L’invention des normes de genre et de sexualité dans les mouvements révolutionnaires (1789-1968) Journée d’étude IHRF (Paris I Panthéon-Sorbonne). Avec le soutien du Centre d’études Genre (Paris 8 VincennesSaint-Denis). Organisée par Clyde Plumauzille (monitrice à Paris I) et Caroline Fayolle (monitrice à Paris 8). Prévue pour octobre 2009. Horizon et temporalités Cette journée d’étude se propose d’analyser comment les mouvements révolutionnaires déstabilisent et repensent les normes sexuelles et sexuées de leur société, à la fois dans leurs discours et dans leurs pratiques militantes. Elle présuppose que la subversion et l’invention des normes de genre et de sexualités, produites par ces mouvements, éclairent non seulement les conceptions du politique de ces derniers, mais aussi les non-dits de l’ordre social remis en question. Pour souligner à la fois le caractère discontinu de l’histoire de ces mouvements et les mécanismes de résonances et de réminiscences qui les font dialoguer, il nous a paru intéressant de comparer des mouvements révolutionnaires issus de différentes époques (de 1789 à 1968) et de différents lieux (France, Russie, Espagne, États-Unis…). Choisie comme point de départ, la Révolution française entraîna des débats, notamment sur le divorce, visant redéfinir les normes de genre et sexualité pour construire les bases d’une société régénérée. De même, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, en devenant une référence légitimante, ouvre pour les temps à venir un espace d’émergence aux discours critiques visant à dénaturaliser la répartition hiérarchique des rôles sexués. Si la Révolution française trouve des échos dans les mouvements révolutionnaires du XIXe et du XXe siècles, jusqu’aux pensées utopiques et égalitaires de mai 1968, c’est au travers de cet héritage double et parfois contradictoire : à la fois la volonté de remettre en cause les hiérarchies établies et l’aspiration normative à reconstruire ce que sera l’homme nouveau et la femme nouvelle. Subvertir et réinventer la norme Ainsi, il nous faut saisir au cœur de ce processus la fabrique normative à l’œuvre dans la matrice révolutionnaire. Il convient d’étudier celle-ci comme un espace d’expériences où 1 l’invention de nouvelles normes vient redéfinir l’univers des possibles. Par normes, on entend toutes prescriptions d’agir dans un sens déterminé et sanctionnées dans le cadre d’un « ordre de contrainte efficace »1. En ce sens, elles constituent une modalité essentielle d’application du pouvoir comme du contre-pouvoir. D’un point de vue socioculturel, le concept de norme désigne tout un ensemble diffus de valeurs qui contraignent implicitement le comportement des individus en société, définissant un fonctionnement « normal » de celui-ci2. Mais ces dernières peuvent également être un instrument de subversion de l’ordre établi dès lors qu’un groupe d’individus agit sur ce système ou bien lui résiste. L’étude des entreprises de normalisation qui se jouent au sein des mouvements révolutionnaires permet de saisir les règles socioculturelles qui participent de la définition et de la gestion des individus tant par le pouvoir que par eux mêmes. C’est dans le cadre de cette interrogation sur les pratiques normatives qu’interviennent les deux biais conceptuels de genre et de sexualité afin d’appréhender la place du sexe en révolution. Le genre et la sexualité, des outils d’analyse historique La polysémie du terme « genre » en français explique l’incompréhension dont il fait souvent l’objet3. Pour se référer à l’article fondateur de Joan Scott, « le genre : une catégorie utile d’analyse historique », traduit en français en 1988, le genre est défini comme « un élément constitutif des relations sociales fondées sur les différences perçues entre les sexes » et comme « un mode fondamental de signifier les rapports de pouvoir4. » Autrement dit, faire l’histoire du genre équivaut à analyser la construction sociale et culturelle de la différence et de la hiérarchie entre les sexes. Il est nécessaire de ne pas glisser du genre aux genres. Le risque est en effet de passer « de l’examen du genre – comme rapport de pouvoir et principe de division – aux « genres », un déjà-là dont il s’agirait d’observer et décrire la dualité5. » L’écriture de l’histoire du genre se distingue donc de l’histoire des femmes, dans le sens où elle s’intéresse non pas seulement aux femmes comme actrices ou sujets d’histoire, mais aussi à la construction de la catégorie « femme » et des identités sexuées. Elle n’est pas non plus l’histoire de la relation entre les sexes, mais celles des rapports de pouvoir qui s’exercent dans cette relation. 1 Kelsen, Hans , Théorie pure du droit, Paris, LGDJ, 1999, p.25. Foucault, Michel, Les Mots et les Choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 368. 3 Planté, Christine, « la confusion des genres », dans Sexe et genre, De la hiérarchie entre les sexes, Seuil, Paris, 1991, p. 51. 4 Scott, Joan, « Genre : Une catégorie utile d’analyse historique », dans Riot-Sarcey Michèle, Varikas Eleni, et Planté, Christine, (dir.) Le Genre de l’histoire, Cahiers du GRIF/Ed. Tierce, N°37-38, 1988, p. 141. 5 Varikas, Eleni, Penser le sexe et le genre, Paris, Presse Universitaire de France, 2006. 2 2 Tout comme le genre, la sexualité est un concept essentiel pour saisir les hiérarchies interindividuelles et leurs fonctions politiques. Définie par le fait d’ « avoir » ou de « faire » du sexe6 , la sexualité n’est pas appréhendée comme une réalité absolue et « naturelle » mais au contraire comme une construction historique, relative à un contexte, à des savoirs et à des pratiques. Selon Michel Foucault, depuis le XVIIIe siècle, le sexe constitue un objet d’analyse rationnelle générant une véritable « explosion discursive ». L’émergence de ce « dispositif de sexualité » établit des liens de causalité entre désir et identité personnelle7, faisant de la sexualité un élément clé de la subjectivité moderne. Les pratiques corporelles et leurs représentations scientifiques et fantasmatiques permettent donc d’étudier les définitions des rapports à soi et des rapports interindividuels au sein de la société. En cela, la sexualité est un des modes par lequel la société fait l’expérience d’elle-même, d’où le biais intéressant qu’elle offre pour saisir les dimensions identitaires de l’invention politique et sociale que propose les mouvements révolutionnaires. Pour comprendre en quoi les mouvements révolutionnaires, en repensant les normes de genre et de sexualité, place l’individu privé au cœur du politique, interviendront des chercheuses et des chercheurs issus de différentes disciplines (majoritairement des historien.nes, mais aussi des philosophes et des sociologues). Plusieurs interrogations ouvriront le débat : Quel éclairage les outils d’analyse historique du genre et de la sexualité portent-ils sur les mouvements révolutionnaires? En quelle mesure les questions du genre et des sexualités divisent et/ou structurent les mouvements révolutionnaires ? Lorsqu’il s’agit de mouvements minoritaires, en quoi l’invention de nouvelles conceptions et pratiques du rapport entre les sexes s’inscrit-elle dans une critique politique de l’ordre existant ? Est-ce que la remise en cause des hiérarchies entre les femmes et les hommes par certains mouvements révolutionnaires s’accompagne-t-elle d’un réel effacement des rapports de dominations entre les sexes dans leur fonctionnement ? 6 7 Dorlin, Elsa, Sexe, Genre et Sexualités. Introduction à la théorie féministe, Paris, PUF, 2008, p. 20. Foucault, Michel, Histoire de la sexualité, t. I : La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 163-164. 3