Thérapie génique, cellules souches, thérapie cellulaire Prof. Alex Mauron, Institut d’éthique biomédicale Plan 1. 2. 3. Thérapie génique: des questions importantes dans l’histoire de la bioéthique (et peut-être son avenir) Cellules souches, médecine régénérative. Le clonage thérapeutique: un problème du passé avant d’avoir eu un avenir? 1. Thérapie génique Thérapie génique: quelques sites web Thérapie génique, définitions et introduction: http://www.ornl.gov/hgmis/medicine/genetherapy.html z Compte rendu de l’affaire Gelsinger: http://www.fda.gov/fdac/features/2000/500_gene.html z Un site de nouvelles scientifiques qui montre que les recherches en thérapie génique sont de nouveau actives. http://www.sciencedaily.com/news/health_medicine/gen e_therapy/ z Thérapie génique z Définition : traitement curatif ou préventif d’une maladie par l’introduction (ou la modification) de gènes de certaines cellules du patient. 4 modes d’action envisageables 1. Insérer un gène thérapeutique dans le génome. 2. Insérer un gène normal à la place d’un gène défectueux par recombinaison homologue Réparer un gène défectueux 3. 4. Altérer l’expression d’un gène endogène Thérapie génique somatique La thérapie génique somatique comme correction génique : - possible pour les maladies monogéniques récessives (déficience en adénosine-désaminase, hémophilie, etc.) - théoriquement envisageable, mais très complexe, pour les maladies monogéniques dominantes (chorée de Huntington). Thérapie génique somatique au-delà de la correction génique La thérapie génique comme “chimiothérapie à base d’ADN” (« L ’ADN médicament », Axel Kahn) - la thérapie génique a un champ d’application potentielle beaucoup plus large si on la considère comme un moyen d’apporter un produit de gène particulier dans un tissu-cible. ¾ ¾ La thérapie génique n’est pas restreinte aux maladies génétiques. La majorité des essais cliniques de thérapie génique ont concerné les cancers. Thérapie génique somatique : exemples de développements récents z z z z Vecteurs viraux plus sophistiqués nanoparticules Microliposomes capables de passer les pores nucléaires Extinction ciblée de l’expression génique par siRNA: chorée de Huntington (Davidson, U. Iowa). D’après New Scientist, 13.3.03 Le thérapie génique administre soit des vecteurs viraux ou des acides nucléiques sous diverses formes, soit des cellules transformées ex vivo: dans ce derniers cas elle est assimilable à une thérapie cellulaire. Distinctions conceptuelles (1) Thérapie génique somatique - thérapie génique germinale La thérapie génique somatique touche un type donné de cellules somatiques du patient (ex: cellules souches hématopoïétiques dans le traitement des immunodéficiences héréditaires). La modification génétique est - au maximum - limitée à la durée de vie du patient. La thérapie génique germinale touche les cellules germinales et concerne donc potentiellement les générations futures. Les recherches actuelles concernent exclusivement la thérapie génique somatique, mais le débat d’éthique porte sur les deux. Distinctions conceptuelles (2) Thérapie au sens strict - traitement génétique amélioratif. La thérapie au sens strict concerne les maladies avérées et vise une forme de “restitutio ad integrum” ou de réparation fonctionnelle. L’intervention améliorative cherche à conférer à des sujets humains des propriétés nouvelles par rapport à l’humanité standard. La position éthique “standard” (d’après L. Walters) Objectif thérapeutique au sens strict Objectif amélioratif Thérapie génique somatique Thérapie génique germinale OUI NON (NON) NON Thérapie génique somatique : enjeux éthiques Les enjeux éthiques sont largement similaires à ceux de l’expérimentation clinique en général, avec en plus certaines questions liées à la sécurité biologique dès lors que des vecteurs viraux sont utilisés. z z Enjeux liés au patient (droits du patient - sujet de recherche) > responsabilité : comité d’éthique de la recherche. Enjeux de sécurité biologique (sécurité du patient mais aussi de tiers) > responsabilité : organes de sauvegarde de la sécurité biologique. Exemple : la thérapie génique somatique et l ’affaire Gelsinger Université de Pennsylvanie, septembre 1999 : un adolescent de 18 ans, Jesse Gelsinger, meurt des suites d’un essai de thérapie génique somatique. Sa maladie : déficience en ornithine transcarbamylase. Son traitement : thérapie génique in vivo avec un vecteur adénovirus destiné à atteindre le foie (organe lésé dans la maladie en question). L’enquête révèle des erreurs et manquements de la part des chercheurs (conflits d’intérêts). Un enthousiasme retombé, mais des perspectives intéressantes à long terme L’affaire Gelsinger, ainsi que certains problèmes plus récents, ont