Synthèse Attention et vieillissement ÉRIC SIÉROFF1, AMBRE PIQUARD2 1 Laboratoire de psychologie expérimentale, Université Paris V / CNRS 2 Fédération de neurologie Mazarin, Hôpital de la PitiéSalpêtrière, Paris Tirés à part : Éric. Siéroff Résumé. Grâce aux avancées théoriques, une meilleure description des troubles de l’attention qui sont observés au cours du vieillissement normal et des pathologies qui lui sont associées a vu le jour ces dix à vingt dernières années. Dans cet article, nous présentons ces troubles dans le cadre de la théorie de Posner, qui distingue les sous-systèmes de vigilance, d’attention sélective et de commande attentionnelle. L’intérêt de cette théorie est de caractériser les principales composantes de l’attention par leur aspect fonctionnel cognitif et par leur soubassement anatomique et neurochimique. Les tests explorant l’attention peuvent être classés par rapport à ces trois sous-systèmes. Ainsi nous décrivons les principaux résultats concernant la baisse de la commande attentionnelle lors du vieillissement normal et le déficit franc et massif de cette commande lors des processus dégénératifs comme la maladie d’Alzheimer, la démence frontotemporale et la maladie de Parkinson. Nous décrivons également les types de déficits de l’attention sélective, notamment spatiale, rencontrés précocement lors de la maladie d’Alzheimer. Mots clés : attention, vieillissement normal, maladie d’Alzheimer, démence frontotemporale, maladie de Parkinson Summary. Due to progress in the cognitive theories in the last twenty years, the description of attentional deficits associated with normal or pathological aging has substantially improved. In this article, attentional deficits are presented according to Posner theory, which describes three sub-systems in a global network of attention: vigilance, selective attention, command. This theory not only characterizes the functions of these subsystems, but gives precise indications about their anatomical and neurochemical substrates. Several clinical tests can be described for each of these different subsystems. The main attentional deficits are presented in the second part of this paper: if some decline of the attentional command occurs in normal aging, a real deficit in this subsystem is found in most degenerative processes (frontotemporal dementia, Alzheimer and Parkinson diseases). Alzheimer disease is also frequently associated with a deficit of selective spatial attention, early in the evolution of the disease. Key words: attention, normal aging, Alzheimer disease, frontotemporal dementia, Parkinson disease L’ attention est une composante importante de notre comportement. Elle est incluse dans ce qu’on appelle désormais les fonctions exécutives puisqu’elle assure une fonction de contrôle. Avec l’attention, l’individu peut développer une action appropriée à une situation donnée, c’est-à-dire prendre une décision. Cette décision est le résultat d’une analyse, d’une réflexion, d’une stratégie. Plusieurs modèles de l’attention ont vu le jour ces vingt dernières années : ils insistent tous sur ces notions de contrôle et reconnaissent, pour la plupart, l’existence d’un système attentionnel. Toutefois, ils présentent des différences quant au découpage en composantes ou soussystèmes ou quant à la dynamique des processus attentionnels dans le traitement de l’information. Ces modèles considèrent parfois la vigilance comme une composante de l’attention, mais elle reste délicate à définir : elle correspond pour certains à l’alerte, qui est une mise en disponibilité des ressources globales (non Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2004 ; vol. 2, n° 4 : 257-69 sélectives) de l’individu, et, pour d’autres , à l’attention soutenue qui permet d’effectuer des tâches qui se prolongent. Nous ne rentrerons toutefois pas dans le débat sur la nature exacte de la vigilance. Dans cet article, nous présenterons en premier lieu l’attention comme une fonction psychologique, avec des questions propres à la fonction attentionnelle. Nous présenterons ensuite les principaux types d’expériences qui permettent de mettre en jeu l’attention et d’en mesurer les effets. De ces expériences ont pu être dérivés des tests qui sont utilisés en pathologie, notamment neuropsychologique, mais aussi dans d’autres domaines comme le développement, le vieillissement, l’ergonomie, etc. Après ce tour d’horizon rapide et succinct des aspects fonctionnels de l’attention, les notions anatomiques et neuronales seront abordées, permettant de décrire les mécanismes cérébraux de contrôle. Dans les dernières sections de cet article seront présentés les effets du vieillissement sur l’atten- 257 É. Siéroff, A. Piquard tion, tout d’abord le vieillissement normal, puis les pathologies associées au vieillissement (lésions dégénératives ou autres). L’attention, fonction psychologique de contrôle Une définition opérationnelle de l’attention Presque tous les ouvrages ou les articles sur l’attention se réfèrent à la définition donnée en 1890 par William James, psychologue et physiologiste américain. Selon lui, l’attention est liée à l’expérience consciente de l’individu : l’attention est la sélection d’une information extérieure ou d’une pensée sous une forme claire et précise et son maintien dans la conscience. C’est la concentration de l’activité mentale sur un objet déterminé (en latin, attentio = tension de l’esprit vers un objet). L’objet de l’attention, c’est-à-dire le contenu du foyer attentionnel, va, selon LaBerge [1] emplir l’esprit (mindfulness). L’état attentionnel se distingue donc du simple état d’éveil par « l’objet » qu’il permet de sélectionner. La sélection est rendue nécessaire dans la mesure où l’individu est confronté simultanément à une multitude d’informations potentiellement intéressantes. Ainsi, nous ne pouvons pas identifier deux choses en même temps et nous ne pouvons pas exécuter deux actions élaborées et complexes en même temps. Il faut donc bien établir une priorité et faire une sélection. De plus, l’information sélectionnée doit être maintenue à un haut niveau de traitement pendant un temps prolongé afin de s’en faire une représentation claire et précise et de déclencher une stratégie d’action appropriée. À ce titre, l’attention est fortement liée à la mémoire de travail, conceptuellement et anatomiquement, et de nombreux travaux soulignent ces liens. En résumé, l’attention demande en premier lieu une opération de sélection (faire attention « à » quelque chose) et une augmentation de l’intensité de traitement alloué à l’objet sélectionné (fonction du « maintien »). Notion de système attentionnel La majorité des théories