Synthèse Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012 ; 10 (supplément 1) : 15-8 Tolérance cardiovasculaire des anticholinestérasiques Olivier Hanon Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. Université Paris Descartes, EA 4468, Assistance Publique Hôpitaux de Paris, Hôpital Broca, Service de gériatrie, Paris <[email protected]> L e cœur possède une innervation parasympathique dont le neurotransmetteur est l’acétylcholine. Ces fibres ont un effet dépresseur sur le nœud sinusal qui ralentit la fréquence des décharges nodales. De même, ces fibres sont inhibitrices sur la conduction auriculo-ventriculaire par leur action sur le nœud auriculo-ventriculaire. Cet effet vagotonique se traduit par une bradycardie due à une augmentation de la conductance au potassium causant une hyperpolarisation membranaire. Chez les personnes âgées, l’un des effets du vieillissement myocardique est associé à une perte cellulaire plus marquée au niveau du nœud sinusal et du tissu nodal, majorant alors le risque de bradycardie. Ainsi, la réalisation d’un holter ECG, chez des sujets âgés de plus de 75 ans [1] indique l’existence d’épisodes de bradycardie sinusale (FC < 60/min) chez 13 % des sujets, en revanche les troubles conductifs sévères (BAV 2 et 3) apparaissent rares (< 2 %). Les anticholinestérasiques sont susceptibles d’augmenter l’acétylcholine au niveau du cœur et de favoriser un effet vagotonique. La traduction clinique de cet effet fait l’objet de cette revue de la littérature. Cas cliniques Dans l’ensemble de la littérature on note 14 cas de mauvaise tolérance cardiovasculaire rapportés chez des patients recevant des anticholinestérasiques. La grande majorité concerne des bradycardies et des troubles de conduction. Parfois une torsade de pointes est décrite, le plus souvent, dans ces cas, d’autres circonstances cliniques telles que des hypokaliémies ou la prise de médicaments allongeant l’espace QT sont présentes. Un certain nombre de ces publications notent que les traitements anticholinestérasiques étaient parfois donnés avec des doses supérieures à celles recommandées. La complexité dans ce type de « cas rapportés » est l’impossibilité d’évaluer réellement si l’événement indésirable est imputable ou non au traitement anticholinestérasique, puisque survenant chez des patients âgés fragiles qui auraient peut-être fait l’événement sans traitement. doi:10.1684/pnv.2012.0335 Études rétrospectives Une étude rétrospective [2] a examiné à partir des codes diagnostiques, la survenue de syncopes chez des patients ayant une maladie d’Alzheimer (n = 19 803) recevant des anticholinestérasiques ; et chez des patients non déments ne recevant pas d’anticholinestérasiques (n = 61 499). Le groupe traité présentait plus souvent des syncopes (OR : 3,15 [IC 95% : 1,6-2,0]). Dans cette observation étaient constatées également plus de bradycardies (1,8 [1,3-2,2]), de poses de pace maker (1,5 [1,1-2,0]) et de fractures de l’extrémité supérieure du fémur (1,2 [1,0-1,3]) dans le groupe traité. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, supplément 1, mars 2012 15 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. O. Hanon Toutefois, la méthodologie de ce travail (étude rétrospective) ne permet pas de conclure sur la causalité des traitements anticholinestérasiques vis-à-vis des complications rapportées. Il n’est notamment pas possible de déterminer si ces complications sont plus souvent associées aux pathologies démentielles et à leurs nombreuses comorbidités ou bien aux traitements anti-cholinestérasiques. Dans une autre étude d’observation [3], le risque de bradycardie de patients atteints d’une maladie d’Alzheimer sous traitement a été comparé à un groupe de patients déments non traités. La présence à la fois du code maladie d’Alzheimer et prise d’un traitement anticholinestérasique était associée à une augmentation du risque de bradycardie définie par une fréquence cardiaque < 60/min (1,4 [1,1-1,6]). L’augmentation de risque était observée pour le donepezil (essentiellement avec des fortes doses), la rivastigmine et non pour la galantamine, mais il s’agit d’une étude rétrospective qui n’avait pas vocation à comparer les traitements entre eux. Études en ouvert Les études en ouvert ont permis d’effectuer une surveillance des patients recevant des anticholinestérasiques. Ainsi dans une étude [4] où les sujets sous rivastigmine ont été suivis pendant 5 ans, les anomalies de l’ECG et les complications cardiovasculaires graves n’ont été observées que chez 0,2 % des patients. Avec le donepezil [5] une extension en ouvert d’une étude de tolérance-efficacité (n = 763) pendant 2,8 ans observe une fréquence des bradycardies (< 50 bpm) de 18 % et des effets secondaires cardiovasculaires de 1 %, soit des chiffres habituels pour une