LE CHEVREUIL

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LE CHEVREUIL
Capreolus capreolus Linné 1758
Allemand : Reh, Italien : Capriolo, Anglais : Roedeer
Toute l'Europe, de la côte de la Méditerranée à la Suède centrale. Avec des variations locales, tête
et corps 0,95 à 1,35 m, hauteur au garrot 60 à 75 cm. Poids moyen 15 kg, jusqu'à 30 en Prusse
orientale (39,5 Lemberg, avec bois de 570g) et 35 en Russie. Poids moyen trouvé au Jura neuchâtelois,
22 kg, max. 30. Le mâle ou brocard plus lourd que la femelle, ou, selon l'inspecteur Vouga, de
Neuchâtel, de poids égal. C'est un animal fin, aux membres minces, dos arqué, front élevé et museau
menu, ce qui donne, surtout au mâle et en hiver, un profil triangulaire caractéristique. Pas de queue
appréciable, poil des fesses érectile, se déployant, par la frayeur surtout, en un « miroir » très blanc et
très visible en hiver. Grandes oreilles, beaux grands yeux foncés, larmier peu développé. Deux livrées
très différentes : en hiver, d'un gris-brun, gorge blanchâtre, souvent aussi une tache indécise plus
bas ; en été d'un roux rouge vif, parfois jaune (souvent par région, val Cluozza par ex.), miroir
roussâtre, tête plus grise, chez le mâle surtout, front brunâtre. Chez les gros mâles, il reste souvent un
peu de gris aux flancs. Museau noir jusqu'en dessous de la commissure des lèvres, milieu de la lèvre
supérieure, lèvre inférieure et menton blancs. Callosités latérales du talon (os) noirâtres. Mue
(commençant par la tête) en mai et fin septembre. Le faon naît tacheté de blanc, ces taches s'effacent
généralement en juin, mais dans de mauvaises conditions (portée nombreuse, etc.), persistent
jusqu'en octobre. Le poids varie alors de 7 kg (rare) à 18,5 (Vouga).
Les bois se composent d'abord d'une dague longue comme le doigt, puis d'une fourche, ensuite d'un troisième
andouiller. Des bois plus divisés sont exceptionnels ; par contre, on voit souvent des brocards bien adultes avec des bois
simples, longs, minces mais rugueux. C'est l'effet de la vieillesse mais toutes ces formations ne correspondent que
vaguement aux années. Santé, conditions de vie, variations individuelles interviennent et un brocard de 12 mois peut
porter six pointes. En moyenne, le plus fort développement des bois est atteint entre 4 et 6 ans. Ils portent de fortes
rugosités (perlures) et pèsent au maximum 500 à 600 g. Ils tombent en novembre, ont entièrement repoussé en février
et perdent leur peau en avril. En 1946, je vis un brocard le 20 mars, au Jura français, dont les bois étaient blancs et
sanguinolents, tandis que leurs deux peaux pendaient de part et d'autre sur les yeux. Le lendemain, un autre brocard
avait les bois tout dégagés.
Brocard en bois de velours
Dans nos pays civilisés, ce gracieux animal représente le gros gibier. Il est, avec le lièvre, le principal objet de
la chasse au poil, de cette chasse dont l'aménagement rationalisé réduit quelque peu le gibier à l'état de bassecour. Nos prédécesseurs paléolithiques, qui avaient mieux à chasser, ont laissé peu d'ossements et de dessin du
chevreuil, qui d'ailleurs n'aurait pu se plaire dans le paysage de steppes de l'Europe centrale et n'était abondant
que dans le sud de la France et en Espagne. Au néolithique, il est un des gibiers les plus importants, après le cerf,
puis à l'âge des métaux il diminue, jusqu'à l'époque romaine. On a attribué ce fait aux forêts très denses, qui
conviendraient moins au chevreuil qu'au cerf, tandis que plus tard un certain défrichement l'aurait de nouveau
avantagé. Mais actuellement, on pense que le chevreuil, de par sa constitution, échine arrondie et inclinée en
avant, jambes postérieures longues et normalement fléchies, est fait pour se glisser dans les fourrés, tandis que
le cerf est animal de steppe boisée (ou aussi de forêt sans sous-bois?). Au Parc national, les chevreuils, qui étaient
87 en 1910, atteignaient le nombre de 288 en 1930, pour n'être que 80 en 1958, alors que les cerfs étaient
passés de 16 à 750. Une étude en cours semble montrer qu'il n'y a pas concurrence alimentaire entre les deux
espèces pendant la période critique, l'hiver, le chevreuil consommant 50 % d'herbe.
