Colles - Guillaume Pigeard de Gurbert

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Pigeard de Gurbert 1
Colles
Première Supérieure
Gay-Lussac
Cours commun / Oral
2012-2013
LA VILLE
1) Platon : philosopher hors les murs ou en ville ?
A Théodore qui se vente de bientôt lui exposer, après le sophiste, « le politique et le
philosophe », Socrate rétorque « allons bon ! » et signale par là son étonnement de voir un
géomètre aussi talentueux que Théodore, expert en rapports s’il en est, établir un rapport entre le
politique et le philosophe qui n’ont aucun rapport : « Il y a entre eux, insiste Socrate, un trop
grand écart de valeur, pour qu’il soit compatible avec ce qu’est une proportion. » (257ab).
Loin que l’idée de philosophie politique aille de soi, Platon semble poser entre la philosophie et la
politique une frontière infranchissable.
Du reste, Socrate abandonne le projet de faire le portrait du philosophe pour se consacrer à celui
de l’homme politique : « C’est sur l’homme politique, après le sophiste, que doit porter
notre enquête » (258b) C’est la valeur du philosophe qui est incommensurable à la valeur du
politique.
Il y a chez Platon un dédain de tout ce qui touche à la politique qui a d’abord une raison factuelle
qui concerne le type d’existence que suppose une vie consacrée à la politique. Ainsi, dans le
Théétète (172 c-d), Platon oppose deux types d’éducation : celle qui mène à la politique et celle
qui mène à la philosophie « Ceux qui ont, dès leur jeunesse, roulés dans les tribunaux et les
assemblés du même genre, comparés à ceux qui ont été nourris dans la philosophie et
dans les études de cette nature, sont comme des esclaves en face d’hommes libres ».
L’existence consacrée aux affaires politiques est une existence aliénée au superficiel, ballotée par
la valse des intérêts. Ce n’est donc au fond pas une existence digne de ce nom, celle-ci supposant
une liberté de choix qui fait défaut à l’homme politique.
C’est plus précisément le loisir (skolê), c'est-à-dire ce temps où le temps ne compte plus, qui
constitue la propriété essentielle d’une existence pleine et entière. C’est le loisir, dit Platon, qui
permet de « chanter comme il convient une existence authentique »
Ce qui distingue radicalement la vie politique de l’existence philosophique c’est que celle-ci
construit une médiation entre les données immédiates et un ailleurs intemporel, tandis que celle-là
est accaparée par les intérêts immédiats au point de perdre le sens de ce qui fait défaut et qui est
nécessaire pour conférer une consistante à cette vie.
Dans cet intermède politique du Théétète [172a-177c] intervient la figure emblématique de
Thalès (174 a) qui n’a pas sa place parmi ses concitoyens dont il est la risée, tant son attention est
requise par des réalités extrapolitiques en l’occurrence les planètes (« les astres errants » en grec)
et leurs mouvements réglés, images mobiles de l’éternité immobile. La servante qui se moque de
Thalès est si parfaitement adaptée à sa fonction sociale qu’elle n’éprouve pas le désir d’une réalité
qui échappe à la mobilité et à la relativité ; Thalès, lui, passe pour un être associable parce que son
existence n’est pas adaptée aux besoins sociaux mais orientée vers une région métaphysique qui
excède les affaires humaines. Le programme de la philosophie semble consister purement et
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simplement dans une ignorance volontaire de la politique : « s’enfuir d’ici là bas, le plus vite
possible » tel est le mot d’ordre de Socrate. La philosophie semble n’avoir d’autre urgence que
de tourner le dos à la politique que de s’orienter vers la seule région qui soit digne d’être pensée,
la région métaphysique.
