dans les coulisses de la valse des seuils de

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Commande publique
Code des marchés publics : dans les coulisses de la
valse des seuils de procédures
Par Michel Dupont
Le monde de la commande publique a bien accueilli le relèvement à 15.000
euros HT du seuil de dispense de procédure et l’ajustement à la hausse des seuils
de procédures formalisées. Entrons dans les coulisses de ces récentes réformes...
Le droit de la
commande
publique évolue
et évoluera
encore à court
terme
De la décision
Perez à son
relèvement
récent, le seuil
de dispense de
procédure a fait
couler beaucoup
d’encre
Durant ces dix dernières années, les
acheteurs publics soumis au code des
marchés publics se sont habitués au
changement. Ils ont vu naître un nouveau
code en 2001, deux nouvelles directives
européennes sur les marchés publics en
2004, une édition remaniée du code la
même année et, enfin, un nouveau code en
2006, modifié plusieurs fois depuis cette
date.
Les acheteurs le savent, le droit de la
commande publique évolue et évoluera
encore à court terme, puisque la refonte des
directives sur les marchés publics fait
actuellement l’objet d’intenses négociations
entre la Commission européenne et les
États membres. Une fois ces textes
européens adoptés, viendra l’heure des
travaux de transposition en droit interne,
donc des nouvelles modifications du code
des marchés publics.
Mais, depuis la fin de l’année 2008, un
phénomène particulier a attiré l’attention des
acteurs de la commande publique : la valse
des seuils de procédures.
Si ceux régissant les procédures formalisées,
imposées par les directives européennes,
sont mécaniquement fixés tous les deux ans
par la Commission européenne (1.), d’autres
seuils, purement nationaux, sont soumis à
certaines turbulences juridico-politiques. Tel
est le cas du célèbre « seuil de dispense de
procédure » ou « seuil de minimis », qui a fait
couler beaucoup d’encre depuis son
relèvement de 4.000 à 20.000 euros HT en
décembre 20081, en passant par la décision
Perez2 le ramenant à 4.000 euros HT, jusqu’à
son relèvement récent à 15.000 euros HT par
le décret n° 2011-1853 du 9 décembre 2011
modifiant certains seuils du code des marchés
1
Décret n° 2008-1356 du 19 décembre 2008 relatif
au relèvement de certains seuils du code des
marchés publics, JORF n° 0296 du 20 décembre
2008, p. 19548.
2
40
CE, 10 février 2010, Perez, req. n° 329100.
publics, paru au Journal officiel du 11 décembre 2011, et par l’article 118 de la loi
n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la
simplification du droit et à l’allègement des
démarches administratives, publiée au Journal
officiel du 23 mars 2012.
Cette dernière réforme ayant déjà fait l’objet
de commentaires de la part de la doctrine3,
il est légitime de s’interroger sur l’utilité d’un
article supplémentaire sur le sujet.
En tant qu’agent de la direction des affaires
juridiques des ministères économiques et
financiers ayant participé aux travaux
préparatoires des réformes, l’auteur de ces
lignes se propose de présenter les coulisses
du relèvement du seuil de dispense
procédure (2.), sur la base de documents
publics (déontologie du fonctionnaire oblige),
ainsi que tenter d’expliquer les « règles de
bonne gestion » qui ont encadré ce
relèvement (3.).
1. Les nouveaux seuils applicables aux procédures formalisées
Les articles 26, 144 et 201 du code des
marchés publics fixent une liste de
procédures formalisées que les acheteurs
publics doivent utiliser, dès lors que le
montant estimé de leur besoin est égal ou
supérieur à certains seuils.
Ces seuils, déterminés par les autorités européennes, ont pour objectif de garantir le
respect des engagements internationaux de
l’Union européenne. Ils ne laissent qu’une
infime marge de manœuvre aux États membres, non retenue par la France.
3
G. Clamour, « Procédure adaptée : le seuil est
porté à 15.000 euros HT », Contrats-marchés publ.
n° 1, janvier 2012, comm. 1, p. 26 ; F. Linditch, « À
propos du nouveau seuil de 15.000 euros HT pour
les achats dispensés de mise en concurrence »,
JCP A n° 2, 16 janvier 2012, comm. 2009, p. 26.
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Commande publique
1.1. Le respect des engagements
internationaux de l’Union européenne
Depuis 19944, l’Union européenne est partie
à l’Accord sur les marchés publics (AMP)
conclu dans le cadre de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC). Cet accord
s’applique aux marchés d’un montant égal
ou spérieur à des seuils déterminés en
droits de tirage spéciaux5 (DTS).
Tous les deux ans, les seuils des directives
européennes sur les marchés publics sont
révisés, par un règlement de la Commission
européenne6, en fonction de l’évolution des
DTS7, afin de permettre le respect des
engagements internationaux de l’Union
européenne.
1.2. Les nouveaux montants imposés
par le règlement n° 1251/2011
Les seuils de
procédures
formalisées ont
augmenté
Le règlement (UE) n° 1251/2011 de la
Commission du 30 novembre 2011 modifiant
les directives 2004/17/CE, 2004/18/CE et
2009/81/CE du Parlement européen et du
Conseil en ce qui concerne leurs seuils
d’application pour les procédures de
passation des marchés, publié au Journal
officiel de l’Union européenne du 2 décembre
2011, constitue la dernière révision en date.