Chevreuil, avec « les velours » des bois rabattus sur les yeux, qui sont petits et clignotants.
Sentier des gardes sur Sergy.
Jeune chevreuil courant
A la fin du siècle dernier et au début de celui-ci, le chevreuil était rare en Suisse, sauf en quelques
chasses bien gardées de l'Argovie. Si, dans le Jura vaudois, les chasseurs en avaient ramené un, disait
le célèbre chirurgien et chasseur Dr Roux, on aurait sonné les cloches. Maintenant, grâce à une
meilleure réglementation de la chasse, pour d'autres causes aussi, peut-être, dont les changements
intervenus dans l'exploitation forestière, le chevreuil est commun partout en Suisse. Seul notre canton
de Genève est encore en retard, le chevreuil y est encore peu abondant. Aux Grisons, où il était
inconnu, selon les chroniques, au XVIe siècle déjà, il est apparu subitement, vers 1890, près de SaintMoritz et de Zernez.
En France, l'effectif des chevreuils dépassait apparemment 310 000 individus (O.N.C., Office
national de la Chasse n°87, janvier 1985). En Suisse, de 109 000 en 1984 (Office fédéral des Forêts).
En Suède, le chevreuil, réduit en 1830 à un tout petit reste en Scanie dans une réserve privée,
avait regagné en 1920 son extension de 1750. Depuis, il a gagné 4° de latitude vers le nord.
Quoique très timide, le chevreuil s'accommode bien de la culture et du voisinage humain, pourvu
qu'il trouve quelque bois où s'abriter. Certains d'entre eux, même vivent en pleins champs sans arbres
(Feldreh) ; ils ont le plus souvent les bois clairs et médiocres. Leur vrai habitat, c'est les bois. Ils y
demeurent couchés une partie du jour dans un fourré, un buisson, dans les roseaux, une jeune
sapinière. Ils s'y font une couchette débarrassée de feuilles, un peu creusée. Les champs de graminées
et les roseaux leur servent aussi de refuge. Ils sortent des bois à la fin de l'après-midi, dans les prés et
les cultures et y rentrent après le lever du soleil, mais on en trouve aussi en pleine nuit dans la forêt.
Petit chevreuil
Le chevreuil a un flair excellent et l'ouïe si fine
qu'il est difficile de le surprendre. Sa vue est bonne
et il voit venir un homme de très loin, mais il lui
arrive de s'approcher de l'observateur immobile, à
bon vent et peu caché. Il vit en petites troupes, les
mâles le plus souvent seuls, parfois un vieux est
accompagné d'un jeune d'un an. En hiver, les bandes
sont souvent plus nombreuses et plus mélangées.
Jeune chevreuil, cambré au sommet d'un bond
On considère que le chevreuil vit en société patriarcale, à l'inverse du cerf.
Ce n'est toutefois pas l'opinion de Kl. Zimmermann et, si l'on s'en réfère à
l'observation dans la nature, cela ne paraît pas absolument convaincant, car si
on voit souvent chevreuil et chevrette ou des troupes de formation diverse, il
me semble avoir bien rarement vu une famille. Le mâle, défendant le territoire,
serait plus constamment agressif que le cerf, et en fait, il attaque plus souvent
l'homme. Au canton de Neuchâtel, une telle attaque s'est soldée par 10 jours
d'hôpital et il y en eut récemment une ou deux moins graves. On a vu un
brocard tenir un chien en respect, en se jetant sur lui tête baissée chaque fois
qu'il approchait trop. Le territoire est marqué par les traces odorantes des
glandes interdigitales, de la glande du tarse (os). Le brocard « touche au bois »
non seulement au printemps pour débarrasser ses bois du velours mais au
temps du rut pour laisser sur les branches l'odeur de la glande frontale.
Chevreuil en arrêt
A.B. Bubenik, qui a surveillé de jour et de
nuit (aux infra-rouges) pendant plus d'un an
deux chevreuils en large captivité, a trouvé
des durées de sommeil très courtes (max.
