Commande publique Code des marchés publics : dans les coulisses de la valse des seuils de procédures Par Michel Dupont Le monde de la commande publique a bien accueilli le relèvement à 15.000 euros HT du seuil de dispense de procédure et l’ajustement à la hausse des seuils de procédures formalisées. Entrons dans les coulisses de ces récentes réformes... Le droit de la commande publique évolue et évoluera encore à court terme De la décision Perez à son relèvement récent, le seuil de dispense de procédure a fait couler beaucoup d’encre Durant ces dix dernières années, les acheteurs publics soumis au code des marchés publics se sont habitués au changement. Ils ont vu naître un nouveau code en 2001, deux nouvelles directives européennes sur les marchés publics en 2004, une édition remaniée du code la même année et, enfin, un nouveau code en 2006, modifié plusieurs fois depuis cette date. Les acheteurs le savent, le droit de la commande publique évolue et évoluera encore à court terme, puisque la refonte des directives sur les marchés publics fait actuellement l’objet d’intenses négociations entre la Commission européenne et les États membres. Une fois ces textes européens adoptés, viendra l’heure des travaux de transposition en droit interne, donc des nouvelles modifications du code des marchés publics. Mais, depuis la fin de l’année 2008, un phénomène particulier a attiré l’attention des acteurs de la commande publique : la valse des seuils de procédures. Si ceux régissant les procédures formalisées, imposées par les directives européennes, sont mécaniquement fixés tous les deux ans par la Commission européenne (1.), d’autres seuils, purement nationaux, sont soumis à certaines turbulences juridico-politiques. Tel est le cas du célèbre « seuil de dispense de procédure » ou « seuil de minimis », qui a fait couler beaucoup d’encre depuis son relèvement de 4.000 à 20.000 euros HT en décembre 20081, en passant par la décision Perez2 le ramenant à 4.000 euros HT, jusqu’à son relèvement récent à 15.000 euros HT par le décret n° 2011-1853 du 9 décembre 2011 modifiant certains seuils du code des marchés 1 Décret n° 2008-1356 du 19 décembre 2008 relatif au relèvement de certains seuils du code des marchés publics, JORF n° 0296 du 20 décembre 2008, p. 19548. 2 40 CE, 10 février 2010, Perez, req. n° 329100. publics, paru au Journal officiel du 11 décembre 2011, et par l’article 118 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives, publiée au Journal officiel du 23 mars 2012. Cette dernière réforme ayant déjà fait l’objet de commentaires de la part de la doctrine3, il est légitime de s’interroger sur l’utilité d’un article supplémentaire sur le sujet. En tant qu’agent de la direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers ayant participé aux travaux préparatoires des réformes, l’auteur de ces lignes se propose de présenter les coulisses du relèvement du seuil de dispense procédure (2.), sur la base de documents publics (déontologie du fonctionnaire oblige), ainsi que tenter d’expliquer les « règles de bonne gestion » qui ont encadré ce relèvement (3.). 1. Les nouveaux seuils applicables aux procédures formalisées Les articles 26, 144 et 201 du code des marchés publics fixent une liste de procédures formalisées que les acheteurs publics doivent utiliser, dès lors que le montant estimé de leur besoin est égal ou supérieur à certains seuils. Ces seuils, déterminés par les autorités européennes, ont pour objectif de garantir le respect des engagements internationaux de l’Union européenne. Ils ne laissent qu’une infime marge de manœuvre aux États membres, non retenue par la France. 3 G. Clamour, « Procédure adaptée : le seuil est porté à 15.000 euros HT », Contrats-marchés publ. n° 1, janvier 2012, comm. 1, p. 26 ; F. Linditch, « À propos du nouveau seuil de 15.000 euros HT pour les achats dispensés de mise en concurrence », JCP A n° 2, 16 janvier 2012, comm. 2009, p. 26. Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 Commande publique 1.1. Le respect des engagements internationaux de l’Union européenne Depuis 19944, l’Union européenne est partie à l’Accord sur les marchés publics (AMP) conclu dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cet accord s’applique aux marchés d’un montant égal ou spérieur à des seuils déterminés en droits de tirage spéciaux5 (DTS). Tous les deux ans, les seuils des directives européennes sur les marchés publics sont révisés, par un règlement de la Commission européenne6, en fonction de l’évolution des DTS7, afin de permettre le respect des engagements internationaux de l’Union européenne. 1.2. Les nouveaux montants imposés par le règlement n° 1251/2011 Les seuils de procédures formalisées ont augmenté Le règlement (UE) n° 1251/2011 de la Commission du 30 novembre 2011 modifiant les directives 2004/17/CE, 2004/18/CE et 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne leurs seuils d’application pour les procédures de passation des marchés, publié au Journal officiel de l’Union européenne du 2 décembre 2011, constitue la dernière révision en date. Pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, il fixe les seuils de la manière suivante : • 130.000 euros HT pour les marchés de fournitures et de services de l’État (125.000 euros HT auparavant) ; • 200.000 euros HT pour les marchés de fournitures et de services des collectivités territoriales (193.000 euros HT auparavant) ; 4 Décision 94/800/CE du Conseil du 22 décembre 1994 relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994). 