Elevage et reproduction en captivité de Kinixys belliana nogueyi

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Elevage et reproduction en captivité
de Kinixys belliana nogueyi (Lataste, 1886)
(Reptilia, Chelonii, Testudinidae)
ET
MARC ASENSIO
Résumé
La Cinixys de Bell de l’Ouest, Kinixys belliana
nogueyi est une tortue terrestre qui se rencontre
dans les savanes soudaniennes et soudano-guinéennes de l’Afrique de l’ouest. Pendant de longues années, elle a été commercialisée en masse
dans de nombreux pays occidentaux. Faute de
soins appropriés, la majorité d’entre elles est
morte. Peu d’éleveurs ont réussi à la faire vivre
durablement et encore moins à la reproduire. La
réussite de son élevage repose avant tout sur le
respect de ses besoins écologiques. Les auteurs
de cet article présentent le résultat de leurs observations concernant sa maintenance, son comportement et sa reproduction en captivité.
16
• Chéloniens 3 • septembre 2006
grès FF
on
2006
T
EP
1 e rC
JÉRÔME MARAN, DAVID MANCEAU
Mots-clés
Kinixys belliana nogueyi, Afrique, comportement,
élevage, maintenance, reproduction.
1. Introduction
La Cinixys de Bell de l’Ouest, Kinixys belliana
nogueyi est largement répandue en Afrique occidentale : Sénégal, Gambie, Guinée-Bissau,
Guinée, Sierra Leone, Liberia (à préciser), Côte
d’Ivoire, Mali, Burkina Faso, Ghana, Togo, Bénin,
Nigeria, Cameroun et République centrafricaine
(Villiers, 1958 ; Iverson, 1992 ; Maran, 2004 ; Van
Pelt & Van Putten, 2006 ; Vetter, 2002). En Afrique
occidentale, elle est l’hôte privilégié d’une zone
géobotanique dite de forêt claire et de savane gui-
néenne (Perez-Vera, 2003). Cette zone est constituée de savanes à graminées avec une strate
arbustive plus ou moins dense et de galeries forestières aux bords des cours d’eau. Les précipitations annuelles oscillent entre 1000 et 1800 mm.
La saison sèche varie de 4,5 à 5,5 mois. Kinixys
belliana nogueyi est également présente en zone
préforestière dont la végétation est similaire à celle
de la zone de forêt claire, mais avec des fragments
de forêt dense plus fréquents (précipitations de
1000 à 1450 mm et saison sèche de 3 à 4 mois).
Elle est absente des forêts denses humides semidécidues, sempervirentes et de montagnes où elle
est remplacée par la Cinixys rongée Kinixys erosa
et la Cinixys de Home Kinixys homeana. Son habitat de prédilection se présente sous la forme d’une
succession de milieux ouverts (type savane) et fermés (type forêt claire). Elle est principalement active pendant la saison des pluies et demeure
engourdie durant toute la saison sèche dans ses
retraites coutumières (tas de végétaux, litière des
forêts claires, cavité dans le sol). La sympatrie
entre les trois espèces de Kinixys d’Afrique
Occidentale (Kinixys belliana nogueyi, Kinixys
erosa et Kinixys homeana) a été notée dans la
région du Delta du Niger (sud-est du Nigeria) par
Page de gauche : Femelle adulte
Kinixys belliana nogueyi. Bouaké, Côte d’Ivoire.
Ci-dessus : Deux aspects du biotope
de Kinixys belliana nogueyi. Bouaké, Côte d’Ivoire.
Photos Jérôme Maran.
Chéloniens 3 • septembre 2006 •
17
Luiselli (2003). En Europe, Kinixys belliana nogueyi
a longtemps été commercialisée sous l’appellation
abusive de tortue de jardin. Cette assimilation erronée, mais commercialement compréhensible, est
à l’origine d’une véritable hécatombe chez cette
espèce élevée à tort comme une tortue terrestre
européenne (genres Eurotestudo et Testudo) par
des particuliers non informés. Hors, la Cinixys de
Bell de l’Ouest a besoin de conditions de maintenance très particulières pour vivre correctement.
