COURRIER gelmor verse. Non pas le débat d'idées mais le choc de deux codes. Et la paix, le bonheur dans tout cela ? ANDRÉ MIQUEL professeur au Collège de France administrateur général de la Bibliothèque nationale Une lettre du père Lelong . . Je vous remercie — et je remercie Claude-François Jullien — de l'exactitude avec laquelle a été rapporté l'entretien paru dans le dernier numéro (n° 1109 du 7 février, « l'Islam en France »). Je tiens cependant à apporter une précision — ou plutôt un complément --aux propos *qui me sont attribués à la fin de cet entretién. En effet, en disant que « les musulmans, s'ils sont fidèles à leur foi, ne peuvent pas être à cent pour cent d'accord avec la législation française », La reaction d'André Miquel Je suis cent fbis d'accord avec Mohammed Arkoun et Michel Chodkiewicz. Je ne suis, il est vrai, ni musulman ni islamologue. Simplement arabisant, mais jé ne sais que trOp bien de quelle richesse un islam créateur innerva, directement ou non, la littérature arabe. Tout le problème, justement, est dé créer. Et de créer aujourd'hui. Un triple et redoutable problème est posé par votre dossier. Sur le plan des institutions, il est, comme le diSent Arkoun et Chodkiewicz, de savoir si l'islam peut s'adapter à. une société démocratique fondée sur la laïcité, la séparation absolue du public et du religieux. L'islam peut le faire : ce ne serait qu'une de plus de ses aventures réussies au cours d'une longue histoire. Faute de quoi, le conflit éclatera entre ceux qui voudront fonder l'Etat sur le religieux et ceux qui estimeront à bon droit que leurs pères ont pour eux réglé le problème. Sur le plan de la pensée religieuse, tout le problème est de savoir Si un oecuménisme, un vrai et qui ne soit pas à sens unique, peut voir le jour. J'entends par là le libre, loyal et égal dialogue entre un islam qui pose l'impuissance de- notre langage dit rationnel à rendre compte d'un Dieu transcendant et une pensée chrétienne qui pose, elle, en vertu du même principe, que la seule façon de rendre compte de Dieu est, justement, de passer par l'irrationnel et la folie. Sur le plan de la vie quotidienne, rien, que je sache, dans l'islam, n'impose de vivre à la maghrébine ou à l'orientale pour .être musulman : les obligations canoniques sont de foi, non de lieu ou de circonstance. Et le Coran, pour prendre cet exemple, n'a jamais imposé un type de mosquée. . ' Cé pays, on l'a dit et redit, s'est distingué non pas par une prétendue race mais par un système de valeurs assez puissant pour lui donner une définifion et même, tout compte fait, son nom. A lui et à l'islam, au vrai, celui qu'appellent de leurs voeux Arkoun et Chodkiewicz, de tenir le pari. Faute de quoi, on aura non l'oecuménisme mais la contro, 30 LE NOUVEL OBSERVATEUR /COURRIER j'avais ajouté — et cette précision me semble très importante : « de même que les catholiques ne peuvent pas être, à cent pour cent , d'accord avec cette même législation, lorsqu'elle prévoit, par exemple, le remboursement de l'avortement par la Sécurité sociale ou lorsqu'elle n'encourage pas suffisamment la famille». Cela dit, il est évident (est-il besoin de le dire ?) que, comme les chrétiens et les juifs, les musulmans peuvent parfaitement être fidèles à leur religion tout en étant d'excellents citoyens français. MICHEL LELONG Le devoir de français de Ilàbiba Mme Simone Curtillat, professeur de lettres-histoire au LEP d'Audincourt (Doubs), nous a fait parvenir le devoir de français de Habiba, jeune Beur originaire d'Algérie.. Celle-ci développait le sujet suivant : « Etes-vous attaché à votre pays natal ? » Mme Curtillat précise i « Sur vingt-sept élèves dont la plus grande partie est de souche française, c'est celle qui a le mieux parlé de notre pays... » Voici le texte en question. . Qui de nous n'est pas attaché à sa patrie ? Au pays où l'on est né, originaire ? Pour