Augustin PALLIERE, Charline RANGE

Lesprojetsdedéveloppement
favorisent-ilslaconstitutiondes
savoirslocauxen«communs»?Le
casdudéveloppementdela
piscicultureenGuinée
Augustin PALLIERE - UMR Prodig (AgroParisTech) et APDRA Pisiculture Paysanne, docteur en
géographie,chefduProjetdeDéveloppementdelaRizi-PiscicultureenGuinéeForestière(PDRP-GF).
APDRA Pisciculture Paysanne 9 avenue de France 91330 Massy. [email protected], +224
624228210
Charline RANGE - UMR Prodig (AgroParisTech) et APDRA Pisciculture Paysanne, docteur en
géographie, responsable recherche du Projet de Développement de la Rizi-Pisciculture en Guinée
Forestière (PDRP-GF). APDRA Pisciculture Paysanne 9 avenue de France 91330 Massy.
[email protected],+224624871719
Les savoirs locaux sont aujourd’hui considérés par les institutions internationales comme un
capitalpourl’innovationdanslespaysdusud.L’idéalquifaitdesconnaissancesunpatrimoineetune
ressourcestratégiquefaceauxchangementsglobauxdoitêtremisàl’épreuveduterrain:lessavoirs
nesontpasmécaniquementporteursd’innovationsetpeuventêtreinstrumentalisésdansdesenjeux
depouvoiretdelégitimité(Moity-Maïzi2011).
Àquellesconditionsl’aidepubliqueaudéveloppementpeut-ellecontribueràlaconstitutiond’un
savoir local en commun, considérée comme une condition de l’innovation et de l’adaptation aux
changements globaux des agricultures familiales? À travers l’étude de projets successifs de
développementdelapisciculturefinancésparl’AFDsousmaîtrised’ouvragepubliqueetmisenœuvre
parl’APDRA«PisciculturePaysanne»depuis1999enGuinéeForestière(RépubliquedeGuinée),cette
communication montrera comment le «Projet», comme institution, peut favoriser la gestion
collective, aux échelles locales et régionales, du savoir entre acteurs aux logiques éventuellement
contradictoires ou concurrentes. Nous montrerons les difficultés posées par le passage à l’échelle et
par la multiplication associée des acteurs dans un contexte où les enjeux de captation de l’aide
favorisent les comportements opportunistes et la mise en concurrence. Nous mobiliserons le cadre
théorique de la sociologie de la traduction (Callon 1986), les apports de la socio-anthropologie des
interventions de développement comme action publique (Baron et al 2015), ceux de la socioanthropologie des connaissances (Moity-Maïzi 2011) ainsi que le modèle d’Ostrom (1992) élaboré à
proposdesressourcesnaturellespouranalysercecasd’étude.Laméthodologiecombineentretienset
observations participantes pour étudier les situations d’interface entre le Projet, les institutions
parties-prenantesetlesproducteurs.
Àl’opposéd’uneaquaculturespécialiséefaisantunusageintensifdetechniquesstandardiséeset
d’intrantsindustriels,lapisciculturepaysannereposesurlavalorisationdel’écosystèmeexploitéetdu
travail grâce à des savoirs pratiques permettant d’appréhender la complexité des systèmes paysans.
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EnGuinéeforestière,lapiscicultureestuneactivitéémergenteetl’accèsauxconnaissancesconstitue
une des principales barrières à son adoption (Oswald 2013). Depuis l’origine, la stratégie de
l’opérateuraviséàfairedusavoiruneressourcepartagéeàl’échelleduvillage,suivantl’hypothèsede
Daré (1996) selon laquelle l’insertion dans un réseau de dialogue entre pairs constitue un élément
déterminantdel’innovation.Dansunelargemesurecettestratégieaportésesfruits:nonseulement
plusde1500atelierspiscicolessontenproduction,maissurtoutlespremierspaysans-pisciculteursont
conçu de nombreux nouveaux étangs sans appui extérieur et ont été capables d’intensifier la
production en poussant plus loin l’intégration des ateliers piscicoles aux exploitations agricoles
familiales.
Face aux enjeux de passage à l’échelle, le paysage institutionnel de la pisciculture s’est
progressivementcomplexifiéavecl’appuidesbailleursdefonds.Lespisciculteurssesontrassemblés
dans une Fédération régionale; les techniciens se sont organisés en ONG nationale; une direction
nationaleaétécréée.AveclescentresderechercheetlesONGinternationales,cesnouveauxacteurs
sont en concurrence pour capter l’aide au développement et déploient éventuellement des
comportements opportunistes dans le choix des modèles techniques et organisationnels à
promouvoir. Au village, être reconnu comme interlocuteur légitime des projets piscicoles fait l’objet
d’unecompétitionquifragiliselepartagedessavoirspiscicoles.
Cescomportementsopportunistes,propresauxarènesdel’aideaudéveloppement,s’opposentà
la définition partagée d’un référentiel technique et politique porteur de développement pour les
exploitations agricoles familiales. Face à ces difficultés institutionnelles, c’est notamment dans la
résolutiondequestionstechniques–nousprendronsl’exempledel’alevinage–qu’ildevientpossible
de structurer progressivement un réseau d’acteurs partageant une même vision de la pisciculture et
capablesdecoopérerpourinnover.LeProjetpeutalorsdevenirlelieu–etl’enjeu–denégociationset
decompromisentreacteursàtouslesniveauxquipermettentdedépasserlestensionsentreintérêts
individuelsetcollectifspropresàl’actioncollective(Lavigne-Delville2015).
Bibliographie
Baron C. et al. 2015. Une action publique éclatée ? Production et institutionnalisation de l’action
publique dans les secteurs de l’eau potable et du foncier (APPI) – Burkina Faso, Niger, Bénin. GRET,
138p..
CallonM.1986.«Elémentspourunesociologiedelatraduction.LadomesticationdescoquillesSaintJacquesetdesmarinsdanslabaiedeSaint-Brieuc»,L’AnnéeSociologique36,p.170-208.
Daré J.P. 1996. L'invention des pratiques dans l'agriculture. Vulgarisation et production locale de
connaissance.Karthala,194p.
Lavigne-Delville Ph. 2015. «Un projet de développement qui n’aurait jamais dû réussir? La
réhabilitationdespoldersdePrey-Nup(Cambodge)».Anthropologie&développement(42-43),pp.5984
Moity-Maïzi P. 2011. «Interroger la localisation et la circulation des savoirs en Afrique», Revue
d'anthropologiedesconnaissances5(3),p.473-91.
Oswald M. 2013. «La pisciculture extensive, une diversification complémentaire des économies de
plantation», In Ruf F. et Schroth G. (eds), Cultures pérennes tropicales enjeux économiques et
écologiquesdeladiversification.Quae,pp165-183
OstromE.1992.Craftinginstitutionsforself-governingirrigationsystems.ICSPress,111p
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