Kinixys belliana nogueyi est une tortue globalement méconnue aussi bien d’un point de vue écologique que chorologique. Les données sur son
écologie sont rares et éparses (Luiselli, 2003 ;
Maran, 2004 ; Villiers, 1958). Notre connaissance
concernant sa répartition générale demeure imprécise. Elle était considérée jusqu’à récemment
comme absente de la Côte d’Ivoire (Iverson, 1992)
alors qu’elle y est très commune sur la moitié de
ce territoire (Maran, 2004). En revanche, il existe
plusieurs articles qui traitent de sa maintenance et
de sa reproduction en captivité : Sachsse (1980),
Bels & Libois (1983), McGrattan (1982), Morris
(1994), Van Pelt (2001), Jasser-Häger & Philippen
(2004) et Van Pelt & Van Putten (2006). Kinixys belliana nogueyi est inscrite en annexe 2 de la
convention de Washington. Son acquisition nécessite donc l’obtention du certificat de capacité.
L’importation de spécimens sauvages est interdite.
Seules les tortues écloses en captivité (ranching)
sont actuellement autorisées à la vente. Cet article
fait le point sur l’élevage en captivité de cette espèce à partir de l’expérience des auteurs et des données bibliographiques disponibles.
2. Méthode
En haut : Variations chromatiques des plastrons chez de jeunes
spécimens Kinixys belliana nogueyi. Bouaké, Côte d’Ivoire.
En bas : Le mâles adultes âgés ont souvent la tête bleutée. Bouaké, Côte d’Ivoire.
Photos Jérôme Maran.
18
• Chéloniens 3 • septembre 2006
2.1 Spécimens étudiés
Les tortues ont été achetées dans des commerces
spécialisés. L’animal le plus anciennement acquis
est détenu depuis 15 ans (1991), les autres depuis
plus de trois ans. Au moment de leur acquisition,
les spécimens étaient adultes ou sub-adultes. Leur
origine géographique n’est connue avec certitude
que pour trois spécimens (Togo). Le cheptel est
composé de deux mâles et de six femelles. Les
tortues importées sont très souvent parasitées et
dans un état général d’affaiblissement prononcé.
Elles sont placées en quarantaine avant la constitution des groupes. Cette précaution prophylac-
tique permet d’évaluer d’une part la santé des animaux et d’autre part d’appliquer un traitement
adapté. Les tortues sont déparasitées (extraction
des tiques, vermifuge) et hydratées régulièrement
(bains répétés d’eau tiède). Cette première étape
engendre des effets bénéfiques dès la fin du premier mois de captivité. Les tortues prennent entre
10 et 15% de poids en plus. La quarantaine dure
entre 4 et 6 mois. Elle est prolongée si cela s’avère nécessaire. Le dimorphisme sexuel est nettement marqué. La femelle, plus grande (> 200 mm)
que le mâle (< 200 mm), possède une carapace
plus large, un plastron plat et une queue plus petite. Le mâle est caractérisé par un plastron concave, une carapace plus étroite et une queue beaucoup plus longue, fortement élargie à sa base et
arrondie à son extrémité. Les vieux mâles sont
caractérisés par une tête bleutée.
2.2 Conditions d’élevage
Les terrariums sont fabriqués en bois contreplaqué
à la résine. Les cotés vitrés permettent de contrôler les animaux sans pour autant les importuner. Il
est fondamental de connaître avec exactitude leur
origine de manière à reproduire le plus possible en
captivité les conditions de températures et d’hygrométrie de leur région natale. En fonction de
l’année, le terrarium est de type tropical sec (saison sèche = d’octobre à avril) ou tropical humide
(saison des pluies = de mai à septembre). La température nocturne n’est jamais inférieure à 20 °C
alors que la température diurne oscille entre 22 et
35 °C. Les installations sont éclairées artificiellement 10 heures par jour. L’hygrométrie varie entre
60% (saison sèche) et 100% (saison humide). Elle
est maintenue élevée grâce aux nombreuses
vaporisations et à la présence d’une coupelle
d’eau. En période sèche, la vaporisation est réalisée une à deux fois par mois. En période humide,
les terrariums sont vaporisés deux à trois fois par
semaine parallèlement à la distribution de la nourriture. Une lampe spot de 60 W éclaire et chauffe
seulement le premier tiers du terrarium. Ce gradient thermique permet aux tortues de se chauffer
ou de se reposer dans des endroits plus frais. Le
substrat est constitué d’une fine couche de terreau
ou de fragments d’écorces de hêtre recouverte
entièrement de mousse de forêt. Si cette dernière
a tendance à se dessécher rapidement, elle posChéloniens 3 • septembre 2006 •
19
sède l’avantage de conserver le terreau très humide. Le contenu d’une bouteille d’eau est versé sur
le substrat en même temps que les opérations de
vaporisation. La coupelle d’eau est suffisamment
large pour permettre aux tortues de s’y baigner. En
revanche, sa profondeur d’eau n’excède pas 3 à 4
centimètres. Pour éviter une évaporation trop rapide, le bac d’eau n’est pas placé sous le spot mais
à l’écart. La mise à disposition de nombreuses
cachettes est très importante pour cette espèce
particulièrement discrète : tas de feuilles sèches,
foin, plantes artificielles, bac en plastique retourné
sont autant de possibilité que les tortues utilisent
pour préserver leur tranquillité. Les tortues sont
maintenues toute l’année en terrarium. Il est possible de les sortir pendant la période estivale dans
un enclos soigneusement aménagé. Il faut absolument éviter de déplacer les tortues pour de courtes durées (une journée par exemple). Dans ce
cas, le déplacement s’avère plus stressant que
bénéfique. L’idéal est de les élever dans une serre
chauffée qui possède un parc extérieur. Ainsi, les
animaux peuvent aller et venir librement en fonction de la saison sans pour autant être manipulés.
