. La moitié des Indes resta officiellement administrée par une multitude de maharajahs rendant hommage au souverain britannique. Il va sans dire qu’ils devaient compter avec le résident britannique qui ne se privait pas au besoin de choisir l’héritier qui arrangeait le colonisateur, comme à l’époque de la compagnie, mais les Anglais préférèrent désormais limiter les annexions. Parmi les privilèges régaliens détenus par ces potentats, comme en Europe, un des plus chéris, flatteur pour l’orgueil comme bénéfique au tiroir caisse était le droit de monnayage. Si celui-ci continua jusqu’à l’indépendance pour certaines principautés, de fait la monnaie indigène se dévalua largement face à la monnaie coloniale. Les Anglais tentent d’unifier le monnayage des états par un acte en 1870 visant à caler les monnaies princières sur le modèle de la roupie coloniale avec inscriptions en langue anglaise obligatoire et frappe dans les ateliers de Bombay ou de Calcutta. La principauté d’Alwar va ainsi frapper ses propres roupies à l’effigie de Victoria de 1877 à 1891 ne se gardant que le revers. Les principautés de Bikanir, de Dhar et les branches aînées et cadettes de Dewas frapperont aussi des divisionnaires de cuivre ou des roupies du même type sur la période. Quart de roupie ou monnaie de 4 annas pour Sayaji Rao III de Baroda (1875-1938) 1949 de l’ère hindouiste, 1892 dans le calendrier chrétien Ar, 18,5 millimètres, 2,92 grammes Toutefois, certains souverains frapperont encore des monnaies au marteau semblables au monnaies mogholes à la veille de l’indépendance ! On verra des monnaies avec des portraits indigènes de Victoria frappés à Bindraban ou Bharaptur après l’absorption par les Anglais en 1858, d’autres monnaies indigènes aux noms conjoints de l’empereur des Indes et du souverain local comme à Jodhpur. Certains maharajahs plus puissants auront les moyens de frapper des monnaies au standard colonial mais garderont toute liberté dans le choix iconographique. Les maharajas hindous de Baroda et les souverains musulmans de Hyderabad en sont les exemples les plus intéressants. Les premiers dont la principauté se situe au Nord-Ouest de l’Inde actuelle frapperont surtout monnaie, du pie au mohur, sous le règne et au portrait de Sayaji Rao III à la toute fin du XIXe siècle. Les seconds régnant sur le plus grand état princier indien de l’époque frapperont monnaie en conséquence, surtout de 1903 à 1930, adoptant la grande mosquée d’Hyderabad à l’avers, la charminar à quatre minarets, sur leurs nombreuses roupies d’argent. Plus largement, à la toute fin du XIXe siècle, trente principautés indiennes frappent encore monnaie dans des proportions très diverses. Quart d’anna de Maho Rao de Gwalior (1886-1925) 1974 de l’ère hindouiste, 1917 de l’ère chrétienne Ae, 22 millimètres, 4,8 grammes atelier de Lashkar Paias de Baroda pour Kande Rao, grenade à l’avers, nom de Shah Alam Bahadur Khan, dernier grand Moghol, au revers ; une des dernières monnaies de maharajahs portant le nom du suzerain. Vers 1856 AD, Ae, 8.29 gr et 18 mm. Quart d’anna de Johdpur émis au nom du maharajah Umais Singh et de l’empereur Georges VI en 1937 parmi les dernières frappes au marteau. Ae, 9,97 gr et 18 mm. Les quantités impressionnantes de roupies frappées à l’effigie de Victoria dans la seconde moitié du règne, 2,5 milliards de pièces d’une roupie émises de 1862 à 1901, vont alimenter la masse monétaire du Golfe Persique au Sichuan (Sud-ouest de la Chine) et du Mozambique au nord de l’Hindou-Kouch. Parmi les dernières puissances coloniales à garder des comptoirs en Inde, la France et le Portugal, celles-ci vont largement utiliser les monnaies du voisin. Les Portugais changeront officiellement leur système local très complexe en adoptant à partir