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D I T O R I A L
La polyarthrite rhumatoïde est morte.
Vive la polyarthrite chronique évolutive !
● B.
Combe*, M. Dougados**
L
a polyarthrite rhumatoïde est caractérisée par une
synovite qui peut conduire plus ou moins rapidement à la destruction cartilagineuse et osseuse et,
à terme, à la détérioration et/ou au handicap. Il est actuellement admis que les lésions radiographiques, et notamment les érosions, peuvent survenir très rapidement, dès les
six premiers mois d’évolution de la maladie, et que le taux
d’érosion est maximal pendant les deux à trois premières
années. L’inflammation synoviale initiale est bien corrélée
à la destruction articulaire ultérieure. C’est également au
début de la maladie que le taux de rémission est le plus
élevé. Enfin, de nombreux arguments montrent que l’inflammation synoviale est plus facilement accessible aux
traitements lorsqu’elle est prise en charge précocement, à
un stade où il n’existe pas encore de lésion articulaire irréversible. Puisque, au tout début de l’inflammation articulaire, il n’y a pas ou peu de destruction articulaire, il paraît
rationnel de penser que de limiter la progression de la maladie à ce stade va retarder l’apparition des premières érosions articulaires, et par là même retarder l’étape suivante,
qui est la mise en évidence de la destruction ostéo-cartilagineuse débutante et de la perte fonctionnelle, et enfin retarder l’étape ultime, qui est celle de la destruction articulaire
massive et du handicap.
Tr a i t e r p r é c o c e m e n t
On sait maintenant que les traitements de fond agissent efficacement sur la progression radiographique et sur le développement du handicap fonctionnel à terme, et que certains
d’entre eux sont capables de diminuer de plus de cinq fois
la progression radiographique, versus placebo. C’est pourquoi la plupart des auteurs recommandent actuellement
d’utiliser des traitements de fond efficaces dès le début de
la maladie, et donc dès le diagnostic. Pour pouvoir traiter
* Fédération de rhumatologie, hôpital Lapeyronie, 34295 Montpellier Cedex 5.
** Université René-Descartes, service de rhumatologie B, hôpital Cochin,
75014 Paris.
La Lettre du Rhumatologue - n° 277 - décembre 2001
précocement une polyarthrite, il importe de définir la notion
de polyarthrite débutante, de savoir quels sont les éléments
diagnostiques de cette maladie, de voir rapidement les
patients avant le développement de lésions irréversibles et
de définir les éléments d’une stratégie thérapeutique optimale.
Le diagnostic de la polyarthrite rhumatoïde débutante est
difficile. Il n’y a aucun signe clinique, biologique ou histologique caractéristique. Les signes radiographiques sont
trop tardifs. Il n’y a pas actuellement de critères diagnostiques validés. Les critères de classification de l’ACR, que
certains utilisent, ne sont pas des critères diagnostiques et
ne sont pas adaptés au diagnostic de la polyarthrite débutante. Le diagnostic repose généralement sur un faisceau
d’arguments essentiellement cliniques, et il est compliqué
par l’extrême hétérogénéité de la maladie. Si un certain
nombre de malades vont développer des érosions, des destructions et des déformations articulaires, et parfois également des manifestations extra-articulaires caractéristiques,
un nombre important de patients vont voir leur polyarthrite
évoluer favorablement vers la rémission, voire la guérison
ou, plus fréquemment, vers des arthrites chroniques mais
non érosives et peu handicapantes.
Tr o i s p h a s e s
On peut schématiquement définir le processus immunopathologique de la polyarthrite rhumatoïde en trois phases :
une phase d’initiation avec migration et trafic cellulaire
synovial (cette phase est dépendante des facteurs d’environnement et non spécifique). Une seconde phase comporte
une inflammation synoviale, un recrutement cellulaire et le
développement de la synovite subaiguë. Si elle est évocatrice, elle n’est pas spécifique non plus. La troisième phase
comporte une angiogenèse importante, des contacts cellulaires, une prolifération synoviale, l’évolution vers la chronicité et la destruction articulaire. Cette phase paraît tout à
fait spécifique et probablement largement dépendante de
facteurs génétiques.
