Technique Portrait de trois ennemis naturels de la mouche du chou Suite aux retraits successifs d’insecticides autorisés pour lutter contre les mouches des cultures légumières et face à la rareté des propositions de remplacement, les recherches s’orientent vers des méthodes dites « alternatives ». C'est dans ce cadre que s'inscrit le projet BiodivLég porté par le CTIFL et l’INRA, qui rassemble de nombreux partenaires dont l’UNILET. L'objectif est d'évaluer la biodiversité entomologique dans les cultures légumières selon les aménagements en bordures de parcelles : haies, talus, bandes enherbées… L'étude se place à deux niveaux d'analyse : premièrement le suivi du ravageur, et deuxièmement l'évaluation des populations d'insectes auxiliaires qui lui sont associées. Parmi les trois mouches suivies (mouche du chou, mouche de la carotte, mouche des semis), l’UNILET est principalement impliquée sur la mouche du chou et a assuré le suivi de huit parcelles de brocoli en Bretagne en 2009. Cycle de développement de la mouche du chou Larve ≈ 45 jours Œufs Pupe Adulte Les moyens de lutte contre la mouche du chou n’ont cessé de s’amenuiser au cours des dernières années. Or ce ravageur reste l’un des plus préjudiciables en culture de brocoli. De ce fait et pour répondre aux attentes d’une agriculture moins dépendante des pesticides, les travaux scientifiques explorent une nouvelle voie : les insectes auxiliaires. Un programme national de recherche auquel participe l’UNILET vise ainsi à évaluer l’effet de l’environnement des parcelles sur la présence des ennemis naturels des mouches des cultures légumières, et leur capacité à réguler les populations. Trois auxiliaires sont particulièrement étudiés vis-à-vis de la mouche du chou : deux staphylins et un hyménoptère. Gros plan sur ces « micro » insectes aux effets insoupçonnés. Quelques rappels sur la mouche du chou La mouche du chou, Delia radicum, est un diptère dont les larves se nourrissent de crucifères, qu'il s'agisse de plantes cultivées ou appartenant à la flore adventice. Son cycle de développement s’étale sur environ 45 jours à une température comprise entre 15 et 20°C, ce qui lui permet de produire trois générations dans l'année. Concrètement, trois périodes de vol se succèdent, depuis le début du mois d'avril jusqu'en septembre. Les deux premiers vols sont les plus importants et les plus préjudiciables aux cultures puisque les plants sont encore jeunes et relativement fragiles au moment où les premières mouches commencent à pondre. La femelle fécondée pond sur le collet des plants. A l'éclosion, la larve pénètre dans les racines secondaires puis principales. Les pontes peuvent aussi avoir lieu sur les pommes ou à l’aisselle des feuilles. Une fois les trois stades larvaires effectués, c'est dans le sol, à proximité du plant, que se déroule la pupaison. Qu’est-ce qu’un insecte auxiliaire ? Est considéré comme auxiliaire tout insecte qui réalise en partie son développement aux dépens d'un autre insecte ou organisme, lui-même considéré comme un ravageur de culture. Deux catégories d'auxiliaires sont à distinguer : les prédateurs et les parasitoïdes (voir l’encadré page 27). Un insecte peut appartenir à l'une ou l'autre de ces catégories, ou bien aux deux, selon son stade de développement. La mouche du chou est la cible, au stade œuf ou larve, de nombreux prédateurs généralistes comme certaines espèces de carabes du genre Bembidion et il est très probable que de nombreux staphylins s'en nourrissent également. Mais elle est surtout l'hôte privilégié de quelques espèces d'insectes parasitoïdes. Ce sont trois de ces insectes qui nous intéressent. Trybliographa rapae, un hyménoptère parasitoïde des larves Le genre Trybliographa est composé de 78 espèces d'hyménoptères de petite taille. L'adulte de T. rapae mesure ainsi de 2 à 3 millimètres, d’où la difficulté à détecter sa présence. Son corps est noir et ses pattes brunes. La longueur des antennes permet de distinguer les deux sexes, avec 13 articles chez le mâle et 15 chez la femelle. Cette espèce est spécialiste des larves de diptères du genre Delia. On la retrouve le plus fréquemment