De l`utilisation de l`art pictural en odontologie médico-légale.

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De l’utilisation de l’art pictural
en odontologie médico-légale
Xavier RIAUD
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De l’utilisation de l’art pictural en odontologie médico-légale
Xavier RIAUD
Docteur en chirurgie dentaire, Docteur en épistémologie, histoire des sciences et des techniques.
Lauréat et membre associé national de l’Académie nationale de chirurgie dentaire.
Membre libre de l’Académie nationale de chirurgie.
145, route de Vannes, 44800 Saint Herblain
E-mail : [email protected]
Aujourd’hui, l’art pictural est fréquemment utilisé à des fins archéologiques, mais aussi odontologiques.
Prenons l’exemple de Georges Washington (1732-1799). Il est de notoriété que ce président des EtatsUnis d’Amérique n’avait plus de dents à la fin de sa vie, qu’il avait consulté jusqu’à huit dentistes afin
qu’ils lui fassent des appareils dentaires qui ont tous été voués à l’échec. Il a d’ailleurs conservé une
correspondance importante avec l’un d’entre eux, John Greenwood (1760-1819) qui lui aurait fait son
dernier appareil. Il est connu qu’il a souffert des dents, qu’il a eu mauvaises, toute sa vie. Mais, le
meilleur témoignage de cet état de fait est rencontré dans une série de trois tableaux, ci-après, réalisés à trois périodes différentes de sa vie. Ils constituent à ce titre une trace indélébile, un vestige indéniable de l’altération bucco-dentaire lié à l’âge du visage de Georges Washington (Towe, 2001)
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[Fig.1].
Figure 1 : de gauche à droite : Régiment de Virginie (1772) / Miniature Ramage (1789) / Portrait de l’Athenaeum (1796).
(Towe, 2001).
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A 40 ans, il a encore des dents et son visage est jeune. A 57 ans, l’étage inférieur du visage est effondré par l’absence des dents, mais il en reste encore. A 64, son visage est celui d’un vieillard édenté,
porteur d’une prothèse amovible totale haute et basse, probablement inadaptée dans le cas présent,
semble-t-il. La perte de dimension verticale est très palpable.
Pareille analogie est perceptible dans les portraits de François Ier (1494-1547) [Fig.2].
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Figure 2 : De gauche à droite : François I en 1525 / François I en 1535.
(Musée Condée, 2009).
Sur la peinture de 1535, François Ier a 41 ans. Un détail le caractérise : un nez qui est devenu très
proéminent, beaucoup plus qu’en 1525 où le visage semble bien proportionné. Hormis cela, il n’y a
pas de changement notable dans ce visage. Mais, en dix ans, ce nez a pris ce volume parce que la
dimension verticale du visage s’est affaissée de manière frappante. Cet affaissement n’a pu avoir lieu
que pour une seule raison : la perte des dents postérieures qui assurent un calage des maxillaires, l’un
par rapport à l’autre. De plus, au vu de la grosse lèvre inférieure, qui est saillante sur le portrait de
1535, il est probable qu’il n’y a plus d’incisives supérieures.
En odontologie médico-légale, l’utilisation de l’art pictural, voire photographique, apporte un tout
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autre témoignage. En fait, il constitue un élément de preuve souvent considéré comme important de
l’identification d’un crâne lorsque ce dernier est superposé au portrait.
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Ainsi, le crâne de Johann Sebastian Bach (1685-1750), célèbre compositeur, est-il exhumé en 1895
[Fig.3, 4].
Figure 3 : De gauche à droite : Bach peint par Haussmann (1746) / Bach par Haussmann
(1748). (Towe, 2001 & Schweide, 2006).
Figure 4 : Crâne de Bach photographié en 1895 (Towe, 2001 & Schweide,
2006).
Gerhard Herz, dans le sommaire de sa revue Musical Quaterly, affirme que : « … en addition des ca-
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ractéristiques connues de Bach comme sa mandibule protubérante et son double menton… » Charles
Sanford Terry confirme dans sa description des restes du célèbre compositeur, qu’il a : « … un crâne
massif, …, des mâchoires puissantes. » A cela, s’ajoute la forme particulière de la bouche, de la lèvre
inférieure et le pli du côté droit de la bouche. Ceci est tout à fait remarquable sur le portrait
d’Haussmann de 1748. Il ne faut pas oublier le contour distinct des pommettes et de la mâchoire sur
le côté gauche du visage qui est perceptible dans les limites entre la lumière et les ombres de la face.