refroidi l’enthousiasme pour la thérapie génique de première génération, mais les technologies plus récentes restent prometteuses. Débats actuels Les autorités régulatrices réclament une notification exhaustive de tous les incidents liés à des essais de thérapie génique. L’industrie, fortement impliquée dans la mise au point de vecteurs de thérapie génique, est assez réservée, au nom de la protection de la propriété intellectuelle. Ces controverses ne sont pas propres à la thérapie génique, mais se retrouvent dans d’autres champs d’application médicale des biotechnologies. Thérapie génique germinale z z N’est pas prête pour le futur proche. Très controversée (illégale en Suisse, du fait de l ’article 119, al. 2 de la Constitution fédérale): « La Confédération légifère sur l’utilisation du patrimoine germinal et génétique humain. Ce faisant, elle veille à assurer la protection de la dignité humaine, de la personnalité et de la famille et respecte notamment les principes suivants: a. toute forme de clonage et toute intervention dans le patrimoine génétique de gamètes et d’embryons humains sont interdites; b. le patrimoine génétique et germinal non humain ne peut être ni transféré dans le patrimoine germinal humain ni fusionné avec celui-ci » Thérapie génique germinale Enjeux éthiques : thérapie “ouverte” - quid du “consentement” des générations futures? - objectif : eugénique ou de prévention? (Eric Juengst) - quelle sorte de responsabilité/nonresponsabilité avons-nous vis-à-vis des générations futures? Le consensus anti-thérapie génique germinale n’a jamais été absolu. L’erreur « romantique » en bioéthique (E. Juengst) La “bioéthique publique” a tendance à se focaliser sur les technologies qui excitent l’imagination : thérapie génique germinale, clonage, etc. Or les problèmes bioéthiques les plus sévères sont souvent beaucoup plus terre-à-terre. Thérapie génique: que dit le droit suisse? Thérapie génique germinale: interdit (art.119 al.2 a et b CF). Voir aussi la LPMA art. 35 al.1. Thérapie génique somatique: pas de réglementation spécifique. De nombreuses règles de droit plus générales s’appliquent. 2. Cellules souches, médecine régénérative Pour faire un être humain …il faut environ 200 types de cellules. Mais l’embryon commence avec une seul cellules, l’oeuf fécondé > totipotentialité. Un blastocyste de quelques douzaines de cellules contient des cellules pluripotentielles (capables de produire tous types de cellules sauf les annexes embryonnaires). Prélever ces cellules et les cultiver in vitro donne une lignée de cellules souches embryonnaires. Cellules souches embryonnaires Cellules souches adultes Certaines cellules souches persistent au cours du développement. Elles peuvent être récupérées dans le sang du cordon ombilical et dans certains organes. Ces cellules ne sont pas pluripotentielles, mais sont des « cellules progénitrices », c’est-àdire que leur éventail de possibilités de différentiation est plus restreint. Statut de l’embryon: la controverse centrale n’est pas nouvelle ? = Sur quoi porte le désaccord? Il ne porte pas sur l’éthique normative: tous sont d’accord (en gros) sur la façon de traiter les personnes, respectivement les choses. Il ne porte pas sur des croyances religieuses, mais sur des affirmations ontologiques, qui n’ont pas de lien obligatoire avec une position religieuse (du moins pas à première vue). Il porte donc sur l’ontologie: quelle sorte d’entité l’embryon précoce est-il? Dérivation de cellules souches embryonnaires > expérimentation sur l’embryon humain Controverse sur le statut de l’embryon humain et sur la nature de la protection qui lui est due. Position explicite ou implicite des adversaires de la recherche sur l’embryon, etc.: le zygote (et donc le blastocyste) humain est une personne équipée de ses droits fondamentaux, à commencer par le droit à la vie (variante: il est a traiter comme une personne). Position explicite ou implicite des partisans de la recherche sur l’embryon, etc.: le blastocyste humain mérite une forme de respect en tant qu’étape sur le parcours développemental qui conduit à la personne humaine, mais il n’est pas une personne humaine et n’a pas en tant que blastocyste un droit à la vie. L’incontournable notion d’individu Il appartient à la notion même d’identité personnelle (= identité numérique d’une personne) que lorsqu’on est une personne particulière, on ne peut pas être simultanément ou devenir ultérieurement une autre personne particulière. Etre un individu est une condition nécessaire du fait d’être une personne (mais bien entendu, ce n’est pas une condition suffisante, car être une personne a des implications supplémentaires. Ex: un spermatozoïde est en un certain sens un individu, mais même le