5 http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/ sdrf.htm 6 P. Proot, « Les seuils d’application des directives sur les marchés publics », CP-ACCP, février 2005, n° 41. • 400.000 euros HT pour les marchés de fournitures et de services des entités adjudicatrices, ainsi que pour les marchés de fournitures et de services passés dans le domaine de la défense ou de la sécurité (387.000 euros HT auparavant) ; • 5.000.000 euros HT pour les marchés de travaux (4.845.000 euros HT auparavant). 1.3. Les États membres disposent d’une marge de manœuvre très réduite 1.3.1. L’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) stipule que les règlements européens ont une portée générale, qu’ils sont obligatoires dans tous leurs éléments et directement applicables dans tout État membre. Ils ne nécessitent donc aucune mesure de transposition, à la différence des directives. Si les articles du code des marchés publics relatifs à la publicité renvoient, pour l’établissement de l’avis d’appel public à la concurrence, « au modèle fixé par le règlement de la Commission européenne établissant les formulaires standard pour la publication d’avis en matière de marchés publics », ceux relatifs aux seuils de procédures reflètent une autre méthode de légistique : celle de l’intégration, dans le code, des sommes imposées par le règlement. C’est donc le décret n° 2011-2027 du 29 décembre 2011 modifiant les seuils applicables aux marchés et contrats relevant de la commande publique qui a mis à jour les seuils européens contenus aux articles 26, 144 et 201 du code des marchés publics. Ses auteurs auraient pu choisir la voie de la facilité en optant pour la méthode du renvoi au règlement, s’économisant ainsi le soin de rédiger un décret modificatif tous les deux ans. Mais, ils ont préféré conserver la voie de la clarté, afin d’épargner aux acheteurs publics une veille juridique du Journal officiel de l’Union européenne et, ainsi, éviter toute erreur dans la mise en œuvre des procédures. 7 http://www.wto.org/french/tratop_f/gproc_f/ thresh_f.htm Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 41 Commande publique 1.3.2. Les seuils européens étant à la hausse, et non à la baisse contrairement aux années précédentes, les autorités françaises disposaient d’une infime marge de manœuvre lors de l’adoption de ce décret : la rigueur. Le droit national pouvant toujours être plus strict que le droit de l’Union, elles auraient pu, en effet, opter pour des montants moins élevés, par exemple en maintenant ceux applicables avant l’entrée en vigueur du nouveau règlement européen. Le « seuil de dispense de procédure » est un pan sensible du code des marchés publics Compte-tenu du contexte de simplification du droit et du relèvement du seuil de dispense de procédure, fil conducteur de l’année 2011, les autorités françaises décidèrent fort logiquement d’aligner les seuils contenus dans le code sur les nouveaux seuils européens, comme elles en ont désormais l’habitude. 2. Les coulisses du relèvement du seuil de dispense de procédure à 15.000 euros HT Outre les seuils de procédures formalisées, le code des marchés publics contient d’autres seuils, non dépendants des autorités européennes. Le plus connu, mais aussi le plus sensible, est le « seuil de dispense de procédure » figurant aux articles 28, 146 et 203. Son principe est simple : si le montant estimé du marché est inférieur à ce seuil, l’acheteur public peut décider qu’il sera passé sans publicité ni mise en concurrence préalables, autrement dit, de « gré à gré ». Ceci étant rappelé, on comprend donc aisément pourquoi il suscite autant de passion, lorsque son montant est réduit ou relevé. 2.1. Arrêt Perez : la douche froide 2.1.1. Les auteurs du code des marchés publics de 2006 avait fixé le seuil de dispense de procédure à 4.000 euros HT, à l’instar de ce qui était déjà prévu dans la version 20048. Il est cependant de notoriété publique que le Conseil d’État avait émis un avis négatif sur l’existence d’un tel seuil. Une doctrine de l’administration éclairait cette dispense9 : « Dès le premier euro, les marchés passés par les personnes publiques soumises au code des marchés publics doivent respecter les principes de transparence des procédures, de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats. [...] Sous le seuil de 4.000 euros HT, aucune procédure formalisée de comparaison des offres n’est nécessaire. Pour autant, ces petits achats doivent respecter les principes fondamentaux rappelés ci-dessus. Le respect de ces principes s’apprécie à travers le comportement de l’acheteur public. » Cette doctrine était également reprise dans la circulaire d’application du code, publiée en août 200610. 