moi, le hasard a voulu que je naisse en FranCe. C'est une chose naturelle que pour ce pays je ressente des sentiments d'affection ou tout simplement d'amour. Pour dire ce qui est, ce n'est pas parce que ce territoire m'a vu naître mais bien plus. A la naissance; je suis devenue citoyenne française même si c'était indépendant de la volonté de mes parents. Eux, étant originaires d'un autre pays, l'ont toujours pleuré dans leur coeur. Pardessus notre toit, ils voient le ciel qui lés y ramènera. Mais moi ? N'ai-je pas mon mot à dire ? Je représente ici la nouvelle génération, j'ai su m'intégrer dans cette société française. En fait, la France, avec ses ' yeux de tourterelle, a su m'hypnotiser et j'ai été contrainte de vivre ici et de m'attacher à un pays qui devrait m'être étranger. Ma pensée s'est rapidement imprégnée de ces paysages, de ces villes aussi belles les unes que les autres. Je suis devenue une passionnée de sa gastronomie, de ses spécialités régionales, de sa mode, de tout ce qui s'y trame. La beauté de ses paysages naturels, je l'imagine telle une princesse ayant une destinée des plus merveilleuses. Eh oui, sous le Ur robe blanche les Alpes ont conquis d'innombrables coeurs. Le mien est à jamais incrusté à cette terre sauvage. Un attachement aussi fort est invraisemblable, et pourtant, à l'heure actuelle, c'est drôle qu'un jeune immigré soit contraint de repartir dans le pays de ses parents alors qu'il a pris racine ici et qu'ilse sent comme le meilleur patriote françaii qui existe. Le bonheur, je le tiens ici, en France. Je suis libre d'agir comme bon me semble. Mes parents sont acceptés dans cette société, et qui sait si cela n'encourage pas la jeunesse à devenir fraternelle ? A la France, j'offre ma main droite, mon coeur, ma tête pour avoir une chance de rester sur cette terre d'accueil. Certains jeunes éprouvent des sentiments violents, mais à quoi bon ? Ici, je vis au jour le jour. J'ai des tas de camarades qui m'ont appris que l'amitié est chose rare. Mais si je devais quitter ce pays natal, j'évoquerais la chaleur qui m'anime lorsque je parle avec amour de la France..., celle où je suis née. HABIBA - Bravo, professeur Arkoun ! En tant que musulman et Algérien, j'ai eu la semaine dernière trois réconforts, et ce n'est pas rien par les temps qui courent, croyez-moi. Le premier, c'est de lire que le bureau de la Ligue arabe de Paris avait solennellement condamné les attentats imbéciles chez Gibert et à la FNAC, des lieux où nous allons tous tout le temps avec les amis La seconde bonne nouvelle, c'est la télévision avec les reportages sur le raï, le rock algérien, qui défoule les jeunes et contre lequel les idiots d'intégristes ne peuvent rien. Enfin, et je ' dois dire surtout, c'est « le Nouvel Obs » et le merveilleux et super article de Mohammed Arkoun sur l'islam. On l'a lu tout haut devant les copains et On lui dit merci et bravo. On est fier d'être musulman comme lui, sans polygamie, sans vieux préjugés sur la main des voleurs et autres foutaises. Mais avec la pensée de nos pères et de Dieu. M. H., Paris. - • Une précision de Samy Cohen Dans son éditorial du 7 février dernier (n° 1109), « le Sphinx et les CEdipes », Jean Daniel se demande où il a trouvé ce jugement prêté à Jean François-Poncet : « Un chef d'Etat n'a que deux ou trois épreuves tests à maîtriser; le reste du temps, il ne fait qu'épouser l'imprévisible et réparer les erreurs des siens. » Puis-je suggérer une réponse ? Sans doute dans mon livre « la Monarchie nucléaire » (Hachette), auquel votre journal consacre, dans le même numéro, deux comptes rendus très élogieux. Jean François-Poncet a d'ailleurs plus exactement confié : « Un homme d'Etat a deux, trois déci- sions stratégiques à prendre. Le reste consiste à éviter de faire des gaffes. » Le propos a été rapporté par Serge July, cité dans « la Monarchie nucléaire » (p. 125). SAMY COHEN