population âgée. Dans les précédentes études, la bradycardie est considérée sous son aspect d’effet indésirable potentiel des médicaments à effets cholinergiques. Mais en-soi la bradycardie ne représente pas un facteur de gravité, en particulier dans l’insuffisance cardiaque ou les coronaropathies, où elle est même bénéfique. Dans une étude française, 19 386 personnes âgées de plus de 55 ans ont été suivies pendant 20 ans [6]. La mortalité était inférieure dans le groupe dont la fréquence cardiaque était entre 60 et 80 bpm, par rapport au groupe ayant une fréquence cardiaque entre 80 et 100 bpm, lequel a une mortalité inférieure au groupe ayant une fréquence cardiaque supérieure à 100 bpm. De même, dans la récente étude Beautiful menée chez des coronariens avec dysfonction ventriculaire gauche (n = 5 438), les patients ayant une fréquence cardiaque inférieure à 70 bpm présentaient une réduction de la mortalité 16 cardiovasculaire. Dans cette étude une fréquence cardiaque inférieure à 70 bpm semblait protéger également du risque de survenue d’une insuffisance cardiaque, d’infarctus du myocarde ou de la nécessité de réaliser une angioplastie coronaire [7]. Événements cardiovasculaires au cours des essais randomisés Les essais randomisés correspondent au niveau de preuve le plus élevé pour déterminer la tolérance d’un traitement. Les bradycardies Globalement, les anticholinestérasiques diminuent la fréquence cardiaque de 2 à 3 battements par minute en comparaison au placebo [8]. Dans les études analysant l’efficacité des anticholinestérasiques (donepezil, rivastigmine, galantamine), les bradycardies n’étaient pas plus fréquentes dans le groupe traité (8). Dans une étude [9] incluant des sujets en institution, âgés en moyenne de 86 ans (MMS moyen : 14/30), la fréquence cardiaque diminuait de 2,7 bpm chez les patients traités et de 0,7 bpm dans le groupe contrôle. Cette différence n’était pas significative, de même le nombre d’événements cardiovasculaires et d’anomalies à l’ECG n’était pas différent entre les 2 groupes. Les troubles de la conduction Il est parfois évoqué une relation dose-dépendante avec les effets indésirables cardiovasculaires, mais les études randomisées ne le montrent pas. Pour la rivastigmine sur un collectif de 2 791 patients suivis 26 semaines en moyenne [10], il n’est pas observé de ralentissement de la fréquence cardiaque entre les valeurs initiales et celles au terme du suivi. De même l’espace PR sur l’ECG de surface ne s’allonge pas ni l’espace du complexe QRS, ou encore l’espace QT. Dans ce même travail en comparaison avec le groupe placebo, il n’y a pas plus d’anomalie ECG, de BAV de premier degré, d’allongement du QRS ou de troubles de la repolarisation. Une large méta-analyse très récente [11] a regroupé 40 études d’intervention soit 9 882 sujets, les risques de survenue de chutes, de syncopes, et d’effets indésirables ont été analysés. Il est noté une augmentation du risque de syncope (OR ; 1,53 [IC 95% : 1,02-2,30]), mais non de chutes (0,88 [0,74-1,04]), ni de fractures (1,39 [0,752,56]). L’analyse de la littérature ne permet pas de connaître Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, supplément 1, mars 2012 Tolérance cardiovasculaire des anticholinestérasiques l’origine des syncopes, dont les étiologies sont souvent multifactorielles chez la personne âgée. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. Le risque de mortalité Dans une étude incluant des patients ayant un déficit cognitif léger, la galantamine était comparée à un placebo pendant une période de 2 ans ; il avait été constaté une surmortalité dans le groupe traité (1,4 % vs 0,3 %) ce qui avait donné lieu à une alerte par la Food and drug administration [12]. L’analyse de la mortalité réalisée sur l’ensemble des études comparant la galantamine (n = 4 116) et un placebo (n = 2 386) [13] ne montre pas de différence significative de risque de mortalité entre les 2 groupes (OR = 0,67 [0,41-1,10]), et indique même plutôt une tendance vers une réduction de mortalité du groupe traité par galantamine. Pour le donepezil et la rivastigmine, deux méta-analyses indiquent également l’absence de différence de mortalité avec le groupe placebo [14, 15]. Si l’on ne prend en compte que les patients à risque vasculaire élevé, on n’observe pas non plus d’augmentation des risques cardiaque et vasculaire. Ainsi dans une métaanalyse regroupant les patients présentant une démence vasculaire [16], il n’est pas observé d’augmentation des événements cardiovasculaires sous donepezil 5 et 10 mg, galantamine 24 mg ni rivastigmine 12 mg. Dans une étude incluant 699 patients de plus de 75 ans présentant à la fois une maladie d’Alzheimer et des facteurs de risque vasculaires, un traitement par rivastigmine n’entraînait pas plus d’événement cardiovasculaire, ni