Histoire d’une erreur — Papyrus Rhind env. 1500 av. JC 87 problèmes résolus d’arithmétique, d’algèbre, de géométrie et d’arpentage YBC 7289 env. 1700 av. JC la plus ancienne représentation connue d’une valeur approchée de 2. Allégorie de la caverne env. 370 av. JC Allégorie exposée par Platon dans le Livre VII de La République. MAH 16055 1900-1600 av. JC équipartition du triangle Aux origines de la géométrie L’abstraction, une invention grecque Les questions d’arpentage se posent depuis les origines de la civilisation. Babyloniens et Égyptiens, notamment, ont produit diverses méthodes pratiques pour résoudre des questions de nature géométrique. Le mot géométrie lui-même rappelle cette origine (du grec geo, la terre, et metron, la mesure, littéralement la mesure de la terre). Par extension, il désigne l’étude des figures planes ou dans l’espace et de leurs transformations rigides. Hérodote aurait dit « Le Nil est l’inventeur de la géométrie ». Les Grecs sont les premiers à regarder les objets géométriques (cercle, droite) comme des objets idéaux, abstraits, dont on ne peut réaliser que des approximations sur un papier ou dans le sable. Pour manipuler ces objets, il ne suffit pas de regarder certaines conséquences sur le sable, mais il faut les définir abstraitement, leur attribuer des propriétés initiales évidentes (axiomes ou postulats) et en déduire de nouvelles propriétés par un raisonnement logique. Le XIXe siècle : P5 battu en brèche Omar Khayyam et Girolamo Saccheri avaient tous les éléments en main pour lancer l’assaut contre le cinquième postulat. Mais ils n’osèrent pas aller jusque là. Ce n’est finalement qu’au début du XIXè siècle que des mathématiciens franchiront le pas et construiront des géométries nouvelles, mais tout aussi cohérentes que la géométrie euclidienne, dans lesquelles P5 est faux. Aujourd’hui, trois géométries coexistent : euclidienne, sphérique et hyperbolique. Géométrie sphérique Géométrie veut dire mesure de la Terre, or la Terre n’est pas plate mais sphérique. Astronomes et marins connaissent depuis l’Antiquité les propriétés de cette géométrie dans laquelle les « droites » sont les grands cercles (et ne sont donc jamais parallèles !), sans que l’on remarque avant le XIXè siècle qu’elle fournit une situation dans laquelle P5 est faux. Trouver un cadre explicite pour une géométrie non euclidienne n’était donc pas un problème, l’obstacle intellectuel était ailleurs. Géométrie hyperbolique Géométrie euclidienne Le fait de voir apparaître d’autres géométries possibles amène les mathématiciens du XIXe siècle à reprendre l’axiomatisation d’Euclide dans une approche formaliste. On ne considère plus les objets géométriques comme existant abstraitement, mais cette fois la théorie n’est qu’un pur jeu formel dans lequel on nomme des objets auxquels on attribue des propriétés. C’est cette géométrie où par un point hors d’une droite passent plusieurs parallèles à la droite donnée qui va être la première à acquérir le statut de géométrie différente de la géométrie d’Euclide. Travaux de Gauss avant 1832 Gauss découvre la géométrie hyperbolique mais n’a jamais publié ses travaux. Bulletin of Kazan Uni. 1829-1830 Première publication sur une géométrie non euclidienne. P Il faut toujours pouvoir dire « table », « chaise » et « bock de bière » à la place de « point », « droite » et « plan ». Sur les hypothèses sousjacentes à la géométrie 1854 Riemann présente l’idée de marier géométrie et analyse pour faire des mesures. David Hilbert (1862-1943) Bernhard Riemann (1826-1866) d1 Grundlagen der Geometrie 1899 - David Hilbert Axiomatisation formelle de la géométrie P d faculté des sciences section de mathématiques Nikolaï Lobatchevski (1792 - 1856) Appendice au Tentamen de Farkas Bolyai 1832 Appendice de 24 p. où J.Bolyai présente sa géométrie non euclidienne. d1 Modèle de Lobatchevski d3 János Bolyai (1802-1860) P d Carl Friedrich Gauß (1777 - 1855) d P d2 d1 — Le cinquième postulat d’Euclide 1) Il existe toujours une droite qui passe par deux points du plan. 2) Tout segment peut être étendu suivant sa direction en une droite (infinie). 3) A partir d’un segment, il existe un cercle dont le centre est un des points du segment et dont le rayon est la longueur du segment. 