de 1871 une roupie divisée en 16 tanga, l’équivalent des annas. Chaque anna sera divisée elle-même en 60 reis, soit une roupie de 960 reis. Les premières séries de 1871 sont constituées uniquement de bronzes de 3, 5, 10 reis, d’un demi tanga et d’un tanga. Elles font figurer uniformément les armoiries portugaises à l’avers et la valeur au revers, se démarquant à peine des monnaies métropolitaines contemporaines. Une seconde série frappée à Bombay entre 1881 et 1886 sera constituée de 1/8 et de ¼ de tanga en bronze, de 1/8, 1/4, ½ et enfin de roupies. Ces monnaies sont tout à fait conformes aux déclinaisons des monnaies d’Inde anglaise contemporaine. Les bronzes portent à l’avers l’effigie moustachue de Louis premier et au revers la couronne. La série d’argent présente également le portrait à l’avers et les armoiries portugaises couronnées à l’avers. Il faudra attendre 1912 pour voir une nouvelle série qui portera l’effigie de la nouvelle république portugaise. Après la seconde guerre mondiale, on verra à nouveau un monnayage uniforme des colonies avant la rétrocession des enclaves portugaises par les armes en 1962. Quant aux français, présents jusqu’en 1954, ils cessèrent de frapper monnaie pour leurs comptoirs à la fin du règne de LouisPhilippe. Quart de Tanga pour les Indes Portugaises sous Louis premier (1861-1889) Ae, 6.47 gr et 24,5 millimètres, frappée à Bombay, 1886 Dans l’espace très connecté qui relie la côte Est de l’Afrique à la péninsule arabique, la roupie se calait à merveille comme divisionnaire du thaler de Marie-Thérèse, omniprésent, à raison de deux roupies pour un thaler. Les roupies et divisionnaires indiennes vont également largement circuler, que ce soit dans les territoires sous domination britannique directe, leurs protectorats ou les colonies d’autre nations. Frappe posthume à l’effigie de Marie-Thérèse immobilisé à la date de 1780 Ar, diamètre entre 39 et 41 millimètres, 28,06 grammes, Vienne Comme pour l’Inde, cette implantation coloniale est souvent le fait de compagnies commerciales indépendantes. Dotées de privilèges régaliens, elles passeront toutefois rapidement sous la tutelle des Etats. Ainsi, la British East Africa Company administrera le Kenya jusqu’en 1895, date ou l’Angleterre rachète ses droits. Installée à Mombasa, la compagnie fit frapper à Birmingham une série de monnaies indexées sur la roupie indienne. Il s’agit essentiellement de pièces d’un pice, traduction de paisa aux balances, tous à la date de 1888. Des balances figurent sur l’avers de ces monnaies, une représentation que la compagnie des Indes affectionnaient et que l’on retrouvait un peu partout sur son monnayage, de l’Afrique à l’Indonésie. On trouve également des monnaies d’argent de 2 annas, des quarts et des demi-roupie toutes frappées en 1890 à environ 10 000 exemplaires chacune. Seule la pièce d’une roupie atteindra un tirage plus élevé, proche des 100 000 exemplaires en 1888. Ces monnaies rares présentent un soleil rayonnant couronné à l’avers et sont connus sous le nom de roupies de Mombasa. A partir de 1895, le protectorat de l’Afrique de l’Est regroupant les actuelles républiques de Kenya et d’Ouganda, la Somalie Britannique et le sultanat de Zanzibar se verra doté d’un premier monnayage destiné à suppléer au manque de petites monnaies. Il s’agit uniquement de pice, ce qui en dit long sur les besoins monétaires de ces territoires, émise de 1897 à 1899 pour une quantité de 10 millions de pièces frappées à l’effigie de Victoria. Pice à l’effigie de Victoria pour le protectorat d’Afrique de l’Est Ae, 25,7 millimètres, 6,4 grammes, 1898 L’Allemagne nouvellement unifiée entre très tardivement dans la course aux colonies, encouragée par les sociétés promouvant la colonisation et la constitution