Pour la période du 1er janvier 2012 au 31
décembre 2013, il fixe les seuils de la
manière suivante :
• 130.000 euros HT pour les marchés de
fournitures et de services de l’État
(125.000 euros HT auparavant) ;
• 200.000 euros HT pour les marchés de
fournitures et de services des collectivités territoriales (193.000 euros HT
auparavant) ;
4
Décision 94/800/CE du Conseil du 22 décembre
1994 relative à la conclusion au nom de la
Communauté européenne, pour ce qui concerne
les matières relevant de ses compétences, des
accords des négociations multilatérales du cycle
de l’Uruguay (1986-1994).
5
http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/
sdrf.htm
6
P. Proot, « Les seuils d’application des directives
sur les marchés publics », CP-ACCP, février 2005,
n° 41.
• 400.000 euros HT pour les marchés de
fournitures et de services des entités
adjudicatrices, ainsi que pour les
marchés de fournitures et de services
passés dans le domaine de la défense
ou de la sécurité (387.000 euros HT
auparavant) ;
• 5.000.000 euros HT pour les marchés
de travaux (4.845.000 euros HT
auparavant).
1.3. Les États membres disposent d’une
marge de manœuvre très réduite
1.3.1. L’article 288 du Traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne
(TFUE) stipule que les règlements
européens ont une portée générale, qu’ils
sont obligatoires dans tous leurs éléments
et directement applicables dans tout État
membre. Ils ne nécessitent donc aucune
mesure de transposition, à la différence des
directives.
Si les articles du code des marchés publics
relatifs à la publicité renvoient, pour
l’établissement de l’avis d’appel public à la
concurrence, « au modèle fixé par le
règlement de la Commission européenne
établissant les formulaires standard pour
la publication d’avis en matière de marchés
publics », ceux relatifs aux seuils de
procédures reflètent une autre méthode de
légistique : celle de l’intégration, dans le
code, des sommes imposées par le règlement.
C’est donc le décret n° 2011-2027 du 29 décembre 2011 modifiant les seuils applicables
aux marchés et contrats relevant de la
commande publique qui a mis à jour les seuils
européens contenus aux articles 26, 144 et
201 du code des marchés publics.
Ses auteurs auraient pu choisir la voie de
la facilité en optant pour la méthode du
renvoi au règlement, s’économisant ainsi
le soin de rédiger un décret modificatif tous
les deux ans. Mais, ils ont préféré conserver
la voie de la clarté, afin d’épargner aux
acheteurs publics une veille juridique du
Journal officiel de l’Union européenne et,
ainsi, éviter toute erreur dans la mise en
œuvre des procédures.
7
http://www.wto.org/french/tratop_f/gproc_f/
thresh_f.htm
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
41
Commande publique
1.3.2. Les seuils européens étant à la
hausse, et non à la baisse contrairement
aux années précédentes, les autorités
françaises disposaient d’une infime marge
de manœuvre lors de l’adoption de ce décret
: la rigueur. Le droit national pouvant toujours
être plus strict que le droit de l’Union, elles
auraient pu, en effet, opter pour des
montants moins élevés, par exemple en
maintenant ceux applicables avant l’entrée
en vigueur du nouveau règlement européen.
Le « seuil de
dispense de
procédure » est
un pan sensible
du code des
marchés publics
Compte-tenu du contexte de simplification
du droit et du relèvement du seuil de
dispense de procédure, fil conducteur de
l’année 2011, les autorités françaises
décidèrent fort logiquement d’aligner les
seuils contenus dans le code sur les
nouveaux seuils européens, comme elles
en ont désormais l’habitude.
2. Les coulisses du relèvement
du seuil de dispense de
procédure à 15.000 euros HT
Outre les seuils de procédures formalisées,
le code des marchés publics contient
d’autres seuils, non dépendants des
autorités européennes.
Le plus connu, mais aussi le plus sensible,
est le « seuil de dispense de procédure »
figurant aux articles 28, 146 et 203. Son
principe est simple : si le montant estimé
du marché est inférieur à ce seuil, l’acheteur
public peut décider qu’il sera passé sans
publicité ni mise en concurrence
préalables, autrement dit, de « gré à gré ».
Ceci étant rappelé, on comprend donc
aisément pourquoi il suscite autant de
passion, lorsque son montant est réduit ou
relevé.
2.1. Arrêt Perez : la douche froide
2.1.1. Les auteurs du code des marchés
publics de 2006 avait fixé le seuil de
dispense de procédure à 4.000 euros HT, à
l’instar de ce qui était déjà prévu dans la
version 20048.
Il est cependant de notoriété publique que
le Conseil d’État avait émis un avis négatif
sur l’existence d’un tel seuil.
Une doctrine de l’administration éclairait
cette dispense9 : « Dès le premier euro, les
marchés passés par les personnes
publiques soumises au code des marchés
publics doivent respecter les principes de
transparence des procédures, de liberté
d’accès à la commande publique et d’égalité
de traitement des candidats. [...] Sous le
seuil de 4.000 euros HT, aucune procédure
formalisée de comparaison des offres n’est
nécessaire. Pour autant, ces petits achats
doivent respecter les principes fondamentaux rappelés ci-dessus. Le respect de
ces principes s’apprécie à travers le
comportement de l’acheteur public. » Cette
doctrine était également reprise dans la
circulaire d’application du code, publiée en
août 200610.
2.1.2. Dans le cadre du plan de relance
contre la crise économique, le décret
n° 2008-1356 du 19 décembre 2008 avait
relevé à 20.000 euros HT le seuil de
dispense de procédure des pouvoirs
adjudicateurs (art. 28) et des entités
adjudicatrices (art. 144) soumis au code
des marchés publics.
La mesure avait été chaleureusement
accueillie par de très nombreux professionnels de la commande publique,
acheteurs comme entreprises.