Pape ne pense pas qu’il s’agit d’une personne). ‘identité numérique’ Identité numérique: la relation d’un objet à lui-même: l’identité numérique s’oppose à la ressemblance exacte: ainsi, deux clones ont deux identités numériques distinctes malgré leur ressemblance Ne pas confondre… z z la thèse de l’identité: « je suis nécessairement identique au zygote que j’étais » … et la thèse de la continuité développementale: « je tire nécessairement mon origine d’un zygote particulier, celui qui se situe au départ de mon développement ». Les jumeaux vrais sont un exemple (d’ailleurs pas le seul) de la non-équivalence de ces deux énoncés. L’ARGUMENT DU ZYGOTE COMME PERSONNE EST INCOHERENT Problème des jumeaux: Le zygote Z donne deux personnes « au sens usuel »: Arthur et Zénon Arthur Z Zénon Arthur et Zénon sont des personnes différentes. si le zygote est lui aussi une personne, il ne peut pas être à la fois la même personne qu’Arthur et la même personne que Zénon. autrement dit: si Arthur ≠ Zénon alors Z = Arthur et Z = Zénon, ne peuvent pas être vrais simultanément L’ARGUMENT DU ZYGOTE COMME PERSONNE “ L’embryon est une personne dès la fécondation ” Assigner à l’embryon le statut de personne dès la fécondation revient à lui assigner ce statut rétrospectivement, au nom d’un élément de continuité jugé déterminant entre zygote et « personne au sens usuel ». Confusion entre identité et continuité développementale. Confusion entre identité numérique (condition nécessaire de la notion de personne) et identité génomique: l’identification des deux est démentie par les faits biologiques (jumeaux monozygotes). La fécondation: - c’est-à-dire la constitution d’un nouveau génome diploïde, - c’est-à-dire le départ d’une nouvelle identité génomique, …n’est pas le départ d’une nouvelle identité personnelle. NB: La théologie néo-scolastique est très vulnérable à l’erreur consistant à confondre identité personnelle et identité génomique. En effet, elle est équipée de concepts ontologiques (eidos aristotélicien, formes substantielles, hylomorphisme) qui se prêtent à des confusions avec des concepts scientifiques tels que le génome. « Embryon = problèmes éthiques » L’argument du statut personnel de l’embryon est faible, mais comme il a un ancrage institutionnel (en particulier religieux) fort, il reste très influent dans le débat politique. Un variante qui est au centre de discussion actuelles consiste à fonder un statut relativement fort de l’embryon sur la notion de potentialité. Sans forcément s’intéresser à toutes ces controverses byzantines, la communauté scientifique a internalisé le message « embryon = problèmes éthiques » et est donc généralement ouverte à des alternatives aux cellules souches embryonnaires, si celles-ci s’avèrent scientifiquement fondées. Médecine régénératrice 1. 2. De nombreuses maladies suivent un schéma commun (diabète, Parkinson, infarctus du myocarde, maladies neuro-dégénératives): Un type spécifique de cellules est perdu ou détruit par un processus pathologique. L’organisme est incapable de remplacer ces cellules spontanément. L’idée générale est donc d’utiliser le pouvoir régénérateur des cellules souches. Annonce du colloque Wright 2004, Genève Médecine anti-âge De nombreux aspects de la recherche médicale (dans le domaine des cellules souches, des neurosciences etc. sont placés sous le signe de la « médecine régénératrice ». Espoirs légitimes de soigner plus efficacement les maladies dégénératives. Mais aussi spéculations futuristes sur une médecine anti-âge, ouvrant la voie à un allongement considérable de la longévité humaine. Arguments pro-mort Ces spéculations ont souvent été combattues au nom de l’éthique. 1. « Jouer à Dieu » ou: déranger la marche de l’évolution Sous sa forme explicitement théologique, l’argument n’a guère de force dans une société laïque. Version sécularisée du même argument: la mortalité est nécessaire à l’évolution. Réponse: certes, mais qui a besoin de l’évolution? Sûrement pas nous, les humains actuels! Personne n’a envie d’être remplacé par une nouvelle espèce améliorée, sauf si nous faisons l’amélioration nous-mêmes… 2. Récuser l’autopoïèse de l’être humain au non d’une conception traditionnelle de la normativité médicale (« Guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours »), Cette position ne fait plus l’unanimité. La postmodernité ne reconnaît plus de limites naturelles à l’action humaine, si ce n’est sur une base de l’autonomie contractuelle des agents: « j’ai la liberté de tout faire, sauf ce qui contrevient aux engagements que j’ai pris avec un autre agent autonome ». Le paradoxe de l’autopoïèse La société capitaliste postmoderne adore le « self-made man »… -> Ne compter que sur soi, se donner ses propres règles