2.1.2. Dans le cadre du plan de relance contre la crise économique, le décret n° 2008-1356 du 19 décembre 2008 avait relevé à 20.000 euros HT le seuil de dispense de procédure des pouvoirs adjudicateurs (art. 28) et des entités adjudicatrices (art. 144) soumis au code des marchés publics. La mesure avait été chaleureusement accueillie par de très nombreux professionnels de la commande publique, acheteurs comme entreprises. Un avocat, maître Perez, demanda néanmoins au Premier ministre l’abrogation du décret du 19 décembre 2008, en tant qu’il modifiait l’article 28 du code. Pour le requérant, le relèvement du seuil à 20.000 euros HT méconnaissait les principes de la commande publique. Face à une décision implicite de rejet du Premier ministre, maître Perez décida de saisir le Conseil d’État. La Haute juridiction jugea, le 10 février 201011, qu’« en relevant de 4.000 à 20.000 euros, de manière 9 Rép. min. à QE n° 66546 de M. Bernard Perrut, JOAN, 21 mars 2006, p. 3134. 10 8 Décret n° 2004-1298 du 26 novembre 2004 relatif à diverses dispositions concernant les marchés de l’État et des collectivités territoriales. 42 Point 9.3. de la circulaire du 3 août 2006 portant manuel d’application du code des marchés publics, JORF n° 179 du 4 août 2006, p. 11665. 11 CE, 10 février 2010, Perez, préc. Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 Commande publique générale, le montant en deçà duquel tous les marchés entrant dans le champ de l’article 28 du code des marchés publics sont dispensés de toute publicité et mise en concurrence, le pouvoir réglementaire a méconnu les principes d’égalité d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédure » et annula, à compter du 1er mai 2010, le décret du 19 décembre 2008, en tant qu’il avait modifié l’article 28 applicable aux pouvoirs adjudicateurs. simplification du droit au service de la croissance et de l’emploi », remis au Président de la République le 6 juillet 201113, M. Warsmann, proposa de relever le seuil, par voie législative, à 15.000 euros HT14. Le seuil de 4.000 euros des pouvoirs adjudicateurs était donc de retour... L’article 88 prévoyait : « [...] Le pouvoir adjudicateur soumis au code des marchés publics peut décider de passer un marché public ou un accord-cadre sans publicité ni mise en concurrence préalables, au sens des règles de la commande publique, si le montant estimé de ce marché ou de cet accord-cadre est inférieur à 15.000 euros hors taxes. 2.1.3. Peu de temps après cette décision, de nombreux parlementaires interrogèrent le ministre de l’économie, par l’intermédiaire de courriers, ainsi que de questions orales et écrites, à propos d’un éventuel nouveau relèvement du seuil. Les réponses, prenant acte de la décision du Conseil d’État, parvenaient à la même conclusion, « le relèvement n’est pas envisageable12 ». 2.2. Les chantiers de simplification du droit, prémices du relèvement du seuil Trois chantiers de simplification du droit furent simultanément lancés : les « Assises de la simplification », initiées le 15 décembre 2010 par le Gouvernement, la « Mission parlementaire Doligé » de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales, confiée au sénateur Éric Doligé par un décret du 25 janvier 2011, et la « Mission parlementaire Warsmann » de simplification du droit des entreprises, confiée au député JeanLuc Warsmann par un décret du même jour. Durant les phases de concertation propres à chaque chantier, une demande récurrente fut formulée par les entreprises et les acheteurs publics : « relever le seuil de dispense de procédure ». 2.3. L’émergence du seuil législatif de dispense de procédure 2.3.1. C’est dans le cadre de la « Mission Warsmann » que la demande eut le plus de poids. Dans son rapport intitulé « La 12 Voir par ex. rép. min. à QE n° 93997 de M. Laurent Hénart, JOAN, 29 mars 2011, p. 3124. La réforme fut aussitôt intégrée par le parlementaire dans le cadre de sa proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 28 juillet 2011. « Lorsqu’il fait usage de la faculté offerte par le premier alinéa, le pouvoir adjudicateur peut s’adresser directement à un seul prestataire ou en consulter plusieurs selon des modalités laissées à son appréciation. Il veille à choisir une offre répondant de manière pertinente au besoin, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même prestataire lorsqu’il existe une pluralité d’offres potentielles susceptibles de répondre au besoin. » En ne mentionnant que les pouvoirs adjudicateurs, le législateur n’a donc pas couvert les entités adjudicatrices, toujours soumises, en vertu de l’article 144 du code des marchés publics, au seuil de 20.000 euros HT introduit par le décret du 19 décembre 200815. 2.3.2. Une étude réalisée dans le cadre du programme SIGMA (OCDE et Union européenne16) démontre que de nombreux États 13 J.-L. Warsmann, « La simplification du droit au service de la croissance et de l’emploi », Doc. franç., p. 208-209. 14 Un montant de 20.000 euros aurait sans doute été mal perçu par le Conseil d’État... 15 La décision Perez avait annulé le décret uniquement en tant qu’il avait modifié l’article 28 du code des marchés publics. 16 Public procurement in the EU Member States - The regulation of contract below the EU thresholds, SIGMA-OECD (Sigma papers n° 45), 27 mai 2010. Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 43 Commande publique membres de l’Union européenne pratiquent des seuils en deçà desquels l’achat direct est autorisé. 