Web 18 Fiche 18

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Web 18 Fiche 18.1
LA PROPHYLAXIE ANTI-INFECTIEUSE
J.-C. LIÉBART et L. PAOLOZZI
La surveillance du développement de populations microbiennes est une nécessité pour la qualité
de notre vie, non seulement pour éviter les risques d’infections par des pathogènes, mais aussi
pour éviter des contaminations des aliments et boissons, frais ou conservés, ou des
médicaments, ce qui risquerait de les détériorer ou de les rendre toxiques. L’ensemble des
mesures préventives visant à empêcher l’apparition, la réapparition ou la propagation des
maladies infectieuses constitue la prophylaxie anti-infectieuse. Ces mesures sont de grande
importance dans les salles opératoires, les laboratoires de microbiologie médicale, les industries
pharmaceutiques et alimentaires, en particulier celles des conserves. Les processus industriels
de fermentation, d’autre part, peuvent être compromis dans leur rendement et/ou leur qualité à la
suite de contaminations non désirées. La surveillance microbienne peut être assurée selon les
cas soit en limitant la croissance des micro-organismes à travers des procédures d’inhibition,
soit alternativement en prévenant la présence de contaminations éventuelles ou, dans d’autres
cas, en les détruisant par stérilisation. Les moyens pour assurer ces buts sont respectivement la
désinfection, l’antisepsie et la stérilisation.
LA DÉSINFECTION ET L'ANTISEPSIE
La désinfection se réfère à la destruction, l’inhibition ou simplement la suppression des microorganismes pathogènes présents sur tous matériaux et objets avec lesquels nous sommes en
contact quotidien, de manière à annuler leur potentialité infectieuse. Cette action ne comporte
pas nécessairement l’élimination de tous les micro-organismes présents, mais surtout
l'élimination, ou au moins la réduction de charge, des pathogènes. Les désinfectants sont
généralement de nature chimique et leur utilisation est souvent réservée à tout ce qui est
abiotique. Ce ne sont pas nécessairement des agents de stérilisation ; en effet, leur application ne
1
fait que réduire la population bactérienne exposée et non la détruire entièrement, comme dans le
cas de la stérilisation, et ils sont inactifs sur les spores. Proche de la désinfection est
l'assainissement, qui consiste à réduire la population microbienne dans les instruments utilisés
pour l’alimentation à un niveau considéré comme dépourvu de risque pour la santé.
L'élimination des micro-organismes présents sur un tissu vivant (peau, muqueuse saine ou
lésée) est dite antisepsie. Les agents utilisés, des antiseptiques, doivent être le plus possible
dépourvus de toxicité. Il s’agit de substances chimiques à usage topique, appliquées sur la
surface à protéger, pour tuer d'éventuels micro-organismes pathogènes, ou inhiber leur
développement ; son but est donc strictement préventif. Les agents antiseptiques doivent être
capables de détruire ou au moins d'inhiber la croissance, des pathogènes, en réduisant en même
temps la population totale présente. Étant donné que ces produits ne doivent pas causer de
destruction (au moins excessive) des tissus de l’hôte à traiter, les antiseptiques en usage sont
moins toxiques que les désinfectants, qui sont utilisés sur des matériaux abiotiques.
EFFICACITÉ DES MESURES DE DÉSINFECTION ET D’ANTISEPSIE
L’efficacité d’une mesure de désinfection ou d’antisepsie est liée à de nombreux facteurs,
comme la dimension de la population microbienne à traiter, les micro-organismes présents, la
concentration ou l'efficacité de l’agent anti-microbien utilisé, la durée d’exposition, la
température, et toutes autres conditions définissant l’environnement où résident les microorganismes.
L’efficacité d’un même anti-microbien varie suivant le type de micro-organismes à traiter.
Par exemple Mycobacterium tuberculosis est bien plus résistant à ces agents que d’autres
bactéries. Les spores sont toujours plus résistantes que les cellules végétatives dont elles
dérivent.
La mortalité d’une population bactérienne en fonction de l’exposition à un agent antimicrobien suit une loi de décroissance exponentielle, c’est-à-dire que le taux de mortalité par
unité de temps est constant. Autrement dit, une augmentation de la durée d’exposition entraîne
une augmentation du nombre des micro-organismes inactivés.
Généralement, dans un certain intervalle, l’efficacité est fonction de la concentration de
l’agent antimicrobien. Mais ceci n’est pas une règle générale. Ainsi l’éthanol est plus efficace à
70 % qu’à 95 %, car la présence d’eau, en ralentissant son évaporation, maintient plus
longtemps son activité bactéricide.
L’augmentation de la température, là encore dans certaines limites, favorise l’efficacité des
antimicrobiens.
De nombreuses autres conditions environnementales, pH, humidité, présence de substances
organiques qui assureraient une protection aux micro-organismes, sont autant de facteurs qui
définissent l’efficacité des désinfectants et des antiseptiques.
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CATÉGORIES
MOLÉCULAIRES
DOUÉES
D’ACTIVITÉ
ANTI-
MICROBIENNE
De nombreuses catégories moléculaires sont douées d’activité bactéricide, anti-fongique ou
antivirale. Ce sont notamment les phénols et leurs dérivés, les alcools, les produits halogénés,
les métaux lourds, les composés quaternaires de l’ammonium et les aldéhydes. L’activité antimicrobienne de ces molécules est liée, selon leur nature, à leur capacité à solubiliser les lipides
ou à dénaturer les protéines, ou encore à leur propriété d’oxydation, d’alkylation, d'ioduration
des résidus tyrosine, de combinaison avec les groupes -SH, ou d'interaction avec les
phospholipides. Il existe environ 360 spécialités pharmaceutiques à activité antiseptique,
formant une dizaine de classes sur la base de leur principe actif. Les classes principales sont le
phénol et ses dérivés, les biguanides (chlorhexidines), les produits halogénés, les alcools, les
tensioactifs, la diamidine et les oxydants (tab. F18.1-1)
Les phénols et dérivés
Le phénol est le premier agent à la fois désinfectant et antiseptique. Son utilisation fut introduite
en 1867 par Joseph Lister pour réduire les risques d’infections chirurgicales (Encart F18.1-1).
Ce produit, et ses dérivés, dégradent les protéines et désagrègent les membranes. Ils restent
actifs longtemps après leur application. De nombreux dérivés phénolés sont utilisés comme
désinfectants dans les hôpitaux. Leur activité contre les germes tuberculeux est importante.
L’hexachlorophène est particulièrement efficace contre la flore bactérienne cutanée.
Encart F18.1-1 - Joseph Lister et l'introduction de mesures d'asepsie
“On the Antiseptic Principle of the Practice of Surgery” est une publication de Joseph Lister,
chirurgien et naturaliste anglais, parue en 1867 dans la revue The Lancet. Dans cette publication
Lister jette les bases de l’antisepsie moderne. Profond admirateur et ami de Pasteur, Lister a
écrit deux ans auparavant: "Quand les recherches de Pasteur eurent montré que l'atmosphère
était septique, non à cause de l'oxygène ou autre constituant gazeux, mais du fait d'organismes
minuscules qui s'y trouvent en suspension, j'eus l'idée qu'on pouvait éviter la décomposition des
régions blessées sans supprimer l'air, en leur appliquant comme pansements une substance
capable de détruire la vie des particules flottantes." Les mesures inventées par Lister, qui eurent
vite un retentissement mondial, consistaient à appliquer des couches de gaze trempées dans des
solutions phéniquées (appelées traitement de Lister) sur les blessures, ou comme pansements en
général. En traitant les instruments chirurgicaux ainsi que les blouses au phénol, Lister parvint,
en 1869, à réduire le taux de mortalité opératoire de 60 à 15 %. En 1870, il ajoute, pendant
l’opération, des pulvérisations phéniquées dans la salle opératoire et sur le personnel. En 1871,
il invente le drainage des plaies infectées. À cette date, il fut appelé pour soigner un abcès à
l’aisselle de la reine Victoria. La guérison fut obtenue après incision de la plaie et drainage par
un tube de caoutchouc imbibé d’une solution phéniquée.
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Tableau F18.1-1. Principales familles d’antiseptiques et leur spectre d’action.
Gram
+
Gram
-
Mycobactéries
Levure
Spores
Virus
enveloppés
Virus
nus
Poxvirus
HALOGÉNÉS
Iodés/Chlorés
+++
+++
+++
++
++
++
++
BIGUANIDES
Chlorexidine
+++
++
+/-
+
0
+/-
0
ALCOOLS
Éthylique 70 %
Isopropylique
++
++
0
+
0
+
+/-
TENSIO-ACTIFS
Ammoniums
quaternaires
+++
+
+/-
+
0
?