Le métaphysique : une réalité, tout ce qui est métaphysique [Méta-physique : Au de-là _ Phusis :
la nature, temporel : l’intemporel]
La métaphysique : [Méta : déplacement, transport + ascendant, vertical, du bas vers le haut] Mise
en relation du physique (= politique) et du métaphysique (l’intemporel)
Cependant, le prologue du Phèdre de Platon (230d) installe la philosophie à l’intérieur des murs
de la cité. La scène se situe à la limite de la cité et de la campagne et Socrate exprime
explicitement son intention de rester à l’intérieur de la cité pour conduire le dialogue
philosophique : « les champs et les arbres ne consentent à rien enseigner tandis que c’est
ce que font les hommes qui sont dans la ville » [en to asteï : dans la ville. Asteios signifie en
grec le citadin, voir l’Athénien] Le destin de la philosophie se joue donc intramuros, à l’intérieur
des murs de la cité. Le périmètre de la philosophie recoupe très exactement la sphère politique.
Il faut en outre remarquer que jusque dans sa mort la philosophie n’a d’existence que politique.
Socrate ne meurt ni de vieillesse ni par accident, sa mort n’est pas un phénomène naturel mais un
évènement politique : elle est la conclusion d’un procès. Du reste, l’apologie signifie en grec
« défense », c’est un concept juridique qui suppose l’espace politique de la cité. Comme le rappel
Socrate dans L’apologie de Socrate (28 a). De sa naissance à sa mort la philosophie n’a
d’existence que politique.
Dans La République (livre V, 473 d), Platon prolonge cette idée non seulement du caractère
indissociable de la philosophie et de la politique, mais de leur identité dans la figure du
philosophe-roi. L’idée du philosophe-roi exprime sinon une réalité du moins un idéal : « que cet
ensemble, pouvoir politique et philosophie, se rencontre sur la même tête ». Il faut
toutefois relativiser le sens de cette figure du philosophe-roi dans la mesure où La République [Ta
Politeia], contrairement à ce que laisse entendre son titre n’a pas pour objet la Cité elle-même, ou
plus largement la politique, mais l’âme humaine. La question est de savoir si la justice loge dans
l’âme humaine ou si elle imposée de l’extérieur. L’âme humaine a-t-elle le sens de la justice par
elle-même ou au contraire la justice n’est elle qu’une contrainte sociale. Le problème est qu’il est
difficile d’analyser l’âme humaine, c’est pourquoi Platon va établir une analogie entre celle-ci et la
Cité. Le texte de l’âme est écrit en très petits caractères : « La cité est plus grande que
l’individu » et représente un grossissement de l’âme avec ses différentes parties, le philosophe roi
représentant la partie supérieure et rationnelle de l’âme. Ainsi, la République n’est pas un objet
politique c’est seulement l’âme humaine mais « en gros caractère » (La République, livre II,
368 d-e). Du reste, La République se conclut sur le mythe d’Er (614b), c'est-à-dire sur le destin
moral de chaque âme qui est fonction de son rapport à la justice, c'est-à-dire de son accord avec
elle-même. Dans ce livre X de La République, chaque âme se retrouve face à elle-même :
Agamemnon, qui a régné toute sa vie, se métamorphose en aigle ; Ajax [Aias : hélas] se
métamorphose en lion… La conclusion de la République concerne le destin individuel des
hommes, et non leur existence collective. Le problème de la République n’est pas un problème
politique : il s’agit de savoir comment faire pour que la partie rationnelle de l’âme gouverne.
L’idée du « philosophe-roi » n’est pas un programme politique mais psychagogique (éducation de
l’âme).
Position du problème : Ainsi, y a-t-il une ambivalence déconcertante de la politique qui peut aussi
bien condamner la philosophie à l’absence voire à la mort que désigner l’air même que respire la
philosophie ; d’où ce problème troublant : la politique représente-t-elle pour la philosophie un
lieu de séjour impossible ou, au contraire, le milieu même de son existence ? La politique est-elle
un objet impensable pour la philosophie ? Ou bien plutôt l’objet philosophique par excellence ?