d’une flotte de guerre conséquente. L’empire allemand prend ce qui reste en Afrique : Cameroun, Togo, Namibie, Ruanda, Burundi et enfin le Tanganyka : l’actuelle Tanzanie sans Zanzibar. La compagnie allemande de colonisation y prend pied en 1887 et passe la main au gouvernement impérial en 1891. Seul ce territoire, situé sur la côte orientale nécessite un monnayage local. Les roupies de la grand-mère de l’Europe vont donc avoir de la concurrence avec l’apparition de son plus célèbre petit-fils, le kaiser Guillaume II. La première série frappée en 1891 comprend le quart, la moitié de roupie, la roupie et même, rarissime et inédite monnaie de deux roupies, frappées à dose homéopathique en 1893 et 1894. Les monarques sont généralement représentés simplement en Europe mais avec toujours plus de faste sur le monnayage colonial pour impressionner l’indigène. Le pompeux Guillaume II ne pouvait faire autrement, mais plutôt que se costumer en souverain médiéval comme ses cousins anglais, il figurera en uniforme de cuirassier de la garde, dûment doté d’épaulettes et portant un casque à aigle. Le revers présente un lion et un palmier, symbole de la compagnie de colonisation allemande qui figure en toute lettres. Bien que celle-ci vienne de passer la main à l’Etat, elle est à l’origine des premières émissions. Le paisa de bronze sera lui à l’aigle impérial. Pesa d’Afrique Allemande frappée à Berlin, Ae, 25 millimètres, 6,5 grammes, 1892 Quart de roupie pour l’Afrique Allemande à l’effigie de Guillaume II (1888-1918) Ar, 23,5 millimètres, 5,83 grammes, 1891 La seconde série apparaît en 1904. Le nom de la compagnie disparaît aux revers des monnaies d’argent mais le grand portrait de Guillaume II demeure. La roupie devient décimalisée et sa subdivision sera désormais exprimée en hellers. Une première série en bronze d’un demiheller, d’un heller et rarissime 5 hellers à la couronne impériale sont frappées de 1904 à 1909, puis des monnaies de 10 et 20 hellers en nickel trouées. Sous la houlette du général Paul-Emil Von Lettow Worleck, ce territoire sera la seule colonie allemande qui résistera aux alliés pendant la première guerre mondiale. L’intérêt stratégique du territoire était nul mais ce front permettait d’immobiliser les troupes de l’Entente en Afrique. Von Lettow et ses 15 000 ashkaris (soldats locaux) tiendront tête aux Sud-Africains, Anglais, Belges et Portugais et ils se paieront même le luxe de porter la guerre dans les colonies voisines. Lettow se rendra seulement en 1918, après avoir pris connaissance de l’armistice. Il fera frapper monnaie pour payer ses troupes, de nombreuses monnaies de nécessité de 20 hellers mais également, fait rarissime pour une monnaie de guerre de l’époque, 15 000 pièces de 15 roupies en or pour chacun de ses hommes. Roupie pour l’Afrique allemande frappée à Hambourg (Lettre J au revers) Ar, 30,5 millimètres, 11,7 grammes, 1911 Heller d’Afrique Allemande frappé à Berlin, Ae, 20 millimètres, 3,67 grammes, 1904 20 hellers émise par Paul-Emile Von Lettow à Tabora en 1916 Alliage, 11.60 gr et 28 millimètres Le Portugal était rentré en guerre en 1916, surtout pour prendre à revers les Allemands en Afrique. Les établissements portugais en Afrique de l’Est sont alors aussi anciens que ceux d’Inde mais la colonie s’y est relativement peu développée. Recevant un monnayage de bric et de broc, les roupies y circuleront couramment, parfois dotées de contremarques propre à la colonie de Mozambique, mais seront remplacées par des monnaies de la métropole avant de recevoir un monnayage colonial propre exprimé en escudos après la Seconde Guerre Mondiale. A la fin de la première guerre mondiale, la roupie opère un net recul en Afrique. Les Britanniques tentèrent d’introduire un florin