0
DIAMIDINE
Hexamidine
+
0
0
+
0
0
0
CARBANILIDES
Triclorban
++
+/-
0
0
DÉRIVÉS
MÉTALLIQUES
Nitrate d'Ag
Sulfates de Cu, de
Zn
+/-
+/-
0
0
0
0
0
DÉRIVÉS
MERCURIELS
+
+
0
+
0
0
0
OXYDANTS
Peroxyde
d’hydrogène à
10 vol
+
++
?
+/-
+
+/-
0
Activité forte, +++, moyenne, ++, faible +, nulle, 0.
4
0
Les alcools
Ce sont les produits les plus utilisés comme désinfectants et comme antiseptiques. Leur activité
est bactéricide et antifongique, mais ces produits n’agissent pas sur les spores. Ils peuvent en
outre être actifs sur certains virus dont l'enveloppe contient des lipides. Ils agissent en
dénaturant les protéines, et peut-être par leur capacité à dissoudre les lipides membranaires. Les
plus utilisés sont l’éthanol et l’isopropanol, généralement à une concentration d'environ 7080 %.
Les dérivés halogénés
L'iode se combine de façon irréversible aux protéines (par exemple ioduration des résidus
tyrosine) et agit comme oxydant. La teinture d’iode (solution hydro-alcoolique à 2-7 % en I2)
contenant du KI est un bon antiseptique pour la peau en cas de petites blessures, mais
l'application peut être douloureuse et provoquer des lésions des tissus traités. Sous forme
d'hypo-iodure il est utilisé pour l’hygiène des surfaces (industries alimentaires et de
restauration).
Le chlore sous forme d’hypochlorite est un puissant oxydant. À une concentration de 1-3 ppm
il est utilisé pour la désinfection de l’eau potable et des piscines.
D’autres oxydants comme l'eau oxygénée, H2O2, à 3 %, ont été autrefois très utilisés, mais la
sensibilité bactérienne à ce produit est très variable.
L’oxyde d’éthylène
L’oxyde d’éthylène est présent généralement sous forme de gaz à température ambiante mais
peut être aussi liquide. Cette molécule a de nombreuses utilisations industrielles (solvant des
graisses et des huiles ; fabrication d’antigel et beaucoup d'autres applications). Ce gaz étant très
peu interactif avec les matières premières utilisées dans les applications médicales, il est utilisé
pour stériliser les instruments et matériaux qui seraient détériorés par la stérilisation à la chaleur
tels les cathéters, fibres optiques, instruments télescopiques, caoutchouc, tentes à oxygène. Les
objets à stériliser sont placés dans des enceintes fermées contenant une atmosphère d’oxyde
d’éthylène gazeux, puis remis à l’air avant d’être réutilisés. Ce produit est aussi utilisé pour la
stérilisation de matériel de laboratoire jetable (boîtes de Petri, pipettes, seringues, etc.).
Ce système efficace de stérilisation est toutefois dangereux pour l’environnement, car ce gaz
est un puissant explosif, qui est d'autre part dangereux pour la santé de l’Homme et des
animaux. Chez l’Homme il provoque des irritations des yeux, de la peau, de la muqueuse
nasale, des réactions allergiques, des troubles de l’appareil digestif, des effets sur le système
nerveux central. L’exposition à long terme ou chronique peut être cause de mutations et de
tumeurs, Pour toutes ces raisons, l’utilisation de l’oxyde d’éthylène nécessite un personnel
qualifié, un contrôle permanent de la sécurité des systèmes employés au cours de son utilisation
et un monitorage permanent des éventuelles fuites dans les lieux de travail.
L’ozone (O3)
L’ozone est un gaz produit par l’oxygène exposé au rayonnement UV ou soumis à des
décharges électriques à haut voltage. L’ozone est peu stable, et relâche un radical O., qui est
l'agent de désinfection et de décontamination. Cette molécule, grâce à son potentiel élevé
5
d’oxydation, oxyde les composés de la paroi bactérienne et pénètre ensuite dans la cellule où
elle oxyde les principales molécules biologiques (enzymes, protéines, ADN et ARN).
Le formol
Le formol, connu aussi sous les noms de méthanal, formaldéhyde ou aldéhyde formique, est un
composé organique de la famille des aldéhydes soluble dans l’eau. À température ambiante le
formaldéhyde est un gaz inflammable et son utilisation est souvent sous forme diluée dans l’eau.
Il a été très utilisé dès le XIXe siècle (date de sa synthèse) dans de nombreuses applications
industrielles et comme désinfectant. Le formaldéhyde est toutefois un composé classé
cancérigène (cancer de nasopharynx) et son utilisation est interdite depuis 2013.
LA STÉRILISATION
L’absence de contamination biologique est une préoccupation constante dans le domaine de la
santé publique. Ce problème existe non seulement dans le domaine hospitalier mais aussi dans
les industries pharmaceutiques et cosmétiques, ainsi que dans les conserveries.
La stérilisation a pour but d’éliminer les micro-organismes viables présents sur des matériaux
de diverses natures utilisés en médecine (instruments de chirurgie, prothèses, liquides
physiologiques ou médicaments), dans l'industrie pharmaceutique (préparation de
médicaments), dans l'industrie alimentaire (fabrication de conserves). L’efficacité de la
stérilisation, quelle que soit la méthode utilisée, est généralement définie comme la probabilité
de survie d’un micro-organisme par unité traitée (par exemple, un flacon contenant un bouillon
de culture). Elle doit être inférieure à 1  10-6.
Plusieurs méthodes sont disponibles et adaptables au but souhaité.
La filtration
La filtration est utilisée pour la stérilisation des liquides qui ne peuvent pas être traités par la
chaleur (matières protéiques, vitamines, antibiotiques, médicaments, etc.). Cette stérilisation
utilise des filtres de porosité adaptée aux particules à éliminer. Des filtres de porosité de 0,4 à
1,2 m éliminent les levures ; de porosité inférieure à 0,2 μm, ils éliminent les bactéries ; pour
élilminer les virus, la porosité doit être de l’ordre 0,01 – 0,1 m.
Les traitements thermiques
La stérilisation par traitement thermique est de large emploi pour les liquides ainsi que des
matériaux pouvant supporter sans altération la chaleur. Ce procédé présente, par rapport aux
autres méthodes, de nombreux avantages (rapidité, efficacité, facilité d’emploi, coût réduit,
absence de formations de résidus toxiques). On distingue deux méthodes, utilisées selon la
nature des matériaux à traiter.
a) Stérilisation en chaleur sèche : le four Pasteur
Celui-ci est utilisé pour la stérilisation des instruments de chirurgie et de la verrerie de
laboratoire. La stérilisation est effectuée sur du matériel sec, nécessite des températures élevées
et des temps de stérilisation relativement longs : ± 1 heure à 170-180 °C ou 2 heures à 160 °C,
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auxquels s'ajoute le temps de refroidissement du matériel à l’intérieur du four. À ces
températures toutes les macromolécules biologiques sont détruites, assurant ainsi la stérilité de
ces matériaux.
b) Stérilisation en chaleur humide : l’autoclave
L’autoclave est une enceinte contenant de la vapeur d’eau sous pression. La température et la
durée du traitement varient selon les exigences (Encart F18.1-2). La stérilisation en autoclave
est utilisée pour des liquides pouvant supporter ces températures : bouillons de culture des
laboratoires de microbiologie, produits pharmaceutiques, milieux liquides souillés à
décontaminer, boissons.
Encart F18.1-2 - Le livre de tous les ménages de Nicolas Appert : l’invention de la
stérilisation
Pouvoir disposer d’aliments variés à tout moment et en toutes saisons a conduit toutes les
civilisations à inventer des méthodes cherchant à augmenter la durée de conservation de
viandes, poissons, légumes, etc. Les premières pratiques, datant d'il y a plus de 5000 ans, ont été
empiriques : séchage de la viande dans les cavernes ; salaisons, additions d'épices, séchage et
fumage pratiqué par les Chinois ; utilisation de l’écorce de bouleau comme conservateur par les
Amérindiens. Des méthodes plus proches de nos techniques actuelles apparaissent chez les
Romains : ils transportaient les produits de pêche conservés dans de la neige ou de la glace, du
Rhin jusqu’à Rome. Beaucoup de ces pratiques ont été utilisées à peu près telles quelles
jusqu’au début du XIXe siècle. Mais aucune ne permet une conservation durable.