236 minutes par jour, minimum 87 et moins
encore pour la femelle en lactation). Ils
tombent, rarement, dans un état de torpeur
de plus de 10 minutes, si profond qu'ils ne
réagissent pas aux bruits et odeurs modérés,
ni même si on leur jette de petites pierres. En
hiver, le sommeil a lieu surtout de nuit.
Brocard touchant au bois (à cette saison il s'agit de marquage du territoire)
Par antithèse avec le cerf, on a fait du
chevreuil un animal monogame, vivant en
famille. Au temps du rut, en effet, le
brocard ne réunit pas une harde de
chevrettes. Il en poursuit une, inlassablement, au trot, en trajet sinueux, à travers
prairies, forêts et buissons, soir et matin,
de nuit aussi, en poussant une sorte de
halètement : he-he, he-he. Je ne crois pas
que cela soit le fait de l'essoufflement : le
mâle seul le pousse, et seul aussi le poursuivant jaloux d'un autre mâle. Les deux
conjoints paraissent parfois exténués, je
les ai vus le matin couchés à une
cinquantaine de mètres l'un de l'autre.
Brocard poursuivant une chevrette en été
Lorsque la femelle repartait, le mâle se levait
pour la suivre et bientôt tous deux se
recouchaient. Enfin le mâle la serre de près, le
nez tendu, elle se laisse rejoindre et
l'accouplement a lieu, très bref et parfois réitéré
3 ou 4 fois. Mais où les animaux sont nombreux,
le brocard abandonne souvent la chevrette qu'il
suit pour une autre qui croise sa route. Il
poursuit même les chevrettes de l'année. Luisier
m'a décrit le mâle tournant autour de la femelle,
formant un vrai sentier circulaire, restant un
instant couché à son côté après l'accouplement
puis reprenant sa ronde. Ces « ronds de
sorcières » sont bien connus. Ils sont formés
autour d'arbres, de rochers, de touffes d'herbe
et sont parfois doubles (en 8).
Trois chevreuils dans le brouillard
Jacques Burnier en a trouvé un le 8 août 1937, près de Morgins, d'un diamètre de 2 m, dans de
grandes plantes. Un autre le 16 octobre 1949 à la Baragne (Jura vaudois) de 3 m extérieurement,
autour d'un genévrier de 1,70 m. D'ordinaire, le mâle y poursuit la femelle ou parfois on y voit trois
bêtes. Ils seraient aussi utilisés hors du
temps du rut. Au temps du rut, la chevrette
attire le brocard par un petit cri plaintif :
fiep fiep. Tous les livres en parlent et les
chasseurs imitent ce cri avec un appeau fait
parfois d'une feuille : c'est le « blatten » des
Allemands. Bien que j'aie passé quelques
soirs, matins et nuits avec les chevreuils en
rut, je ne l'ai jamais entendu et de bons
connaisseurs non plus. Par contre, je l'ai
entendu chez les jeunes, qui sont à cette
époque abandonnés et assez désemparés,
s'approchant même d'un homme marchant
doucement comme cela m'est encore arrivé
le 25 août 1960 à Monbas, Derborence.
Brocard poursuivant une chevrette
Deux jeunes mâles que j'approchais
vinrent vers moi, s'éloignèrent après m'avoir
identifié, mais l'un revint encore à 3 ou 4 m
(ils ne criaient pas). Ce cri est un petit
piaulement qu'on attribuerait plutôt à un
poussin d'épervier qu'à un mammifère. Je l'ai
entendu aussi d'une jeune chevrette
marchant péniblement dans la neige et
semblant appeler le jeune mâle qui la
précédait. Enfin, le 5 décembre 1946, dans le
Jura, au-dessus de Sergy, le même cri, un peu
moins aigu, était poussé par un mâle, plutôt
jeune, mais aux pivots bien apparents,
suivant une femelle à quelque cent mètres,
et aussi, en hiver, par l'une des deux
chevrettes poursuivies par un chien. Il est
donc probable que ce cri est un simple appel,
sans signification sexuelle particulière.
Chevreuil en bois de velours
Les mâles combattent, dit-on, pour les femelles mais avec moins d'acharnement que les cerfs,
bien que Luisier m'ait dit en avoir trouvé le crâne perforé par le bois d'un adversaire et le garde Alph.