cognitives actuelles sont causales et reposent sur l’existence d’un système attentionnel, contrairement aux théories de l’effet qui considèrent l’attention comme un simple épiphénomène du traitement de l’information, un index passif de la complexité du traitement en cours [2]. Deux domaines peuvent être distingués selon la théorie causale. Le premier domaine ou système préattentionnel permet 258 l’analyse de l’information (encodage et catégorisation, accès au code sémantique) à des niveaux multiples. Son mode de fonctionnement est automatique et non conscient. Sa capacité est grande (beaucoup d’informations peuvent être traitées). Le deuxième système est le système attentionnel lié à la conscience. Sa capacité est limitée (on ne peut traiter à un haut niveau de traitement qu’un nombre limité d’informations) et il sélectionne les informations qui entreront dans le premier domaine ou qui en sortiront. Mise en jeu de l’attention L’attention, permettant de former des représentations sur lesquelles une réflexion ou une décision d’action peuvent être prises, intervient dans toutes les activités pour lesquelles une routine de traitement ou une réponse automatique n’est pas possible ou peu souhaitable. Ainsi, l’attention est mise en jeu chaque fois que la tâche est complexe ou que les conditions contextuelles sont inhabituelles, ou encore quand l’information à traiter est nouvelle ou quand une stratégie de réponse à l’information doit être élaborée. En fait, l’attention peut être mise en jeu de deux manières [3]. La première manière correspond à un biais interne qui ne dépend pas directement de la réalité actuelle du monde extérieur, c’est la mise en jeu endogène de l’attention : c’est le sujet lui-même qui dirige volontairement son attention vers une certaine information. Cette mise en jeu permet d’assurer la cohérence et la continuité du comportement par rapport à des buts prédéfinis (et contenus dans la mémoire de travail). La deuxième manière de mettre en jeu l’attention est exogène : l’attention peut être attirée vers un événement soudain du monde extérieur (capture attentionnelle). Cette attention exogène permet de rendre le comportement flexible en fonction des modifications de l’environnement. Néanmoins, ces modifications ne modifient le comportement du sujet que si celui-ci décide d’en tenir compte. Effet de l’attention Plus ou moins d’attention détermine l’efficience de l’esprit et la plupart des auteurs reconnaissent le rôle majeur de l’attention dans le développement de l’intelligence. Selon Lucrèce, les choses ne sont pas vues nettement à moins que l’esprit s’y soit préparé. Pour Descartes, la clarté et le caractère distinctif des choses sont des caractéristiques phénoménologiques qui peuvent être améliorées quand l’attention est dirigée vers une idée. En fait, selon les modèles actuels, s’il est indéniable que la sélection attentionnelle permet un Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2004 ; vol. 2, n° 4 : 257-69 Attention et vieillissement meilleur traitement de l’information sélectionnée (bénéfice), l’information non sélectionnée, en conséquence, sera moins bien traitée, voire inhibée (coût). Une question fondamentale de la psychologie cognitive est de savoir à quel niveau agit l’attention dans le traitement de l’information [2]. Selon la plupart des auteurs actuels, elle pourrait agir à plusieurs niveaux. Précocement, elle permet une meilleure analyse perceptive de l’information et donc un meilleur accès à la sémantique. Les informations non sélectionnées auront une moins grande influence sur le comportement. Pour l’attention spatiale, il s’agirait de l’attention vers des localisations. Tardivement, elle n’est pas déterminante pour l’accès à la sémantique : elle permettrait plutôt de programmer la réponse à des objets. Les paradigmes de l’attention Du fait de la mise en jeu de l’attention dans les situations complexes ou nouvelles, il est relativement facile d’imaginer quelles sont les situations (expérimentales ou de la vie quotidienne) qui demanderont de l’attention. Rechercher une cible dans un environnement complexe (tâche expérimentale de recherche spatiale ou situation de la vie courante consistant à rechercher ses clés sur un bureau encombré) requiert évidemment de l’attention. Il est évident aussi que l’exécution simultanée de plusieurs tâches, à la condition que celles-ci demandent de puiser dans les ressources cognitives, requiert plus d’attention (ce qui est appelé parfois l’attention partagée) que l’exécution d’une tâche simple. Pour objectiver le phénomène attentionnel, les chercheurs ont recours à diverses situations expérimentales (voir des exemples dans la figure 1), dans lesquelles ils mesurent les temps de réponse (l’attention permet de répondre plus vite à une information) et la précision de la réponse (elle permet une représentation plus précise). Cependant, il est important de comprendre qu’une mesure de l’attention ne peut en aucun cas se faire sur une valeur isolée. Pour évaluer l’intervention de l’attention, il faut comparer les résultats d’une condition requérant de l’attention avec une condition n’en requérant pas ou moins (méthode de la soustraction, décrite à la fin du XIXe siècle par Donders). H H H H H H H H H H H H H H H H III I II C C C S C S K C K IV Figure 1. Exemples d’expériences permettant de mettre en évidence l’attention. I. Indiçage spatial, avec condition valide en haut et condition non valide en bas ; II. Recherche spatiale, avec cible et distracteurs se distinguant par la modification d’une seule caractéristique élémentaire en haut et de la combinaison de deux caractéristiques élémentaires en bas ; III. Exemple de stimulus hiérarchisé ; IV. Exemple de dispositifs utilisés dans la méthode des flankers : avec congruence des distracteurs avec la cible (lettre centrale) en haut, et différents types de distracteurs en bas, compatibles avec la réponse (appuyer sur une touche quand la lettre centrale est un C ou un S), ou non. Figure 1. Some experimental paradigms to study attention. I. Spatial cueing. Top, valid condition; bottom, non-valid condition; II. Spatial tracking, with targets and distractors distinguished by only one characteristic at the top and two characteristics at the bottom; III. Exemple of stimuli organized into hierarchy; IV. Flankers paradigm. The patient has to press a key when the central letter (target) is a C or a S framed by distractors similar to the target (top) or different from the target (bottom). Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2004 ; vol. 2, n° 4 : 257-69 259 É. Siéroff, A. Piquard Orientation de l’attention dans l’espace • Recherche spatiale Lorsque l’on recherche une cible dans un dispositif comprenant de nombreux éléments distracteurs, une orientation de l’attention spatiale peut être requise. Ainsi, rechercher un trait vert incliné à droite (cible) parmi des traits verts inclinés à gauche et des traits rouges inclinés à droite (distracteurs) requiert de l’attention. Il s’agit d’une recherche séquentielle dont la nature attentionnelle peut être mise en évidence en variant le nombre d’items : plus le nombre d’items est grand plus le temps de réponse est long [4]. On peut opposer cette condition à une condition de recherche plus simple dans laquelle la recherche de la cible demande peu d’attention. Ainsi, lors de la recherche d’un trait incliné à droite parmi des traits inclinés à gauche, le temps de réponse est beaucoup moins influencé par le nombre total d’items : la cible semble « sortir » automatiquement du fond (phénomène de pop-out). • Modification de la taille de la fenêtre attentionnelle Avec des tâches dirigées vers des stimulus hiérarchisés (par exemple, une grande lettre formée de petites lettres), plusieurs effets sont observés. L’effet le mieux connu est le fait que l’on traite plus rapidement l’information globale (la grande lettre) que l’information locale (les petites lettres), ce que Navon a bien décrit dans sa métaphore : « On identifie la forêt avant les arbres eux-mêmes » [5]. Les conditions permettant de mettre un tel effet en évidence sont variées : recherche d’une cible (une certaine lettre) pouvant apparaître à l’un des deux niveaux (global ou local), congruence entre les lettres de chaque niveau lors d’une tâche d’identification des lettres d’un seul niveau, copie, etc. L’attention peut être mise en jeu en « forçant » l’attention vers un niveau, par exemple en faisant en sorte que la cible soit plus souvent rencontrée à un niveau plutôt qu’à un autre. Des différences hémisphériques ont été trouvées, avec l’hémisphère droit plutôt spécialisé au niveau global et l’hémisphère gauche au niveau local [6]. • Indiçage spatial Lors d’une tâche de détection d’une cible simple pouvant apparaître à différents endroits dans le champ visuel, il est possible d’améliorer la vitesse de réponse du sujet si un indice vient au préalable indiquer la localisation de la cible à venir [7]. Cela peut se faire grâce à un indice apparaissant dans la localisation exacte de la cible ; dans ce cas, l’indice, dit périphérique, attire l’attention exogène du sujet. L’effet est très rapide et apparaît pour des SOA (stimulus onset asyn- 260 chrony : ici, le délai entre le début de l’indice et le début de la cible) courts, situés entre 50 et 200 ms. Un indice central ou symbolique (flèche), n’apparaissant pas nécessairement à l’endroit de la cible mais, par exemple, au point de fixation, peut également avoir un effet, à condition que la relation de probabilité entre la localisation indiquée par l’indice et la localisation de la cible soit forte (par exemple un indice dont l’indication sur la localisation de la cible est valide à 80 %). Dans ce cas, l’indice met en jeu l’attention endogène du sujet et l’effet n’est pas immédiat, nécessitant des SOA d’au moins 300 ms. L’effet bénéfique de l’indice valide (indiquant la localisation correcte de la cible) est dû, selon Posner [7], au fait que le sujet a pu « engager » son attention à l’endroit de la cible avant que celle-ci n’apparaisse. Il existe aussi un coût attentionnel dans les conditions où l’indice donne une fausse indication (indice dit non valide) : dans ce cas, le sujet doit d’abord désengager son attention de l’endroit indiqué par l’indice afin de la diriger vers la cible, ce qui retarde la réponse. Contrôle général de l’attention • Doubles tâches et variantes La méthode des doubles tâches consiste à faire effectuer deux tâches simultanément à un sujet. Si les deux tâches requièrent de l’attention, les performances sont abaissées par rapport à une situation dans laquelle le sujet effectue chacune de ces tâches de manière isolée. Des variantes ont été développées, comme la méthode de l’alternance des tâches (task switching) dans laquelle le sujet doit effectuer une certaine tâche pendant quelques essais puis une autre tâche pendant quelques essais et de nouveau la tâche précédente et ainsi de suite [8]. La mise en jeu de l’attention dans chacune des tâches peut se mesurer par la baisse des performances sur le(s) premier(s) essai(s) de chaque nouvelle tâche : c’est comme si les sujets devaient d’abord désengager leur attention de la tâche précédente. Certains tests utilisés en neuropsychologie reposent sur une problématique très proche de celle qui est sous-jacente à la méthode précédente. Ainsi, dans le test d’assortiment de cartes du Wisconsin, le sujet doit classer des cartes contenant différents nombres d’items, eux-mêmes pouvant varier selon leur forme et leur couleur. Le sujet doit classer selon un mode pendant quelques essais (par exemple la couleur), puis il doit changer de mode de classement au bout d’un certain nombre d’essais. La demande attentionnelle est forte surtout lors du changement de type de classe- Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2004 ; vol. 2, n° 4 : 257-69 Attention et vieillissement ment. Dans le trail making test, les sujets doivent relier des pastilles entre elles. La partie A du test requiert relativement peu de contrôle attentionnel parce que les pastilles à relier correspondent à des séries automatiques (relier la pastille 1 avec la 2, puis la 2 avec la 3, etc.). En revanche, la partie B du test requiert beaucoup plus d’attention parce qu’il faut relier les pastilles selon des séries alternées (relier 1 avec A, puis A avec 2, puis 2 avec B, etc.). Dans tous ces exemples, la difficulté, donc la demande attentionnelle, réside dans le besoin de passer rapidement d’une stratégie de traitement à une autre. • Situation de conflit Dans les situations conflictuelles, le sujet doit répondre à une information cible et ignorer une information non pertinente. Cette information non pertinente rentre en compétition avec l’information cible parce qu’elle conduit à une réponse opposée. Pour que l’information non pertinente ait un effet, il faut qu’elle se situe dans le champ attentionnel (c’est-à-dire au même endroit ou très proche de la cible). L’exemple le plus connu est l’effet Stroop, dans lequel le sujet doit nommer la couleur de l’encre utilisée. Dans la condition contrôle, le sujet doit nommer la couleur d’un rectangle de couleur. Dans la condition de test (conflit), c’est la couleur de l’encre utilisée pour écrire un mot qui doit être dénommée, le conflit résidant dans le fait que le mot exprime lui-même une