C'est un cuisinier-confiseur, Nicolas Appert, qui découvrit, vers 1780, que le chauffage des
aliments permettait de prolonger leur conservation. Après de nombreux essais, il parvint à la
conclusion que pour bien conserver les aliments il fallait les traiter à la chaleur, puis, aussi
important, les mettre à l’abri de l’air. C’était une observation géniale. Il faudra attendre 60 ans
avant que Louis Pasteur n'explique cette observation, en mettant une fin à la théorie dite de la
génération spontanée des micro-organismes. Pasteur démontrait, au moyen de ses classiques
expériences utilisant des « ballons à col de cygne », que l’on pouvait conserver des bouillons
dans des ballons en verre à condition de les chauffer jusqu’à l’ébullition puis de sceller le verre
à la flamme. Le même résultat était obtenu avec des ballons dont le col, étiré à la flamme, se
prolongeait en un long tube étroit et courbé comme le col d’un cygne. Dans ces tubes, bien que
non scellés, l’air pouvait passer, mais ne pouvait pas remonter jusqu'à l'intérieur du ballon, où se
trouvait le bouillon stérile, pour y transporter des micro-organismes. Le bouillon ainsi traité et à
l’abri de la contamination des germes de l’air restait stérile.
Appert décide, en 1782, à la suite de ses observations, d’utiliser des bouteilles de champagne
(le récipient en verre le plus solide à l’époque) pour y conserver des petits pois frais. Les
bouteilles étaient mises dans des bains bouillants pour en chasser l'air puis étaient bien
bouchées. Six mois après il pouvait consommer ces petits pois, parfaitement conservés. Son
rêve, manger des légumes et des fruits en toutes saisons, s’était réalisé ! Une réalité plus
importante s’ouvrait simultanément, la naissance de l’industrie de la conserverie et des autres
applications de la stérilisation.
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Appert devint vite célèbre auprès de la clientèle de son magasin rue des Lombards, à Paris, à
laquelle il put offrir des légumes « frais » en plein hiver. Il devra vite agrandir son usine d’Ivry,
qui produisait les conteneurs pour conserves (bouteilles, bocaux) en la transférant à Massy. Plus
de cinquante ouvriers y travailleront. Il remplace les bouteilles en verre par des boîtes en fer
blanc, produites par une usine anglaise, pour réduire la fragilité et l’encombrement des
conteneurs, et ouvrir ainsi la voie à la commercialisation. Il commence à exporter ses produits à
Cherbourg et à Bordeaux. Ces vivres conservés auront un réel succès auprès des marins, qui
pourront ainsi lutter contre le scorbut. (En fait la vitamine C, un élément clé pour éviter le
déclenchement du scorbut, est inactivée par la chaleur ; mais il est probable que la
température et la durée du traitement utilisées aient été insuffisantes pour l'inactiver
totalement). L’exportation se poursuit dans toute l'Europe. L’importance des travaux d’Appert
sera reconnue en 1809 par le Conservatoire des Arts et Manufactures. L’opinion publique le
consacrera « bienfaiteur de l'humanité ».
En 1810, la découverte d’Appert finit par intéresser Napoléon Bonaparte, qui organise un
concours national dans le but de trouver un moyen de conservation des aliments, préoccupation
importante pour approvisionner ses armées. Nicolas Appert y présente sa découverte, et emporte
la somme de 12 000 francs pour livrer ses secrets. L’État lui publie alors son ouvrage, intitulé
« Le livre de tous les ménages, ou l'art de conserver pendant plusieurs années toutes les
substances animales et végétales ». On peut y lire sur le frontispice : « J’ai pensé que votre
découverte méritait un témoignage particulier de la bienveillance du Gouvernement », signé par
Son Excellence le Ministre de l’Intérieur. Le livre est épuisé en six mois, et la même année il
sera traduit en allemand.
Appert continuera ses recherches sur sa technique, dénommée plus tard “appertisation”, pour
la conservation du vin, la fabrication de tablettes de bouillon de viande, et autres applications.
c) Appertisation
Cette technique utilise une température de 120 °C, sous pression, pour une durée de 20-30
minutes. Elle est utilisée pour stériliser les milieux de culture des laboratoires. Ce traitement est
efficace pour éliminer toutes les formes végétatives des cellules, mais est inefficace contre la
spore pour laquelle on utilise la tyndallisation.
d) Tyndallisation
Dérivée du nom de Tyndall, un physicien irlandais, cette méthode consiste en trois traitements
de 1 heure à 70 ou 100 °C séparées par des intervalles de 24 heures à température ambiante. Ce
procédé vise à détruire les cellules végétatives durant le traitement à haute température, puis à
favoriser la germination des spores éventuellement présentes dans le milieu liquide durant le
maintien à température ambiante. Les cellules végétatives issues de la germination des spores
seront détruites à leur tour durant le second traitement à haute température. L'effet est amplifié
par le troisième cycle de traitement.
e) Pasteurisation
Des traitements de stérilisation si puissants ne peuvent pas être appliqués pour des solutions de
sucres ou de vitamines, des boissons et des aliments liquides dont les propriétés organoleptiques
8
risquent d’être altérées. On a recours dans certains cas (sucres et vitamines) à la stérilisation à la
chaleur humide, à pression atmosphérique, et dans la majorité des cas à la pasteurisation.
La pasteurisation, largement confinée au domaine industriel pour la stérilisation du lait et des
boissons (cidres, bières, jus de fruits), est un traitement par la chaleur visant à éliminer
principalement les bactéries pathogènes, sans altérer les propriétés organoleptiques des produits.
Elle consiste en un chauffage progressif jusqu’à 65-75 °C puis un refroidissement progressif
après maintien de la température maximale pendant 20-30 minutes. Dans le cas du lait, on
utilise couramment la pasteurisation haute qui consiste en un chauffage à 85-90 °C pendant 20
à 30 secondes. La technique UHT (Ultra Haute Température), le plus souvent utilisée pour le
lait, consiste en un chauffage à 140-150 °C pendant 2 à 5 secondes.
Les rayonnements : UV, gamma ou X
Hormis les UV utilisés sous forme de lampes germicides émettant des radiations à 254 nm,
dédiés à la stérilisation de l’air des salles opératoires et des services de néonatalogie, ces
méthodes ne sont pas développées de manière routinière. Rappelons toutefois que les radiations
gamma peuvent être utilisées pour la stérilisation des conserves, et que Deionococcus
radiodurans fut précisément isolée de boîtes de conserves irradiées.
Bibliographie
Appert N. 1813. Le livre de tous les ménages, ou l’art de conserver, pendants plusieurs années,
toutes les substances animales et végétales. Publié chez Barrois l’ainé Librairie.
http://www.gutenberg.org/ebooks/46022
Lister J. 1867. On the Antiseptic Principle of the Practice of Surgery. The Harward Classics.
Vol XXXVIII Part 6
9
Web 18 Fiche 18.2
Ignace-Philippe Semmelweiss
et les infections nosocomiales
L. PAOLOZZI
Lorsque, en 1844, Ignace-Philippe Semmelweis, jeune étudiant hongrois, complète ses études
de médecine à Vienne, où deux ans après il sera nommé professeur assistant d’obstétrique près
du service de maternité de l’Hôpital Général, un fait inexplicable se produisait dans ce service.
L’hôpital avait deux maternités, l'une dans le service du Professeur Klein où travaillait
Semmelweis, l’autre dans le service du Professeur Bartch. Dans le premier le taux de mortalité
était de 31 % contre 16 % dans l’autre. La mauvaise réputation du service de Klein justifiait le
fait que les femmes voulaient toutes accoucher dans le service de Bartch. Semmelweis fut ainsi
chargé de trouver les causes de ce grave problème, et de proposer un remède. Apparemment,
rien de particulièrement critique ne semblait distinguer les deux services. La pratique médicale y
était la même, et paradoxalement chez Klein la préparation des étudiants en médecine semblait
même plus complète. Ici, en effet, les étudiants approfondissaient leurs connaissances
d’anatomie directement au cours de dissections de cadavres, tandis que les étudiants de la
deuxième clinique n’avaient aucune connaissance pratique. En outre, c’étaient des futurs
médecins qui faisaient accoucher les femmes dans le service de Klein, et des sages-femmes dans
l’autre service. Quoique le cursus des études fût plus complet dans le service de Klein, c’est
paradoxalement chez ces étudiants que se cachait l’énigme du problème. Un ami de
Semmelweis, professeur d’anatomie de cet Hôpital, mourut des suites d’une blessure survenue
au cours d’une dissection. L’hypothèse de Semmelweis fut que la cause de ce décès était liée
aux contacts contractés par le professeur, au cours des dissections, avec les exsudats des
cadavres. La maladie avait montré, en outre, une forte analogie avec la fièvre puerpérale qui
conduisait au décès des femmes parturientes. Selon Semmelweis, les femmes enceintes devaient
10
être contaminées par les doigts souillés des étudiants qui pratiquaient les dissections ; ce qui
n’était pas le cas dans le service de Bartch, où c’étaient les sages-femmes qui faisaient
accoucher.