Wigny (Ardennes belges) m'a montré les bois, très beaux, d'un brocard qu'il trouva tué par un autre,
le corps couvert de coups et tout le sang entre cuir et chair. Je les ai vus s'approcher à une
quarantaine de mètres, baisser la tête, gratter le sol, après quoi le moins costaud s'éloignait. Parfois
aussi, ils s'abordent à la même distance avec de grands sauts, le corps presque vertical, puis s'en vont.
Le rut a lieu fin juillet et en août, même septembre, mais les embryons, après quelques divisions,
restent stationnaires jusqu'en novembre, pour se développer normalement ensuite et voir le jour en
avril, plutôt mai et juin.
Exceptionnellement, d'ailleurs, il peut
naître des petits chevreuils dans tous les mois
de l'année. Le brocard peut poursuivre la
chevrette de ses assiduités au moins dès que
ses bois sont développés. Le 23 mai 1946,
une chevrette et un brocard ont traversé
devant moi un sentier du Jura, se poursuivant
au galop. La femelle poussait un gémissement angoissé. Le 20 avril 1950, je voyais la
même scène à Erstavik (Stockholm), les
animaux étant en pelage d'hiver. La première
mise bas d'une chevrette est d'un chevrillard,
la seconde peut déjà en compter deux. Ils
seraient alors toujours de sexe différent. Le
simple jeu des probabilités indique qu'il doit
en être souvent ainsi. Si c'était constant, ce
serait inexplicable dans l'état actuel de nos
connaissances. Bien adulte, elle en a souvent
trois (autopsie Vouga). La parturition dure 2
à 3, parfois 5 à 6 heures.
Jeune chevreuil dans les molinies
Chevrette à la tombée de la nuit
La première heure de vie du petit se passe
en léchages et nettoyages ; elle ne s'est pas
écoulée qu'il cherche avec ténacité à se
mettre sur ses jambes, y parvient après une
heure et demie, vacillant, et après 2 heures
quitte la couche ; sa mère le suit. Poids à la
naissance 1 kg, à 8 jours 3,250 kg, à 14 jours
6 kg. A deux jours, il mange de la terre, à 8
jours sa première feuille, à 3 semaines
rumine. La mère avait été saillie le 15
septembre 1937 à 4 mois, mit bas le 1 er juillet
1938 (obs. Kate Hecht, en semi-captivité).
Brocard dans la brume
Les renards et les chiens, les chats sauvages ou errants, l'hermine même, tuent encore les
chevrillards bien que la mère les défende à coups de pieds. M. Victor Faye, de Strasbourg, a vu au
Sulberg un renard jouant avec un faon, il se roulait devant lui, batifolait, tout à coup essaya de lui
sauter à la gorge. M. Faye l'effraya. Le lendemain, à la même place, il vit une chevrette tambourinant
des antérieurs, devant un renard qui essayait de la tourner pour prendre son faon réfugié entre ses
postérieurs.
Le 20 avril 1950, à Erstavik, un renard
passait entre un brocard et une chevrette, à
quelques mètres, les chevreuils étaient très
attentifs et tendus. Zollinger cite même un
cas où un mâle intervint contre un renard.
La mère cache ses petits dans un buisson,
dans les céréales, les hautes herbes où la
faucheuse en détruit beaucoup. Elle ne
reste pas avec eux et les place même à
quelque distance l'un de l'autre.
Chevrette, neige fraîche et brouillard
C'est ainsi que le 1er juillet 1943, j'observai dès 13 heures un jeune chevreuil, déjà grand, couché
sur une grosse pierre dans la forêt, au-dessus de la Fouly, (Val Ferret). Il avait l'air de s'ennuyer
beaucoup, se levait, s'étirait, se tournait, se recouchait. Enfin, à 19h20, il s'élança. La mère était à 50m
de là dans la haute végétation. Je crois qu'il tèta et je ne pus voir s'il y avait un autre petit, puis ils s'en
allèrent. Le 10 juin 1958, à Široko Bilo, près de Vršac, Banat, je trouvai devant mes pieds un jeune
chevreuil sur les feuilles de hêtres. Le garde et le chien, qui marchaient immédiatement à ma droite,
ne l'avaient pas remarqué. Le garde maintint le chien et pendant plus d'une heure que je la dessinai,
la petite bête, malgré les mouches, ne fit pas d'autre mouvement que d'incliner un peu une oreille. Je
cherchai s'il y en avait un autre à quelques dizaines de mètres.