2.3 Alimentation
Dans la nature, Kinixys belliana nogueyi est omnivore. Son régime alimentaire varie en fonction de la
saison. Elle se nourrit de plantes, fruits, baies,
champignons et divers invertébrés (Luiselli, 2003 ;
Maran, 2004). En captivité, la fréquence de la distribution de la nourriture et le type d’aliment proposé dépend étroitement de la saison considérée.
Kinixys belliana nogueyi s’alimente beaucoup en
saison des pluies. A cette période, les tortues sont
nourries deux à trois fois par semaine avec des
végétaux, fruits (davantage de fruits de saison),
champignons, escargots, vers de terre et souriceaux. La consommation de proies vivantes au
tout début de la saison humide a une influence
décisive sur la reproduction de l’espèce. Elle permet aux tortues d’optimiser leur réserve énergétique (indispensable aux efforts reproductifs des
semaines à venir) et d’assurer également pour les
femelles la production d’œufs correctement calcifiés. En période sèche, les animaux mangent peu
ou pas tout. Ils sont nourris tous les trois jours à
base de végétaux (endives, trèfles, pissenlits, laiterons, plantain), de fruits (bananes, melons, pêches,
20
• Chéloniens 3 • septembre 2006
fraises, poires etc.…) et de champignons (champignons de Paris et pleurotes). L’alimentation carnée
(escargots, vers de terre et souriceaux) est distribuée une fois tous les quinze jours. Des os de seiche sont laissés dans le terrarium en permanence
à disposition des tortues. Aucun complément
minéral ou vitaminique n’est distribué dans l’alimentation.
En phase d’acclimatation, il est relativement difficile de faire accepter aux tortues des plantes sauvages (trèfle, plantain, pissenlit…). Cependant,
après quelques semaines de captivité, elles finissent par les manger. La salade et les fruits sont
distribués en petites quantités et de manière
occasionnelle car ils sont la cause de diarrhées
difficiles à soigner.
L’observation des habitudes alimentaires de nos
tortues en captivité souligne leur tendance à
apprécier un seul type d’aliment (champignons,
tomates ou fruits). Ces préférences sont susceptibles de leur occasionner de sérieux problèmes de
santé car ces aliments sont d’un point de vu nutritionnel peu équilibrés. L’alimentation doit être la
plus variée et la plus saine possible. Une liste de
végétaux recommandés pour cette espèce est
mentionnée par Van Pelt & Van Putten (2006).
nauséabonde sensée décourager les prédateurs
potentiels. Elle sort de sa torpeur passagère sous
l’effet d’une augmentation de l’hygrométrie notamment lorsque le terrarium est vaporisé d’eau tiède.
L’introduction d’un aliment mobile (vers de terre,
escargots) ou inerte mais appétissant (morceau de
tomate) provoque aussi une réaction quasi immédiate : elle quitte son abri et se précipite sur sa
proie. Elle se baigne régulièrement.