Un avocat, maître Perez, demanda
néanmoins au Premier ministre l’abrogation du décret du 19 décembre 2008, en
tant qu’il modifiait l’article 28 du code. Pour
le requérant, le relèvement du seuil à
20.000 euros HT méconnaissait les
principes de la commande publique.
Face à une décision implicite de rejet du
Premier ministre, maître Perez décida de
saisir le Conseil d’État. La Haute juridiction
jugea, le 10 février 201011, qu’« en relevant
de 4.000 à 20.000 euros, de manière
9
Rép. min. à QE n° 66546 de M. Bernard Perrut,
JOAN, 21 mars 2006, p. 3134.
10
8
Décret n° 2004-1298 du 26 novembre 2004 relatif
à diverses dispositions concernant les marchés de
l’État et des collectivités territoriales.
42
Point 9.3. de la circulaire du 3 août 2006 portant
manuel d’application du code des marchés publics,
JORF n° 179 du 4 août 2006, p. 11665.
11
CE, 10 février 2010, Perez, préc.
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Commande publique
générale, le montant en deçà duquel tous
les marchés entrant dans le champ de
l’article 28 du code des marchés publics
sont dispensés de toute publicité et mise
en concurrence, le pouvoir réglementaire a
méconnu les principes d’égalité d’accès à
la commande publique, d’égalité de
traitement des candidats et de transparence
des procédure » et annula, à compter du
1er mai 2010, le décret du 19 décembre
2008, en tant qu’il avait modifié l’article 28
applicable aux pouvoirs adjudicateurs.
simplification du droit au service de la
croissance et de l’emploi », remis au
Président de la République le 6 juillet 201113,
M. Warsmann, proposa de relever le seuil,
par voie législative, à 15.000 euros HT14.
Le seuil de 4.000 euros des pouvoirs
adjudicateurs était donc de retour...
L’article 88 prévoyait : « [...] Le pouvoir
adjudicateur soumis au code des marchés
publics peut décider de passer un marché
public ou un accord-cadre sans publicité
ni mise en concurrence préalables, au
sens des règles de la commande publique,
si le montant estimé de ce marché ou de
cet accord-cadre est inférieur à 15.000
euros hors taxes.
2.1.3. Peu de temps après cette décision,
de nombreux parlementaires interrogèrent
le ministre de l’économie, par l’intermédiaire
de courriers, ainsi que de questions orales
et écrites, à propos d’un éventuel nouveau
relèvement du seuil.
Les réponses, prenant acte de la décision
du Conseil d’État, parvenaient à la même
conclusion, « le relèvement n’est pas
envisageable12 ».
2.2. Les chantiers de simplification du
droit, prémices du relèvement du
seuil
Trois chantiers de simplification du droit furent
simultanément lancés : les « Assises de la
simplification », initiées le 15 décembre 2010
par le Gouvernement, la « Mission parlementaire Doligé » de simplification des normes
applicables aux collectivités territoriales,
confiée au sénateur Éric Doligé par un décret
du 25 janvier 2011, et la « Mission parlementaire Warsmann » de simplification du
droit des entreprises, confiée au député JeanLuc Warsmann par un décret du même jour.
Durant les phases de concertation propres
à chaque chantier, une demande récurrente
fut formulée par les entreprises et les
acheteurs publics : « relever le seuil de dispense de procédure ».
2.3. L’émergence du seuil législatif de
dispense de procédure
2.3.1. C’est dans le cadre de la « Mission
Warsmann » que la demande eut le plus
de poids. Dans son rapport intitulé « La
12
Voir par ex. rép. min. à QE n° 93997 de M. Laurent
Hénart, JOAN, 29 mars 2011, p. 3124.
La réforme fut aussitôt intégrée par le
parlementaire dans le cadre de sa
proposition de loi relative à la simplification
du droit et à l’allègement des démarches
administratives, déposée sur le bureau de
l’Assemblée nationale le 28 juillet 2011.
« Lorsqu’il fait usage de la faculté offerte
par le premier alinéa, le pouvoir adjudicateur
peut s’adresser directement à un seul
prestataire ou en consulter plusieurs selon
des modalités laissées à son appréciation.
Il veille à choisir une offre répondant de
manière pertinente au besoin, à faire une
bonne utilisation des deniers publics et à
ne pas contracter systématiquement avec
un même prestataire lorsqu’il existe une
pluralité d’offres potentielles susceptibles
de répondre au besoin. »
En ne mentionnant que les pouvoirs
adjudicateurs, le législateur n’a donc pas
couvert les entités adjudicatrices, toujours
soumises, en vertu de l’article 144 du code
des marchés publics, au seuil de 20.000
euros HT introduit par le décret du 19
décembre 200815.
2.3.2. Une étude réalisée dans le cadre du
programme SIGMA (OCDE et Union européenne16) démontre que de nombreux États
13
J.-L. Warsmann, « La simplification du droit au
service de la croissance et de l’emploi », Doc.
franç., p. 208-209.
14
Un montant de 20.000 euros aurait sans doute
été mal perçu par le Conseil d’État...
15
La décision Perez avait annulé le décret
uniquement en tant qu’il avait modifié l’article 28 du
code des marchés publics.
16
Public procurement in the EU Member States - The
regulation of contract below the EU thresholds,
SIGMA-OECD (Sigma papers n° 45), 27 mai 2010.
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
43
Commande publique
membres de l’Union européenne pratiquent
des seuils en deçà desquels l’achat direct
est autorisé.
2.3.3. En application de l’article 39, alinéa
5 de la Constitution, la proposition de loi fut
soumise, pour avis, au Conseil d’État.