On doit se garder de vouloir « sauver » de tels petits « abandonnés ». C'est tout à fait normal
pendant la première quinzaine de leur vie. Ensuite, les petits ne se quittent plus. Abandonnés
quelques jours lors du rut, les jeunes rejoignent ensuite la femelle. Ce n'est que par ouï-dire que je
parlerai de leurs jeux, n'ayant assisté qu'à quelques sauts et gambades. On les dit très vifs et se
poursuivant beaucoup. Les mâles adultes font aussi d'étranges cabrioles. J'en ai vu (c'était en mai,
dans les montagnes de Bulgarie et à l'orée d'un bois) sauter à plus d'un mètre, cabrés, couchés sur le
flanc et arqués de côté puis retomber d'aplomb ; ou, le dos et la nuque arc-boutés, ficher leurs bois en
terre.
Petit chevreuil complètement inhibé devant deux hommes et un chien
Le chevreuil se nourrit d'herbe, de
feuilles, bourgeons et pousses d'arbres à
feuilles et à aiguilles, glands, champignons.
Ce n'est pas un animal qui « paît ». Il choisit
sa nourriture, il la lui faut très variée. Ainsi un
chevreuil est passé à 3 mètres devant moi,
qui étais debout avec ma femme sur un
sentier. Il cueillait en marchant, les fleurs
d'épervière de-ci, de-là, son œil foncé nous
regardait sans nous voir; brusquement il fit
un bond, mais revint deux fois nous regarder
de plus loin avant de fuir et d'aboyer. Selon
Kl. Zimmermann, il ne mange que trois à
quatre heures par jour.
Brocard broutant
G. Olivier confirme les histoires de chevreuils enivrés par la fermentation dans leur estomac de
bourgeons de bourdaine et de bouleau, au printemps (sans d'ailleurs se prononcer sur le mécanisme
exact de cette excitation). Ils se mêlent aux vaches, l'un d'eux alla se coucher, à Bourgtheroulde (Eure)
sous la table de la cuisine d'un hôtel, d'où l'on eut de la peine à le déloger. Les dégâts aux cultures ne
sont pas très grands, sauf parfois dans les potagers. J'ai vu des chevreuils dédaigner avec constance
des choux pour manger des feuilles de betteraves. Ils mangent du raisin. Ils font plus de mal aux
forêts, le brocard, en particulier, abîme beaucoup de jeunes arbres en frayant, pour débarrasser ses
bois de leur velours. Il suffit, disent les forestiers, qu'il se trouve un arbre singulier pour qu'il s'en serve
et il détruit ainsi les plantations d'exotiques. Le chevreuil aurait donc pour rôle de sauvegarder le
caractère de nos forêts ! Un bon moyen de lutter contre la frayure du chevreuil est de laisser
quelques pieds de noisetier et autres bois blancs, qu'il préfère aux jeunes arbres. En hiver, il gratte la
neige pour manger les feuilles sèches de hêtre (Vouga), les faînes, glands. J'en ai vu ainsi une troupe,
près de Berne, dont tout l'avant-corps, épaules comprises, disparaissait dans la neige pour atteindre
l'herbe au fond de véritables puits.
Lorsque la neige est trop épaisse ou trop dure, il mange la mousse et le lierre contre les arbres et,
selon Vouga, montre une prédilection pour les feuilles de ronces ; il préfère les aiguilles du sapin blanc
à celles de l'épicéa, absorbe aussi celles de l'if qui empoisonnent les chevaux. La belladone non plus
ne lui nuit pas. Il semble aimer beaucoup le gui. Au Jura français, lorsque les grands sapins blancs sont
abattus par le vent, les chevreuils mangent avec beaucoup de soin les touffes de gui. En
Tchécoslovaquie, on abat les sapins le soir pour que les chevreuils mangent le gui pendant la nuit. En
hiver, on trouve surtout les chevreuils sur les versants ensoleillés et vite débarrassés de neige.
Il m'a semblé qu'ils ne mangent pas volontiers
aux heures où l'herbe est givrée. Il supporte mal les
grosses neiges de la montagne. Croûtées, elles le
blessent. Poudreuses, il y enfonce, nage
péniblement en sortant juste la tête et s'épuise
rapidement. Les braconniers en skis l'assomment,
renards et chiens le dévorent tout vif par l'arrièretrain.