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En un mot, la politique est-elle l’asphyxie ou l’oxygène de la philosophie ? La confrontation du
prologue du Politique (257b) et du prologue du Phèdre (230d) nous conduit à ce problème
incontournable : la politique donne-t-elle congé à la philosophie ou constitue-t-elle l’objet même
de la philosophie, sa seule grande urgence ?
2) Descartes : ordre des sciences, désordre des villes
En politique, la sagesse commande de prendre la société comme elle est, et interdit de remettre
en cause son fondement. Ce n’est pas que les sociétés soient fondées en raison, c’est bien plutôt
qu’il y aurait une manière de folie dans le projet de renverser l’ordre établi.
La science requiert un fondement rationnel, et ne reconnaît d’autres ordres que celui qu’elle a
elle-même instituée, qui est l’ordre rationnel du vrai, fondé sur la transparence de ma pensée à
elle-même. L’ordre politique n’est ni vrai, ni fondé, il est simplement celui qui est en usage et qui
a montré son utilité ; mais l’utilité du droit en usage ne signifie absolument pas la vérité de ce
droit ni même qu’il soit juste. Le droit coutumier n’est pas un droit juste, c’est juste un droit, qui
a reçu le certificat de l’usage. Descartes souligne bien au début de la deuxième partie du
Discours de la méthode que les sociétés sont les produits contingents de l’Histoire, comme
« ces anciennes cités qui, n’ayant été au commencement que des bourgades sont devenues par
succession de temps de grandes villes. » La politique n’est pas la réalisation de l’ordre des raisons
mais de l’ordre temporel de la succession qui est un ordre où la contingence est reine, une sorte
d’ordre du désordre (dans la catégorie du désordre). La politique répudie la question du
fondement qui est la raison d’être de la science. Descartes rejette explicitement le « dessein de
réformer un Etat, en y changeant tout des les fondements ». Descartes dénonce ces humeurs
brouillonnes et inquiètes qui se piquent de réformer la politique « en idée » sans voir qu’ils ne
font là au mieux que parler en l’air et au pire risquer de mettre en péril la paix publique.
3) Rousseau, Du contrat social livre I, chap. 9
« On ne peut donner en calcul un rapport fixe entre l’étendue de terre et le nombre d’hommes qui
se suffisent l’un à l’autre, tant à cause des différences qui se trouvent dans les qualités du terrain,
dans ses degrés de fertilité, dans la nature de ses productions, dans l’influence des climats, que
de celles qu’on remarque dans les tempéraments des hommes qui les habitent, dont les uns
consomment peu dans un pays fertile, les autres beaucoup sur un sol ingrat. Il faut encore avoir
égard à la plus grande ou moindre fécondité des femmes, à ce que le pays peut avoir de plus ou
moins favorable à la population, à la quantité dont lie législateur peut espérer d’y concourir par
ses établissements, de sorte qu’il ne doit pas fonder son jugement sur ce qu’il voit, mais sur ce
qu’il prévoit, ni s’arrêter autant à l’état actuel de la population qu’à celui où elle doit naturellement
parvenir. Enfin, il y a mille occasions où les accidents particuliers du lieu exigent ou permettent
qu’on embrasse plus de terrain qu’il ne pariait nécessaire. Ainsi l’on s’étendra beaucoup dans un
pays de montagnes, où les productions naturelles, savoir, les biais, les pâturages, demandent
moins de travail, où l’expérience apprend que les femmes sont plus fécondes que dans les
Plaines, et où un grand sol incliné ne donne qu’une petite base horizontale, la seule qu’il faut
compter pour la végétation. Au contraire, on peut se resserrer au bord de la mer, même dans des
rochers et des sables presque stériles, parce que la pêche y peut suppléer en grande partie aux
productions de la terre, que les hommes doivent être plus rassemblés pour repousser les pirates,
et qu’on a d’ailleurs plus de facilité pour délivrer le pays, par les colonies, des habitants dont il est
surchargé. »
4) Voir Haussmann
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