Après avoir surmonté de fortes réticences, Semmelweis obtint de faire passer, à titre
d’expérience, les sages-femmes de chez Bartch dans le service de Klein, et les étudiants de ce
dernier dans l’autre service à la place des sages-femmes. L’explication fut trouvée en constatant
que la mortalité puerpérale dans les deux services s'inversa au cours de cet essai. Elle devint
plus élevée chez Bartch. Sa conclusion fut que ce sont “les doigts des étudiants, souillés au
cours de récentes dissections, qui vont porter les fatales particules cadavériques dans les organes
génitaux des femmes enceintes et surtout au niveau du col de l'utérus". Il fallait donc éviter de
transférer de la salle d’autopsie à celle d’accouchement les particules « cadavériques
invisibles ». En 1847, il fut imposé aux étudiants et aux sages-femmes de pratiquer un lavage
systématique des mains, à l'aide d'une solution de chlorure de calcium. La mortalité par fièvre
puerpérale chuta cette même année à 0,23 %, proche à celle connue aujourd’hui (Encart F18.21).
Encart F18.2-1 - Évolution des causes de la mortalité liée à la maternité
La mortalité durant la maternité est, de nos jours (selon les données de l’OMS, 2014) de 0,16
pour 1000 dans les pays industrialisés et de 0,23 % dans les pays en voie de développement. Ces
taux de mortalité, toutefois, ont différentes causes : hémorragies après l’accouchement,
infections, hypertension au cours de la grossesse, avortements dans de mauvaises conditions de
sécurité. Au contraire la mortalité par fièvre puerpérale était autrefois de loin la principale cause
de décès au cours de la maternité.
Semmelweis venait de faire une des découvertes parmi les plus importantes de l’histoire de la
médecine, l’asepsie. Aucun mérite ne lui fut reconnu, et bien au contraire les opposants à ses
idées furent nombreux. Il fut révoqué par son maître, le professeur Klein, auquel il avait
demandé de se soumettre systématiquement lui aussi au lavage des mains ! Il faudra attendre les
travaux de Pasteur et sa célèbre communication sur “La théorie des germes et ses applications à
la médecine et à la chirurgie” à l’Académie de médecine, en 1878 (Encart F18.2-2), et les
travaux de Lister (1867), pour comprendre pleinement l’importance des intuitions de
Semmelweis.
Encart F18.2-2 – « La théorie des germes et ses applications à la médecine et à la
chirurgie »
L. Pasteur, Académie des Sciences - 30 avril 1878
"[…] Cette eau, cette éponge, cette charpie avec lesquelles vous lavez ou vous recouvrez une
plaie y déposent des germes qui ont une facilité extrême de propagation dans les tissus. […] Si
j'avais l'honneur d'être chirurgien, pénétré comme je le suis des dangers auxquels exposent les
germes des microbes répandus à la surface de tous les objets, particulièrement dans les hôpitaux,
non seulement je ne me servirais que d'instruments d'une propreté parfaite, mais après avoir
nettoyé mes mains avec le plus grand soin […], je n'emploierais que des bandelettes, des
éponges préalablement exposées dans un air porté à la température de 130 à 150 °C. Je
n'emploierais jamais qu'une eau qui aurait subi une température de 110 à 120 °C. De cette
manière, je n'aurais à craindre que les germes en suspension dans l'air autour du lit du malade".
11
Bibliographie
Lister J. 1867. On the Antiseptic Principle of the Practice of Surgery. The Harward Classics.
Vol XXXVIII Part 6
Pasteur L. 1878. La théorie des germes et ses applications à la médecine et à la chirurgie (en
commun avec MM. Joubert et Chamberland). Comptes Rendus de l’Académie des Sciences. 86:
1037-1043
12
Web 18 Fiche 18.3
LA LÉGIONELLOSE, UN EXEMPLE DE MALADIE
INFECTIEUSE ÉMERGENTE
L. PAOLOZZI
En 1976, une épidémie d’une grave forme de pneumonie aiguë, non connue jusqu’alors, se
propagea aux Etats-unis. La maladie intéressa 182 anciens combattants de la Légion
Américaine, réunis en congrès à Philadelphie. Le développement de l’épidémie est
particulièrement intrigant. Les participants sont tous réunis dans le même hôtel, du 21 au
24 juillet, dans lequel un employé tombe malade un jour avant le début du congrès. Puis le
23 juillet, c’est le tour de deux organisateurs du congrès, et celui de quelques légionnaires. Ils
sont tous atteints par un “mauvais rhume”. Très vite, le 26 juillet, de nombreux congressistes
sont alités. Le 30 juillet 4 légionnaires meurent de pneumonie. Le 2 août on dénombre 16 morts
et 66 légionnaires hospitalisés. Ce même jour une jeune fille qui avait travaillé dans ce même
hôtel au moment du congrès est guérie en traitant par de l'érythromycine une pathologie
identifiée comme pneumonie. Le bilan final de cette première épidémie fut de 29 morts, avec un
taux de létalité de 16 %.
Très vite après l’observation des premiers décès, de nombreuses hypothèses furent avancées
pour expliquer ces faits, dont celle de bioterrorisme. Des moyens puissants furent
immédiatement mis à disposition pour une enquête réalisée par le Center for Disease Control et
une équipe de 3 600 personnes, dont 200 épidémiologistes ! Le 27 décembre, soit six mois après
le début de l’épidémie, on découvre dans le prélèvement du poumon d’un des organisateurs du
congrès, décédé, une bactérie, non encore décrite, dénommée peu d’années après Legionella
pneumophila, et la pathologie provoquée par cette bactérie la légionellose.
13
Le genre Legionella comprend 39 espèces et plus de 50 sérotypes. Il s’agit de bactéries Gramsaprophytes. Des recherches menées dans diverses sérothèques ont permis de confirmer d’autres
épisodes épidémiques antérieurs à celui manifesté à Philadelphie, et imputables à Legionella
spp., dont le plus ancien remonte à 1947. Quelques années avant l’épidémie de Philadelphie,
une épidémie de type grippal, toujours aux Etats-Unis, cette fois à Pontiac (Michigan) s’était
déclarée. Les personnes atteintes manifestaient une forte fièvre (d’où le nom de fièvre de
Pontiac) associée à des myalgies et confusions mentales. L’épidémie n’avait provoqué aucun
décès. L’agent responsable de cette pathologie était là-aussi une Legionella. Le nombre élevé de
sérogroupes des Legionella pourrait expliquer les différences d’agressivité des différentes
souches.
Mais il restait à expliquer ce qui s'était passé à Philadelphie, et comment s’était diffusée
l’épidémie hors du lieu de Congrès. L’enquête devait se conclure avec l’identification du foyer
de diffusion de l’infection. C’était le système de climatisation de l’hôtel dans lequel étaient
logés les congressistes qui étaient cause de la contamination. Les Legionella sont des bactéries
ubiquitaires des milieux aquatiques naturels. Depuis cette date on en a dépisté dans des
environnements qui sont très favorables à leur développement, les niches hydriques artificielles
(eaux courantes ou stagnantes, dispositifs de refroidissement à eau, douches, systèmes de
climatisation, évaporateurs, etc.). La propagation de la bactérie se ferait par transmission
aérienne à partir de l’eau.
14
Web 18 Fiche 18.4
LE CONCEPT D’ANTIBIOSE
ET LA DÉCOUVERTE DE LA PÉNICILLINE
L. PAOLOZZI
“L’homme, par une intervention raisonnée, dominera les maladies des plantes, des
animaux, de sa propre espèce, autant qu’il connaîtra les puissances symbiotiques ou
antibiotiques, qu’il doit renforcer ou neutraliser, pour que tout s’équilibre et se régularise
autour de lui.”
Paul Vuillemin, 1889
Au moment de la formulation du concept d’antibiose par Paul Vuillemin (Congrès de
l’Association Française pour l’Avancement des Sciences, Paris, 1889), vingt ans environ
s’étaient déjà écoulés depuis les premières observations qui en furent à la base. La description la
plus ancienne d’une action négative d’un champignon sur le développement de Bactéries
remonte en effet aux observations de John Scott Burdon-Sanderson (1870) et de William
Roberts (1874), qui avaient noté indépendamment que des bouillons de culture couverts de
moisissures ne permettaient pas le développement de bactéries. Cette observation a été réitérée
ensuite plusieurs fois, et de façon assez rapprochée, au cours des années. Ainsi une action antibactérienne d’un Penicillium est décrite par John Tyndall (1876). Pasteur, avec son élève JulesFrançois Joubert, observent que la croissance de Bacillus anthracis (le bacille du charbon) est
inhibée par des contaminations de moisissures (1877). Ils constatent d’autre part que lorsque les
bactéries charbonneuses sont injectées à un animal en même temps que des bactéries (non
identifiées), l’animal ne contracte pas la maladie. Pasteur et Joubert d’une part, et Cornill et
15
Babes d’autre part, suggèrent qu’une substance chimique produite par un micro-organisme peut
inhiber la croissance d’autres micro-organismes.