Pendant la période d’estivation, les tortues ne
bougent pas et ne s’alimentent pas pendant une à
deux semaines d’affilée. De temps en temps, elles
sortent, grignotent un aliment et boivent longuement avant de rejoindre leur cachette. Les tortues
qui estivent ont toujours un point d’eau à disposition. L’hygrométrie du terrarium est élevée grâce à
la présence d’un bac d’eau. Dans la nature,
Kinixys belliana nogueyi estive en s’enterrant dans
un endroit abrité et humide de manière à éviter au
maximum une déshydratation qui pourrait lui être
fatale. En captivité, il faut donc veiller à ne pas soumettre les animaux en estivation à une atmosphère trop sèche.
Il existe une hiérarchie dans le groupe qui se traduit
par la domination d’un ou plusieurs individus. Ce
phénomène est particulièrement marqué dans l’un
des groupes constitué uniquement de femelles. Si
ces dernières s’alimentent en même temps, il est
particulièrement difficile pour la plus dominée d’accéder à la nourriture. Elle est obligée d’attendre le
départ des autres femelles ou de se contenter d’un
aliment trouvé à l’écart du groupe. D’où l’importance de disperser la nourriture à différents
endroits dans le terrarium de manière à offrir la
possibilité à toutes les tortues de s’alimenter correctement.
Cette hiérarchie peut être momentanément remise
en cause. Une femelle et un mâle dominant ont été
déplacés en même temps dans un nouveau terrarium. Au cours des premiers jours, la femelle se
montre très agressive et dominatrice vis-à-vis du
mâle. Elle le poursuit, lui mord les pattes (le mâle
perd quelques écailles) et lui inflige des coups de
carapace. Au bout d’une semaine, cette agressivité a cessé.
Pour assurer leur domination, les mâles se battent
également entre eux. Ces affrontements se terminent le plus souvent par des simulations d’accouplement mais ils peuvent être très violents (blessures importantes) en période de reproduction. Il est
préférable d’élever séparément les mâles pour éviter aux dominés un stress prolongé.
La distribution d’aliments carnés engendre une
agressivité entre les adultes présents dans le
même terrarium. Les morsures sont fréquentes et
localisées sur les membres et la tête. Une surveillance des animaux est nécessaire et si leur
ardeur belliqueuse persiste, une disposition simple
consiste à les séparer et à leur proposer des
rations individuelles.
3. Résultats
3.1 Comportement
Espèce craintive et discrète par excellence, la
Cinixys de Bell de l’Ouest est principalement active le matin et en soirée. Entre ces deux pics d’activité intense (thermorégulation, recherche de la
nourriture et accouplement), elle demeure immobile sous un tas de feuilles sèches ou dans sa
cachette. Elle s’expose uniquement pour se chauffer sous la lampe et s’alimenter. Dérangée, elle rentre complètement la tête et les membres dans sa
carapace. Elle défèque et produit ainsi une odeur
Les femelles se baignent
longuement pendant
les jours qui précédent
la ponte.
Photo Marc Asensio.
Chéloniens 3 • septembre 2006 •
21
3.2 Accouplement
Les tortues sont séparées dans trois terrariums (un
pour les mâles et deux pour les femelles). Pour
provoquer les accouplements, les individus des
deux sexes sont réunis de mai à novembre. Les
deux mâles ne sont jamais mis ensemble dans le
même bac. À partir du mois de mai et corrélativement avec la mise en présence dans le même bac
d’un mâle et de plusieurs femelles, une vaporisation importante est effectuée. L’augmentation soudaine de l’hygrométrie provoque un redoublement
d’activité et stimule les ardeurs sexuelles des
mâles pour les femelles.
La maintenance en groupe de Kinixys belliana
nogueyi (un mâle pour plusieurs femelles) est envisageable toute l’année à condition d’offrir beaucoup d’espace et de nombreuses cachettes aux
tortues. Les animaux doivent pouvoir s’isoler facilement sans entrer en contact avec leurs congénères. Il faut donner la possibilité aux tortues poursuivies lors des parades d’accouplement de fuir et de
s’abriter.
Les premiers essais d’accouplement s’observent à
partir du mois de juin. Ils sont peu fréquents et
relativement peu violents à cette période. L’activité
sexuelle du mâle augmente progressivement à
mesure que les semaines s’écoulent. Les tentatives d’accouplement augmentent de juillet
à octobre et se poursuivent jusqu’en janvier.
Pendant cette période d’activité sexuelle
soutenue, le mâle se déplace beaucoup
dans le terrarium. Il ne se nourrit pas ou de manière très anecdotique. Il perd entre 10 et 15% de son
poids. Il demeure constamment à proximité des
femelles. Chaque déplacement de ces dernières
est associé à une tentative d’accouplement, principalement le matin et le soir (période d’activité des
femelles) ou après une humidification.