couleur, différente, venant ainsi interférer avec la réponse correcte. D’autres tests ont été développés, comme le test des flankers, dans lequel, par exemple, une lettre située entre deux autres lettres doit être catégorisée, les lettres adjacentes (flankers) pouvant donner lieu à la même réponse ou non. Un autre test basé sur le conflit est l’amorçage négatif [9]. Par exemple, dans une situation où le sujet doit répondre à un objet cible (la cible étant définie par sa couleur) alors qu’un distracteur (objet d’une autre couleur) est également présent, les temps de réponse sont ralentis quand la cible présentée lors d’un essai donné était un distracteur (ayant alors une autre couleur) lors de l’essai immédiatement précédent. Cerveau et attention Réseaux cérébraux de l’attention L’attention est le produit d’un ensemble d’aires cérébrales ayant chacune un rôle distinct (mais superposable) et complémentaire. Mesulam [10] a proposé le premier système attentionnel en réseau et énoncé un certain nombre de principes. Puisque les différentes Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2004 ; vol. 2, n° 4 : 257-69 aires cérébrales qui constituent le réseau attentionnel fonctionnent ensemble de manière privilégiée, la survenue d’une lésion d’une certaine aire aura des conséquences sur le fonctionnement des autres aires. Cela peut expliquer l’inertie de tout le réseau attentionnel lors d’une lésion d’une partie de ce réseau pendant les quelques semaines ou mois qui suivent un ictus cérébral ; c’est le phénomène de diaschisis fonctionnel. Inversement, du fait d’une certaine redondance entre les différentes aires du réseau, il est possible qu’au bout d’un certain temps de récupération, les aires non lésées viennent suppléer la perte de fonctionnement suite à une lésion localisée. Trois sous-systèmes (selon Posner) Posner a décrit trois sous-systèmes dans le réseau attentionnel, ces trois sous-systèmes pouvant euxmêmes avoir plusieurs composantes attentionnelles [11]. Selon lui, ces trois sous-systèmes ont des fonctions différentes, ne se développent pas de la même manière et reposent sur des régions anatomiques distinctes (figure 2). Commande Vigilance Aires préfrontales (surtout gauches), gyrus cingulaire antérieur Voies neurochimiques ascendantes, régions frontales (surtout droites) Dopamine Noradrénaline Tests de " conflit " Doubles tâches et variantes Tâches de " surveillance " Attention sélective Régions postérieures : pulvinar (engagement), colliculus (mouvement), pariétal (désengagement) Acétylcholine Recherche spatiale Indiçage spatial Stimulus hiérarchisés Figure 2. Réseau attentionnel composé de trois sous-systèmes (modèle de Posner), avec les régions anatomiques, les neuromédiateurs et les paradigmes expérimentaux les plus adéquats. Figure 2. The attentional network according to Posner. Each of the three subsystems is associated with a distinct anatomical basis, a neurotransmitter and specific experimental study paradigms. 261 É. Siéroff, A. Piquard • Sous-système de vigilance Il décrit d’abord un sous-système de vigilance (incluant alerte et attention soutenue), correspondant aux voies neurochimiques ascendantes, notamment noradrénergiques, et, sur le plan cortical, aux régions frontales droites. Ce sous-système assure un aspect quelque peu « primitif » de l’attention, la mise en disponibilité non spécifique du système de réponse. Ce système se développe très tôt permettant au nourrisson de réagir aux stimulus de l’environnement. • Sous-système d’attention sélective Il décrit ensuite le sous-système postérieur de l’attention sélective, qui permet d’effectuer la sélection. Les régions postérieures du cerveau permettraient d’orienter l’attention de manière sélective vers les informations [12]. Ce sous-système se développerait dès les premiers mois de l’enfance et utiliserait essentiellement l’acétylcholine comme neuromédiateur. La mise en jeu de ce sous-système peut être évaluée grâce à des tests de recherche spatiale ou d’indiçage spatial. Posner décrit même des composantes différentes de l’orientation faisant intervenir des structures anatomiques variées, comme le colliculus, le pulvinar (pour l’engagement de l’attention) ou les régions pariétales postérieures (pour le désengagement de l’attention). • Sous-système de commande attentionnelle Enfin, le sous-système de commande (ou contrôle) ferait intervenir les régions préfrontales et la partie antérieure du gyrus cingulaire [13, 14]. Ce soussystème, essentiellement dopaminergique, se développerait plus tardivement que les deux autres, débutant lors de la deuxième moitié de la première année et se poursuivant lors de la deuxième année de la vie. Il permettrait de sélectionner ou de distribuer son attention en fonction des besoins (faire attention à une localisation, à un certain type d’objet, à une phrase entendue, au contenu de la mémoire de travail, à un plan d’action, etc.), de modifier son attention et de résoudre des conflits cognitifs. La notion de commande attentionnelle est très proche des notions de système attentionnel superviseur [15], de système de coordination des programmes moteurs [10] ou des actions, ou encore d’administrateur central de la mémoire de travail [16]. Sa mise en jeu peut être évaluée par les tests de type double tâche ou apparentés et les tests de « conflit ». Différentes composantes ont été décrites par les auteurs (comme l’inhibition comportementale, la flexibilité, la planification, etc.). Cependant, comme le souligne Duncan [17], ces composantes ne semblent correspondre ni à des régions anatomiques distinctes, 262 ni aux performances à des tests spécifiques (même si l’on a tendance à parler de trouble d’inhibition lors de déficit au Stroop et de trouble de la flexibilité lors de déficit au Wisconsin). Il est difficile d’affirmer, par exemple, qu’un déficit dit « d’inhibition » soit de nature fondamentalement différente d’un déficit dit « de flexibilité ». En fait, les théories actuelles sur l’attention ne nous permettent pas encore de donner une image claire des différentes composantes de la commande attentionnelle. Selon LaBerge [1, 14], le contrôle attentionnel (ou commande) repose sur la sélection de l’objet d’intérêt et son maintien. Les régions préfrontales permettraient donc la sélection et le maintien de l’attention. En ce sens, le sous-système « d’attention sélective » décrit par Posner ne serait en fait, selon LaBerge, que « l’expression » de l’attention, contrôlée par les régions préfrontales, dans un domaine précis (localisation, objet) au niveau du cortex postérieur. De plus, le maintien pourrait correspondre à l’attention soutenue (ou concentration), notion