2.3.3. En application de l’article 39, alinéa 5 de la Constitution, la proposition de loi fut soumise, pour avis, au Conseil d’État. Les seuils français de 15.000 euros, pour les pouvoirs adjudicateurs, et 20.000 euros, pour les entités adjudicatrices, se situent dans la moyenne européenne. Le 19 septembre 2011, l’Assemblée générale du Conseil d’État, donna un avis favorable20 au dispositif législatif : « en fixant [...] à 15.000 euros hors taxes le seuil d’exemption de formalités [...], les dispositions proposées, compte tenu des modalités de prise de décision en dessous de ce seuil qu’elles entendent établir par le deuxième alinéa de cet article et de la taille des marchés en cause, n’apparaissent pas, de l’avis du Conseil d’État, contraires aux principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures tels que, notamment, la décision du Conseil constitutionnel n° 2003-473 DC du 26 juin 2003 les a précisés et la décision du Conseil d’État [...] Perez, les a rappelés, sous la réserve, cependant, de rédiger ce deuxième alinéa de la manière suivante : Lorsqu’il fait usage de la faculté offerte par le premier alinéa, il veille à choisir une offre répondant de manière pertinente au besoin, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même prestataire lorsqu’il existe une pluralité d’offres potentielles susceptibles de répondre au besoin ». Pays Les seuils français se situent dans la moyenne européenne Seuil de dispense (Tr, FS17) des PA et EA18 Autriche 40.000 euros (PA) 60.000 euros (EA) Bulgarie 22.000 euros (Tr) 7.500 euros (FS) Chypre 1.700 euros Finlande 15.000 euros (FS) 100.000 euros (Tr) Hongrie 26.700 euros (FS PA) 50.000 euros (Tr PA) 166.700 euros (FS EA) 330.300 euros (Tr EA) Italie 20.000 euros (FS) 40.000 euros (Tr) Lettonie 4.200 euros (FS) 14.000 euros (Tr) Lituanie 3.000 euros Luxembourg 55.000 euros Pologne 14.000 euros Roumanie 15.000 euros République slovaque 30.000 euros (FS) 120.000 euros (Tr) RoyaumeUni Pas de disposition sous les seuils européens Slovénie 10.000 euros (FS) 20.000 euros (Tr) Suède Seuil fixé à la discrétion des acheteurs publics Pour ses propres marchés, la Commission européenne, applique un seuil de 10.000 euros19. 17 Tr : travaux ; FS : fournitures et services. 18 PA : pouvoirs adjudicateurs ; EA : entités adjudicatrices. 2.3.4. L’Assemblée générale du Conseil d’État mit en garde le Parlement : « Le Conseil d’État attire toutefois l’attention du Parlement sur les problèmes de cohérence dans la hiérarchie des normes que pourra faire apparaître la coexistence du seuil qui serait ainsi créé par le législateur et des autres seuils édictés par le pouvoir réglementaire pour définir les différentes procédures formalisées ou adaptées applicables aux marchés publics, dont l’un est inférieur à ce nouveau seuil et les autres lui sont supérieurs ». Cette mise en garde était destinée à appeler l’attention du parlementaire sur la problématique de l’intervention du législateur dans un domaine pour lequel le pouvoir réglementaire est compétent, en ce qui concerne les collectivités territoriales, sur la base d’une habilitation législative issue d’un décret-loi de 1938. 19 Articles 241, 243 et 245 du règlement (CE) n° 2342/2002 de la Commission du 23 décembre 2002 établissant les modalités d’exécution du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes. 44 20 Avis CE, 19 septembre 2011, rapport de M. Etienne Blanc fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives, p. 422. Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 Commande publique Durant la séance publique du 12 octobre 201121, M. Warsmann expliqua sa démarche : « Le code des marchés publics est, comme chacun le sait, issu d’un décret. Or, nous constatons un blocage. Le pouvoir réglementaire s’est en effet trouvé confronté à la jurisprudence du Conseil d’État, qui, en 2010, dans l’arrêt Perez, a jugé que le Gouvernement ne pouvait, par son pouvoir réglementaire, fixer à 20.000 euros le seuil au-delà duquel les marchés publics doivent faire l’objet d’une procédure de publicité et de mise en concurrence préalable. » « Je ne vous propose nullement de revenir sur l’habilitation dont bénéficie le pouvoir réglementaire » Le député d’opposition Alain Vidalies commenta : « Nous avons bien compris quelle était la nature de la démarche. En effet, pourquoi sommes-nous saisis ? Puisque le Conseil d’État, juge du pouvoir réglementaire, a annulé le nouveau seuil fixé réglementairement par le Gouvernement, il suffit de sortir du champ réglementaire et de passer dans le champ législatif pour se débarrasser du contrôle du Conseil d’État... La démarche, si elle n’est pas vraiment nouvelle, est tout de même singulière. » En introduisant le dispositif dans sa proposition de loi, M. Warsmann souhaitait que le Conseil constitutionnel se prononce sur la compatibilité entre l’existence d’un seuil de dispense de procédure et les principes de la commande publique qu’il avait érigés au rang de principes constitutionnels. Mais le Conseil constitutionnel n’eut pas à connaître de la question car le moyen ne fut pas soulevé lors du recours qui suivit l’adoption du texte. Enfin, au cours de la même séance publique, M. Warsmann affirma solennellement : « Je voudrais préciser un point extrêmement important. Par cette intervention du législateur, je ne vous propose nullement de revenir sur l’habilitation dont bénéficie le pouvoir réglementaire [...] Je vous propose d’intervenir, ici, au nom d’un pouvoir que l’on peut qualifier de pouvoir d’évocation, au sens traditionnel de cette notion, c’est-à-dire une intervention ponctuelle permettant de surmonter une difficulté précise et dont l’objet n’est pas de remettre en cause, même implicitement, le régime juridique du code des marchés publics et son équilibre. » L’article 88 fut adopté par les députés. 