Orange Healthcare 36 EXPERTISETIC Un entretien avec Thierry Zylberberg, directeur d’Orange Healthcare Santé connectée : un enjeu sanitaire, social et économique Allongement de la durée de vie, augmentation des maladies chroniques, désertification médicale, vieillissement des personnels de soins… les systèmes de santé européens sont structurellement contraints de s’adapter sous surveillance budgétaire. La maturité actuelle des solutions numériques est en mesure de contribuer à la résolution positive de cette équation ; mais à condition de lever certains freins… Orange Healthcare Journal des Communes durables : Depuis quelques mois, l’e-santé est au centre de bien des communications, parfois de controverses. A votre avis, pourquoi assiste-t-on à cette soudaine mise en avant ? Thierry Zylberberg : Avant toute chose, il faut préciser que la problématique de la santé connectée dépasse largement le cadre de la seule dématérialisation ou d’une simplification administrative. Nous sommes ici face à un véritable changement de paradigme des pratiques médicales. Pour en prendre la mesure, il faut tenir compte de plusieurs phénomènes convergents. Le premier est la désertification médicale de certains territoires qui touche tant la médecine de ville que certaines spécialités. Le second est celui d’une hyper spécialisation progressive de l’exercice de la méde- e-santé & m-santé, quelle différence ? L’e-santé L’e-santé ou télésanté recouvre, selon la définition retenue par la Commission européenne, les différents instruments qui s’appuient sur les TIC pour faciliter et améliorer la prévention, le diagnostic, le traitement et le suivi médicaux ainsi que la gestion de la santé et du mode de vie. Cela suppose une interaction avec un professionnel ou le système de santé et englobe la communication et la transmission de données entre établissements ou praticiens, entre patients ou professionnels de santé ainsi que les plateformes d’informations et ressources médicales, les dossiers médicaux dématérialisés et les services médicaux à distance. ●● La m-santé Le terme de m-santé recouvre pour sa part un ensemble de services allant du bien-être à la santé dont l’usage est rendu possible en permanence via un appareil mobile. L’essor de la m-santé est donc directement lié à la diffusion massive de smartphones et tablettes. Si les premières applications disponibles relevaient du conseil de bien-être, de véritables outils d’aide au diagnostic et au suivi médical ont vu le jour. Selon des études récentes, 500 millions d’utilisateurs de smartphones et de tablettes devraient utiliser des applications mobiles liées à la santé en 2015. La m-santé constitue donc à la fois un gisement potentiel d’économies pour les systèmes de santé et une véritable filière économique à structurer. ●● Pour en savoir plus : www.healthcare.orange.com JOURNALDESCOMMUNESDURABLES N° 2179 - JUILLET 2014 EXPERTISETIC JCD : L’enjeu est donc aussi économique TZ : Naturellement ! Et cet enjeu économique est à double détente. La première, que nous venons d’évoquer, est de parvenir à garantir et pérenniser la qualité des soins face à une augmentation structurelle des besoins et à des ressources financières contraintes. Selon une récente étude menée par Pricewaterhouse Coopers (PwC), l’Union européenne pourrait réaliser dès 2017 une économie de 99 milliards d’euros - dont 11,5 milliards pour la France - en déployant et encourageant des solutions de m-santé destinées notamment à la prévention et à l’optimisation du suivi des maladies chroniques. La seconde est une compétition internationale pour développer des filières innovantes de solutions et d’applications de santé connectée. Sous cet angle, l’étude de PwC démontre que l’Union européenne pourrait parallèlement augmenter son PIB de 93 milliards d’euros, toujours grâce à la m-santé. C’est pourquoi les industriels du numérique dans la santé, dont Orange Healthcare, ont récemment interpellé les pouvoirs publics. Les enjeux sont considérables, il n’y a pas de temps à perdre. JCD : Quels sont donc ces freins dont vous vous inquiétez ? TZ : Si les bénéfices de la m-santé sont potentiellement très importants, les bar- JOURNALDESCOMMUNESDURABLES N° 2179 - JUILLET 2014 Regards croisés d’élus sur l’e-santé Très attentifs à l’évolution de la qualité de l’offre territoriale de soins, les élus locaux accueillent majoritairement avec bienveillance la mise en œuvre de projets et solutions d’e-santé. Deux parlementaires proches du dossier ont témoigné de leurs attentes et convictions pour la dernière édition de « Paroles d’élus ». Extraits. Bérengère Poletti, députée des Ardennes Pascal Terrasse, député de l’Ardèche L’e-santé favorise l’égal accès aux soins Au croisement de deux mondes profondément dif fé rents, la médecine et sa culture millénaire face aux technologies numériques, la télémédecine est une nouvelle forme de pratique médicale entre professionnels de santé distants, qui repose sur le partage des connaissances médicales. Elle présente des intérêts évidents en termes d’organisation et de coordination des soins, mais également d’aménagement du territoire. La téléconsultation, la télé-expertise, la télésurveillance, la téléchirurgie et la téléformation sont autant de pratiques qui favorisent les avancées médicales et l’égal accès aux soins dans un pays comme la France, confrontée dans beaucoup de ses régions, notamment rurales, à une faible densité de population et à une démographie médicale décroissante. Pour un « cloud computing santé » Les systèmes d’information de santé ne constitueront jamais seuls un remède miracle. Un médecin n’est pas un ingénieur et la médecine est un art que les technologies ont vocation à servir. Il faut donc bien dissocier les notions de processus et de protocole et s’appliquer à toujours mettre le premier au service du second. C’est sur la base de ces deux principes qu’industriels, opérateurs et éditeurs de logiciels doivent imaginer une solution basée sur une plateforme spécialisée supportant l’ensemble des services et applications métiers attendus des professionnels de santé : un « cloud computing santé » ayant vocation à offrir un accès simplifié et économique à des ressources logicielles, au suivi des patients, à la prise en charge de situations d’urgence jusqu’à la gestion. DR DR cine qui appelle de plus en plus souvent un avis de second niveau et une chaîne d’échanges et de concertation entre professionnels de santé. Le troisième est relatif à l’allongement de la durée de vie et à une augmentation conséquente des maladies chroniques et du nombre de patients qui nécessitent un suivi régulier. Cette conjonction de facteurs se traduit déjà par un changement de vocation de l’hôpital. De lieu central de la chaîne de soin où il était indispensable de se rendre et de rester ; il devient un lieu d’intervention, de ressources et de coordination où l’on s’efforce de limiter les consultations physiques de routine et les durées de séjour. Pour alléger le poids des dépenses et garantir une égalité d’accès au parcours de soins, la tendance de fond est donc à la médecine à distance et à l’autonomisation du patient. Cela, c’est la santé connectée qui le permet. 37 Retrouvez l’intégralité de ces contributions sur : www.parolesdelus.com/collection/tome-9-2013 rières d’ordre réglementaire sont encore trop nombreuses dans plusieurs pays européens. Il faut urgemment intégrer la médecine connectée aux stratégies nationales de santé. Cela implique de poser un cadre législatif adapté et d’intégrer ces interventions dans le système de conventionnement des actes. Souhaitons que les expérimentations qui sont actuellement en cours en France dans neuf Régions pilotes débouchent rapidement sur une perspective de généralisa- tion avec un modèle économique viable. Au-delà, nous souhaiterions aujourd’hui voir se tourner une page : celle d’un foisonnement d’initiatives ministérielles et d’appels à projets thématiques peu coordonnés. Ce que nous attendons, c’est un cadre d’expérimentation et d’innovation stable et cohérent, une « doctrine administrative d’intervention » favorable à l’émergence d’une véritable filière économique nationale de santé connectée. n