Il est important d’aménager des barrières visuelles
pendant la période d’accouplement (cabanes,
racines, plantes en plastique etc.…) car outre l’odorat, la vue déclenche systématiquement une
tentative d’accouplement. Cet engouement du
mâle est à l’origine de stress chez la femelle qui,
fortement perturbée, ne se nourrit pas correctement.
Nos observations corroborent parfaitement celles
déjà effectuées en captivité (Bels & Libois, 1983).
La parade d’accouplement commence par une
reconnaissance olfactive des femelles. En fonction
de la réceptivité de celle-ci, les tentatives d’accouplements sont plus ou moins fructueuses. Si elle
n’est pas consentante, la femelle replie la partie
postérieure articulée de sa carapace qui de ce fait
empêche toute tentative de coït. Le mâle lui donne
alors des coups de carapace de face, de dos ou de
côté, suivant leur position respective. Cette stratégie ne donne pas lieu à de véritables chocs comme
il est coutume de l’observer chez les tortues du
paléarctique (ex : Eurotestudo hermanni). Le mâle
cherche avant tout à intimider la femelle et à arrêter
sa fuite. Le cou tendu à son maximum et la gueule
grande ouverte, il tente également de lui mordre les
membres et la tête sans cependant jamais lui infliger de blessures profondes. Une fois que le mâle a
réussi à immobiliser momentanément sa
partenaire, il lui monte dessus. D’après
nos observations, le coït dure
entre 10 et 15 minutes.
Pendant l’accouplement,
le mâle émet de
petits cris.
Le ralentissement de la fréquence des accouplements correspond à la reprise du comportement
alimentaire du mâle. Il faut un mois pour que ce
dernier reprenne son poids initial.
3.3 Ponte
Les pontes sont déposées en octobre pour les
plus précoces et entre les mois de décembre et
février pour la majorité (voir tableau 1). La femelle
se nourrit abondamment les semaines qui précédent la ponte et stoppe toute prise alimentaire
quelques jours avant le dépôt des œufs. La période de ponte est marquée par un changement radical de son comportement. Elle est nerveuse et
agressive envers ses congénères. Une semaine
avant la ponte, ses déplacements sont plus fréquents et plus désordonnés dans le terrarium. Elle
cherche manifestement à fuir. Son activité est marquée par des périodes d’activité soutenue entrecoupées de longues périodes de repos sous la
lampe chauffante ou dans l’eau.
La femelle recherche avec opiniâtreté un site de
ponte approprié. Elle demeure longuement dans le
pondoir mis à sa disposition. Elle hume le substrat
avant de se décider à entamer le creusement du
nid. Il n’est pas rare qu’elle en creuse plusieurs qui
sont abandonnés par la suite. Ce comportement a
été observé jusqu’à une semaine avant la ponte. Si
la terre est trop sèche, elle commence à creuser
A droite : Femelle humant
le substrat avant la ponte.
En bas : Position de la femelle
lors de la ponte.
Photos Marc Asensio.
Accouplement.
Photo Marc Asensio.
Chéloniens 3 • septembre 2006 •
23
avec ses membres avants et poursuit son labeur ve longuement pour compenser les pertes
avec ses membres arrières. Elle débute le creuse- hydriques occasionnées par le dépôt de ses œufs.
ment du nid en fin de journée. Ce dernier est en Dans le cas d’une seconde ponte, la reprise de
forme de chaussette (voir Schéma 1). Son entrée poids est encore plus rapide.
mesure entre 8 et 10 cm. de diamètre, sa profondeur verticale est de 13 à 15 cm. et la profondeur 3.4 Incubation
de sa chambre oscille entre 4 et 5 cm. Van Pelt & Les œufs sont récoltés une fois que la femelle a
Van Putten note que la profondeur du nid atteint quitté le site de ponte. Ils sont déposés dans une
entre 16 et 17 cm. La durée de la ponte varie entre boîte sur de la Vermiculite® humidifiée et placés
4 et 6 heures. Une fois la chambre de ponte termi- dans un incubateur artificiel (type Jäger ou bain
née, la femelle dépose de 2 à 6 œufs (voir marie). Si l’on tient compte des données bibliogratableau 1). Ces derniers sont blancs, sphériques phiques, la durée d’incubation en captivité varie de
ou elliptiques et à coquille dure. Ils mesurent en 120 à 170 jours (Van Pelt & Van Putten, 2006).
moyenne de 38 à 45 mm de long pour une
Année
Date
Nombre
Individu
largeur de 30 à 34 mm et un poids qui varie
de ponte
d’œufs
entre 14 et 30 grammes. Une seconde ponte
est possible à un mois d’intervalle de la pre- 2003
16/10/2003 6
F1
mière.