21 Voir le compte rendu intégral de la deuxième séance du mercredi 12 octobre 2011, dossier législatif en ligne sur le site de l’Assemblée nationale. 2.4. La mise en œuvre anticipée de la réforme par le pouvoir réglementaire Pour tenir compte de la réserve exprimée par le Conseil d’État, le Gouvernement décida, dès le 20 octobre 2011, d’intégrer la réforme dans le code des marchés publics22 aux articles 28 et 203. Le même dispositif, cette fois réglementaire, franchit à nouveau les grilles du Palais-Royal, afin d’être examiné par la section de l’administration du Conseil d’État, le 15 novembre 2011. Il reçut, pour la seconde fois, un avis favorable. Pour des raisons de cohérence, le décret n° 2011-1853 du 9 décembre 2011 procéda à l’alignement, sur le seuil de dispense de procédure fixé à 15.000 euros, du seuil à partir duquel les marchés et accordscadres doivent être passés sous forme écrite (art. 11) et notifiés avant tout commencement d’exécution (art. 81 et 254). Suivant la même logique, les dispositions relatives aux obligations en matière de publicité préalable furent mises en cohérence avec le nouveau seuil (art. 40 et 212). En revanche, à l’instar du législateur, le pouvoir réglementaire ne modifia pas le régime des entités adjudicatrices. Ces dernières continuent donc à appliquer un seuil de dispense de procédure fixé à 20.000 euros HT. Ce même montant est applicable pour la forme écrite du contrat, sa notification et la publicité préalable obligatoire. 2.5. Le maintien du relèvement législatif 2.5.1. Le décret du 9 décembre 2011, publié au Journal officiel du 11 décembre, entra en vigueur le lendemain de sa publication, soit le 12 décembre. La question du maintien du dispositif législatif, adopté par l’Assemblée nationale le 12 octobre 2011, en première lecture, fut posée, notamment durant les travaux de la commission des lois du Sénat23. 22 Discours du Premier ministre, congrès de l’Union Professionnelle Artisanale (UPA), 20 octobre 2011. 23 Rapport du 21 décembre 2011 de M. Jean-Pierre Michel fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, p. 20, 33 et 51. Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 45 Commande publique Mais, durant la séance publique du 10 janvier 2012, la Haute assemblée adopta une motion opposant une question préalable à la délibération de la proposition de loi, entraînant le rejet du texte et son renvoi en commission mixte paritaire. Cette commission n’ayant pu trouver un accord, le texte fut renvoyé à l’Assemblée nationale pour une nouvelle lecture. « La DAJ n’a absolument pas voulu recréer des obligations et des exigences sur les acteurs, compliquer la vie des élus » 2.5.2. S’appuyant sur la recommandation de l’Assemblée générale du Conseil d’État et la publication du décret du 9 décembre 2011, le Gouvernement décida de déposer un amendement de suppression de l’article 88 précisant que la coexistence de deux dispositions identiques, l’une législative, l’autre réglementaire, serait « contraire à l’esprit de simplification de cette proposition de loi car elle multiplie les sources d’un droit pourtant centralisé dans un seul et même code depuis de très nombreuses années24 ». Cependant, durant la séance publique du 31 janvier 2012, M. Warsmann, fit état d’une fiche explicative de la direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers 25, reprenant les conseils de transparence et traçabilité du Guide des bonnes pratiques26, déclara27 : « Elle demande à l’acheteur public, en dessous du seuil de 15.000 euros, d’être en mesure d’assurer en toute transparence la traçabilité des procédures, notamment en produisant les devis sollicités, les référentiels de prix, les guides d’achat utilisés, et elle conseille d’établir une note de traçabilité de l’achat. Mes chers collègues, ce n’est absolument pas ce que souhaite le législateur ! » Le secrétaire d’État, Frédéric Lefebvre, présent au banc des ministres, tenta d’expliquer l’objectif de la fiche : « La DAJ 24 Art. 88, amdnt n° 73, dossier législatif en ligne sur le site de l’Assemblée nationale. 25 Fiche accompagnant le décret du 9 décembre 2011 sur le site internet du ministère de l’économie. 26 Circulaire du 29 décembre 2009, relative au Guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics, JORF n° 0303 du 31 décembre 2009, p. 23171. 27 Compte rendu intégral de la troisième séance du mardi 31 janvier 2012, dossier législatif en ligne sur le site de l’Assemblée nationale. 46 n’a absolument pas voulu recréer des obligations et des exigences sur les acteurs, compliquer la vie des élus. [...] En l’occurrence, ce ne sont pas des exigences ni des demandes qui ont été publiées, mais des conseils. Certes, je reconnais bien volontiers que certains de ces conseils réintroduisent une forme de complexité. Mais chacun doit être conscient que ce sont les mêmes obligations qui pesaient et pèseront toujours sur le seuil, quand il était de 4.000 euros. » Malgré l’entrée en vigueur du décret, intervenue près de deux mois auparavant, ainsi que la recommandation du Conseil d’État, les députés rejetèrent l’amendement de suppression de l’article 88. Après un nouveau rejet de la proposition de loi par le Sénat, l’article 88 fut définitivement adopté lors d’une ultime lecture par l’Assemblée nationale le 29 février 2012. 