de modifications de l’ECG comparé au groupe placebo [[17]. Une autre étude [18] comparant la rivastigmine (n = 362) à un placebo (n = 179) chez des patients souffrant de démence parkinsonienne ou de démence à corps de Lewy montrait même une réduction des anomalies cardiovasculaires (p = 0,002), en particulier les hypotensions orthostatiques et les syncopes (p = 0,018) dans le groupe traité. Les anomalies de l’ECG de surface (espace PR, QRS, QT) étaient similaires, ceci de manière simultanée à un ralentissement de la fréquence cardiaque de 1,5 à 2 bpm en moyenne, comme dans toutes les études. Si l’on examine les taux d’arrêt d’étude et leur cause sur l’ensemble des essais comparatifs publiés jusqu’en 2008 [19], il n’y a pas de différence pour les arrêts dus à des événements cardiovasculaires dans les groupes traités de ces différentes études. Au total, tous les essais thérapeutiques randomisés vont dans le même sens et n’indiquent pas de sur-risque cardiovasculaire. Seule une augmentation des syncopes sans complication cardiovasculaire ni traumatique est rarement observée. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, supplément 1, mars 2012 Propositions de bon usage des anticholinestérasiques vis-à-vis du risque cardiovasculaire L’ensemble des données de la littérature et les précautions d’emploi indiquent qu’il est préférable de réaliser un ECG avant la prescription d’un anticholinestérasique dans les situations suivantes : antécédent cardiaque, bradycardie (FC < 60 bpm) ou lorsque le patient reçoit un traitement ayant un effet bradycardisant (exemple un bêtabloquant, digoxine, cordarone, diltiazem, verapamil. . .). Dans ce cadre, les recommandations de la HAS 2011 soulignent que « un ECG est recommandé avant la prescription d’un inhibiteur de la cholinestérase chez les patients ayant des antécédents cardiaques, bradycardes, ou sous traitement bradycardisant ». Au cours du suivi, une surveillance de la fréquence cardiaque et de l’ECG (en cas de bradycardie ou de syncope/malaise) suffit. Il faut envisager un arrêt des anticholinestérasiques si on observe : – une bradycardie (FC < 50 bpm) ; – ou des anomalies ECG (BAV 2 ou 3 degré, un bloc sinoauriculaire) ; – ou une syncope. Lorsque les symptômes ne présentent pas de caractère de sévérité (bradycardie > 50 bpm ou BAV de premier degré), absence de syncope, le traitement peut être maintenu éventuellement en diminuant la posologie. Si les signes s’aggravent, le traitement sera arrêté. Dans tous les cas, après arrêt du traitement il convient de poursuivre la surveillance de la fréquence cardiaque et de l’ECG car le plus souvent ces troubles témoignent d’anomalies sous-jacentes du tissu nodal, qui risquent de nécessiter à terme la mise en place d’un pace-maker. Ainsi, si on observe une persistance des symptômes après l’arrêt des anticholinestérasiques, une exploration électrophysiologique peut être indiquée. On peut rappeler dans les précautions d’emploi, le métabolisme hépatique passant par le cytochrome P 450 pour le donepezil et la galantamine. Ces anticholinestérasiques auront une élimination ralentie par les inhibiteurs de ces mêmes cytochromes (amiodarone, vérapamil, diltiazem, flécaïnide, fluoxetine, paroxétine, érythromycine, quinidine, fluconazole, ketoconazole). En cas de prescription simultanée de ces traitements, il conviendra d’effectuer une surveillance accrue, de réaliser une titration lente avec surveillance de la fréquence cardiaque. 17 O. Hanon Conclusion Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. Les anticholinestérasiques, en élevant les taux d’acétylcholine, ont un effet vagotonique potentiel. Le ralentissement de la fréquence cardiaque peut en cas d’anomalies sous-jacentes ou lors d’antécédents cardiaques avoir une traduction clinique. En cas de bradycardie inférieure à 50 bpm, de signe de dysfonction sinusale ou de bloc auriculo-ventriculaire 2 ou 3, les anticholinestérasiques ne sont pas recommandés. Les accidents restent rares voire exceptionnels si l’on prend la précaution de réaliser un ECG lors de la prescription. C’est pourquoi toutes les recommandations actuelles dont les plus récentes (NICE 2011, HAS 2011), recommandent la prescription des anticholinestérasiques dans la stratégie thérapeutique de la maladie d’Alzheimer aux stades léger et modéré. Conflits d’intérêts : l’auteur a déjà reçu des honoraires de l’industrie pharmaceutique dans le cadre de conférences ou conseils (Novartis, Janssen, Eisai, Lunbeck, Boehringer-Ingelheim, Ménarini, Pfizer, Bayer, Astra-Zeneca, Sanofi-Aventis, BMS, Servier, Solvay, Abott, Exonhit). Références efficacy and safety of donepezil in patients with Alzheimer’s disease in the nursing home setting. J Am Geriatr Soc 2001 ; 49 : 1590-9. 1. 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