Une observation importante fut faite par Ernest Duchesne, un jeune étudiant de 23 ans de
l’Ecole du Service de Santé Militaire de Lyon. Duchesne décrit dans sa thèse de doctorat, en
1897, l’effet d’un Penicillium glaucum (nom qui à l’époque désignait diverses moisissures) sur
deux cobayes infectés l’un par une dose létale de Salmonella virulentes, l’autre par une culture
de colibacilles. La mort des deux animaux fut observée après 24 heures. Deux autres cobayes
furent infectés de la même façon mais chacun reçut en plus une injection d’une culture de
Penicillium glaucum. Après 48 heures les animaux avaient survécu. Duchesne concluait que la
moisissure protégeait les animaux des bactéries.
En 1920, passe inaperçue une publication d’André Gratia et Sara Dath, qui décrit l’inhibition
d’une culture de Staphylococcus aureus par une moisissure (qui après identification était du
genre Penicillium).
L’adjectif antibiotique employé par Vuillemin sera repris par Selman Waksman en 1941
comme substantif, à la suite de la découverte de la pénicilline.
Les historiens des sciences ont beaucoup écrit sur ces faits. Savoir s’il faut chercher des
précurseurs de la découverte des antibiotiques parmi ces microbiologistes a peu de sens. Les
faits qu’ils ont décrits sont importants au moins pour comprendre l’évolution de la pensée
scientifique ; quant au mérite attaché à une découverte, il va, comme l'aurait dit C. Darwin, « à
celui qui l’a fait connaître et non à celui qui y a pensé en premier ».
Bibliographie
Burdon-Sanderson J.S. 1871. The Origin and Distribution of Microzymes (Bacteria) in Water
and the Circumstances which Determine their Existence in the Tissues and Liquids of the Living
Body. in: 23th Report of the Medical Officer of the Privy Council, appendix 5 : 48-69.
Cornil V. & Babes V. 1885. Les bactéries et leur rôle dans l’anatomie et l’histologie
pathologiques des maladies infectieuses: ouvrage contenant les méthodes spéciales de la
bactériologie. F. Alcan. Paris
Duchesne E. 1897. Contribution à l'étude de la concurrence vitale chez les micro-organismes,
antagonismes entre les moisissures et les microbes. Thèse Faculté de Médecine de Lyon.
Publiée par L. Pariente, Paris 1991
Gratia A. 1925. Sur un remarquable exemple d’antagonisme entre deux souches de colibacille.
C. R. Soc. Biol. 93: 1040–1041
Pasteur L, Joubert J.F. 1877. Charbon et septicémie. C. R. Hebd. Séances Acad. Sci. Paris. 85 :
101–115
Roberts W. 1874. Studies on Biogenesis. Phil. Trans. Royal Soc. London. 164: 457-477
16
Tyndall J. 1876. The Optical Deportment of the Atmosphere in Relation to the Phenomena of
Putrefaction and Infection. Phil. Trans. Royal Soc. London. 166: 27-74
Vuillemin P. 1889. Conférence (à Nancy ?)
Waksman S.A. 1941. Antagonistic Relations of Micro-organisms. Bacteriol. Rev. 5 : 231-291
Waksman S.A. & Woodruff H.B. 1941. Actinomyces antibioticus, a new Soil Organism
Antagonistic to Pathogenic and Non-Pathogenic Bacteria. J. Bacteriol. 42 : 231-249
17
Web 18 Fiche 18.5
VERS LE DÉVELOPPEMENT
DE LA CHIMIOTHÉRAPIE ANTI-INFECTIEUSE
L. PAOLOZZI
À la fin du XIXe siècle l’étiologie (les causes) des principales maladies infectieuses de
l'Homme d’origine bactérienne était connue, et dès le début des années 1900 le but principal de
la microbiologie médicale fut de découvrir des thérapies spécifiques pour les combattre. Le
médecin Paul Ehrlich fut un des principaux protagonistes de la microbiologie de cette période.
Ehrlich a effectué des découvertes prestigieuses dans différents domaines de la médecine,
mais il est considéré surtout comme le fondateur de la chimiothérapie. Au début de sa carrière il
fut attiré par l’observation que certains colorants agissaient de façon sélective sur les cellules de
sang ou d'autres tissus, ou sur des constituants de celles-ci. Il eut ainsi l’idée d’étudier l’effet des
colorants sur des parasites causant des maladies. Son idée était de trouver parmi les colorants
des “cibles magiques”, comme il les appellera, contre des micro-organismes pathogènes,
permettant de les détecter. Les premières tentatives furent décevantes, malgré l’intéressante
observation faite en 1891 que le bleu de méthylène colorait l'agent du paludisme, Plasmodium,
et que l’administration de ce colorant à des paludéens conduisait dans certains cas à une
régression des symptômes. Ce type de recherche fut vite abandonné, mais l’idée de tester des
composants chimiques contre les infections fut le fondement même de la chimiothérapie, qui
conduira Ehrlich au traitement chimique de la syphilis (maladie provoquée par la bactérie
Treponema pallidum). On connaissait déjà, en 1901, l’effet d’un sel sodique d’arsenic (l’atoxyl)
sur les trypanosomes (agent de la maladie du sommeil). L’atoxyl fut testé par Alphonse Laveran
sur des souris inoculées avec des trypanosomes, mais malheureusement ce produit était toxique
pour le système nerveux. D’où l’idée d’Ehrlich de chercher d’autres composés arsenicaux
fabriqués par synthèse et moins toxiques.
18
Une petite équipe constituée d'Ehrlich, du chimiste Alfred Bertheim et du microbiologiste
Sahachiro Hata se mit à la recherche d’une solution “miracle” pouvant tuer le Tréponème sans
affecter l'hôte humain. Il s’agissait de tester les centaines de composés organo-arsénicaux que
synthétisait Bertheim. Hata constata que le produit de la fiole 606, contenant du dihydroxydiamino-arsénobenzène, était actif en une seule dose chez les lapins infectés. C’était le “produit
magique” recherché. Ce produit, testé sur des patients dans un stade avancé de la maladie, déjà
victimes de la démence associée à sa phase finale, conduisait à une guérison après
administration d'une seule dose du composé 606. En 1910 ce produit fut mis en circulation pour
l'utilisation clinique sous le nom de Salvarsan, ou Arsfénamine.
Le Salvarsan fit baisser d’environ 50 % les cas mortels de syphilis en France et en
Angleterre, et resta le traitement de choix contre la syphilis jusqu'à ce que le développement des
antibiotiques, dans les années 1940, ne le remplace. Ce produit fut en effet abandonné à cause
de sa relative toxicité et de ses limitations de prescription (son administration intraveineuse, une
fois par semaine, avait tendance, par suite de fuites, à produire des nécroses de tissus).
L’approche tracée par Ehrlich, qui reçut le prix Nobel de Médecine, conduira à l’importante
découverte des anti-métabolites.
LE RETOUR AUX COLORANTS CHIMIO-THÉRAPEUTIQUES ET LA
DÉCOUVERTE DES ANTI-MÉTABOLITES
Les colorants naturels (pourpre, pastel, gentiane, indigo, garance) utilisés pour teindre les
tissus provenaient du Moyen Orient, d'Asie et d'Amérique du Sud, d’où leur coût élevé. Ainsi au
cours du XIXe siècle s’est développée, grâce au progrès de la chimie organique, toute une
industrie de production de colorants synthétiques dérivés des goudrons de houille. L’emploi de
ces produits fut toutefois vite arrêté à cause de leur toxicité. Mais en 1927 la Société Bayer
recruta un chimiste collaborateur d'Ehrlich, Wilhelm Roehl, et un médecin, Gerhard Domagk,
pour fonder un département de pathologie expérimentale ayant pour fonction de tester les
éventuelles propriétés anti-bactériennes de colorants de synthèse. Domagk découvrit ainsi que le
colorant rouge 4'-sulfamyl-2,4-diaminoazobenzène, ensuite appelé Prontosil, protégeait des
souris auxquelles on avait inoculé une souche de streptocoques hémolytiques d’origine
humaine. Le Prontosil était actif sur les bactéries inoculées, mais un fait inexpliqué était son
manque d’activité sur les mêmes bactéries dans des tubes à essai. L’explication en sera trouvée
quelques années après. Le produit fut testé sur un malade. En effet vers la fin de 1935, la fille de
Domagk, âgée de six ans, eut une grave infection provoquée par des streptocoques suite à une
blessure. Domagk décida de lui donner des doses massives de Prontosil et la jeune fille se
rétablit rapidement, sans effets secondaires du médicament. L’année suivante le Prontosil
s'avéra efficace contre la fièvre puerpéale chez de nombreuses femmes.