souvent confondue dans la littérature avec la vigilance ou alerte tonique. Ce maintien demanderait une forte quantité de contrôle, donc l’intervention des régions préfrontales. Différenciation endogène/exogène Plusieurs hypothèses anatomiques ont été formulées sur la distinction entre l’attention endogène et l’attention exogène. Pour certains, ces deux types de mises en jeu correspondraient aux mêmes réseaux anatomiques. Pour d’autres, ils correspondraient à des réseaux au moins partiellement distincts, mais tous ne s’entendent pas sur le type de distinction. Pour Gainotti [18] par exemple, l’hémisphère droit, spécialisé dans l’alerte et l’orientation de l’attention spatiale, permettrait à l’attention d’être mise en jeu de manière exogène. Une telle hypothèse est congruente avec celle de Posner qui relie, inversement, l’hémisphère gauche avec la commande endogène de l’attention, ce qui rejoint l’idée de Luria d’une importance particulière du langage comme régulateur du comportement. Beaucoup d’auteurs considèrent plutôt que la commande endogène repose sur les structures préfrontales et la mise en jeu exogène sur les structures postérieures, notamment les aires secondaires des différentes modalités sensorielles. D’autres enfin, comme Corbetta et Shulman [19], voient plutôt une distinction entre un réseau fronto-pariétal dorsal pour l’attention volontaire (donc endogène), la recherche et la détection, et un réseau fronto-pariétal ventral pour la capture attentionnelle (exogène) et la mise à jour du contenu du foyer attentionnel. Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2004 ; vol. 2, n° 4 : 257-69 Attention et vieillissement Attention et vieillissement normal Une des constatations les plus évidentes est l’observation d’un ralentissement général du traitement de l’information lors du vieillissement normal, débordant le champ strict de l’attention [20]. Pour expliquer ce ralentissement, certains auteurs suggèrent l’existence d’un facteur général de vitesse qui ralentirait avec l’âge et qui affecterait chacune des étapes du traitement de l’information, des plus périphériques aux plus centrales. Cependant, toutes les conditions expérimentales ne conduisent pas à un ralentissement chez les personnes âgées. Le ralentissement serait plutôt spécifique de certaines tâches et pourrait parfois concerner l’attention qui apparaît bien comme un processus particulièrement sensible aux effets du vieillissement [21], même si les études recherchant une baisse de certaines facultés attentionnelles présentent des résultats discordants. Il est parfois difficile de dire si certaines composantes de l’attention sont perturbées chez les sujets âgés ou si les résultats expérimentaux sont le résultat du ralentissement général. Un ralentissement conduirait en effet à des difficultés pour résoudre certaines tâches, obligeant le sujet à développer des stratégies moins efficaces. Attention sélective L’attention sélective serait moins efficace chez le sujet âgé, comparativement au sujet jeune [21, 22]. Cet effet de l’âge a été mis en évidence en utilisant différents paradigmes incluant notamment des tâches de recherche visuelle ou de barrage de cibles. Un déficit du traitement global attribué à un rétrécissement du champ attentionnel a également été rapporté [23]. Le paradigme d’indiçage spatial de Posner a été largement utilisé pour étudier l’effet de l’âge sur l’attention sélective visuospatiale. Certains auteurs suggèrent que le vieillissement serait associé à un déficit de la composante de désengagement de l’attention sélective [22, 24, 25]. Ce trouble pourrait d’ailleurs concerner surtout le désengagement de l’attention d’un objet vers un autre [24], plutôt que le désengagement d’un endroit vers un autre. Le système attentionnel postérieur (notamment les régions pariétales postérieures) impliqué dans le désengagement d’une localisation serait préservé dans le vieillissement. En revanche, les régions inférotemporales, impliquées dans les opérations d’identification et de reconnaissance des propriétés des objets, seraient plus sensibles aux effets de l’âge et des maladies liées à l’âge, ce qui expliquerait le Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2004 ; vol. 2, n° 4 : 257-69 trouble du désengagement d’un objet vers un autre dans le vieillissement. Commande attentionnelle Les difficultés attentionnelles liées à l’âge pourraient également se situer au niveau des processus de commande. Ainsi, les sujets âgés seraient plus perturbés par des situations de doubles tâches que les sujets jeunes [26-28], voir aussi dans l’alternance des tâches (task switching) [8]. De plus, les sujets âgés présentent des difficultés de ce que certains auteurs ont appelé les processus inhibiteurs [29, 30]. Ces processus contrôlent l’accès et le maintien dans la mémoire de travail des informations non pertinentes pour la tâche en cours, ainsi que leur rejet. Les études conduites sur l’amorçage négatif montrent souvent une réduction des effets chez les sujets âgés [28], mais ce n’est pas toujours le cas, les différences de résultats provenant parfois de différences de procédures. Même les résultats concernant l’inhibition de retour, c’est-à-dire le ralentissement des temps de réponse à une cible lorsqu’elle apparaît après un certain délai à un endroit où le sujet a déjà porté son attention, semblent dépendre des conditions expérimentales. West [31] a observé que l’effet Stroop n’augmentait pas avec l’âge dans une tâche requérant un contrôle attentionnel minimal lorsque la plupart des essais sont congruents. En revanche, l’effet Stroop augmente chez les personnes âgées quand la tâche requiert un fort contrôle attentionnel, par exemple lorsque la plupart des essais sont non congruents. Il y aurait un déclin lié à l’âge dans la capacité à se représenter le contexte de la tâche, ce qui pourrait entraîner des problèmes de mémoire de travail. Il y aurait donc une perte de certains processus inhibiteurs chez les sujets âgés. Pour certains auteurs, les personnes âgées n’arrivent pas à inhiber les informations non pertinentes. Ce défaut d’inhibition aurait pour conséquence une surcharge de la mémoire de travail (ce qui pourrait expliquer l’implication accrue des régions frontales gauches dans beaucoup de tâches chez les personnes âgées). Cela pourrait aussi expliquer certains phénomènes comme la verbosité, qui peut sans doute participer (avec d’autres facteurs en dehors du sujet de cet article) au rejet social de la personne âgée. Il est possible ainsi que certains mots entendus évoquent un certain nombre d’associations sémantiques qui sont normalement inhibées lors d’une conversation courante parce non pertinentes, mais qui ne le sont plus chez les personnes âgées : leur discours devient alors quelque peu « hors sujet » ! 