09/12/2003 4
F1
Si la femelle ne trouve pas de site de ponte
approprié, elle peut également déposer ses
œufs à même le substrat du terrarium. Il est
donc indispensable de veiller à ce que ce site
soit adapté pour éviter ce problème ou toute
rétention d’œuf (affection potentiellement
fatale). La profondeur de la zone de ponte
doit être au moins égale à la longueur de la
carapace de la femelle.
La femelle perd entre 10 et 15% de son poids
initial au moment de la ponte. Elle le récupère au bout de 15 à 21 jours. Sa plus importante prise de poids s’effectue seulement
deux jours après la ponte lorsqu’elle s’abreu-
2004
2005
2006
Schéma 1 : coupe d’un nid de
Kinixys belliana nogueyi (dessin Hélène Fuggetta).
10/12/2003
4
F2
02/12/2003
4
F1
10/12/2003
4
F2
Sous Total
22
29/02/2004
4
F3
29/05/2004
3
F4
08/12/2004
6
F1
19/12/2004
4
F1
Sous Total
17
23/01/2005
4
F2
24/01/2005
4
F1 (double ponte)
14/05/2005
3
F3
Sous Total
11
02/01/2006
1
F4
15/01/2006
1
F4
22/01/2006
4
F1
01/02/2006
1
F4
04/03/2006
5
F1 (double ponte)
19/03/2006
4
F2
Sous Total
16
Total
66
• Chéloniens 3 • septembre 2006
Année
2003
2004
2005
2006
Incubation
Jäger
avons obtenu l’éclosion de treize juvéniles sur un
total de vingt-huit œufs fécondés. Huit sont morts
dans l’œuf à différents stades de développement,
certains juste avant l’éclosion. En 2003, l’impossibilité de maintenir une hygrométrie suffisante a
entraîné une élévation de la température qui a été
fatale pour les juvéniles. Les problèmes liés aux
incubateurs ont été résolus en 2004 et ont permis
Nombre d'œufs
14
Bain marie
8
Jäger
13
Substrat
T°C-hygrométrie
6
VH
30,5 °C - 80 %
8
VS
30,5 °C - 80 %
VH
30,0 °C 60-90 %
7
VS
30,5 °C - 80 %
6
VH
30,5 °C - 80 %
Bain marie
4
VH
30,0 °C 60-90 %
Jäger
3
VH
30,5 °C - 80 %
Bain marie
8
VH
29,0 °C - 80 %
Jäger
3
VH
29,0 °C - 80 %
Bain marie
13
VH
29,0 °C - 80 %
Tableau 2 : Synthèse des incubations (VH : Vermiculite® humide ; VS : Vermiculite® sèche).
Tableau 1 : fréquence et nombre d’œufs par ponte.
24
D’après nos observations personnelles, elle est
comprise entre 130 et 191 jours. Aucune information n’est disponible concernant la durée d’incubation des œufs en milieu naturel.
Malgré des pontes régulières d’une année sur
l’autre et un nombre conséquent d’œufs pondus
(66 œufs en 3 ans), les résultats en matière d’éclosion sont particulièrement faibles. À ce jour, nous
Année
Incubation
Nombre d'œufs
2003
Jäger
14
2004
Bain marie
Jäger
8
13
2005
Bain marie
Jäger
Bain marie
2006
Nombre d'œufs
fécondés
Nombre éclosion /
Durée d'incubation
6 4
8 0
2
7 0
6 5
1/130 jours (N)
5/191 jours (N),
180 jours (A),
183 jours (A),
186 jours (A),
189 jours (A)
4
3
8
0
2
4
3/143 jours (N),
148 jours (N),
152 jours (A)
Jäger
3
-
En cours d'incubation
Bain marie
13
11
En cours d'incubation
3/135, 150
et 151 jours (N)
Tableau 3 : Synthèse des résultats (N : éclosion naturelle ; A : éclosion assistée).
