LE POUVOIR DES CATHOS 25 ans d'histoire 1962 : Ouverture du Concile Vatican II 1963 : Encyclique « Pacem in terris » Mort de Jean XXIII. Paul VI lui succède. 1965 : Quatrième et dernière session de Vatican II. Paul VI à l'ONU : « Plus jamais la guerre. » 1968 : Mai-juin : la contestation gagne l'Eglise. L'encyclique « Humanae vitae » sur la çontraception est mal reçue par une majorité de catholiques français. 1971 : Lettre de Paul VI au cardinal Roy : L'engagement socialiste des chrétiens est possible. 1972 : A l'Assemblée plénière de l'épiscopat à Lourdes, le « pluralisme politique » est enfin reconnu. 1976 : Marcel Lefebvre, ancien évêque de Tulle, prend ses distances vis-à-vis de Rome. L'avant-projet socialiste sur l'école (projet Mexandeau) relance la querelle scolaire. 1977: François Mitterrand : « Nous n'allons pas ranimer la guerre scolaire. » Occupation par les intégristes de l'église de Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris. Le conseil municipal de Saint-Herblain (Loire-Atlantique) supprime les subventions aux écoles privées. 1978 : Mort de Paul VI le 6 août. Albino Luciani, patriarche de Venise, est élu le 26 août et prend le nom de Jean-Paul Ter. Il meurt le Ier octobre. Karol Wojla est élu pape le 16. Il prend le nom de Jean-Paul II. 1979 : Mort de Maurice Clavel. Voyage triomphal en Pologne de Jean-Paul II. 1980 : Assassinat de Mgr Romero. Voyage apostolique du pape en France. « France, qu'as-tu fait des promesses de ton baptême 1981 : Jean-Marie Lustiger est nommé archevêque de Paris. Le pape est grièvement blessé dans un attentat. 1982 L'assemblée des évêques, à Lourdes, condamne sévèrement l'avortement. 1984 : Manifestation à Bordeaux, à Lille, à Versailles pour la défense de l'enseignement libre. Le conseil des ministres adopte le projet Savary. Grande manifestation à Paris pour l'enseignement libre. Abandon du projet. Démission de Savary. Assassinat du père Jerzy Popieluszko en Pologne. 1986 : Jean-Paul lise rend à la synagogue de Rome. Sommet judéo-chrétien à Genève pour régler l'affaire du carmel d'Auschwitz. 1987 : Le cardinal Ratzinger publie l'« Instruction sur le respect de la vie humaine et la dignité de la procréation » (condamnation de la procréation artificielle). Mgr Vilnet quitte la présidence de l'épiscopat en souhaitant un grand débat sur la laïcité. Le cardinal. Decourtray lui succède. 1988: Remaniement dans la Curie romaine. Mgr Lefebvre est excommunié après avoir consacré quatre évêques. Le pape, à Strasbourg, applaudit à la construction de l'Europe. 14 LE NOUVEL OBSERVATEUR /DOSSIER une protestation, l'aveu du cardinal Decourtray, patron des évêques de France, à « l'Heure de vérité » : « Vous rendez-vous compte ? Avant on me reprochait d'être de gauche et maintenant de droite I » Quoi qu'il en soit, depuis la « victoire » de 1984, le ton a changé. Confortés par Rome où règne un pape de combat venu de terres de croisade contre le communisme, aiguillonnés par la fraction intégriste, les prélats français monopolisent le micro. « Les catholiques ne sont pas une réserve d'indiens qu'il faudrait au mieux tolérer, s'exclame dans "l'Exptess", Jean-Marie Lustiger, cardinal archevêque de Paris ; les catholiques sont une part vivante et historiquement déterminante de la culture française. » C'est l'argument central du triptyque culture-morale-vérité qui structure le discours catho. Lors de sa récente visite à Strasbourg, le pape Jean-Paul II a enfoncé le clou : les sources chrétiennes, communes à toute l'Europe, devraient être le ferment du rassemblement du Vieux Continent, car elles constituent le ciment d'une culture commune. Ce langage est reçu cinq sur cinq dans les milieux les plus divers. « Ma religion, c'est mon enfance, mes racines, ma vraie nation, » dit Frédéric Dard-San Antonio. Yannick Simbron, le secrétaire général de la FEN en personne, est contraint d'admettre que « nous vivons dans une société judéo-chrétienne, que nous