263 É. Siéroff, A. Piquard Attention soutenue et vigilance L’attention soutenue serait relativement préservée [32], mais elle serait sensible à l’âge lorsque la fréquence des stimulations est élevée et que la localisation des items est aléatoire, c’est-à-dire lorsque la charge en attention sélective visuelle est plus importante. Attention et pathologies focales associées au vieillissement : les syndromes cliniques L’étude des performances des patients présentant des lésions focales permet de décrire plusieurs types de syndromes cliniques se traduisant par un trouble attentionnel. Nous décrirons très succinctement deux d’entre eux, le syndrome frontal et l’héminégligence qui se rencontrent dans les pathologies associées au vieillissement, comme dans les accidents vasculaires cérébraux ou les processus dégénératifs (héminégligence lors de la maladie d’Alzheimer ; syndrome frontal dans presque toutes les dégénérescences). Syndrome frontal Décrit dès le XIXe siècle avec le cas désormais célèbre de Phineas Gage, puis ignoré par les neuropsychologues et les neuropsychiatres de la première moitié du e XX siècle, le syndrome frontal est une désorganisation assez vaste du comportement. Il se traduit par une désinhibition sociale, une impulsivité ou au contraire une apathie, voire un mutisme et, sur le plan cognitif, par une grande distractibilité et une psychorigidité. Malgré cela, les patients exécutent bien les tâches simples, ne requérant pas ou peu d’attention, ce qui explique que le déficit ait été ignoré pendant longtemps. Les indices environnementaux déclenchent eux-mêmes des schémas d’activation ou routines permettant de répondre aux questions pour lesquelles une nouvelle réponse n’a pas besoin d’être formulée. Ainsi, les tests de mémoire sémantique seraient relativement épargnés par le déficit. L’approche attentionnelle a permis de mieux comprendre les troubles cognitifs observés dans le syndrome frontal. Le déficit cognitif est pourtant facilement mis en évidence par les tests requérant de sélectionner une stratégie de traitement ou de changer de stratégie en cours de test [33]. Ainsi, les patients font des persévérations lors des changements de classification dans le test de Wisconsin, ont des difficultés à alterner les séries dans la partie B du trail making test et à effectuer 264 des tâches doubles ou alternées. Leur défaut de sélection attentionnelle se traduit aussi par un score anormal dans la condition « conflictuelle » du test de Stroop. De plus, ils ont des difficultés lors de toute tâche complexe (copie d’une figure complexe, résolution de problèmes, etc.). Il faut toutefois noter que les tests utilisés pour mettre en évidence les déficits cognitifs du syndrome frontal ne sont pas spécifiques et peuvent être perturbés par d’autres types de lésions, sous-corticales ou corticales postérieures. Le diagnostic de syndrome frontal doit résider sur un faisceau d’arguments et l’utilisation de plusieurs tests est recommandée. Les patients auraient un trouble de la commande endogène de l’attention qui perturbe leurs performances aux tests nécessitant de contrôler leur réponse. Ce manque de contrôle se retrouve à l’extrême dans les comportements d’imitation et d’utilisation décrits par François Lhermitte. Il explique aussi leur désinhibition sociale et leur grande distractibilité : leur comportement est guidé par les modifications du monde extérieur (attention exogène). Les patients présentent aussi un trouble du maintien de l’attention (ou attention soutenue), c’est-à-dire un trouble de concentration, se traduisant par une difficulté particulière à effectuer des tâches longues. Une autre caractéristique des patients souffrant de lésion frontale est cette incapacité à résoudre certaines tâches (comme l’alternance des types de classement dans le test d’assortiment) malgré une bonne analyse de la situation : le patient peut, quand on lui demande, décrire ce qu’il aurait dû faire, mais il n’arrive pas à le faire quand il est en situation. Cette caractéristique clinique, qui peut prendre des allures dramatiques dans la vie sociale du patient, a été appelée la « négligence des buts » par Duncan : le patient connaît le but de la tâche, mais le néglige quand il exécute la tâche. Héminégligence L’héminégligence ou négligence spatiale unilatérale est un syndrome relativement fréquent survenant essentiellement lors de lésions de l’hémisphère droit, plus volontiers postérieures, pariéto-temporales. Les patients ont tendance à ignorer les événements situés du côté de l’espace controlatéral à leur lésion, donc le côté gauche le plus souvent. Ils ont des difficultés à orienter leur attention vers ce côté et cela se traduit par un oubli d’items lors du test de barrage ou du test des cloches. En fait, le syndrome est composite et il n’y a pas de corrélations entre, par exemple, les résultats obtenus au test de barrage et ceux obtenus dans un Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2004 ; vol. 2, n° 4 : 257-69 Attention et vieillissement autre test explorant l’héminégligence, la bissection de ligne. Ils présentent également des difficultés dans le test d’indiçage spatial de Posner, notamment de désengagement de l’attention lorsque l’indice est situé du même côté que la lésion et la cible du côté opposé [7], mais aussi, semble-t-il, d’engagement de l’attention traduit par un retard des réponses du côté opposé à la lésion, même avec un indice valide [34]. Si les événements du côté négligé sont parfois traités jusqu’à un niveau sémantique et peuvent même influer sur le comportement (voir par exemple les effets d’amorçage sémantique), les patients n’y portent pas attention [35]. Les conséquences pour la vie courante sont considérables (incapacité de se diriger ou de conduire une activité qui requiert de traiter des informations visuospatiales, pouvant entraîner, par exemple, de gros troubles de la lecture), montrant toute l’importance de l’attention sélective spatiale dans notre vie quotidienne. Assez souvent, le trouble concernerait davantage l’orientation exogène de l’attention que l’orientation endogène [18]. Les patients ont leur attention attirée par les événements survenant du côté de la lésion, mais peuvent arriver, dans certains cas, à orienter volontairement leur attention vers le côté opposé. Même si la tâche est rude du fait du biais initial en faveur des informations ipsilatérales à la lésion, une rééducation est possible en répétant sans cesse aux patients de penser à leur côté gauche opposé. Les études futures devraient