Les seuils français de 15.000 euros, pour les
pouvoirs adjudicateurs, et 20.000 euros, pour
les entités adjudicatrices, se situent dans la
moyenne européenne.
Le 19 septembre 2011, l’Assemblée générale
du Conseil d’État, donna un avis favorable20
au dispositif législatif : « en fixant [...] à
15.000 euros hors taxes le seuil d’exemption
de formalités [...], les dispositions
proposées, compte tenu des modalités de
prise de décision en dessous de ce seuil
qu’elles entendent établir par le deuxième
alinéa de cet article et de la taille des
marchés en cause, n’apparaissent pas, de
l’avis du Conseil d’État, contraires aux
principes de liberté d’accès à la commande
publique, d’égalité de traitement des
candidats et de transparence des procédures
tels que, notamment, la décision du Conseil
constitutionnel n° 2003-473 DC du 26 juin
2003 les a précisés et la décision du Conseil
d’État [...] Perez, les a rappelés, sous la
réserve, cependant, de rédiger ce deuxième
alinéa de la manière suivante : Lorsqu’il fait
usage de la faculté offerte par le premier
alinéa, il veille à choisir une offre répondant
de manière pertinente au besoin, à faire une
bonne utilisation des deniers publics et à
ne pas contracter systématiquement avec
un même prestataire lorsqu’il existe une
pluralité d’offres potentielles susceptibles de
répondre au besoin ».
Pays
Les seuils
français se
situent dans la
moyenne
européenne
Seuil de dispense (Tr,
FS17) des PA et EA18
Autriche
40.000 euros (PA)
60.000 euros (EA)
Bulgarie
22.000 euros (Tr)
7.500 euros (FS)
Chypre
1.700 euros
Finlande
15.000 euros (FS)
100.000 euros (Tr)
Hongrie
26.700 euros (FS PA)
50.000 euros (Tr PA)
166.700 euros (FS EA)
330.300 euros (Tr EA)
Italie
20.000 euros (FS)
40.000 euros (Tr)
Lettonie
4.200 euros (FS)
14.000 euros (Tr)
Lituanie
3.000 euros
Luxembourg 55.000 euros
Pologne
14.000 euros
Roumanie
15.000 euros
République
slovaque
30.000 euros (FS)
120.000 euros (Tr)
RoyaumeUni
Pas de disposition sous
les seuils européens
Slovénie
10.000 euros (FS)
20.000 euros (Tr)
Suède
Seuil fixé à la discrétion
des acheteurs publics
Pour ses propres marchés, la Commission
européenne, applique un seuil de 10.000
euros19.
17
Tr : travaux ; FS : fournitures et services.
18
PA : pouvoirs adjudicateurs ; EA : entités
adjudicatrices.
2.3.4. L’Assemblée générale du Conseil
d’État mit en garde le Parlement : « Le Conseil
d’État attire toutefois l’attention du Parlement
sur les problèmes de cohérence dans la
hiérarchie des normes que pourra faire
apparaître la coexistence du seuil qui serait
ainsi créé par le législateur et des autres
seuils édictés par le pouvoir réglementaire pour
définir les différentes procédures formalisées
ou adaptées applicables aux marchés
publics, dont l’un est inférieur à ce nouveau
seuil et les autres lui sont supérieurs ».
Cette mise en garde était destinée à appeler
l’attention du parlementaire sur la problématique de l’intervention du législateur dans
un domaine pour lequel le pouvoir réglementaire est compétent, en ce qui concerne les
collectivités territoriales, sur la base d’une
habilitation législative issue d’un décret-loi
de 1938.
19
Articles 241, 243 et 245 du règlement (CE)
n° 2342/2002 de la Commission du 23 décembre
2002 établissant les modalités d’exécution du
règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil
portant règlement financier applicable au budget
général des Communautés européennes.
44
20
Avis CE, 19 septembre 2011, rapport de M. Etienne
Blanc fait au nom de la commission des lois de
l’Assemblée nationale sur la proposition de loi
relative à la simplification du droit et à l’allègement
des démarches administratives, p. 422.
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Commande publique
Durant la séance publique du 12 octobre
201121, M. Warsmann expliqua sa démarche : « Le code des marchés publics est,
comme chacun le sait, issu d’un décret. Or,
nous constatons un blocage. Le pouvoir
réglementaire s’est en effet trouvé confronté
à la jurisprudence du Conseil d’État, qui,
en 2010, dans l’arrêt Perez, a jugé que le
Gouvernement ne pouvait, par son pouvoir
réglementaire, fixer à 20.000 euros le seuil
au-delà duquel les marchés publics doivent
faire l’objet d’une procédure de publicité et
de mise en concurrence préalable. »
« Je ne vous
propose
nullement de
revenir sur
l’habilitation dont
bénéficie le
pouvoir
réglementaire »
Le député d’opposition Alain Vidalies
commenta : « Nous avons bien compris
quelle était la nature de la démarche. En
effet, pourquoi sommes-nous saisis ?
Puisque le Conseil d’État, juge du pouvoir
réglementaire, a annulé le nouveau seuil fixé
réglementairement par le Gouvernement, il
suffit de sortir du champ réglementaire et
de passer dans le champ législatif pour se
débarrasser du contrôle du Conseil d’État...
La démarche, si elle n’est pas vraiment
nouvelle, est tout de même singulière. »
En introduisant le dispositif dans sa
proposition de loi, M. Warsmann souhaitait
que le Conseil constitutionnel se prononce
sur la compatibilité entre l’existence d’un
seuil de dispense de procédure et les
principes de la commande publique qu’il
avait érigés au rang de principes constitutionnels. Mais le Conseil constitutionnel
n’eut pas à connaître de la question car le
moyen ne fut pas soulevé lors du recours
qui suivit l’adoption du texte.