de conduite, faire de sa vie une projet autonome : autonomie individualiste. Le paradoxe de l’autopoïèse …mais n’est pas prête à accepter une humanité « self-made »… - - - Philosophie traditionnelle: La structure de la nature humaine est un donné (par le Créateur, ou la Providence). La nature (humaine et non humaine) est un conglomérat inextricable de faits et de valeurs. Philosophie conservatrice moderne (p.ex. Habermas 2000): position postmétaphysique, mais qui reste attachée à un «autocompréhension éthique de l’espèce humaine » Penseurs postmodernes: pousser le thème de homo faber sui ipsius dans ses conséquences ultimes Une généalogie inconfortable… Mythologie classique (Prométhée et Epiméthée): l’homme a des capacités illimitées, contrairement à l’animal. Renaissance: le « soi » humain est dans une certaine mesure une construction humaine.. Théologie moderne: l’homme est Co-créateur. Sloterdijk: L’homme construit des « sphères » par lesquelles il se construit lui-même. Cellules souches: que dit le droit suisse? Loi relative à la recherche sur les cellules souches (LRCS, entrée en vigueur au 1.3.2005): Autorise la dérivation de lignées de cellules souches à partir d’embryons surnuméraires donnés à la recherche par des couples en traitement par FIV. Traite uniquement de la recherche. D’éventuelles applications thérapeutiques seraient réglées par d’autres lois. 3. Clonage thérapeutique Préhistoire Le clonage thérapeutique a une préhistoire (pré-Dolly) autour de spéculations que la FIV couplée au développement de l’embryon in vitro jusqu’à l’organogenèse, pour créer des banques d’organes personnalisées. Jacques Testart (1986) = à but thérapeutique = à but reproductif NB: ni ce que Testart appelle clonage thérapeutique, ni ce qu’il appelle clonage reproductif (en fait, une gémellité induite) ne correspondent à ce qu’on désigne généralement sous ces termes aujourd’hui. Les deux formes de clonage… …commencent par la même étape: le transfert de noyau somatique dans un ovocyte énucléé. 1 Développement in vitro de l’ovocyte modifié, dérivation de cellules souches: clonage thérapeutique. Résultat: des lignées cellulaires 2. Transfert de l’ovocyte modifié chez une mère porteuse: clonage reproductif. Résultat. Un individu complet, jumeau « différé » de l’individu donneur de la cellule somatique. Quelle thérapeutique? L’idée centrale du clonage thérapeutique est que par ce procédé, on pourrait produire des cellules souches embryonnaires génétiquement (et immunologiquement) identiques au donneur initial. Combiner le potentiel des cellules souches embryonnaires avec une greffe autologue. Embryonnaires vs adultes : un avenir très ouvert Il est difficile de prouver l’existence de véritables cellules souches pluripotentielles dans les tissus adultes, car elles sont plus difficiles à cultiver que les cellules souches embryonnaires. Cependant, les progrès récents concernant le contrôle génétique de la potentialité cellulaire pourraient changer le perspectives d’avenir des cellules souches adultes. Reprogrammation de cellules de peau en cellules pluripotentes « similiembryonnaires »: La différence entre cellules embryonnaires et adultes pourrait tenir à des différences génétiques accessibles à une intervention contrôlée. Le potentiel des cellules… … est épigénétique, donc essentiellement manipulable. De plus, il semblée que la différence de potentialité tienne à un petit nombre de gènes, ce qui augmente les possibilités de manipulation contrôlée. Si la expériences récentes tiennent leurs promesses, le clonage thérapeutique pourrait s’avérer inutile. Dernières nouvelles du front… Les très récentes découvertes concernant la reprogrammation de cellules somatiques par insertion de seulement 4 gènes ont relancé le débat cellules souches embryonnaires vs. adultes. A noter: 1- les résultats actuels n’ont pu être obtenus que parce que de la recherche sur les cellules souches embryonnaires a eu lieu: problème de la « complicité morale » 2- Plus il s’avère que la reprogrammation de cellules somatiques en cellules pluripotentes est « facile », plus les arguments qui donnent un statut spécial à l’embryon et/ou ses cellules deviennent fragiles: si toute cellule est « potentiellement pluripotente », voire même « potentiellement totipotente », on comprend difficilement pourquoi l’embryon devrait avoir un statut quasi personnel. Ou alors, toute cellule humaine devrait avoir le même statut, ce qui est absurde. Clonage thérapeutique: que dit le droit suisse? Interdit. L’art 119 al. 2 parle de « tout type de clonage ». Voir aussi LPMA art. 36 al. 1. Ceci dit ni l’art. 119 CF, ni la LPMA ne sont vraiment coulés dans le bronze… De remises en question pourraient bien être débattues à moyen terme.