Le Monde.fr jeudi 17 décembre 2015 L'effet surprise du CICE sur les salaires C'est un travail hautement sensible. Deux ans après son lancement, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), la mesure phare (avec le pacte de responsabilité) de la politique économique du quinquennat Hollande, vient enfin de faire l'objet d'une première véritable évaluation de son efficacité. Dans une étude publiée jeudi 17 décembre, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) détaille les effets de ce crédit d'impôt sur la masse salariale, de 4 % au titre de 2013 et de 6 % ensuite, qui cible les salaires inférieurs à 2,5 fois le smic, pour un coût total de près 20 milliards d'euros annuels en rythme de croisière. Il en ressort trois effets principaux du CICE sur l'économie hexagonale : la création ou la sauvegarde de 120 000 emplois, un recul des prix de vente des entreprises de 0,6 % à 0,7 % qui a pu soutenir leur compétitivité, estime l'OFCE -, mais, surtout, pour un « gros tiers » , indiquent les chercheurs, une hausse des salaires de 1,1 %. Ce dernier point « est la vraie surprise de ce travail », s ouligne Eric Heyer, économiste à l'OFCE et coauteur de l'étude. Inflation salariale Et pour cause. Annoncé en novembre 2012, dans la foulée du rapport Gallois, le CICE poursuit depuis le départ un double objectif : stimuler la compétitivité française, en abaissant le coût du travail, mais aussi, pour un gouvernement qui a les yeux rivés sur la courbe du chômage, inciter les chefs d'entreprise à recruter. Ces deux points semblent avoir été atteints. « Le CICE a un effet économique réel pour préserver l'emploi et la compétitivité des entreprises », confirme Xavier Ragot, le président de l'OFCE. Le chiffre de 120 000 emplois semble d'ailleurs cohérent avec l'objectif officiel du gouvernement de créer 300 000 nouveaux postes grâce au dispositif, à un horizon de cinq ans. « Ce constat milite pour cibler davantage le CICE sur l'industrie, qui semble l'avoir mieux utilisé » En revanche, à l'heure où la France reste engluée dans une croissance atone - la hausse du PIB devrait atteindre 1,1 % en 2015 -, marquée par une inflation quasi nulle, une augmentation des salaires n'est pas la piste que souhaite privilégier l'exécutif, plutôt engagé en faveur d'un recul du coût du travail... « Une hausse des salaires pourrait sembler bienvenue en période de crise. Le problème, c'est qu'elle bénéficie aux personnes déjà dans l'emploi au lieu d'en créer davantage », pointe M. Heyer. D'autant que ces hausses de salaire se reflètent dans une augmentation plus importante des primes et bonus accordés aux salariés « après plusieurs années de modération salariale » , note l'OFCE. Or, ce type de gratification concerne plutôt les hauts salaires que ceux du bas de l'échelle... Enfin, l'inflation salariale concerne davantage les secteurs protégés de la concurrence (services...) que les secteurs industriels, plus exposés. « Ce constat milite pour cibler davantage le CICE sur l'industrie, qui semble l'avoir mieux utilisé », indique M. Heyer. Gêné aux entournures Ces conclusions font grincer des dents à Bercy, dont toute la stratégie économique repose sur la fameuse « politique de l'offre », visant à soutenir les entreprises afin de permettre un redémarrage de l'économie et, partant, un effet positif sur l'emploi. « Dans les cabinets, certains se sont étranglés à la présentation de l'étude », glisse un habitué. L'exécutif est d'autant plus gêné aux entournures que l'OFCE est le premier organisme à publier une évaluation détaillée des effets du CICE. Le comité de suivi du CICE, animé par France Stratégie, un organisme de réflexion lié à Matignon, a rendu un rapport sur le sujet en septembre. Mais il y expliquait qu'il n'était pas encore possible de mesurer précisément les effets du dispositif, car les comptes détaillés des entreprises tricolores pour 2014 ne seront pas disponibles avant 2016... « Afin d'obtenir rapidement une première analyse, nous avons choisi d'exploiter les comptes nationaux trimestriels pour 16 branches de l'économie française », explique M. Heyer. L'OFCE assortit cependant ses conclusions de plusieurs précautions. « Nos résultats s'entendent en relatif, c'est-à-dire qu'ils ne prennent pas en compte les effets indirects du CICE, à moyen et long terme. Ceux-ci peuvent être positifs : la baisse des prix dans une branche peut se répercuter sur d'autres branches utilisatrices ; la hausse des salaires, en relançant la consommation, peut doper davantage l'activité, de même que le recul des prix de vente peut favoriser le gain de parts de marché et donc les embauches. Mais on peut aussi percevoir des effets négatifs, en raison de la manière dont la mesure a été financée », nuance M. Ragot. Les montants octroyés au titre du CICE ont en effet été financés par une hausse de la TVA, passée de 19,6 % à 20 % au 1er janvier 2014, et par une nouvelle taxe environnementale, ainsi que par des coupes dans les dépenses publiques - qui n'ont pas été précisément détaillées. De quoi inciter les économistes à relativiser leurs chiffres. L'OFCE entend d'ailleurs mettre à jour ses calculs chaque trimestre, en fonction de la révision des comptes nationaux. En revanche, l'étude n'a pu mesurer précisément les effets du CICE sur les investissements des entreprises, seule véritable variable dont la hausse permettrait de transformer la reprise en dynamique d'activité pérenne. « Sur ce point, l'effet de la mesure sera sans doute plus tardif : les entreprises récupèrent d'abord des parts de marché et des clients avant d'investir », indique M. Ragot.