nous indiquer si la capacité résiduelle à orienter l’attention endogène vers le côté opposé à la lésion dépend de la topographie de la lésion (notamment en l’absence de lésion préfrontale). tien volontaire de l’attention visuelle. Une diminution de la rapidité du traitement et des ressources attentionnelles est également couramment décrite. Les résultats des études neurochimiques suggèrent que le déclin des capacités attentionnelles des patients souffrant de la maladie d’Alzheimer dépendrait d’une atteinte du système cholinergique. Les études neuroradiologiques et d’activation cérébrale ont montré que les troubles attentionnels résulteraient notamment d’un dysfonctionnement des réseaux corticaux qui relient les régions pariétales postérieures aux lobes frontaux. Les atteintes pariétales étant généralement plus précoces que les atteintes frontales, il en résulterait un déficit précoce de l’attention sélective visuospatiale [37]. D’autres études ont souligné l’implication de régions sous-corticales comme le pulvinar [38]. • Attention sélective visuospatiale La maladie d’Alzheimer Un déficit d’attention sélective a été décrit à de nombreuses reprises, que ce soit à travers des épreuves de discrimination de lettres, de jugement d’orientation de lignes ou de recherche visuelle [22, 36]. L’exploration visuelle requiert une certaine flexibilité entre les modes global et local d’allocation attentionnelle. Cette flexibilité dynamique entre les deux modes serait perturbée dans la maladie d’Alzheimer, et un déficit d’attention globale a été décrit à plusieurs reprises à l’aide de tâches utilisant des stimulus hiérarchisés ou de tâches psychophysiques. Par ailleurs, Maruff et al. [39] ont décrit des asymétries attentionnelles dans une tâche d’orientation covert (indépendamment des mouvements oculaires) : si certains patients présentent un ralentissement des temps de réponse pour les cibles apparaissant dans les deux hémichamps, d’autres, peut-être dans un stade moins avancé de la maladie, présentent un ralentissement uniquement dans un hémichamp. Ces derniers présenteraient un déficit fonctionnel des aires attentionnelles dans un seul hémisphère. Plusieurs auteurs ont même décrit l’existence d’une héminégligence spatiale. Les critères du DSM-IV (American psychiatric association) n’évoquent pas l’existence de troubles attentionnels dans la maladie d’Alzheimer. Pourtant, lors d’un examen détaillé recourant aux tests neuropsychologiques adéquats, l’attention se révèle effectivement compromise dès les stades précoces de la maladie, à des degrés variables sans doute, mais dans beaucoup de ses aspects [22, 36]. Le traitement contrôlé de l’information serait plus perturbé que le traitement automatique et les patients auraient des difficultés dans le main- Le paradigme d’indiçage spatial a été largement utilisé. Il existe une grande variabilité des performances attentionnelles dans la maladie d’Alzheimer, mais des difficultés spécifiques du désengagement ont été souvent observées [22], alors que l’engagement serait préservé. Lorsque l’indice est périphérique, les difficultés de désengagement seraient présentes dans une tâche de discrimination (décider si une lettre présentée est une voyelle ou une consonne) plus souvent que dans une simple tâche de détection. De plus, le déficit Attention et pathologies associées au vieillissement : les processus dégénératifs Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2004 ; vol. 2, n° 4 : 257-69 265 É. Siéroff, A. Piquard Points clés • La plupart des théories sur l’attention reconnaissent l’existence d’un réseau cérébral composé de plusieurs sous-systèmes attentionnels, dont le bon fonctionnement peut être évalué grâce à des expériences spécifiques. • Le ralentissement rencontré lors du vieillissement normal peut, au moins en partie, s’expliquer par un déclin de l’attention. • Les lésions cérébrales focales peuvent engendrer des troubles de la commande attentionnelle (syndrome frontal) ou des troubles de l’attention sélective spatiale (héminégligence). • La maladie d’Alzheimer s’accompagne précocement d’un trouble de l’orientation de l’attention sélective spatiale et, en général plus tardivement, d’un trouble de la commande attentionnelle. • Des troubles de l’attention sont souvent rencontrés lors d’autres processus dégénératifs, comme la démence frontotemporale et la maladie de Parkinson. apparaîtrait surtout lors de l’orientation endogène ou volontaire de l’attention [22, 39, 40]. Kavcic et Duffy [41] ont récemment administré la tâche RSVP (rapid serial visual presentation) qui consiste en la présentation séquentielle d’une ou deux lettres-cibles (apparaissant en majuscules) présentée(s) parmi une série de nombres (distracteurs). Lorsque deux lettres doivent être identifiées (T1 et T2), des distracteurs (entre 0 et 6) peuvent s’intercaler entre la première (T1) et la deuxième (T2) cible. Dans cette condition, les patients ont un taux d’identification de 49 %, bien inférieur à celui du groupe de sujets normaux de contrôle (74 %). Les patients identifient la première des deux lettres mais pas la seconde. Leur taux d’erreurs est proportionnel au nombre de distracteurs séparant les deux lettres-cibles, suggérant des difficultés d’intégration temporelle dans la perception visuelle. • Commande attentionnelle Un déficit de la commande attentionnelle est retrouvé chez les patients souffrant d’une maladie d’Alzheimer, notamment dans des situations de doubles tâches (passation simultanée d’une épreuve de barrage et d’une épreuve d’empan de chiffres, ou d’une tâche de temps de réponse auditif simple et d’une tâche de décision d’identité visuelle de deux items). De faibles performances obtenues à d’autres épreuves, comme la recherche visuelle de plusieurs cibles, le 266 barrage de cibles ayant plusieurs caractéristiques ou encore le trail making test ont conduit les auteurs à la même interprétation [27]. Plusieurs études ont rapporté des déficits dits d’inhibition par comparaison avec des sujets âgés contrôles. Les patients souffrant d’une maladie d’Alzheimer présenteraient un déficit dans l’épreuve de Stroop (revue dans [36]) et un taux d’erreurs persévératives et d’intrusions anormalement élevé dans des tâches verbales. Les résultats des épreuves d’amorçage négatif sont variables et l’inhibition de retour serait préservée. • Attention soutenue et vigilance Quant à la vigilance et à l’attention soutenue, il est difficile de conclure. Elles seraient atteintes de façon relativement précoce selon certains et relativement bien préservées selon d’autres. La démence frontotemporale La démence frontotemporale se caractérise, au niveau