Après un examen attentionné des portraits d’Haussmann, il est évident que la mandibule s’étend audelà du maxillaire (Towe, 2001). Le crâne confirme que le musicien présentait un inversé d’articulé
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significatif qui sans être corrigé par une orthodontie salvatrice, a produit un visage aux traits indéniablement ingrats. Dans la sculpture de Carl Seffner datée de 1908 pourtant faite à partir du rapport
d’exhumation de 1895, exposée à Leipzig, la mandibule proéminente n’apparaît pas. Si le crâne est
superposé à la sculpture, l’inversé d’articulé est nettement atténué sur la statue (Leopold, 2006).
Les portraits de Haussmann ne présentent pas cette mandibule proéminente. Par contre, le compositeur est représenté avec une occlusion qui semble satisfaisante et une canine sur le côté droit dont la
cuspide marquée soutient la lèvre supérieure, ce qui ne correspond aucunement aux aspects connus
de la dentition de Bach. Un critère subsidiaire à la comparaison du crâne avec les portraits est bien
sûr le nombre de dents toujours présentes dans la bouche au moment où le peintre s’est affairé. Le
crâne offre aux regards du spécialiste, à ce sujet, quelques manques. Certains d’entre eux proviennent
certainement des 144 ans d’inhumation. Il s’agit, semble-t-il, de l’incisive centrale droite, de l’incisive
latérale droite et peut-être de l’incisive latérale gauche. Le portrait d’Haussmann de 1748 confirme
l’absence de dents. De plus, il n’existe aucun document relatant les évolutions de la bouche de Bach
tout au long de sa vie, ce qui complique toutes formes de comparaison. Tous les éléments connus
datent de la fin de sa vie. Par exemple, la statue de Seffner représente l’homme avec davantage de
dents que Bach ne devait en avoir à la fin de sa vie (Towe, 2001).
Malgré la perte de dents pendant l’inhumation, il y a toujours des rapports intermaxillaires. Les dents
inférieures sont toujours en contact avec les dents du haut, ce qui évite un affaissement caractéristique à tous les édentés totaux. La présence ou l’absence de dents conditionnent indéniablement les
contours du visage d’une personne. Ils peuvent être creusés par les vides occasionnés par la perte de
dents ou bien ils peuvent être pleins si elles sont en place sur les maxillaires. Il est indéniable que la
malocclusion de Bach a été un handicap majeur d’ordre esthétique qui peut expliquer qu’il n’y a aucune représentation picturale de lui, avant la fin de sa vie.
En fait, concernant une personnalité historique, dès qu’un crâne est en déshérence, ce procédé est
systématiquement employé. Seul, le support pictural peut changer. Ainsi, en a-t-il été d’Agnès Sorel
(1422-1450), la maîtresse du roi de France, Charles VII.
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555 ans après ce décès suspect, un groupe de 22 chercheurs issus de 18 laboratoires, a apporté la
preuve après 6 mois d’enquêtes que la dame serait morte d’un empoisonnement au mercure. Est-il
consécutif à un mauvais dosage ou bien a-t-il été provoqué ? Nul ne le sait. Toutefois, après étude des
7 dents présentes dans l’urne exhumée, il apparaît que la jeune femme n’avait qu’une seule carie et
semble avoir eu un état bucco-dentaire tout à fait satisfaisant. Mais, surtout, ces organes ont contribué à déterminer l’âge approximatif de la défunte à plus ou moins deux ans près. Ainsi, la belle devait
avoir environ 28 ans lorsqu’elle s’est éteinte, ce qui a été confirmé par une datation au carbone 14
d’un fragment de métacarpien. L’équipe de scientifiques a essayé ensuite de comparer les restes du
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crâne avec le visage d’Agnès Sorel de son gisant à Loches, réalisé d’après nature. Pour cela, un paléopathologiste a superposé le crâne par ordinateur avec le visage sculpté. Un anthropologue de son
côté, a effectué une reconstitution faciale à partir des mesures anthropométriques du crâne et de
clichés photographiques. La comparaison des deux méthodes a montré une correspondance parfaite
entre le crâne, la reconstitution du visage et la sculpture (Charlier, 2006).
