L’alimentation méditerranéenne : un art du bien manger, favorable à la santé Éric BIRLOUEZ - Agronome consultant et enseignant en Histoire et Sociologie de l’Alimentation L’alimentation méditerranéenne traditionnelle satisfait largement aux recommandations relatives à l’équilibre nutritionnel et à la prévention de nombreuses pathologies. Sa composition - en particulier la part importante des fruits, des légumes et des céréales – s’accorde en effet avec les conseils dispensés par le Programme National Nutrition Santé (PNNS). A l’image du fameux « régime crétois », elle suscite un engouement croissant de la part des mangeurs des pays industrialisés (pour des raisons qui sont aussi, en partie, de nature « imaginaire » et symbolique). Amplifié par les médias et « récupéré » par les acteurs de la filière alimentaire, cet intérêt fait aussi l’objet de simplifications outrancières : l’alimentation méditerranéenne est parfois réduite à la seule consommation d’huile d’olive, voire nous est proposée sous la forme de gélules ! Or, les bienfaits pour la santé de ce mode d’alimentation ne résultent pas seulement des aliments qui le constituent, considérés isolément. Ils tiennent également à une certaine façon de manger, à une « culture alimentaire » particulière. Quelles sont donc ces autres caractéristiques qui rendent l’alimentation méditerranéenne particulièrement favorable à la santé ? Tel ou tel des aspects évoqués ci-après peut, bien entendu, se rencontrer dans d’autres cultures ; mais c’est leur association qui apparaît spécifique des cuisines de cette partie du monde. • Traditionnellement, la frugalité était l’une des caractéristiques marquantes des comportements alimentaires dans la zone méditerranéenne. Face à la sédentarité croissante et à la tendance au « grignotage » d’aliments à densité énergétique élevée, ce principe de modération rencontre un large écho dans le contexte actuel de lutte contre le surpoids et l’obésité. Remarquons au passage que cette frugalité ne résultait pas de la « sagesse » millénaire des peuples méditerranéens : elle était avant tout le fruit de la nécessité et de la pauvreté, la conséquence obligée de déterminismes naturels (sols ingrats, sécheresse estivale) et historiques (guerres, invasions, pillages). • Un second aspect de l’alimentation méditerranéenne réside dans sa grande diversité, un facteur reconnu comme une des clés de l’équilibre nutritionnel. Cette variété n’apparaît pas seulement au niveau du contenu de l’assiette, mais elle existe également entre les pays. C’est pourquoi, parler de l’alimentation méditerranéenne, au singulier, est une simplification : malgré l’existence de traits communs, les cuisines de la Méditerranée sont contrastées (ce que l’on mange à Beyrouth est très différent de ce que l’on consomme à Marrakech, Séville, Naples ou Marseille). • La recherche du plaisir alimentaire (les saveurs, mais aussi les arômes, les textures, les couleurs…) est une autre caractéristique de la culture méditerranéenne. Les plats ont pour première fonction d’exciter l’appétit ; le refus de la monotonie alimentaire favorise la diversité des aliments consommés et, partant, l’équilibre nutritionnel. § Dans l’ensemble des pays méditerranéens, la journée est structurée autour de trois repas. Traditionnellement, le déjeuner constitue le repas principal, sur le plan des quantités ingérées. Il l’est encore aujourd’hui, y compris dans les pays industrialisés d’Europe du sud, malgré l’expansion de la journée continue (le repas du soir tend en effet à se simplifier). • Mais le repas socialement privilégié est le dîner, au cours duquel la famille se retrouve autour de la table. Beaucoup plus affirmée que dans les pays anglo-saxons, la dimension conviviale du repas est un important facteur de résistance à la déstructuration de l’alimentation. De plus, les repas en famille favorisent la consommation d’aliments frais ou peu transformés :dans le bassin méditerranéen, la grande majorité des femmes continuent de cuisiner tous les jours, même si le temps consacré à cette activité diminue. Par ailleurs, les produits frais préparés à la maison sont aussi, traditionnellement, des produits de saison, ce qui préserve encore plus leur teneur en micronutriments. • La culture méditerranéenne se caractérise également par des repas consommés sans précipitation ce qui, ajouté aux bienfaits de la convivialité et de la… sieste, produit un effet relaxant permettant de mieux faire face aux stress quotidiens. • En revanche, les cuisines traditionnelles de cette partie du monde sont très exigeantes en temps de préparation, ce qui est difficilement compatible avec les rythmes et les modes de vie contemporains. De même, certaines pratiques culinaires répandues peuvent faire frémir d’horreur les adeptes de l’alimentation saine (plats longuement mijotés dans un bain d’huile, friture à haute température…). C’est pourquoi, il serait irréaliste de chercher à reproduire sans discernement un prétendu « modèle ». Il n’en reste pas moins que l’alimentation méditerranéenne peut nous enseigner un « art du bien manger ». La modération, la variété des aliments et leur association judicieuse, le plaisir de manger avec appétit, la structuration des repas, l’importance des produits frais et le respect de leur saisonnalité, la détente procurée par des repas pris sans hâte et dans une atmosphère conviviale, la redécouverte d’une « proximité » avec l’aliment au travers de la pratique culinaire… tous ces facteurs sont favorables à une bonne santé. Une notion que l’OMS définit comme « un état complet de bienêtre physique, mental et social ». Éric BIRLOUEZ - Agronome et sociologue, enseignant en Histoire et Sociologie de l’Alimentation