3. La mise en œuvre des règles de bonne gestion induites par la réforme Si les coulisses de la réforme peuvent avoir un intérêt pour les historiens du droit, elles n’ont, en revanche, pas de caractère opérationnel pour les praticiens. Certains ont pu légitimement se demander ce qui se cachait réellement derrière ce nouvel encadrement. Voici quelques pistes d’explication... 3.1. Les trois règles de bonne gestion permettant le respect des principes de la commande publique 3.1.1. Le législateur, suivi par le pouvoir réglementaire, a relevé le seuil de dispense de procédure des pouvoirs adjudicateurs à 15.000 euros HT. Cependant, il l’a également encadré par trois « règles de bonne gestion », permettant de garantir le respect des principes fondamentaux de la commande publique. La loi et le décret disposent, exactement dans les mêmes termes, que lorsque le montant estimé du marché est inférieur à 15.000 euros HT et que l’acheteur décide que le marché sera passé sans publicité ni Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 Commande publique mise en concurrence préalables, il doit veiller à : • choisir une offre répondant de manière pertinente au besoin, • respecter le principe de bonne utilisation des deniers publics, • ne pas contracter systématiquement avec un même prestataire lorsqu’il existe une pluralité d’offres potentielles susceptibles de répondre au besoin. Les trois règles de bonne gestion sont simplement l’expression du bon sens L’avis du Conseil d’État28 est clair : « compte tenu des modalités de prise de décision en dessous de ce seuil qu’elles entendent établir par le deuxième alinéa de cet article et de la taille des marchés en cause, [ces dispositions] n’apparaissent pas, de l’avis du Conseil d’État, contraires aux principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ». Sans ces « modalités de décision » que constituent les trois règles de bonne gestion, le Conseil d’État n’aurait probablement pas donné un avis favorable à la réforme... Éviter de fixer des règles internes trop rigides Le nouveau dispositif est donc le fruit d’un compromis : accord pour un relèvement à 15.000 euros, à condition d’introduire explicitement des règles particulières. 3.1.2. En réalité, ces trois règles existaient déjà implicitement avant la réforme. Elles sont simplement l’expression du bon sens. Si ces petits marchés sont exonérés de formalités préalables (publicité, mise en concurrence stricte, délais à respecter, etc.), ils n’en restent pas moins soumis aux principes de la commande publique (voir point 2.1.1.). L’acheteur public devait déjà, sous l’empire du seuil de 4.000 euros, se comporter en gestionnaire avisé et respectueux des deniers publics. Pour le parlementaire à l’origine de la réforme : « ce que nous avons voulu, avec cet article 88, c’est qu’en dessous du seuil de 15.000 euros, l’acheteur public procède à son achat en bon père de famille, comme le fait un citoyen normalement éclairé29 ». 28 29 Avis CE, 19 septembre 2011, préc. Compte rendu intégral de la troisième séance du mardi 31 janv.ier 2012, préc. Un autre parlementaire d’ajouter : « Il faut, je crois, laisser une vraie liberté d’action certes encadrée - aux communes, les plus petites des collectivités, qui sont le terreau de la démocratie. Il faut arrêter de leur casser les pieds, je le dis assez simplement, par des procédures trop lourdes. » Mais qu’est-ce qu’un bon père de famille ? Il s’agit d’un gestionnaire avisé qui ne dépense pas les deniers familiaux sans se renseigner sur les prix et les garanties, en les comparant par tout moyen. Cette définition est d’autant plus importante lorsqu’elle est rattachée aux notions d’acheteur public, de deniers publics et d’intérêt général. 3.2. La mise en œuvre des trois règles de bonne gestion Avant toute chose, l’acheteur public doit prendre en compte les règles relatives à la computation des seuils (art. 27 du code). La détermination de la valeur estimée des besoins au regard des notions d’opération et de prestations homogènes doit faire l’objet d’une attention particulière. L’acheteur ne doit pas découper son besoin dans le but de pouvoir bénéficier artificiellement de la dispense de procédure30. Plus trivialement, il ne doit pas « saucissonner ». Une fois cette problématique prise en compte, les trois règles doivent guider l’acheteur dans son achat. 3.2.1. Le choix d’une offre répondant de manière pertinente au besoin Les achats sous le seuil de dispense de procédure sont soumis aux obligations relatives à la définition préalable des besoins31 (art. 5 du CMP). Un « bon père de famille » agit de la même manière pour les achats de son foyer. 30 Circulaire du 14 février 2012 relative au Guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics, point 8 « Comment savoir si on dépasse un seuil ? », JORF n° 0039 du 15 février 2012, p. 2600. 31 Circulaire du 14 février 2012, préc., point 4 « Comment l’acheteur doit-il déterminer ses besoins ? ». Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 47 Commande publique L’acheteur public déterminera donc avec précision la nature et l’étendue des besoins à satisfaire. être raisonnable. Il conservera, néanmoins, la trace de la sollicitation des entreprises n’ayant pas répondu. Première règle de bon sens : l’offre choisie sera celle qui aura pour objet principal de répondre aux besoins exprimés. En d’autres termes, l’acheteur évitera d’opter pour des prestations superflues qui auront pour effet de peser sur le coût final. 3.2.3. Ne pas contracter systématiquement avec un même prestataire lorsqu’il existe une pluralité d’offres potentielles susceptibles de répondre au besoin 3.2.2. La bonne utilisation des deniers publics L’acheteur public gère des deniers publics et doit donc être vigilant quant à leur utilisation L’acheteur public gère des deniers publics et doit donc être vigilant quant à leur utilisation. Il choisira une offre financièrement raisonnable et cohérente avec la nature de la prestation. Il s’agit de la deuxième règle de bon sens... S’il possède une connaissance suffisante du secteur économique (ex : questions préalables à l’achat bien maîtrisées, connaissance des prix, du tissu économique, du degré de concurrence dans le secteur, etc.), il pourra directement effectuer son achat sans formalités préalables. En revanche, si l’acheteur public ne possède pas de connaissances particulières sur l’achat qu’il veut faire, il achètera après avoir effectué quelques comparaisons (ex : consultation de comparateurs de prix sur internet, examen de catalogues ou prospection dans des magasins ; comparaison des délais d’exécution ou des garanties proposées). Pour les prestations les plus techniques, il pourra éventuellement solliciter des devis par courriel, fax ou courrier auprès de professionnels. Exactement comme l’aurait fait un « bon père de famille ». Mais, la confection de devis ayant un coût pour les entreprises, il convient de ne pas les solliciter inutilement. Enfin, l’acheteur évitera de fixer des règles internes trop rigides, comme « trois devis obligatoires avant tout achat ». Si une seule entreprise envoie un devis, l’acheteur pourra, évidemment, contracter avec cet opérateur, dès lors que, compte tenu de l’objet de l’achat et de ses caractéristiques, le prix proposé lui semble 48 Selon le dictionnaire Larousse, le mot systématique signifie : « Qui est fait avec méthode, procède d’un ordre déterminé à l’avance » ; « Qui pense et agit selon un système, d’une manière absolue, sans jamais se démentir » ; « Qui se fait de manière invariable ». La troisième règle invite donc l’acheteur public à ne pas tomber dans la routine. Il pourra effectuer une veille économique épisodique, en suivant sa doctrine interne, afin de ne pas contracter « systématiquement » avec le même opérateur lorsque, potentiellement, d’autres entreprises peuvent réaliser la prestation. Pour ce faire, l’acheteur pourra se poser plusieurs questions : de nouveaux opérateurs se sont-ils récemment implantés ? Le prestataire avec lequel nous avons contracté est-il toujours le plus compétitif ? Dois-je éventuellement solliciter de nouveaux devis ? Libre à chaque institution de fixer sa propre politique. 3.3. La traçabilité de l’achat Les petits marchés ne sont pas à l’abri de tout contentieux de la part des entreprises concurrentes. Afin de pouvoir démontrer au juge que l’achat n’a pas été réalisé en méconnaissance des principes de la commande publique, il est conseillé de conserver une trace des éléments ayant motivé l’achat. Cette trace doit être, bien entendu, proportionnée à l’achat effectué et au secteur considéré. Il ne faut pas tomber dans les travers d’un formalisme technocratique excessif. Encore une fois, le bon sens prime. Il peut s’agir, par exemple, de conserver les résultats des comparaisons de prix et conditions d’exécution ou des devis éventuellement sollicités. Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 Commande publique Ces éléments peuvent, si l’acheteur public en décide ainsi, être accompagnés de quelques lignes explicatives, notamment pour les achats les plus complexes, les plus techniques. Chaque pouvoir adjudicateur reste libre d’adopter ou non des règles internes. Apporter la preuve de leur respect pourrait néanmoins s’avérer utile en cas d’investigations pour délit de favoritisme... « On peut douter qu’un marché de 20.000 euros HT présente un intérêt transfrontalier certain » Au final, même si ce triple encadrement, introduit par le législateur, ne signifie pas « mise en concurrence » au sens le plus strict du code des marchés publics, il incite les acheteurs à être vigilants lors de leurs achats. On peut alors parler de méthodes de « benchmarking32 » et de « sourcing33 » appliquées à l’achat public. Après tout, pourquoi ces techniques, utilisées par les entreprises privées ou dans les foyers dotés d’un « bon père de famille », ne seraient-elles pas appliquées quand il s’agit de l’argent du contribuable ? 3.4. Les petits marchés et l’intérêt transfrontalier La question de la compatibilité avec le droit de l’Union européenne, particulièrement avec la notion d’intérêt transfrontalier34, peut se poser. Comme l’a admis le rapporteur public Nicolas Boulouis dans ses conclusions 35 sous l’affaire Perez, « on peut douter qu’un marché de 20.000 euros HT présente un intérêt transfrontalier certain, pour reprendre l’expression de la CJCE, et entre donc dans le versant communautaire des principes de la commande publique ». Une telle affirmation est, a priori, également valable pour les marchés de moins de 15.000 euros HT. 32 Comparaison des méthodes utilisées par d’autres organisations. 