Il a été réalisé la même chose au crâne de Diane de Poitiers (v. 1499/1500-1566), la maîtresse du roi
de France Henri II. En 2008, au pied de l’église d’Anet, les restes de Diane de Poitiers ont été exhumés.
Ainsi, une mandibule édentée intacte, un hémi-maxillaire gauche et une dent ont été recueillis. Les
ossements ont été superposés avec le dernier portrait peint de la favorite d’Henri II par Clouet en
1562, conservé au musée de Chantilly. Le résultat est conforme aux traits du visage (Charlier, 2009).
Mais, l’os peut être superposé aussi à une photographie et aboutir à des résultats extrêmement probants.
Le lieutenant Henry Harrington a été surnommé par les Sioux, au lendemain de la bataille de Little Big
Horn, le 25 juin 1876, l’homme le plus brave qu’ils aient eu à affronter. Pendant 130 ans, ses restes
ont disparu. Il y a peu, son crâne a été retrouvé. Aussitôt, une équipe médico-légale a entrepris
d’examiner les vestiges. Ils se sont notamment mis en quête des membres de la famille afin de retrouver d’éventuelles photographies qui auraient pu se révéler déterminantes dans l’identification du soldat. Et c’est ce qui s’est produit. La famille a remis aux chercheurs plusieurs portraits de l’officier du
7ème de cavalerie alors qu’il était un jeune aspirant. Après superposition du chef et de la photo, le ré-
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sultat a été sans équivoque. Il s’agissait bien de la tête d’Henry Harrington (Cross, 2010) [Fig.5].
Figure 5 : Couverture du livre de Walt
Cross (2010).
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Ainsi, en a-t-il été aussi de Josef Mengele, le médecin nazi. Mort en 1979, son crâne est retrouvé en
1985. Sans radiographie dentaire probante, il a été décidé d’utiliser une technique de superposition
du visage sur le crâne par vidéo. Ils marquent le crâne en 30 points de comparaison et réalisent la
même opération sur une photo du défunt. Ils positionnent l’ensemble côte à côte près des caméras. Si
tous les points s’alignent, alors l’identification est indiscutable. Après enregistrement, les images sont
superposées et aboutissent à la conclusion que le crâne exhumé est bien celui du nazi (Ramsland,
2005) [Fig. 6, 7].
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Figure 6 : Crâne de Wolfgang Gerhard, crâne
présumé de Mengele (Ramsland, 2005).
Figure 7 : Josef Mengele (USHMM,
2003).
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En conclusion, n’importe quel support pictural permet d’aboutir à des résultats remarquables aujourd’hui, grâce aux logiciels informatiques développés par les laboratoires scientifiques. C’est une
voie en progrès constants facilitant toute identification et qu’il convient de ne pas négliger.
Références
Charlier Philippe, « Qui a tué la Dame de Beauté ? Etudes scientifique des restes d’Agnès Sorel (14221450) », in Revue d’Histoire des Sciences médicales, juillet – août – septembre 2006, tome XL, n°3, pp.
255-263.
Charlier Ph., Huynh-Charlier I. & Carlier R., « Apport de la radiologie en paléopathologie en particulier
dans les maladies infectieuses », in Comité de lecture de la Société française d’histoire de la médecine
du 13 juin 2009, Paris.
Cross Walt, Custer’s Lost officier, First Edition, 2010.
Leopold Dieter, « Plastische Gesichtsrekonstruktion unterstützt von Seffner. Bild-Bild-Analyse der
Bach-bilder », in Akfos Newsletter, 2003; 10 (3): 86-89.
Musée Condé, Chantilly, 2009.
Ramsland Katherine, « The Anthropologist meets the Angel of Death », in
http://www.crimelibrary.com, 2005, pp. 1-3.
Riaud Xavier, Les dentistes détectives de l’histoire, L’Harmattan (éd.), Collection Médecine à travers
les siècles, Paris, 2007.
Schweide William, Princeton, New Jersey, 2006.
Towe Teri Noel, « The face of Bach – Bach’s physiognomical characteristics », in The Queens College
Lecture, March 21, 2001, http://npj.com/thefaceofBach.
U.S. Holocaust Memorial Museum, Washington D. C., 2003.
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