parasitant la mouche du chou, la mouche des semis et la mouche du navet. Les pattes courtes et fortes de T. rapae sont adaptées à la vie souterraine de l'insecte lorsqu'il est à la recherche de son hôte. C'est un parasitoïde de larve : il Unilet infos • Mars 2010 • N°134 25 Technique Cycle de développement de Trybliographa rapae Mais c’est plutôt le caractère parasitoïde de ces espèces qui nous fait nous pencher sur leur biologie. Ces insectes ne sont pas spécialisés sur la mouche du chou et peuvent parasiter de nombreuses espèces de mouches phytophages, coprophages (se nourrissant d’excréments) et nécrophages (se nourrissant de cadavres). S. Dourlot – INRA / UMR Bio3P Rennes Après l'accouplement, les femelles détectent la présence de leur hôte grâce à l’odeur émise par les choux attaqués par les asticots de mouches. Elles déposent alors leurs œufs au collet des plants infestés. Les œufs sont pondus dans le sol et ce sont les larves qui, juste après leur éclosion, se mettent à la recherche deux nous intéressent et du fait de leur ressemblance, autant sur la biologie que sur le comportement, la suite de la description vaut pour les deux espèces. A. bipustulata et A. bilineata possèdent la double étiquette de prédateur et de parasitoïde. L'adulte est un prédateur généraliste, comme la grande majorité des staphylins. Tout ce qui est assez petit pour passer entre ses mandibules est une proie potentielle : œufs ou larves de diptères, limaces, escargots… Photo S. Dourlot - INRA / UMR Bio3P Rennes peut pondre dans les trois stades larvaires de ses hôtes, avec une préférence pour le troisième stade. La femelle recherche donc son hôte sous la terre et lorsqu'un asticot est découvert et sélectionné, elle pond dedans au travers des tissus racinaires grâce à un "ovipositeur". Il lui arrive aussi d’utiliser les galeries creusées par les asticots de mouche eux-mêmes pour les rejoindre. La reproduction est parthénogénétique facultative, c'est à dire qu'une femelle peut pondre des œufs même s'il n'y a pas eu d'accouplement. En laboratoire, on a observé des pontes allant jusqu'à une centaine d'œufs par femelle. Aleochara bipustulata (gauche) et A. bilineata (droite) Cycle de développement des Aleochara La larve de Trybliographa rapae se développe lentement dans son hôte, lui permettant ainsi d'atteindre le stade de pupe. C'est à ce moment-là, dans cette structure protectrice, qu’elle accélère son développement, se nourrissant des tissus de l'asticot. Une fois atteint le quatrième et dernier stade larvaire, elle se transforme en nymphe puis en imago (nom de l'adulte chez les insectes). L'adulte sort de la pupe en se servant de ses mandibules comme d'un ouvreboîte. Aleochara bilineata et Aleochara bipustulata sont deux coléoptères appartenant à la famille des Staphylinidae. On trouve dans le monde environ 400 espèces du genre Aleochara. Parmi elles, seules 26 Unilet infos • Mai 2010 • N°135 S. Dourlot – INRA - UMR Bio3P Rennes Des staphylins prédateurs et parasitoïdes Unilet infos • Mai 2010 • N°135 Schéma du dispositif expérimental en culture de brocoli Zone de bordure 0 5 30 2 Zone intermédiaire 20 30 Echantillonnage œufs : feutrines sur 10 plants Zone centrale 40 30 2 50 m 30 2 Zone non-traitée Echantillonnage pupes : prélèvement de terre autour de 30 plants Echantillonnage ennemis naturels : 2 pièges Barber distants de 2 m 30 2 Zone traitée de leur hôte : les pupes de mouches. Ces deux espèces sont en effet des parasitoïdes de pupes. La jeune larve va ainsi trouver son hôte, s'y introduire et commencer à le consommer jusqu'à prendre entièrement sa place dans le puparium. L’insecte passe par quatre stades larvaires avant de rentrer en nymphose, toujours dans la pupe parasitée. C’est au stade d’adulte, une trentaine de jours plus tard, qu’il émerge en creusant un trou circulaire dans la pupe. Quels résultats espérer ? Les huit parcelles de brocoli suivies par l’UNILET en 2009 étaient scindées en deux catégories : 4 présentaient des aménagements en bordure, de type haie ou talus, et 4 n’en présentaient pas. Sur chaque parcelle, 4 zones de travail ont été définies à plusieurs distances de la