Enfin, au cours de la même séance publique,
M. Warsmann affirma solennellement : « Je
voudrais préciser un point extrêmement
important. Par cette intervention du
législateur, je ne vous propose nullement de
revenir sur l’habilitation dont bénéficie le
pouvoir réglementaire [...] Je vous propose
d’intervenir, ici, au nom d’un pouvoir que l’on
peut qualifier de pouvoir d’évocation, au sens
traditionnel de cette notion, c’est-à-dire une
intervention ponctuelle permettant de
surmonter une difficulté précise et dont l’objet
n’est pas de remettre en cause, même
implicitement, le régime juridique du code
des marchés publics et son équilibre. »
L’article 88 fut adopté par les députés.
21
Voir le compte rendu intégral de la deuxième
séance du mercredi 12 octobre 2011, dossier
législatif en ligne sur le site de l’Assemblée nationale.
2.4. La mise en œuvre anticipée de la
réforme par le pouvoir réglementaire
Pour tenir compte de la réserve exprimée
par le Conseil d’État, le Gouvernement
décida, dès le 20 octobre 2011, d’intégrer
la réforme dans le code des marchés
publics22 aux articles 28 et 203.
Le même dispositif, cette fois réglementaire, franchit à nouveau les grilles du
Palais-Royal, afin d’être examiné par la
section de l’administration du Conseil
d’État, le 15 novembre 2011. Il reçut, pour
la seconde fois, un avis favorable.
Pour des raisons de cohérence, le décret n°
2011-1853 du 9 décembre 2011 procéda à
l’alignement, sur le seuil de dispense de
procédure fixé à 15.000 euros, du seuil
à partir duquel les marchés et accordscadres doivent être passés sous forme écrite
(art. 11) et notifiés avant tout commencement d’exécution (art. 81 et 254). Suivant
la même logique, les dispositions relatives
aux obligations en matière de publicité
préalable furent mises en cohérence avec le
nouveau seuil (art. 40 et 212).
En revanche, à l’instar du législateur, le
pouvoir réglementaire ne modifia pas le
régime des entités adjudicatrices.
Ces dernières continuent donc à appliquer
un seuil de dispense de procédure fixé à
20.000 euros HT. Ce même montant est
applicable pour la forme écrite du contrat,
sa notification et la publicité préalable
obligatoire.
2.5. Le maintien du relèvement législatif
2.5.1. Le décret du 9 décembre 2011, publié
au Journal officiel du 11 décembre, entra
en vigueur le lendemain de sa publication,
soit le 12 décembre.
La question du maintien du dispositif
législatif, adopté par l’Assemblée nationale
le 12 octobre 2011, en première lecture, fut
posée, notamment durant les travaux de la
commission des lois du Sénat23.
22
Discours du Premier ministre, congrès de l’Union
Professionnelle Artisanale (UPA), 20 octobre 2011.
23
Rapport du 21 décembre 2011 de M. Jean-Pierre
Michel fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d’administration générale,
p. 20, 33 et 51.
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
45
Commande publique
Mais, durant la séance publique du 10 janvier
2012, la Haute assemblée adopta une motion
opposant une question préalable à la
délibération de la proposition de loi, entraînant
le rejet du texte et son renvoi en commission
mixte paritaire.
Cette commission n’ayant pu trouver un
accord, le texte fut renvoyé à l’Assemblée
nationale pour une nouvelle lecture.
« La DAJ n’a
absolument pas
voulu recréer des
obligations et des
exigences sur les
acteurs,
compliquer la vie
des élus »
2.5.2. S’appuyant sur la recommandation de
l’Assemblée générale du Conseil d’État et
la publication du décret du 9 décembre 2011,
le Gouvernement décida de déposer un
amendement de suppression de l’article 88
précisant que la coexistence de deux
dispositions identiques, l’une législative,
l’autre réglementaire, serait « contraire
à l’esprit de simplification de cette proposition de loi car elle multiplie les sources
d’un droit pourtant centralisé dans un seul
et même code depuis de très nombreuses
années24 ».
Cependant, durant la séance publique du
31 janvier 2012, M. Warsmann, fit état d’une
fiche explicative de la direction des affaires
juridiques des ministères économiques et
financiers 25, reprenant les conseils de
transparence et traçabilité du Guide des
bonnes pratiques26, déclara27 :
« Elle demande à l’acheteur public, en
dessous du seuil de 15.000 euros, d’être en
mesure d’assurer en toute transparence la
traçabilité des procédures, notamment en
produisant les devis sollicités, les référentiels de prix, les guides d’achat utilisés,
et elle conseille d’établir une note de
traçabilité de l’achat. Mes chers collègues,
ce n’est absolument pas ce que souhaite le
législateur ! »
Le secrétaire d’État, Frédéric Lefebvre,
présent au banc des ministres, tenta
d’expliquer l’objectif de la fiche : « La DAJ
24
Art. 88, amdnt n° 73, dossier législatif en ligne sur
le site de l’Assemblée nationale.
25
Fiche accompagnant le décret du 9 décembre
2011 sur le site internet du ministère de l’économie.
26
Circulaire du 29 décembre 2009, relative au Guide
de bonnes pratiques en matière de marchés publics,
JORF n° 0303 du 31 décembre 2009, p. 23171.
27
Compte rendu intégral de la troisième séance du
mardi 31 janvier 2012, dossier législatif en ligne sur
le site de l’Assemblée nationale.