Chevreuil et chevrette
Forêt givrée et chevrette
Trois chevreuils fuyant dans le givre
Mon ami le Dr Jacques Burnier trouva ainsi, dans le Jura vaudois, un brocard nageant dans la
neige. Il l'attrapa mais l'animal se retourna sur le dos et ruant des quatre pieds, lui contusionna le
poignet. L'ayant caressé, photographié, il alla se reposer sous un sapin, le chevreuil sous un autre,
pendant des heures, sans que les skieurs ne remarquent rien. Vers le soir, deux gardes-frontière virent
les traces et en compagnie de mon ami, attrapèrent la bête, la lièrent sur leur sac et l'installèrent dans
une étable jusqu'à ce que la neige fût plus tassée. Luisier m'affirme avoir vu deux fois en hiver des
chevreuils tués par des aigles et leur squelette complètement nettoyé. Un de ces derniers hivers, il y
eut au canton de Neuchâtel 35 chevreuils mangés par des chiens, pour la plupart ceux des skieurs de
fond. Le chevreuil est sujet à plus de maladies que le cerf. Des vers parasitent son foie, ses intestins,
ses poumons, des larves de mouches habitent sous sa peau. En 1984, 18 425 chevreuils ont été tirés
en Suisse, et environ 7 539 tués par les autos.
Sa course est très rapide, par grands bonds, au sommet desquels il se cabre (surtout dans la
grande végétation), dos creux, tête en arrière, pattes ramenées vers la poitrine et la croupe. Lorsqu'il
court sur l'herbe, dans le silence de la nuit, on entend ses pinces s'entrechoquer.
Lorsqu'il est fatigué, il ne bondit
plus, paraît-il. Mais il peut fuir très
longtemps et emploie toutes sortes
de ruses, bat les ruisseaux, s'y cache,
etc. « Et s'il était aussi belle bête et si
royale que le cerf, dit Gaston
Phoebus, je tiens que ce serait plus
belle chasse que celle du cerf. »
Effrayé, le chevreuil pousse, en
bondissant, un aboiement rauque, à
répétition, s'accélérant souvent,
qu'on n'attendrait guère d'un animal
si délicat : baö baö. D'un peu plus
loin, il est parfois difficile de le
distinguer du glapissement du renard.
Deux chevrillards dans la brume
Les deux sexes l'émettent, mais la voix du brocard me semble plus basse. Il ne doit pas toujours être
signe d'effroi. Selon Kl. Zimmermann, c'est aussi le cri de combat du brocard en rut. Le chevreuil nage
bien et volontiers, le mâle plus que la femelle. En Hollande, il se rend à des îles à 7-8 km de la côte, en
Ecosse, il traverse des bras de mer et estuaires. Paul Géroudet l'a vu, le 16 octobre 1960, traverser le
Rhône au Fort de l'Ecluse.
Petit chevreuil curieux
Bien que les chevreuils soient très sédentaires, qu'on voie toujours les mêmes animaux aux
mêmes lisières (sur 1 000 chevreuils marqués, deux tiers restent dans un rayon de 1 km depuis leur
naissance, dont deux de 10 ans et un de 16 ans) et que leur territoire ne dépasse guère 1 km², il est
certain qu'ils se déplacent, changent de vallées en passant des cols assez élevés alors qu'ils ne font
d'ordinaire que de brèves excursions au-dessus de la forêt. Fellay en a vu cependant, en 1945, sous la
cabane de Panossière (Valais, 2 173 m). ainsi, le 17 juin 1930, au lever du jour j'aperçus un brocard
suivi d'une chevrette passant sur les taches de neige du pâturage d'Anzeindaz en direction du Pas de
Cheville (2 049 m). Le 25 juillet 1944, nous trouvions, sur la Gemmi ( 329 m), au haut des grandes
parois mais un peu à l'ouest du col, le cadavre desséché d'un jeune de l'année précédente. Sans doute
venait-il du versant bernois, probablement par la neige encore et avait-il péri épuisé sans trouver le
passage vers le Valais (où son sort n'eût, bien sûr, pas été meilleur)
Chevreuil
Chevreuil sous l'orage
Texte et images de Robert Hainard,
Mammifères sauvages d'Europe (en un volume, 1987), pp 386-396
Ongulés artiodactyles, Cervidés
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Marie Madeleine Defago Paroz |151209
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