33 Recherche et localisation du fournisseur qui répondra le mieux au besoin. 34 Voir fiche « L’intérêt transfrontalier certain », mise en ligne sur le site de la DAJ. 35 er RJEP, n° 675, 1 mai 2010, comm. 23, p. 15. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), les marchés présentant un enjeu économique très réduit ne présentent pas un intérêt transfrontalier. Elle a jugé, dans la décision Telaustria36, que la passation des marchés publics exclus du champ d’application des directives marchés est soumise au respect des règles fondamentales du traité en général et du principe de non-discrimination en raison de la nationalité en particulier. Ce principe implique, notamment, une obligation de transparence. Une telle obligation consiste à garantir, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat37 permettant une ouverture du marché des services à la concurrence, ainsi que le contrôle de l’impartialité des procédures. Cependant, la Cour a admis, dans l’arrêt Coname38 : « qu’en raison de circonstances particulières, telles qu’un enjeu économique très réduit, il pourrait raisonnablement être soutenu qu’une entreprise située dans un autre État membre ne serait pas intéressée par la conclusion d’un contrat et que les effets sur les règles fondamentales du traité devraient donc être considérés comme étant trop aléatoires et trop indirects pour pouvoir conclure à une éventuelle violation de celles-ci ». Dans ses conclusions sous l’affaire Coname, l’avocate générale Christine StixHackl, souligne que « certains marchés concernent davantage le marché intérieur que d’autres, qui présentent un intérêt pour un groupe d’opérateurs économiques plus large, y compris pour des entreprises d’autres États membres ». Dans une décision plus récente39, la CJUE a jugé qu’il « est toutefois loisible qu’une 36 CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria et Telefonadress, C-324/98. 37 L’avocat général Nial Fennelly précise, au point 43 de ses conclusions, « la publicité ne doit pas nécessairement être assimilée à la publication. Ainsi, si l’entité adjudicatrice s’adresse directement à un certain nombre de soumissionnaires potentiels et à supposer que ceux-ci ne soient pas tous ou presque tous des entreprises ayant la même nationalité que l’entité adjudicatrice, nous estimons que l’exigence de transparence serait respectée ». 38 CJCE, 21 juillet 2005, Coname, C-231/03. 39 CJCE, 15 mai 2008, SECAP SpA, C-147/06. Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 49 Commande publique réglementation établisse, au niveau national ou local, des critères objectifs indiquant l’existence d’un intérêt transfrontalier certain. De tels critères pourraient être, notamment, le montant d’une certaine importance du marché en cause, en combinaison avec le lieu d’exécution des travaux. Il serait également possible d’exclure l’existence d’un tel intérêt dans le cas, par exemple, d’un enjeu économique très réduit du marché en cause. » La Cour ajoute « toutefois, il est nécessaire de tenir compte du fait que, dans certains cas, les frontières traversent des agglomérations qui sont situées sur le territoire d’États membres différents et que, dans de telles circonstances, même des marchés de faible valeur peuvent présenter un intérêt transfrontalier certain ». En l’espèce, le montant du marché en cause était inférieur au seuil communautaire mais proche de celui-ci (4.699.999 euros). adjudicateurs soit figé pour un certain temps, puisque seul un texte de niveau législatif peut désormais le modifier. La commande publique étant un sujet éminemment politique, peut-être assisterons-nous à des initiatives en vue de l’augmentation de son montant. Mais serait-il raisonnable d’effectuer une telle démarche, alors qu’un compromis équilibré satisfaisant les instances consultatives les plus prestigieuses de France, les pouvoirs législatif et réglementaire, ainsi que les acteurs de la commande publique, vient tout juste d’être trouvé ? Michel Dupont (Direction des affaires juridiques) Il est fort probable qu’un tel raisonnement ne s’appliquerait pas pour des marchés d’un montant aussi faible que 15.000 ou 20.000 euros, sans incidence sur le marché intérieur. 3.5. Et les entités adjudicatrices ? Les entités adjudicatrices soumises à la deuxième partie du code des marchés publics continuent à appliquer un seuil de dispense de procédure fixé à 20.000 euros HT. Si les trois règles de bonne gestion n’ont pas été étendues expressément aux entités adjudicatrices, leurs petits achats doivent respecter les principes fondamentaux de la commande publique. Il leur est donc vivement conseillé d’appliquer les recommandations mentionnées plus haut. * * * Les seuils de procédures formalisées continueront à évoluer tous les deux ans, à la hausse ou à la baisse, au gré de l’évolution des DTS. Les acheteurs publics sont donc invités à scruter avec soin le Journal officiel du mois de décembre 2013. En revanche, il semble que le seuil de dispense de procédure des pouvoirs 50 Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012