le voulions ou non, il faut que les enfants le sachent». Et 65 % des Français (selon un sondage Sofres-Universalis) sont favorables à l'enseignement des religions (pas seulement chrétiennes) à l'école. Seulement l'archevêque de Paris va plus loin : « Pour moi affirme-t-il dans une interview au "Monde", le point qui donne sa cohérence à la culture française (en ses dimensions historiques, philosophiques, littéraires et artistiques), c'est la conscience chrétienne, c'est-à-dire une certaine conception du fondement de la morale, du rapport de l'homme avec Dieu, donc de la société. » Nous y voilà. Les rappels récents, constants et plutôt abrupts de l'Eglise en matière de contraception d'usage des préservatifs ou d'avortement, le magistère moral, en somme, qu'elle revendique avec une vigueur croissante, tire- raient leur légitimité, y compris dans la société civile, de sa fonction culturelle. De même que Jean-Paul II fonde la doctrine ecclésiale de la sexualité sur le concept de nature humaine qui justifie à lui seul l'immobilisme, l'Eglise de France ancre la morale sexuelle chrétienne dans l'idée de cohérence de la société française. « Les cardinaux interviennent sur un terrain où il y a un vide incontestable, celui de l'éthique, s'exclame le père di Falco. C'est parce qu'il n'y a plus rien en face que l'Eglise paraît prendre toute la place ! » « Une chose est sûre, affirme avec douceur 'le père Xavier Thévenot, professeur de théologie morale à l'Institut catholique de Paris, les journalistes ne s'intéressent qu'aux affirmations de l'Eglise sur la sexualité. Ils ne tiennent pas suffisamment compte de ce qu'elle peut dire sur l'accueil des immigrés, le partage des revenus ou l'aide au tiers monde. J'ajoute que la sexualité n'est pas seulement une affaire privée, mais aussi sociale, ainsi que l'ont montré depuis longtemps les anthropologues comme Lévi-Strauss ou René Girard. » Selon Xavier Thévenot, il faut admettre enfin que la société ne produit plus de discours éthique. Les grands moralistes laïcs ? Jankélévitch, Eric Weil sont morts. Levinas ne parle plus guère. En revanche, l'Eglise continue de chercher et de dire l'éthique. Or une société, comme un individu, fait en permanence de l'éthique sans le savoir. Et dans ce domaine, rien n'est pis que le non-dit. Si ce n'est dire la morale sans morale. Et de ce côté, les évêques ne sont pas inattaquables. La hiérarchie catholique a « démissionné » sans pitié Michel Chartier, médecin-chef de l'hôpital Bon Secours, très en pointe dans la fécondation in vitro. Certaines éminences ont même traîné dans la boue cet honnête homme qui affirme pourtant : « Si moi, médecin et catholique, je n'accueille pas les cas de plus grande détresse, je me demande à quoi je sers, à quoi sert mon Eglise. » Volontairement ou pas, les cardinaux interviennent de manière de plus en plus cassante. S'attirant en réponse une volée de bois vert de la part du père Paul Valadier, le respecté directeur de la revue jésuite « Etudes » qui parle dans « Témoignage chrétien » de « démarche arrogante » et de « discours de provocation ». On dira : ce n'est pas nouveau. Déjà, en 1975, Maurice Clavel écrivait dans « Dieu est Dieu, nom de Dieu » : « J'ai récemment traité de canaille un cardinal qui, au nom de la salutaire interdiction spirituelle faite aux chrétiens de l'avortement, tentait de le faire interdire législativement aux athées. » La différence, c'est qu'il s'agit aujourd'hui d'une véritable doctrine, tout droit venue de Rome. Et qui, fait étrange, paraît plus proche de celle des intégristes, pourtant excommuniés, que de celle du Concile. « Ceux qui souhaitent une relation mutuelle et enrichissante entre l'Eglise et la société (..), ceux qui souffrent de voir l'Eglise prendre un visage arrogant ne sont sans doute pas au bout de leurs peines », conclut le père Valadier. L'enfant Jésus n'a pas de chance. Ce n'est pas demain qu'il remplacera le Père Noël. OLIVIER PÉRETIÉ