Chéloniens 3 • septembre 2006 •
25
l’éclosion de trois nouvelles tortues en 2005. En
2004, trois sont mortes sans avoir pu briser la
coquille de leur œuf ce qui nous a incité en 2005
à ouvrir manuellement quatre œufs sur cinq.
Malheureusement, aucune des quatre n’a survécu
plus de deux mois. Il en est de même pour celle
qui est sortie de l’œuf naturellement. Nous pensons que la température était trop importante
(30,5 °C) tout au long de l’incubation. En 2006,
l’abaissement de la température (29 °C au lieu de
30,5 °C) a permis l’éclosion de trois juvéniles supplémentaires par rapport à l’année précédente.
Les meilleurs résultats ont été obtenus en utilisant
comme substrat de la Vermiculite® humide, mais
d’autres éleveurs l’utilisent non-humidifiée et
obtiennent des résultats très satisfaisants.
3.5 Eclosion
L’éclosion s’échelonne sur un ou deux jours.
Pendant cette période, les juvéniles sont maintenus
dans l’incubateur de manière à permettre au sac
vitellin de se résorber convenablement. Dès que les
jeunes tortues sortent entièrement de l’œuf (soit 48
heures après le début de l’éclosion), elles sont
transférées dans une boîte en plastique sur du
papier constamment humidifié (type Sopalin®) de
manière à favoriser leur hydratation. Elles sont baignées dans quelques millimètres d’eau durant environ une demie heure. Les tortues s’abreuvent longuement pendant les trois premières minutes.
L’hygrométrie importante évite d’une part leur déshydratation et d’autre part la rupture de leur sac
Éclosion. Photos David Manceau.
vitellin si ce dernier n’est pas complètement résorbé et qu’il reste collé sur le fond d’une boîte sèche.
Tant que la jeune tortue est recroquevillée sur ellemême, elle demeure immobile dans l’œuf. Une fois
que la carapace est dépliée (après 4 à 5 jours), elle
commence à se déplacer. Lors de l’éclosion, les
juvéniles mesurent entre 35 et 40 mm de longueur
pour une largeur de 31 à 40 mm et un poids compris entre 9 et 21 g. Les nouveau-nés n’ont pas la
partie postérieure de leur dossière articulée comme
chez les adultes (pliure visible entre la seconde et la
troisième costale qui se prolonge entre la septième
et la huitième marginale). La charnière apparaît à
l’âge de trois ans (Van Pelt & Van Putten, 2006).
Tableau 4 :
Croissance pondérale
de 4 juvéniles
Kinixys belliana nogueyi
durant la première
année.
Dossière et plastron
des nouveau-nés.
Photos David Manceau.
3.6 Elevage et croissance des nouveau-nés
Les jeunes tortues sont élevées dans un bac placé
dans le terrarium des adultes. Ainsi, elles bénéficient des mêmes conditions de maintenance. La
température est située entre 25 et 26 °C le jour et
20 °C la nuit. Facteur déterminant, l’hygrométrie
doit toujours être importante (70-80%). Les juvéniles commencent à s’alimenter au début de la
deuxième semaine. Le régime alimentaire est similaire à celui des adultes.
Elles développent très tôt leur instinct de prédateur. Dès l’introduction de proies vivantes (escargots, vers de terre) dans leur bac d’élevage, leur
comportement change radicalement : elles se
dressent sur leurs pattes en demeurant légèrement inclinées vers l’avant et en hochant la tête.
Elles s’en approchent, s’immobilisent quelques
secondes et capturent d’un coup de bec le ver de
terre ou l’escargot mis à leur disposition.
Après deux mois de vie commune, les juvéniles
deviennent agressifs entre eux, notamment au
moment de la distribution de la nourriture. Cette
agressivité est une source de stress pour les animaux qui s’infligent des blessures importantes
localisées sur la tête et les membres. Il devient
nécessaire de séparer et d’élever individuellement
les jeunes tortues.
La croissance n’est pas très rapide mais constante. Les juvéniles doublent leur poids entre le cinquantième et le soixantième jour après leur éclosion (voir Tableau 4).