bordure, afin d’y effectuer des prélèvements de terre, des comptages d'œufs et d'adultes, et des piégeages d’insectes rampants (voir schéma ci-dessus). Pour évaluer l'importance du parasitisme, seuls les prélèvements de terre permettent d'acquérir des données exploitables. La méthode consiste à recueillir les pupes de mouche, à les identifier et à les mettre en élevage. De cet élevage, peuvent naître des mouches ou des insectes auxiliaires. Le suivi des éclosions permet ainsi de mesurer le niveau de parasitisme. Cette technique est la seule pour détecter la présence de l’hyménoptère Trybliographa rapae. Les staphylins A. bipustulata et A. bilineata sont quant à eux observés dans les pièges pour insectes rampants (pièges Barber), mais le piégeage ne permet pas de savoir s’ils sont présents en tant que prédateurs généralistes (opportunistes), ou en tant que parasitoïdes de la mouche du chou. Sur les huit parcelles de brocoli étudiées en 2009 en Bretagne, le parasitisme du staphylin A. bilineata n’a pu être mis en évidence. Celui de A. bipustulata a quant à lui été mesuré, avec 0 à 4 % de pupes de mouches parasitées suivant les parcelles. Les résultats les plus étonnants concernent Trybliographa rapae dont le parasitisme varie de 0 % (sur la moitié des parcelles) à 38 % sur une parcelle sans aménagement. L’impact de ce petit hyménoptère ne doit donc pas être sous-estimé. La présence d'aménagements en bordure de parcelle ne semble pas expliquer les différences de parasitisme sur cette première année de suivi. En revanche, cette étude met en évidence la présence de mouche des semis, dans des proportions qui vont de 0 à 10 % des pupes collectées. Ces observations seront poursuivies en 2010 et 2011 en augmentant le nombre de parcelles suivies, afin d'améliorer la représentativité des prélèvements et de mieux cerner la biologie et le comportement de ces insectes auxiliaires, qui pourraient s'avérer être de futures armes dans la lutte contre les ravageurs. Mathieu SANDRONE Prédateurs et parasitoïdes : quelle différence ? La prédation, un comportement opportuniste La prédation consiste, pour un insecte carnivore, à se nourrir d'autres insectes nuisibles aux cultures pour se développer. Elle peut s’exercer à différents stades de développement. Par exemple, dans le cas des chrysopes, c’est la larve qui est un prédateur extrêmement vorace, s'attaquant aux œufs de papillons, aux petites chenilles et surtout aux pucerons, adultes et juvéniles. La prédation exercée par des insectes adultes est plus connue. Les carabes sont ainsi de gros consommateurs d'œufs d'insectes ou de mollusques, mais aussi de larves de diptères. Les prédations entre adultes sont également nombreuses, mais sortent souvent de la notion d'insectes auxiliaires (mante religieuse, libellule…). Citons toutefois l'existence de diverses espèces de diptères qui chassent au vol d'autres diptères. La prédation, lorsqu'elle touche à la régulation des populations de ravageurs, est souvent très liée à une autre notion qu'est l'opportunisme. De fait, ces insectes très mobiles, qu'il s'agisse des larves ou des adultes, ne pistent pas leurs proies : ils les mangent quand ils les rencontrent. Le parasitisme, une affaire de spécialiste En premier lieu, il est important de distinguer insectes parasites et insectes parasitoïdes. La distinction tient dans le fait qu'un parasitoïde tue obligatoirement son hôte pour pouvoir finir son développement, alors qu'un parasite, qui va partager une grande partie de sa vie avec son hôte, a besoin que celui-ci vive et survive le plus longtemps possible. Dans les deux cas, le parasitisme est, à l'inverse de la prédation, une affaire de « spécialiste ». Il s'agit en effet d'une relation entre deux insectes, fruit d'une co-évolution de ces deux espèces qui partagent une même niche écologique. Le plus souvent, les adultes pondent directement dans les œufs de l'hôte (ex : les trichogrammes sur les œufs de la pyrale du maïs) ou dans les larves. Ce sont les larves qui sont dès lors considérées comme les parasites ou les parasitoïdes. Plus rarement, les adultes peuvent être les parasites d'autres adultes. 27