local en 1920 mais opteront l’année suivante pour un shilling spécifique qui sera la monnaie la plus importante du système. Le Tanganyka devenant britannique, sera doté du même monnayage. Aujourd’hui encore, les républiques d’Ouganda, de Tanzanie, du Kenya et du Somaliland ont toutes comme monnaie officielle le shilling. La roupie restera monnaie officielle de la Somalie italienne plus longtemps. De 1909 à 1924, on frappera à Rome des divisionnaires en bronze exprimées en besas, pièces de 1,2 et 4 besas et des quart, demis et enfin roupies d’argent, toujours sur le même étalon avant leur remplacement par une lire coloniale. Cet usage de la roupie indienne sera également entériné par les souverains locaux. Ceuxci, pauvres en moyens, se contenteront le plus souvent de contremarquer les pièces. On le voit dans le protectorat français de Djibouti au début de la présence coloniale mais c’est surtout dans le domaine colonial anglais que cela se manifeste. Leur choix prononcé pour l’administration indirecte laisse plus de liberté aux potentats locaux qui sur-frapperont des monnaies s’intercalant dans ce système, ou frapperont des monnaies, principalement la paisa de bronze. Le sultanat de Zanzibar détaché d’Oman en 1860 devient protectorat anglais en 1890. En 1881 (1299 de l’hégire), il frappa quelques monnaies circulant sur le modèle de la roupie et du thaler. Pour cette première, uniquement des paisas de bronze frappés en 1881 et en 1886 la roupie valant 64 paisas et le ryal 134 paisas. En 1908, on passera à une roupie divisée en 100 cents décliné en quelques monnaies divisionnaires mais le système sera vite abandonné. Le sultanat de Mascate et d’Oman sera également placé sous protectorat. Celui-ci frappera localement et fera frapper en Inde Anglaise une bonne vingtaine de variétés de paisas aux types légèrement différents dans les années 1890. La compagnie des Indes anglaise avait pris pied au Yémen dès 1839 afin d’y réguler la piraterie alors endémique. Ce territoire divisé en protectorat d’Aden Est et d’Aden Ouest et continua sous domination anglaise en 1858. Les souverains, assez indépendants continuèrent à frapper quelques monnaies locales. Le sultanat de Quati (Est) fit surfrapper à usage local toute la gamme de monnaie d’Inde Anglaise, du pice à la roupie. Le petit sultanat de Lahej (Ouest) fera frapper des demi-baisa ou demi paisa à la fin du XIXe siècle. Pysa de Zanzibar pour le sultan Bargash Ibn Sa’id (1870-1888) Ae, 23,5 millimètres, 1299 AH/ 1881 ère chrétienne Quart d’anna du sultanat de Muscate et Oman au nom de sultan Faisal Bin Turkee (18881913) Ae, 25 millimètres, 4,90 grammes, AH 1315/1897 monnayée à Heaton en GrandeBretagne A l’autre extrémité de l’océan Indien et au-delà, la compagnie des Indes Anglaises est à l’origine directe de l’établissement de Singapour et de Hong-Kong. Elle tenta d’y imposer la roupie au détriment du dollar, en vain. La roupie pourra également largement circuler en Australie au début du XIXe siècle sans s’y fixer. D’autres colonies ayant connus le dollar comme unité de compte passèrent à la roupie. La colonie de Ceylan connut une véritable valse des colonisateurs commencée par les Portugais, poursuivie par les Hollandais et terminée par les Anglais avec la fin des guerres napoléonienne. Elle vit des monnaies très diverses y circuler. Les Anglais utilisèrent au départ les dollars espagnols et les monnaies de la métropole pour les divisionnaires. A partir de 1836, on trouva plus commode d’indexer la monnaie sur la roupie indienne mais il faudra attendre quarante ans pour voir apparaître les premières monnaies spécifiques à la colonie, uniquement frappée en divisionnaires. En 1872 apparaissent les quarts, demi, cent et 5 cents de cuivre au millésime de 1870. Cette