46
n’a absolument pas voulu recréer des
obligations et des exigences sur les
acteurs, compliquer la vie des élus. [...] En
l’occurrence, ce ne sont pas des exigences
ni des demandes qui ont été publiées, mais
des conseils. Certes, je reconnais bien
volontiers que certains de ces conseils
réintroduisent une forme de complexité.
Mais chacun doit être conscient que ce sont
les mêmes obligations qui pesaient et
pèseront toujours sur le seuil, quand il était
de 4.000 euros. »
Malgré l’entrée en vigueur du décret,
intervenue près de deux mois auparavant,
ainsi que la recommandation du Conseil
d’État, les députés rejetèrent l’amendement
de suppression de l’article 88.
Après un nouveau rejet de la proposition de
loi par le Sénat, l’article 88 fut définitivement
adopté lors d’une ultime lecture par
l’Assemblée nationale le 29 février 2012.
3. La mise en œuvre des règles
de bonne gestion induites par
la réforme
Si les coulisses de la réforme peuvent avoir
un intérêt pour les historiens du droit, elles
n’ont, en revanche, pas de caractère
opérationnel pour les praticiens. Certains
ont pu légitimement se demander ce qui
se cachait réellement derrière ce nouvel
encadrement. Voici quelques pistes
d’explication...
3.1. Les trois règles de bonne gestion
permettant le respect des principes
de la commande publique
3.1.1. Le législateur, suivi par le pouvoir
réglementaire, a relevé le seuil de dispense
de procédure des pouvoirs adjudicateurs à
15.000 euros HT.
Cependant, il l’a également encadré par trois
« règles de bonne gestion », permettant de
garantir le respect des principes
fondamentaux de la commande publique.
La loi et le décret disposent, exactement
dans les mêmes termes, que lorsque le
montant estimé du marché est inférieur à
15.000 euros HT et que l’acheteur décide
que le marché sera passé sans publicité ni
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Commande publique
mise en concurrence préalables, il doit
veiller à :
• choisir une offre répondant de manière
pertinente au besoin,
• respecter le principe de bonne utilisation
des deniers publics,
• ne pas contracter systématiquement
avec un même prestataire lorsqu’il
existe une pluralité d’offres potentielles
susceptibles de répondre au besoin.
Les trois règles
de bonne gestion
sont simplement
l’expression du
bon sens
L’avis du Conseil d’État28 est clair : « compte
tenu des modalités de prise de décision en
dessous de ce seuil qu’elles entendent
établir par le deuxième alinéa de cet article
et de la taille des marchés en cause, [ces
dispositions] n’apparaissent pas, de l’avis
du Conseil d’État, contraires aux principes
de liberté d’accès à la commande publique,
d’égalité de traitement des candidats et de
transparence des procédures ».
Sans ces « modalités de décision » que
constituent les trois règles de bonne gestion,
le Conseil d’État n’aurait probablement pas
donné un avis favorable à la réforme...
Éviter de fixer
des règles
internes trop
rigides
Le nouveau dispositif est donc le fruit d’un
compromis : accord pour un relèvement à
15.000 euros, à condition d’introduire explicitement des règles particulières.
3.1.2. En réalité, ces trois règles existaient
déjà implicitement avant la réforme. Elles
sont simplement l’expression du bon sens.
Si ces petits marchés sont exonérés de
formalités préalables (publicité, mise en
concurrence stricte, délais à respecter,
etc.), ils n’en restent pas moins soumis aux
principes de la commande publique (voir
point 2.1.1.). L’acheteur public devait déjà,
sous l’empire du seuil de 4.000 euros, se
comporter en gestionnaire avisé et
respectueux des deniers publics.
Pour le parlementaire à l’origine de la
réforme : « ce que nous avons voulu, avec
cet article 88, c’est qu’en dessous du seuil
de 15.000 euros, l’acheteur public procède
à son achat en bon père de famille, comme
le fait un citoyen normalement éclairé29 ».
28
29
Avis CE, 19 septembre 2011, préc.
Compte rendu intégral de la troisième séance du
mardi 31 janv.ier 2012, préc.
Un autre parlementaire d’ajouter : « Il faut,
je crois, laisser une vraie liberté d’action certes encadrée - aux communes, les plus
petites des collectivités, qui sont le terreau
de la démocratie. Il faut arrêter de leur casser
les pieds, je le dis assez simplement, par
des procédures trop lourdes. »
Mais qu’est-ce qu’un bon père de famille ?
Il s’agit d’un gestionnaire avisé qui ne
dépense pas les deniers familiaux sans se
renseigner sur les prix et les garanties, en
les comparant par tout moyen.
Cette définition est d’autant plus importante
lorsqu’elle est rattachée aux notions
d’acheteur public, de deniers publics et
d’intérêt général.
3.2. La mise en œuvre des trois règles
de bonne gestion
Avant toute chose, l’acheteur public doit
prendre en compte les règles relatives à la
computation des seuils (art. 27 du code).
La détermination de la valeur estimée des
besoins au regard des notions d’opération
et de prestations homogènes doit faire
l’objet d’une attention particulière.
L’acheteur ne doit pas découper son besoin
dans le but de pouvoir bénéficier
artificiellement de la dispense de
procédure30. Plus trivialement, il ne doit pas
« saucissonner ».
Une fois cette problématique prise en
compte, les trois règles doivent guider
l’acheteur dans son achat.
3.2.1. Le choix d’une offre répondant de
manière pertinente au besoin
Les achats sous le seuil de dispense de
procédure sont soumis aux obligations
relatives à la définition préalable des
besoins31 (art. 5 du CMP). Un « bon père
de famille » agit de la même manière pour
les achats de son foyer.