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Si l’on superpose ce schéma physiopathologique à l’évolution clinique, on peut considérer que la première phase
correspond à un rhumatisme inflammatoire débutant qui
peut évoluer soit vers la guérison complète, soit vers la
rémission souvent très prolongée, soit encore vers un rhumatisme inflammatoire chronique, et l’on est alors à la
deuxième phase du processus. À ce stade, qui reste non spécifique, le malade peut développer un rhumatisme inflammatoire bénin non destructeur avec encore possibilité de
rémission, voire de guérison. Mais il peut évoluer vers une
troisième phase, qui est une phase évolutive avec destructions osseuses et cartilagineuses, constituant alors une polyarthrite chronique évolutive. Actuellement, devant un rhumatisme inflammatoire débutant, on commence à mieux
connaître les éléments prédictifs de l’évolution vers la chronicité, et secondairement vers la destruction articulaire et
le handicap. Parmi ces facteurs, on peut citer l’importance
de l’atteinte articulaire et du handicap initial, l’importance
du syndrome inflammatoire biologique (vitesse de sédimentation, CRP), la positivité du facteur rhumatoïde, la présence de certains gènes HLA DRB1* 04 (avec augmentation du risque si le gène est présent sur les deux
chromosomes) et le développement de lésions érosives précoces. D’autres facteurs sont actuellement à l’étude, tels
que les anticorps anti-filaggrine, mais ils ne sont pas validés pour le moment. La prise en compte d’un seul de ces
facteurs n’a pas de valeur clinique suffisamment significative et, par exemple, une polyarthrite facteur rhumatoïde
positif ou HLA DRB1* 04 positif peut tout à fait évoluer
de façon bénigne ; toutefois, la prise en compte de ces facteurs cumulés ou associés permet souvent d’avoir une
approche évolutive beaucoup plus précise.
Adapter le traitement
selon le potentiel évolutif
Ainsi, il importe donc de retenir dès le début de la maladie
non pas tellement un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde mais, de façon formelle, un diagnostic de rhumatisme
inflammatoire à partir du moment où le patient présente au
moins deux arthrites objectives. La notion de rhumatisme
débutant nécessite de porter le diagnostic dans les six premiers mois d’évolution de la maladie à un stade où, a priori,
il n’y a pas de lésions irréversibles. Il est nécessaire d’éliminer un rhumatisme défini tel qu’une maladie lupique, une
connectivite, une arthrite virale... L’étape suivante est l’identification de facteurs pronostiques d’évolutivité, qui sera
suivie de la mise en place d’une stratégie thérapeutique
adaptée au potentiel évolutif.
✔ Les patients ayant une polyarthrite débutante potentiellement évolutive devront ainsi bénéficier d’un traitement
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de fond précoce (avant six mois), capable de limiter (contrôler) la dégradation ostéo-cartilagineuse de la maladie et
ayant une maintenance thérapeutique suffisante pour
contrôler cette même maladie à moyen terme (aujourd’hui
méthotrexate, léflunomide ; demain anti-TNF, anti-IL-1...).
Une surveillance rapprochée sera ensuite indispensable
pour réviser régulièrement la stratégie thérapeutique en
fonction de l’évolutivité de la maladie.
✔ Pour les autres patients, dont le rhumatisme inflammatoire ou la polyarthrite auront un potentiel évolutif plus
faible, les choix thérapeutiques seront beaucoup plus larges
et adaptés en fonction de plusieurs paramètres : contrôle
des symptômes, comorbidités, rapport bénéfice-risque
propre à chaque médicament chez un individu donné, enfin,
souhaits des patients eux-mêmes. Mais, là encore, même si
les facteurs pronostiques restent favorables, une surveillance régulière clinique, biologique (tous les trois mois)
et radiographique (six mois à un an) sera nécessaire pour
évaluer régulièrement l’évolutivité du rhumatisme et réviser éventuellement la stratégie thérapeutique.
Créer de nouvelles structures
en France
La prise en charge d’un rhumatisme inflammatoire (ou
polyarthrite rhumatoïde !) débutant doit évoluer. Cette prise
en charge n’est plus uniforme. Elle doit être précoce, si possible dans les six premiers mois d’évolution de la maladie,
et être adaptée à l’évolutivité potentielle du rhumatisme.
Cette prise en charge doit être adaptée à chaque patient, et
sa complexité nécessite qu’elle soit spécialisée. L’un des
principaux problèmes pour les rhumatologues est donc de
voir précocement les patients atteints de rhumatisme
inflammatoire et de convaincre leurs correspondants généralistes de leur référer les patients dès la suspicion d’un rhumatisme inflammatoire débutant, là où le diagnostic et la
décision thérapeutique sont les plus difficiles et avec les
plus lourdes conséquences pour l’avenir des malades. Un
certain nombre de nos collègues européens et américains
l’ont compris en créant des Early Arthritis Clinics, structures qui demandent à se développer en France.
Conclusion
Retenir ou non un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde
n’est finalement pas très important. Ce qui importe, c’est
de retenir un rhumatisme inflammatoire, de voir précocement les patients et de dépister et prendre en charge précocement ceux qui ont un risque d’évolution vers la chronicité, l’évolutivité et la destruction articulaire dans le cadre
d’une polyarthrite chronique évolutive.
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La Lettre du Rhumatologue - n° 277 - décembre 2001
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