Le mode d'action du colorant utilisé par Domagk sera compris après les observations de
Jacques et Thérèse Tréfouel, Federco Nitti et Daniel Bovet à l’Institut Pasteur. Chez l’animal de
laboratoire ou l’Homme, la molécule de Prontosil est dégradée en deux fragments, par réduction
de la liaison diazyl. Un des deux produits est la sulfanilamide, qui forme une solution non
colorée à activité antibactériene, le Prontosil blanc. Cette découverte ouvrit l’ère des
médicaments sulfamidés qui, pendant plus de dix ans, avant l’introduction de la pénicilline,
furent les seuls agents disponibles de défense contre les infections bactériennes. Les travaux de
19
Domagk lui valurent le prix Nobel de Médecine en 1939 « pour la découverte des propriétés
antibactériennes du Prontosil ».
LA PÉNICILLINE ET L’ÈRE DES MÉTABOLITES SECONDAIRES
COMME ANTI-BACTÉRIENS
Les observations de Fleming et son hypothèse “que le champignon probablement produisait une
substance bactériolytique” ne furent pas accompagnées de l’isolement de la molécule impliquée,
malgré ses efforts. Dix ans environ s’écoulèrent avant que l'on puisse disposer du produit, et
avoir la preuve de son activité. Ce n’est en effet qu’en 1936 qu’Howard Florey, professeur de
pathologie à Oxford, décide avec son assistant allemand Ernst Chain d’aborder, avec l’aide des
deux bactériologistes Edward P. Abraham et Norman Heatley, le problème de l’extraction et de
la purification de la pénicilline. Ils y parvinrent en 1940, avec l’obtention de 100 milligrammes.
Le 25 mai 1940 Florey testa le produit sur quatre souris qui avaient reçu une injection d’une
dose mortelle de streptocoques. Les résultats furent positifs, les souris survécurent, et la revue
The Lancet en publia le travail le 24 août 1940. Il fallait encore démontrer la validité
pharmacologique du produit chez l’Homme. En 1941 Chain et Florey disposaient de quelques
grammes de pénicilline utilisable. À cette époque, Albert Alexander, un policier de 43 ans, était
mourant dans un hôpital londonien. Il était atteint d’une grave septicémie déclenchée à la suite
d’une piqûre de rosier sur le visage, qui s’était infectée et qui fut suivie d’une gangrène qui avait
atteint les poumons. Le 12 février, il reçut une dose de 200 mg de pénicilline, suivie d’une
injection de 100 mg toutes les 3 heures. L’amélioration fut extraordinaire dès les 24 heures
suivantes. Les injections furent suspendues le 17 mai, lorsque la guérison semblait certaine ;
cependant l’état d’Alexander devait empirer brusquement, et en même temps l’épuisement du
stock de pénicilline. Alexander mourut un mois après environ. Durant la même période un jeune
de 15 ans fut sauvé par le même traitement.
Il fallait donc produire de grandes quantités de pénicilline. Face aux difficultés économiques
de l’Angleterre, qui menaçait d’être envahie en raison de la guerre, Florey partit pour les ÉtatsUnis où il entra en contact avec une usine chimique spécialisée dans l’épuration biologique des
eaux usées. Un jour une technicienne emmène dans l’usine un melon portant sur sa surface une
moisissure inhabituelle de grande dimension. Après son identification comme étant un
Penicillium chrysogenum, ce fut une grande surprise: cette nouvelle moisissure produisait 200
fois plus de pénicilline que la souche de P. notatum de Fleming. Ce fut ainsi le départ de la
production industrielle de pénicilline par les laboratoires américains Merck, Pfizer et Squibb,
qui s’étaient associés dans ce but. La production de pénicilline restait malgré tout trop basse
pour répondre aux besoins. On savait que 80 % de la dose injectée se retrouverait, 3 ou 4 heures
après, dans les urines. Il fut ainsi décidé de recueillir les urines des malades traités dans les
hôpitaux pour en ré-extraire la pénicilline et la réinjecter à d’autres malades.
La grande révolution dans la production de l’antibiotique sera cependant génétique, quand la
moisissure fut soumise à des cycles de mutagénèse suivis de sélection de mutants à taux de
production de plus en plus élevés.
En 1945 Alexander Fleming, Ernst Boris Chain et Sir Howard Walter Florey reçurent le prix
Nobel de Physiologie et de Médecine "pour la découverte de la pénicilline et ses effets curatifs
dans diverses maladies infectieuses".
20
Bibliographie
Tréfouel J., Tréfouel T., Nitti F., Bovet D. 1935. Activité du p.aminophénylsulfamide sur
l’infection streptococcique expérimentale de la souris et du lapin. C. R. Soc. Biol. Paris. 120:
756-758
Chain E., Florey H.W., Gardner A.D., Heatley N.G., Jennings M.A., Orr-Ewing J., Sanders
A.G..1940. Penicillin as a Chemotherapeutic Agent. The Lancet. 2: 226
21
Web 18 Fiche 18.6
CLASSES D'ANTIBIOTIQUES
L. PAOLOZZI
Les deux cents types d’antibiotiques actuellement en usage clinique sont ici regroupés en
fonction de leur cible cellulaire et de leur spectre d’hôtes.
INHIBITEURS DE LA SYNTHÈSE DE LA PAROI
Plusieurs classes d’antibiotiques agissent sur la synthèse ou l'assemblage du peptidoglycane. De
celles-ci, la plus vaste est celle des -lactames, qui forment de nombreuses sous-classes ;
d’autres antibiotiques, les glycopeptides et la phosphomycine, ont aussi pour cible la paroi.
1. Les -Lactames
Dans cette classe se trouvent principalement les groupes des Pénicillines et des
Céphalosporines, et leurs dérivés respectifs (tab. F18.6-1). Les -lactames sont des métabolites
secondaires des souches du champignon Penicillium notatum (producteurs de pénicillines) et
des espèces bactériennes de Cephalosporium (producteurs de céphalosporines). Ces
antibiotiques ont une structure commune, un anneau -lactame associé soit à un noyau
thiazolidine (les pénicillines) soit à une dihydrothiazine (les céphalosporines). Les sous-classes
se différencient en fonction de leurs radicaux (fig. F18.6-1).
22
Figure F18.6-1. Structure des -lactames.
Tableau F18.6-1. Les sous-classes de -lactames et leur spectre d’action.
Les-LACTAMES
UTILISATION
PROPRIETES
LES PENAMES
Pénicilline G et V
Pénicilline M
(Méticilline)
Pénicilline A
(Aminopénicilline) :
Ampicilline,
Amoxicilline
Voie parentérale Spectre étroit
Actifs sur coques et bacilles Gram+ seulement
(G), orale (V)
Sensibles aux pénicillinases
Spectre étroit
Actifs sur bactéries résistantes aux pénicillinases
et sur S. aureus résistants
Spectre élargi sur bacilles Gram(sauf P. aeruginosa)
23
Carboxy-pénicillines
(Ticarcilline)
Usage
hospitalier
Actifs sur les entérobactéries hospitalières et les
Pseudomonas sensibles à la ticarcilline
Uréido-pénicillines
(Pipéracilline)
Usage
hospitalier
Spectre analogue à celui de a ticarcilline :
P. aeruginosa ; infections mixtes bacilles à Gramet enterocoques anaérobies
Spectre limité aux Entérobactéries
Réservés aux
infections
hospitalières à
germes
résistants
Actifs sur germes résistants à d’autres-lactamines
Amidino-pénicillines
(Pivmécilliname)
LES PENEMES
Carbapénèmes
(Imipénème,
Méropénème)
LES CEPHEMES
1re et 2e générations : actifs sur Gram+
et certains bacilles Gram-.
3e génération : actifs sur P. aeruginosa
Céphalosporines :
1re, 2e, 3e
générations
LES
MONOBACTAMES
Aztréoname
Réservés aux
infections
hospitalières
sévères
Sur Gram- sensibles, y compris P. aeruginosa.
Inactif sur Gram+ ou anaérobies.
Particulièrement indiqué dans le cas
d’allergie à la pénicilline.
LES INHIBITEURS DES -LACTAMASES
OXAPENAMES
Acide clavulanique
Sulbactame
Tazobactame
En associations :
Amoxicilline + A.
clavulanique
Ampicilline +
Sulbactame
Piperilline +
Tazobactame
Sans activité antibiotique notable.