30
Circulaire du 14 février 2012 relative au Guide
de bonnes pratiques en matière de marchés
publics, point 8 « Comment savoir si on dépasse
un seuil ? », JORF n° 0039 du 15 février 2012,
p. 2600.
31
Circulaire du 14 février 2012, préc., point 4 « Comment l’acheteur doit-il déterminer ses besoins ? ».
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
47
Commande publique
L’acheteur public déterminera donc avec
précision la nature et l’étendue des besoins
à satisfaire.
être raisonnable. Il conservera, néanmoins,
la trace de la sollicitation des entreprises
n’ayant pas répondu.
Première règle de bon sens : l’offre choisie
sera celle qui aura pour objet principal de
répondre aux besoins exprimés. En d’autres
termes, l’acheteur évitera d’opter pour des
prestations superflues qui auront pour effet
de peser sur le coût final.
3.2.3. Ne pas contracter systématiquement avec un même prestataire
lorsqu’il existe une pluralité
d’offres potentielles susceptibles
de répondre au besoin
3.2.2. La bonne utilisation des deniers
publics
L’acheteur public
gère des deniers
publics et doit
donc être vigilant
quant à leur
utilisation
L’acheteur public gère des deniers publics
et doit donc être vigilant quant à leur
utilisation. Il choisira une offre financièrement
raisonnable et cohérente avec la nature de
la prestation. Il s’agit de la deuxième règle
de bon sens...
S’il possède une connaissance suffisante du
secteur économique (ex : questions préalables à l’achat bien maîtrisées, connaissance des prix, du tissu économique, du
degré de concurrence dans le secteur, etc.),
il pourra directement effectuer son achat
sans formalités préalables.
En revanche, si l’acheteur public ne possède
pas de connaissances particulières sur
l’achat qu’il veut faire, il achètera après avoir
effectué quelques comparaisons (ex : consultation de comparateurs de prix sur internet,
examen de catalogues ou prospection dans
des magasins ; comparaison des délais
d’exécution ou des garanties proposées).
Pour les prestations les plus techniques, il
pourra éventuellement solliciter des devis par
courriel, fax ou courrier auprès de professionnels.
Exactement comme l’aurait fait un « bon
père de famille ».
Mais, la confection de devis ayant un coût
pour les entreprises, il convient de ne pas
les solliciter inutilement.
Enfin, l’acheteur évitera de fixer des règles
internes trop rigides, comme « trois devis
obligatoires avant tout achat ».
Si une seule entreprise envoie un devis,
l’acheteur pourra, évidemment, contracter
avec cet opérateur, dès lors que, compte
tenu de l’objet de l’achat et de ses
caractéristiques, le prix proposé lui semble
48
Selon le dictionnaire Larousse, le mot
systématique signifie : « Qui est fait avec
méthode, procède d’un ordre déterminé à
l’avance » ; « Qui pense et agit selon un
système, d’une manière absolue, sans
jamais se démentir » ; « Qui se fait de
manière invariable ».
La troisième règle invite donc l’acheteur
public à ne pas tomber dans la routine. Il
pourra effectuer une veille économique
épisodique, en suivant sa doctrine interne,
afin de ne pas contracter « systématiquement » avec le même opérateur lorsque,
potentiellement, d’autres entreprises
peuvent réaliser la prestation.
Pour ce faire, l’acheteur pourra se poser
plusieurs questions : de nouveaux opérateurs
se sont-ils récemment implantés ? Le
prestataire avec lequel nous avons contracté
est-il toujours le plus compétitif ? Dois-je
éventuellement solliciter de nouveaux devis ?
Libre à chaque institution de fixer sa propre
politique.
3.3. La traçabilité de l’achat
Les petits marchés ne sont pas à l’abri de
tout contentieux de la part des entreprises
concurrentes. Afin de pouvoir démontrer au
juge que l’achat n’a pas été réalisé en
méconnaissance des principes de la
commande publique, il est conseillé de
conserver une trace des éléments ayant
motivé l’achat.
Cette trace doit être, bien entendu,
proportionnée à l’achat effectué et au secteur
considéré. Il ne faut pas tomber dans les
travers d’un formalisme technocratique
excessif. Encore une fois, le bon sens prime.
Il peut s’agir, par exemple, de conserver les
résultats des comparaisons de prix et conditions d’exécution ou des devis éventuellement sollicités.
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Commande publique
Ces éléments peuvent, si l’acheteur public
en décide ainsi, être accompagnés de
quelques lignes explicatives, notamment
pour les achats les plus complexes, les plus
techniques.
Chaque pouvoir adjudicateur reste libre
d’adopter ou non des règles internes.
Apporter la preuve de leur respect pourrait
néanmoins s’avérer utile en cas d’investigations pour délit de favoritisme...
« On peut douter
qu’un marché de
20.000 euros HT
présente un
intérêt
transfrontalier
certain »
Au final, même si ce triple encadrement,
introduit par le législateur, ne signifie pas
« mise en concurrence » au sens le plus
strict du code des marchés publics, il incite
les acheteurs à être vigilants lors de leurs
achats.
On peut alors parler de méthodes de « benchmarking32 » et de « sourcing33 » appliquées à
l’achat public. Après tout, pourquoi ces
techniques, utilisées par les entreprises
privées ou dans les foyers dotés d’un « bon
père de famille », ne seraient-elles pas
appliquées quand il s’agit de l’argent du
contribuable ?
3.4. Les petits marchés et l’intérêt
transfrontalier
La question de la compatibilité avec le droit
de l’Union européenne, particulièrement
avec la notion d’intérêt transfrontalier34, peut
se poser.