neuropsychologique, par un trouble du fonctionnement exécutif [38, 42]. Les difficultés attentionnelles des patients s’observent déjà au niveau comportemental : rigidité mentale et manque de flexibilité, distractibilité et impersistance, comportements persévératifs et stéréotypés. Les troubles attentionnels concernent la commande attentionnelle, avec un déficit de shifting (par exemple dans le test d’assortiment du Wisconsin), une incapacité à inhiber des réponses surapprises (par exemple dans le test de Stroop), une organisation et une séquenciation pauvres, etc. [43]. Les patients présentant une démence frontotemporale à un stade précoce ont des difficultés d’attention préparatoire, c’est-à-dire de la capacité à se préparer à traiter une information et à y répondre sans être distrait par la survenue éventuelle d’événements distracteurs [44], alors que les patients souffrant de maladie d’Alzheimer à un stade précoce ne semblent pas présenter un tel trouble [45]. Par ailleurs, des difficultés observées à des tests formels mnésiques, langagiers, perceptifs et spatiaux peuvent être la conséquence de déficits associés au dysfonctionnement des lobes frontaux comme l’inattention, une perte d’autocontrôle ou encore un manque d’intérêt pour la précision, au moins chez les patients dont la dégénérescence est essentiellement frontale. Les difficultés mnésiques des patients présentant une démence frontotemporale sont ainsi interprétées comme la conséquence des difficultés attentionnelles de concentration, de mémoire de travail et de stratégies de recherche [46]. Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2004 ; vol. 2, n° 4 : 257-69 Attention et vieillissement La maladie de Parkinson L’innervation dopaminergique du cortex préfrontal joue un rôle fondamental dans les tâches attentionnelles. Par ailleurs, l’engagement automatique ou exogène de l’attention et le maintien de l’attention dépendraient des ganglions de la base. La maladie de Parkinson est donc susceptible de perturber plusieurs composantes de l’attention associant des effets consécutifs aux lésions frontales (contrôle volontaire de l’attention) à des effets consécutifs au dysfonctionnement sous-cortico-frontal [47, 48]. • Attention sélective Les patients souffrant de maladie de Parkinson présenteraient des difficultés d’attention sélective, se traduisant par une baisse de performance dans des épreuves de catégorisation perceptive et de jugement d’orientation de lignes. Dans des tâches utilisant des indices spatiaux centraux, les patients atteints de maladie de Parkinson, mais non déments, présentent un effet moindre de l’indiçage [49, 50] : leurs temps de réponse à la cible ne sont pas meilleurs dans la condition valide que dans la condition non valide. Cette absence de différence a été interprétée comme le reflet d’un ralentissement dans le mouvement de l’attention spatiale. Une plus grande « facilité » dans le désengagement de l’attention a également été observée et interprétée comme un déficit dans le maintien de l’attention ou comme un déclin rapide de l’inhibition [50]. Parfois, les effets d’indiçage seraient au contraire anormalement grands, par exemple lors d’indiçage périphérique pour les SOA courts, suggérant une possible orientation de l’attention exogène exagérée vers des stimulus périphériques [51]. Ce trouble de l’attention exogène interviendrait dans d’autres déficits cognitifs rencontrés dans la maladie de Parkinson comme les déficits visuoperceptifs ou les déficits d’apprentissage. Par ailleurs, Filoteo et al. [50] ont observé une réduction des effets d’indiçage périphérique pour les SOA les plus longs (1 000 ms), qu’ils ont attribué à une réduction de l’inhibition de retour. Le déficit dans le maintien de l’inhibition serait peut-être à l’origine du déficit général d’attention sélective chez ces patients. • Commande attentionnelle Dans la maladie de Parkinson, des déficits attentionnels sont rencontrés dans les tâches qui mettent en jeu Psychol NeuroPsychiatr Vieillissement 2004 ; vol. 2, n° 4 : 257-69 le conflit ou l’inhibition : test de Stroop, paradigme de Brown-Peterson [52], catégorisation perceptive, paradigmes d’alternance entre deux sets [48]. Des études ont montré, par ailleurs, des effets anormaux d’amorçage négatif, mais les résultats sont contradictoires puisque certains auteurs ont rapporté une exagération des effets [53], et d’autres des effets moindres. Certaines différences de caractéristiques dans les tâches (position des stimuli, type de stimuli, feedback donné ou non sur la performance, réponse unimanuelle ou bimanuelle, etc.) peuvent expliquer en partie ces divergences. Conclusion L’attention est une fonction particulièrement fragile lors du vieillissement. Des déficits massifs sont retrouvés lors de lésions dégénératives ou non, avec, par exemple, des troubles précoces de l’attention sélective spatiale dans la maladie d’Alzheimer, mais aussi des troubles de la commande attentionnelle (fonction régulatrice de contrôle) dans beaucoup de processus dégénératifs. Dans le vieillissement normal, des difficultés attentionnelles pourraient contribuer au ralentissement fréquemment observé chez les sujets âgés. Ainsi, les fonctions de contrôle déclinent avec l’âge, comme en témoignent les performances aux tests mettant en jeu plusieurs tâches (simultanées ou séquentielles), ou aux tests de résolution de conflit (dans lesquels une information interférente doit être inhibée), ainsi que les difficultés à prendre en compte les informations contextuelles (ce qui doit permettre normalement de garder en vue un but donné lors du déploiement de l’attention). Actuellement, les modèles séparant attention sélective, commande attentionnelle et vigilance permettent de produire un tableau relativement clair de ces troubles attentionnels. Il reste toutefois quelques résultats discordants qui pourraient dépendre des différences entre les tests utilisés et de la variabilité des populations étudiées (chez les patients, mais aussi chez les sujets normaux en fonction de la tranche d’âge). Cependant, les théories cognitives et les modèles anatomiques évoluent et devraient permettre, à l’avenir, de préciser les mécanismes intimes du contrôle attentionnel et de son déclin avec le vieillissement. 267 É. Siéroff, A. Piquard Références 1. LaBerge D. Attentional processing : the brain’s art of mindfulness. Cambridge : Harvard University Press, 1995. 2. Johnston WA, Dark VJ. Selective attention. Annu Rev Psychol 1986 ; 37 : 37-75. 3. Allport A. Visual attention. In : Posner MI, ed. Foundations of cognitive science. Cambridge : MIT Press, 1989 : 631-82. 4. 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