Se fixent aux -lactamases et protègent
les -lactames de l’inactivation
24
a) Les pénicillines naturelles
D’une façon générale ces antibiotiques tolèrent peu de changements au niveau des deux noyaux
-lactame et thiazolide, à part le S en position 1, qui peut être oxydé en sulfone ou sulfoxyde.
Les positions 2, 3, 4, 5 ou 7 des noyaux C ou N sont pratiquement inchangeables. Toute
modification à ces niveaux conduit à l’inactivation de la molécule. Ce sont donc les
changements du groupe R, des radicaux attachés à la chaîne acyl-NH du noyau-lactame, ou
des sels ou esters remplaçant le -COOH du noyau thiazolide, qui différencient ces molécules,
générant différentes pénicillines telles la pénicilline G (benzylpénicilline) ou la pénicilline V
(phénoxyméthylpénicilline).
b) Les pénicillines semi-synthétiques
Ces molécules sont des produits de demi-synthèse. Elles utilisent toutes le 6–APA, dérivé
produit par hydrolyse enzymatique de la pénicilline G par la pénicilline G-acyclase (ou
pénicilline amidase, ou encore pénicilline amino-hydrolase). Cette réaction conduit à la
formation du 6-APA et de l’acide phénylacétique à partir de la molécule naturelle. Le 6-APA
peut être facilement modifié par ajout d’une chaîne latérale, ce qui permet d’obtenir de
nombreuses pénicillines semi-synthétiques.
Toutes les pénicillines de semi-synthèse sont caractérisées par un spectre d’action plus large
que celui de la pénicilline G. Leur activité, en particulier celles de l’amoxicilline et de
l’ampicilline, est dirigée contre les bactéries en bâtonnets Gram-. Parmi ces antibiotiques, la
méthicilline présente l’intérêt d’être résistante aux pénicillinases produites par les souches
résistantes à la pénicilline.
c) Les céphalosporines
Les antibiotiques de ce groupe ont un double intérêt par rapport aux pénicillines : ils ont une
basse toxicité et un spectre d’hôtes plus large. Ils peuvent donc être utilisés à la place des
pénicillines pour les infections par des bactéries Gram-. Ces antibiotiques peuvent être dégradés
par certaines -lactamases bactériennes, mais sont généralement résistants à celles produites par
S. aureus.
d) Les carbapénèmes et monobactames
Les carbapénèmes sont produits par Streptomyces cattleya, et les monobactames par
Chromobacterium violaceum. Ils se distinguent des pénicillines, qui sont des pénames, par la
présence d’un atome de C au lieu du S en position 1, et d’une liaison insaturée en C2-C3,
également présente sur les céphalosporines. Les monobactames sont particulièrement précieux
pour les individus allergiques aux pénicillines, qui le sont généralement aussi aux
céphalosporines et carbapénèmes, mais pas aux monobactames en raison de leurs différences
structurales.
25
e) Les isoxazolyl-pénicillines
Les isoxazolyl-pénicillines (oxacilline, cloxacilline, dicloxacilline) constituent des sous-groupes
de pénicillines semi-synthétiques. Ils ont une chaîne latérale constituée d'un groupe isoxazolyl,
ce qui les rend résistants aux pénicillinases et au suc gastrique, d’où leur intérêt. Ils sont
particulièrement indiqués dans les infections de la peau et des muqueuses par des bactéries
Gram+ et des Staphylocoques.
2. Les glycopeptides
Ces antibiotiques ont une structure très complexe, constituée d'un heptapeptide cyclique sur
lequel s’attachent des sucres (mannose et glucosamine dans le cas de la téicoplanine, ou glucose
et vancosamine dans le cas de la vancomycine). Un représentant important de ce groupe est la
vancomycine, produite par Amycolatopsis orientalis (autrefois nommé Nocardia orientalis). Ces
molécules inhibent deux réactions de transpeptidation au cours de l’assemblage du
peptidoglycane. Leur taille les empêche de traverser la membrane, et limite donc leur emploi
pour les bactéries Gram-. Ces antibiotiques sont particulièrement précieux dans leur utilisation
contre les Staphylocoques virtuellement résistants à tous les autres antibiotiques (MRSA).
3. La phosphomycine
Cet antibiotique est produit par différentes espèces de Streptomyces, ainsi que par Pseudomonas
syringae. La molécule appartient à la famille des acides phosphoniques, et se comporte comme
un analogue du phosphoénolpyruvate. Elle inhibe donc l’enzyme pyruvyl-transférase (ou
pyruvate-UDP-N-acétylglucosamine-transférase), ce qui a pour conséquence de bloquer la
synthèse d'un des constituants essentiels du peptidoglycane, l’acide UDP-N-acétyl-muramique.
La phosphomycine est efficace contre les bactéries Gram+ (Staphylococcus aureus) ou Gram(Proteus, Pseudomonas, Serratia et autres), et est utilisée surtout pour les infections des voies
urinaires.
4. Les polypeptides
Ces antibiotiques ont une structure très complexe. Parmi ces molécules se trouvent soit des
inhibiteurs de la synthèse de la paroi, comme la bacitracine, soit des inhibiteurs de la membrane,
comme la polymyxine B. La bacitracine, produite par Bacillus subtilis, a une toxicité élevée qui
en empêche l’usage systématique. Cet antibiotique est présent par contre dans des préparations à
usage topique.
5. Les analogues structuraux
La D-cyclosérine, ou D-4-amino-3-isoxazolidinone, isolée à l’origine de cultures de
Streptomyces orchidaceus, est un analogue structural de la D-alanine. Elle agit par inhibition
compétitive avec la racémase au cours de la réaction de conversion de la L-alanine en Dalanine, et inhibe par conséquent la synthèse du peptidoglycane. Cet antibiotique a été utilisé en
association avec d’autres antibiotiques en tant que tubercolo-statique. La D-cyclosérine est
active contre les entérocoques, les Chlamydiae et Nocardia.
26
UN INHIBITEUR DE FONCTIONNEMENT DE LA MEMBRANE
La polymyxine B est produite par Bacillus polymyxa. C'est un peptide cyclique avec une longue
queue hydrophobe. Son interaction avec les phospolipides conduit à une désorganisation de la
membrane, ce qui en inhibe la fonctionnalité, d’où la mort des bactéries. En raison des
similitudes des phospholipides membranaires des bactéries et des eucaryotes, l’action de la
polymyxine est trop peu spécifique pour permettre son usage comme médicament systémique.
Cet antibiotique, actif contre les Gram-, a donc un usage limité à des applications topiques.
INHIBITEURS DE LA SYNTHÈSE PROTÉIQUE
On dispose de nombreux inhibiteurs de la synthèse protéique, qui agissent chacun à une phase
précise.
1. Les aminoglycosides
Cette classe réunit des molécules comme la streptomycine, la kanamycine, la tobramycine et la
gentamycine, et des sucres hydrophiles multifonctionnels produits par diverses espèces de
Streptomyces. Ce sont des molécules polycationiques ayant une forte affinité pour les acides
nucléiques, en particulier pour certaines régions de l’ARN, et surtout de l'ARNr procaryote. La
liaison de ces produits aux ribosomes en inhibe la fonction, et empêche l’initiation de la
synthèse protéique.
La streptomycine se lie, dans la sous-unité 30S du ribosome bactérien, à la protéine S12
impliquée dans l'initiation de la synthèse des protéines, et inhibe celle-ci en bloquant la Nformylméthionine sur le ribosome. Elle prévient aussi la dissociation des deux sous-unités des
ribosomes, et empêche la formation des polysomes.
Le spectre d’action des aminoglycosides est très vaste. Ils agissent contre d’importants
pathogènes Gram- comme E. coli, Salmonella spp, Enterobacter spp, Citrobacter spp, Proteus
spp, Klebsiella spp., et beaucoup d’autres.
2. Les tétracyclines
Le nom de ces antibiotiques, produits par des espèces du genre Streptomyces, dérive de leur
structure tétracyclique. Ils sont constitués d’un noyau naphtacène-carboxamide lié à des
substituants en position 5, 6 et/ou 7, qui conduisent à la formation de nombreux dérivés.
Les tétracyclines bloquent la synthèse protéique par liaison au ribosome, ce qui empêche
l’amino-acyl-ARNt de s’y fixer. Leur spectre d’action couvre un grand nombre de bactéries
Gram- et Gram+ ainsi que des bactéries intracellulaires comme Chlamydiae, Mycoplasmes et
Rickettsiae.