Comme l’a admis le rapporteur public
Nicolas Boulouis dans ses conclusions 35
sous l’affaire Perez, « on peut douter qu’un
marché de 20.000 euros HT présente un
intérêt transfrontalier certain, pour reprendre
l’expression de la CJCE, et entre donc dans
le versant communautaire des principes de
la commande publique ».
Une telle affirmation est, a priori, également
valable pour les marchés de moins de
15.000 euros HT.
32
Comparaison des méthodes utilisées par d’autres
organisations.
33
Recherche et localisation du fournisseur qui
répondra le mieux au besoin.
34
Voir fiche « L’intérêt transfrontalier certain »,
mise en ligne sur le site de la DAJ.
35
er
RJEP, n° 675, 1 mai 2010, comm. 23, p. 15.
Selon la jurisprudence de la Cour de justice
de l’Union européenne (CJUE), les marchés
présentant un enjeu économique très réduit
ne présentent pas un intérêt transfrontalier.
Elle a jugé, dans la décision Telaustria36,
que la passation des marchés publics
exclus du champ d’application des
directives marchés est soumise au respect
des règles fondamentales du traité en
général et du principe de non-discrimination
en raison de la nationalité en particulier. Ce
principe implique, notamment, une obligation
de transparence. Une telle obligation
consiste à garantir, en faveur de tout
soumissionnaire potentiel, un degré de
publicité adéquat37 permettant une ouverture
du marché des services à la concurrence,
ainsi que le contrôle de l’impartialité des
procédures.
Cependant, la Cour a admis, dans l’arrêt
Coname38 : « qu’en raison de circonstances
particulières, telles qu’un enjeu économique
très réduit, il pourrait raisonnablement être
soutenu qu’une entreprise située dans un
autre État membre ne serait pas intéressée
par la conclusion d’un contrat et que les
effets sur les règles fondamentales du traité
devraient donc être considérés comme
étant trop aléatoires et trop indirects pour
pouvoir conclure à une éventuelle violation
de celles-ci ».
Dans ses conclusions sous l’affaire
Coname, l’avocate générale Christine StixHackl, souligne que « certains marchés
concernent davantage le marché intérieur
que d’autres, qui présentent un intérêt pour
un groupe d’opérateurs économiques plus
large, y compris pour des entreprises
d’autres États membres ».
Dans une décision plus récente39, la CJUE
a jugé qu’il « est toutefois loisible qu’une
36
CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria et
Telefonadress, C-324/98.
37
L’avocat général Nial Fennelly précise, au point 43
de ses conclusions, « la publicité ne doit pas nécessairement être assimilée à la publication. Ainsi, si
l’entité adjudicatrice s’adresse directement à un
certain nombre de soumissionnaires potentiels et
à supposer que ceux-ci ne soient pas tous ou
presque tous des entreprises ayant la même
nationalité que l’entité adjudicatrice, nous estimons
que l’exigence de transparence serait respectée ».
38
CJCE, 21 juillet 2005, Coname, C-231/03.
39
CJCE, 15 mai 2008, SECAP SpA, C-147/06.
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
49
Commande publique
réglementation établisse, au niveau national
ou local, des critères objectifs indiquant
l’existence d’un intérêt transfrontalier
certain. De tels critères pourraient être,
notamment, le montant d’une certaine
importance du marché en cause, en
combinaison avec le lieu d’exécution des
travaux. Il serait également possible
d’exclure l’existence d’un tel intérêt dans le
cas, par exemple, d’un enjeu économique
très réduit du marché en cause. »
La Cour ajoute « toutefois, il est nécessaire
de tenir compte du fait que, dans certains
cas, les frontières traversent des agglomérations qui sont situées sur le territoire
d’États membres différents et que, dans de
telles circonstances, même des marchés
de faible valeur peuvent présenter un intérêt
transfrontalier certain ». En l’espèce, le
montant du marché en cause était inférieur
au seuil communautaire mais proche de
celui-ci (4.699.999 euros).
adjudicateurs soit figé pour un certain temps,
puisque seul un texte de niveau législatif
peut désormais le modifier. La commande
publique étant un sujet éminemment
politique, peut-être assisterons-nous à des
initiatives en vue de l’augmentation de son
montant. Mais serait-il raisonnable
d’effectuer une telle démarche, alors qu’un
compromis équilibré satisfaisant les
instances consultatives les plus
prestigieuses de France, les pouvoirs
législatif et réglementaire, ainsi que les
acteurs de la commande publique, vient tout
juste d’être trouvé ?
Michel Dupont (Direction des affaires
juridiques)
Il est fort probable qu’un tel raisonnement
ne s’appliquerait pas pour des marchés d’un
montant aussi faible que 15.000 ou 20.000
euros, sans incidence sur le marché intérieur.
3.5. Et les entités adjudicatrices ?
Les entités adjudicatrices soumises à la
deuxième partie du code des marchés publics
continuent à appliquer un seuil de dispense
de procédure fixé à 20.000 euros HT.
Si les trois règles de bonne gestion n’ont
pas été étendues expressément aux entités
adjudicatrices, leurs petits achats doivent
respecter les principes fondamentaux de la
commande publique. Il leur est donc
vivement conseillé d’appliquer les
recommandations mentionnées plus haut.
*
* *
Les seuils de procédures formalisées
continueront à évoluer tous les deux ans, à
la hausse ou à la baisse, au gré de
l’évolution des DTS. Les acheteurs publics
sont donc invités à scruter avec soin le
Journal officiel du mois de décembre 2013.
En revanche, il semble que le seuil de
dispense de procédure des pouvoirs
50
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
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