4)Tous les angles droits sont égaux entre eux. 5) Et si une droite tombant sur deux droites, fait les angles intérieurs du même côté plus petits que deux droits, alors ces deux droites, prolongées à l’infini, se rencontreront du côté où les angles sont plus petits que deux droits. Éléments d’Euclide env. 300 av. JC Axiomatisation systématique de la géométrie (Dessins de Tartaglia) L’erreur : vouloir démontrer le V e postulat Le cinquième postulat (P5) apparaît comme moins « évidemment vrai » que les autres, si bien que, dès l’Antiquité, des géomètres ont cru qu’il serait possible de le déduire des quatre premiers (réduisant ainsi la liste des postulats de la géométrie euclidienne), ou, au moins, de le remplacer par un autre énoncé plus naturel. Voici quelques exemples de ces postulats alternatifs.. Les Éléments d’Euclide : l’axiomatisation Si deux droites sont parallèles à une troisième, elles sont parallèles entre elles. Rien ne peut se déduire de rien, pour construire une théorie il faut admettre des vérités. Les grecs en avaient de deux types: les axiomes (ou notions communes) dont la portée étaient universelle et qui ne pouvaient être remis en cause que par un esprit non rationnel, et les postulats dont la portée était restreinte à une certaine théorie (on pourrait dire qu’il s’agissait des règles du jeu choisi). Partant de là, les géomètres grecs ont essayé de construire une théorie cohérente. La plus aboutie est certainement constituée par Les Éléments d’Euclide. Au début des Éléments, on trouve une trentaine de définitions, 8 axiomes et 5 postulats. Autant par sa forme que par ce qu’il énonce, le dernier postulat est différent des autres. Les trois premiers sont des assertions d’existence de certains objets, le quatrième est un résultat d’homogénéité, alors que le dernier affirme quelque chose qui semble bien moins évident, d’autant plus qu’il fait appel à l’infini. Sa forme rappelle celle d’un théorème puisqu’elle contient une hypothèse impliquant une conclusion. Proclus (411 - 485) Par un point extérieur à une droite, il passe une et une seule parallèle à celle-ci. Commentaire sur les Éléments d’Euclide env. 450 Un des premiers commentateurs à remettre en cause P5. Proclus (411 - 485) John Playfair (1748 - 1819) La somme des angles d’un triangle égale deux angles droits. Girolamo Saccheri (1667 - 1733) Adrien-Marie Legendre (1752 - 1833) Axiome de Playfair env. 450 Le plus connu des axiomes équivalents. Dû à Proclus et popularisé par Playfair en 1795. Il existe des quadrilatères avec quatre angles droits. Omar Khayyam (1048 - 1131) Girolamo Saccheri (1667 - 1733) Adrien-Marie Legendre Éléments de géométrie 1794 Legendre tente en vain de prouver P5. Euclide lavé de toute tache 1733 Axiomatique où Saccheri réfute P5 mais croit parvenir à une contradiction Relativité générale 1915 Théorie relativiste de la gravitation qui implique un espacetemps hyperbolique. Une volonté de classification : le Programme d’Erlangen En 1872, Felix Klein présente son Programme d’Erlangen, qui vise à une synthèse des différentes géométries. Désormais, une géométrie se définit à partir d’un espace de référence sur lequel on s’autorise un certain nombre de transformations (pour la géométrie euclidienne, ce sont les translations, les rotations et les symétries). L’accent est mis sur l’ensemble de ces transformations, qui constitue une structure algébrique appelée groupe. Et aujourd’hui ? Dignes héritiers des géomètres arpenteurs de l’Antiquité, les physiciens d’aujourd’hui se sont lancés dans l’étude de la géométrie de l’univers. Espaces à 26 dimensions, singularités ou encore espace-temps fractal sont des exemples de ces outils mathématiques qui, progressivement, permettent de lever de nouveaux coins du voile sur le monde qui nous entoure.. Felix Klein (1849 - 1925) Programme d’Erlangen 1872 Programme de recherche qui remet en question la vision classique des géométries. Conception : Shaula Fiorelli Vilmart Albert Einstein (1879 - 1955) La relativité restreinte doit admettre une courbure négative de l’espace-temps qui implique que l’espace est hyperbolique. Sur le difficultés des définitions d’Euclide env. 1100 Khayyam jette les premières bases pour les géométries non euclidiennes.