3. Le chloramphénicol
Cet antibiotique fait partie des molécules phénicolées dérivées de l’acide dichloroacétique, qui
porte aussi un phényl substitué. Le groupement dichloroacétamide est important pour l’activité
antibiotique. Le chloramphénicol a été initialement obtenu à partir de souches de Streptomyces
venezuelae, mais il est maintenant couramment produit par synthèse.
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Il inhibe la peptidyl-transférase, ce qui empêche l’allongement de la chaîne peptidique au
cours de la synthèse protéique. Cet antibiotique est sélectif des ribosomes 70S (y compris ceux
des organites eucaryotes), et inactif sur les ribosomes 80S. Son spectre d’action couvre aussi
bien les Gram- que les Gram+. Mais en raison de sa toxicité, deux dérivés seulement sont utilisés
en clinique, le choramphénicol, réservé à un usage topique, et le thiamphénicol.
4. Les macrolides et molécules apparentées
Les macrolides sont constitués d’un anneau macrolactonique modifié par un ou plusieurs sucres.
La taille de l'anneau (12, 14 ou 16 atomes) définit leurs classes. Ils ont cependant un mode
d'action commun. Ce sont des inhibiteurs de la traduction, actifs contre les bactéries Gram- non
entériques et contre les Gram+. Un exemple en est l’éryrthomycine, produite par Streptomyces
erythreus.
5. Les lincosamides
Les représentants des lincosamides sont la lincomycine et la clyndamycine, produits par
certaines souches de Streptomyces. Ces produits interagissent avec la sous-unité ribosomale
50S, et inhibent la traduction. Ils sont actifs contre les Gram- et les Gram+, et sont souvent
utilisés pour traiter les infections résistantes à la pénicilline.
6. Le linézolide
La diffusion de souches de Staphylocoques et d'Entérocoques multirésistants aux antibiotiques
classiques a rendu nécessaire le développement de nouvelles molécules totalement de synthèse.
Le linézolide est le premier représentant de la famille des oxazolidinones. La structure de ces
molécules est un noyau aromatique avec de nombreux substituants possibles. Selon la nature de
ces substituants, ces produits agissent au niveau des sous-unités ribosomales 50S ou 30S. Leur
spectre d’activité couvre les bactéries aérobies Gram+, en particulier les souches de
Staphylocoques, Pneumocoques et Entérocoques résistantes respectivement à la méticilline,
pénicilline et vancomycine. Ils sont particulièrement employés pour des infections sévères par
des bactéries Gram+ multirésistantes.
INHIBITEURS DE LA SYNTHÈSE DES ACIDES NUCLÉIQUES
Tous ces antibiotiques sont des quinolones et leurs dérivés, les fluoroquinolones. Hors la
rifamycine, qui est un métabolite secondaire de Nocardia mediterranei (de nom initial
Streptomyces mediterranei), ce sont des produits de synthèse. Leur développement a commencé
en 1962, à la suite de la découverte fortuite de l'acide nalidixique, un sous-produit de la synthèse
de la chloroquine utilisée comme antipaludéen.
1. L'acide nalidixique
Ce produit arrête la réplication en bloquant l’ADN gyrase. Cette molécule est active contre les
bactéries Gram-.
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2. Les fluoroquinolones
Parmi les dérivés fluorés des quinolones, sont la norfloxacine, la ciprofloxacine, la
moxifloxacine et la lévofloxacine. Les fluoroquinolones sont actives contre les bactéries
aérobies Gram- (y compris Pseudomonas aeruginosa), les Mycoplasmes et les Rickettsies, mais
peu actives contre les bactéries anaérobies. L’activité contre les bactéries Gram+ est variable,
mais reste modérée.
3. Les rifamycines
Les rifamycines sont des molécules macrocycliques appartenant à la famille des ansamycines.
On les classe en deux groupes : celles de type naphtalène, comprenant des composés à activité
antibactérienne ou anti-virale, et celles de type benzénique, à propriétés anti-tumorales. Les
rifamycines ont été isolées à partir de la bactérie Nocardia mediterranei. Ce sont des inhibiteurs
de l'ARN polymérase bactérienne, qui ont pour cible la sous unité de cette enzyme.
a) La rifampicine
La rifampicine (N-amino-N’-méthylpipérazine-hydrazone) est un dérivé semi-synthétique de la
rifamycine B. Cet antibiotique a une activité bactéricide avec un spectre d’action qui comprend
les Gram+ et quelques Gram-. Les bactéries sensibles incluent d’importants pathogènes
(Neisseria, Listeria monocytogenes, Brucella), et surtout Mycobacterium tuberculosis et
Mycobacterium lepræ. Cet antibiotique représente le principal antituberculeux, toujours
administré simultanément à deux ou trois autres produits, pour éviter la sélection de formes
résistantes.
b) la rifabutine
La rifabutine est un bactériostatique actif sur des nombreuses Gram+ et sur Mycobacterium
tuberculosis et Mycobacterium avium, qui infectent certains sujets immunodéprimés. Cet
antibiotique est particulièrement précieux dans le traitement des tuberculoses multirésistantes, y
compris à la rifampicine. Dans certains pays on utilise aussi un autre-antitiberculeux analogue
de la rifampicine, la rifapentine. Chez les bactéries M. tuberculosis résistantes à la rifampicine,
la rifadine inhibe l’incorporation de thymidine dans l’ADN.
c) La rifamycine SV
Cet antibiotique semi-synthétique à large spectre d’hôtes est particulièrement utile pour les
infections du colon et les maladies associées à des infections par Clostridium difficile.
INHIBITEURS DU MÉTABOLISME DE L'ACIDE FOLIQUE
Les sulfamides (ou sulphonamides)
Ce sont des produits de synthèse, analogues à des facteurs de croissance. Ils dérivent de l’acide
para-amino-benzène-sulfonique (PABS), composé dont la structure est proche de celle de
l’acide para-amino-benzoïque (PABA), un précurseur de l’acide folique. Il existe plusieurs
familles de dérivés suivant les substitutions de l’amine. La nature du radical substituant
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détermine les propriétés pharmacologiques de la molécule. Les 2,4-diaminopyrimidines sont des
dérivés du cycle diaminopyrimidine, dont le plus connu est le triméthoprime, ou 2.4-diamino
(3’4’5’triméthoxybenzyl) pyrimidine.
Analogues structuraux de l’acide dihydrofolique, les sulfamides et les diaminopyrimidines
sont des inhibiteurs compétitifs de la dihydratofolate réductase, qui intervient dans la synthèse
de l’acide tétrahydrofolique (THFA). Ils agissent par compétition avec le substrat de l'enzyme,
le PABA, dans la voie métabolique de l’acide folique.
Les sulfamides sont tous des bactériostatiques, avec un vaste spectre d’action. Ils ont été les
premiers anti-bactériens utilisés, avant la découverte des antibiotiques (Web 18 F18.4). Leur
limitation est liée à l'existence de nombreuses souches résistantes à leur action, d’où leur emploi
en association avec d’autres inhibiteurs comme le triméthoprime.
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Web 18 Fiche 18.7
ANTIBIOGRAMME : CONCENTRATIONS MINIMALES
INHIBITRICE (CMI) OU BACTÉRICIDE (CMB)
L. PAOLOZZI
Il est souvent nécessaire, dans les activités des laboratoires de bactériologie ainsi que dans celles
de recherche, de déterminer quantitativement la sensibilité d’une souche bactérienne à un
antibiotique, ou de tester sur une série de souches une molécule ayant une hypothétique activité
antibactérienne. On utilise dans ce but deux techniques classiques, désignées par les sigles CMI
(Concentration Minimale Inhibitrice) et CMB (Concentration Minimale Bactéricide), qui
définissent deux paramètres de l’effet d’un antibiotique sur une bactérie : effet bactériostatique
pour le premier et effet bactériolytique pour le second.
La CMI est par définition la quantité minimale d’antibiotique qui inhibe la croissance d'une
culture bactérienne après un temps déterminé à une température fixée à partir d’un inoculum
initial (fig. F18.7-1) (Web 18 V18.2). La détermination de ce paramètre fournit des indications
sur l’effet bactériostatique d’un antibiotique.
La CMB correspond à la plus petite concentration d’antibiotique qui laisse au plus 0,01 % de
cellules survivantes par rapport à l’inoculum initial après 18 heures de culture à 37 °C. Cette
valeur caractérise l’effet bactéricide d’un antibiotique.
Les conditions d’incubation des cultures (concentration initiale de l’inoculum, durée et
température) pour ces déterminations varient selon les espèces. Pour ces raisons, la méthode est
standardisée, fixant une durée d’incubation à 35-37 °C entre 18 et 20 heures (selon les espèces)
et une concentration initiale de 105 cellules/mL.
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Figure F18.7-1. Détermination de la CMI par la méthode des dilutions en milieu liquide .
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