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4. Pathologie et difficultés d’élevage
Nous avons rencontré peu de difficultés dans la
maintenance des adultes de Kinixys belliana
nogueyi. Cependant, il convient de surveiller régulièrement les animaux afin de prévenir tout problème de santé. Sous cette optique, le suivi du poids
de chaque animal est primordial. C’est à notre avis,
le meilleur moyen de déceler les signes avant-coureur d’une pathologie ou de comprendre la nature
d’un changement comportemental (ex. : baisse de
poids due à la ponte). Les principales pathologies
liées à la maintenance en captivité de Kinixys belliana nogueyi auxquelles nous avons été confrontées
sont énumérées ci-après. Les mesures prophylactiques à prendre et les traitements à appliquer sont
les mêmes que ceux préconisés habituellement
pour les tortues terrestres (voir Schilliger, 2004).
Chéloniens 3 • septembre 2006 •
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Alimentation et/ou conditions de maintenance
inadaptées : Les nombreux témoignages recueillis
soulignent que la mort des tortues est la conséquence directe d’une alimentation inadaptée ou de
conditions de maintenance inappropriées. Dans le
premier cas, l’autopsie révèle des dégénérescences graisseuses importantes dues la plupart du
temps à une distribution trop fréquente d’aliments
carnés trop riches (ex. : les aliments pour chats et
chiens). Le second cas concerne des animaux élevés dans les mêmes conditions de maintenance
que les tortues terrestres européennes. Le nonrespect d’une alternance de saison (sèche et
humide) et la maintenance en groupe dans un
espace réduit sont autant d’approches qui ne correspondent pas à la réalité biologique de l’espèce
et qui réduisent considérablement l’espérance de
vie.
Diarrhée : La cause est souvent liée à un problème parasitaire ou à une nourriture inadaptée (ex. :
tomates, bananes etc.…). Cette pathologie doit
être prise au sérieux. Il faut changer l’alimentation
et réhydrater les tortues quotidiennement.
Excroissance du bec corné : Un développement
anormal du bec corné est fréquent chez Kinixys
belliana nogueyi. À l’état sauvage, cette espèce
l’use en cherchant sa nourriture et en ingérant également des aliments coriaces (escargots, plantes
sèches, petits cailloux etc.…). Il faut réduire cette
excroissance et revoir les types d’aliments distribués aux tortues.
Parasites externes : Les tiques sont fréquents sur
les tortues sauvages récemment importées. Une
analyse méthodique de chaque animal permet de
localiser et de retirer un à un tous les acariens
hématophages.
Parasites internes : Un traitement anti-parasitaire
est effectué systématiquement à chaque tortue
nouvellement acquise. Dans un deuxième temps,
si le comportement de l’animal semble anormal
(anorexie prolongée, apathie, faiblesse marquée)
ce traitement est renouvelé. Il est conseillé de réaliser une coproculture qui détermine la présence et
le type de parasites présent dans l’organisme.
L’administration d’un vermifuge se fait en principe
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• Chéloniens 3 • septembre 2006
par sondage oro-gastrique. D’autres méthodes se
sont révélées efficaces : le vermifuge peut être
injecté avec une seringue munie d’une aiguille
dans un vers de terre ; l’autre possibilité consiste à
badigeonner l’aliment préféré de la tortue et de lui
proposer après quelque jours de jeûne forcé.
Rétention d’œufs : Dans notre élevage, une seule
tortue est morte à cause d’une rétention d’œufs.
Le site de ponte doit être suffisamment grand et
profond pour répondre aux attentes des femelles.
Le cas échéant et après une radioscopie, l’utilisation d’une injection d’ocytocine est vivement
conseillée.
5. Conclusion
L’élevage de Kinixys belliana nogueyi ne présente
pas de difficulté particulière à condition de respecter au plus près ses exigences écologiques.
Concernant sa maintenance, les échecs passés
sont essentiellement le résultat d’une méconnaissance de l’écologie de l’espèce et d’une absence
de traitement antiparasitaire des animaux dès leur
acquisition. ◗◗
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier les personnes
suivantes (par ordre alphabétique) :
Hélène Fuggetta, Paula Elis Morris, Declan Nolan,
Claude Nottebaert, Ton Von Pelt, Loïc Rumelard,
Sandrine Serpol et Aline Turbin.
Auteurs
E-mail : [email protected] ;
[email protected] ;
[email protected]
Liste de discussion sur les Kinixys :
www.group.yahoo/group/kinixys.
Site internet du groupe d’élevage de la FFEPT :
www.ffept.org/GEK
Page de droite
En haut : Jeune Kinixys belliana nogueyi
après l’éclosion. Photo Marc Asensio.
En bas : Détail de la dent de l’oeuf
d’un nouveau-né
Photo David Manceau.
Chéloniens 3 • septembre 2006 •
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