série sera complétée par des divisionnaires d’argent de 10, 25 et 50 cents à partir des années 1890. L’archipel des Maldives se servira des monnaies de Ceylan et à son indépendance gardera le nom de roupie sous la forme locale de rufiya. Les Mascareignes plus lointaines avaient connus une situation assez semblable à Ceylan mais sans monnayage indigène puisque leur colonisation par l’homme commença avec les Européens. La roupie s’imposa également avec l’arrivée d’une communauté indienne importante à l’ile Maurice. En 1876 elle devint l’unité de compte valant un demi-dollar mauricien. En 1877, les premières divisionnaires exprimées en cent furent frappées à l’effigie de Victoria : cent, 2 cents, 5 cents en bronze ; 10 et 20 cents d’argent. L’archipel des Seychelles adopta la roupie mauricienne jusqu’en 1914 ou la roupie seychelloise fit son apparition mais les premières pièces verront le jour juste avant la seconde guerre mondiale. 20 cents de Victoria pour l’Ile Maurice frappée à Londres Ar, 17,5 millimètres, 2,33 grammes La roupie s’imposa également au-delà de l’Himalaya pour quelque temps. Elle y subit un de ces rares outrages ! Les gouverneurs chinois du Sichuan y firent frapper à partir de 1908 des roupies, demi-roupies et quart de roupies pour circuler au Tibet. Les monnaies étaient faites de vulgaire billon mais surtout le portrait de Victoria disparut au profit de l’effigie de l’empereur Quang Su, le neveu malheureux de Tseu Hi qui disparaîtra juste avant sa redoutable tante en 1908. Le dingai, chapeau de dignitaire mandchou remplace la couronne et la robe de Victoria évolue assez facilement en robe de mandarin. Le revers est également pourvu de quelques caractères chinois. Ces étranges monnaies seront frappées par les divers seigneurs de guerre jusque dans les années 1930. Entretemps l’Afghanistan avait largement adopté la roupie depuis l’époque Moghole mais la renie pour l’afghani à partir de 1925. Le Népal, quant à lui, adopte la roupie officiellement à partir de 1935. Imitation de la roupie anglaise frappée dans le Sud de la Chine de 1908 aux années 1930. Alliage saucé d’une mince pellicule d’argent, 8.39 gr et 29 millimètres Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale et malgré la décolonisation, la roupie régnait toujours sur les anciennes Indes Anglaises et se maintenait comme monnaie principale dans le Golfe. Deux roupies indiennes coexistait, une roupie intérieure et une roupie extérieure utilisant les monnaies d’argent antérieures et des billets spéciaux destinés au Golfe. C’est seulement avec la dévaluation de la roupie extérieure en 1966 et le développement de ces Etats que ceux-ci se dotèrent d’une devise propre au détriment de la monnaie indienne. Aujourd’hui, la roupie n’a plus un cours uniforme mais règne toujours sous cette appellation sur l’Union Indienne, le Pakistan, le Sri Lanka et au Bangladesh sous le nom bengali de taka. Des anciennes Indes anglaises, seule la Birmanie l’a oublié. Celle-ci fut dotée au cours de la présence anglaise, de roupies et de ses divisionnaires au paon datée de 1852 sur le standard colonial. Roupie birmane frappée sous protectorat britannique Ar, 28,5 millimètres, 11,66 grammes, 1852 La roupie règne encore dans les îles lointaines des Mascareignes et sur un espace équivalent au siècle dernier. Si l’Afrique et le golfe Persique n’y figurent plus, l’Indonésie et ses 200 millions d’habitants, l’a choisi comme monnaie nationale à l’indépendance sous la forme de rupiyah, très proche ainsi du nom d’origine sanskrite. Bibliographie sommaire : -World coins, XVIIe, XVIIIe, XIXe et XXe siècles -Dictionnaire de Numismatique sous la direction de Michel Amandry, 2001 -Monnaies du monde entier sous la direction de Martin Jessop Price, 1983