chapitre 3 Les couleurs de la mer et du ciel 9 Un exemple de mirage dans le désert. Au fur et à mesure qu’ils se rapprochent du sol, les rayons lumineux issus du ciel rencontrent un air de plus en plus chaud (et donc d’indice de réfraction de plus en plus faible) : ils sont ainsi progressivement déviés, comme les rayons sonores de la Figure 7, jusqu’à être réfléchis. Un observateur croira alors apercevoir, dans le prolongement de ces rayons réfléchis, une flaque d’eau. durée t une distance R de l’ordre de ct, où c est la vitesse moyenne du son dans l’eau, disons 1 500 m/s. Même si l’on suppose que les pertes sont nulles, l’énergie de l’onde sonore doit être également répartie sur toute une surface grossièrement cylindrique d’aire 2πRh, où h, qui est la différence de profondeur entre la paroi supérieure et inférieure du chenal, peut être de l’ordre de la profondeur de l’océan. L’intensité du son décroît donc comme 1/R au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la source. Cette décroissance est moins rapide que la décroissance en 1/R2 du son émis dans l’air (Figure 2), mais ne laisse guère d’espoir au son émis en Australie d’être perçu dans les îles Bermudes. Cependant, si ces dernières se trouvent sur un foyer où les rayons sonores se concentrent (Figure 9), la hauteur h reste faible. D’autre part, il n’est pas interdit de penser que les variations horizontales de salinité et de température créent des parois réfléchissantes verticales. Il reste surprenant que le son parvienne à se faufiler jusqu’aux Bermudes en contournant le cap de Bonne Espérance, compte tenu de l’absorption d’énergie due, par exemple, à la présence de bulles d’air et du plancton. La propagation du son dans des canaux sous-marins naturels n’est pas le seul cas de guidage d’onde aménagé par la Nature. Les ondes électromagnétiques en offrent plusieurs exemples. Le plus spectaculaire est celui des mirages : ils résultent d’une propagation non rectiligne de la lumière dans une atmosphère chauffée de façon très inégale (Figure 11). Citons également les ondes radio de courte longueur d’onde, qui atteignent de longues distances grâce à leur réflexion sur l’ionosphère, une région de la haute atmosphère entre 60 et 800 km d’altitude. Dans certaines conditions, un poste de radio captera aisément des émissions diffusées dans d’autres pays. Le ciel est bleu quand il fait beau, et rouge au crépuscule. Après quelques heures, il fait nuit noire, alors que le ciel est constellé de très nombreuses étoiles. De jour les nuages sont blancs, ou d’un gris plus ou moins sombre. S’il pleut, avec un peu de chance, un arc-en-ciel apparaît… Quels principes physiques expliquent toutes ces couleurs ? Vous trouverez la réponse dans ce chapitre. Et puisqu’il est question du ciel, vous parlerons aussi de ses habitants : les oiseaux et les insectes. La mer et le ciel offrent une variété de couleurs qui ont inspiré nombre d’artistes. Le peintre russe Arkadii Rylov les a reproduites sur un tableau exposé à Moscou à la galerie Tretyakov (Figure 1). Des nuages blancs ou sombres s’étalent dans le ciel entre diverses nuances de bleu. La surface de la mer est d’un bleu plus foncé ; le revers des vagues est presque noir, tandis que la crête est blanche par endroits, formant quelques « moutons ». de moutons blancs indique ainsi un vent soufflant entre 12 et 19 km/h, soit 7 à 10 nœuds marins. Cela s’appelle une « petite brise » et correspond à la force 3 sur l’échelle de Beaufort. La luminosité de la surface de la mer dépend aussi de l’angle d’observation. En effet, un rayon lumineux qui frappe la surface de la mer est en partie réfracté 1 Dans l’espace bleu, tableau du peintre symboliste Arkadii Rylov (1870-1939). La couleur de la mer et la force du vent Le nombre de moutons blancs et la hauteur des vagues dépendent de la vitesse du vent. Cette information est importante pour les marins : pour la déterminer, ils disposent d’un tableau de correspondance empirique élaboré par l’amiral anglais Sir Francis Beaufort (1774-1857) (ci-dessous). Sur la toile de Rylov, la présence d’un petit nombre 22 l le kaléidoscope de la physique les couleurs de la mer et du ciel l 23 Force e L’échelle de Beaufort. On peut se faire une idée de la vitesse du vent, non seulement en utilisant l’échelle de Beaufort, mais aussi à partir du contraste entre la luminosité de la mer et celle du ciel. Elles sont les mêmes si la mer est totalement calme, et l’horizon est alors à peine discernable. D’ordinaire, le vent le plus léger suffit à agiter la surface de l’eau, et à faire apparaître un contraste : le ciel est alors plus lumineux que la mer et l’horizon se dessine comme une ligne bien nette. Ce contraste a été étudié il y a plusieurs décennies par des savants russes, à bord du navire de recherche Dmitrii Mendeleev (Figure 2). U La vision des couleurs Vitesse du vent à 10 m de hauteur Terminologie Apparence de la mer en nœuds marins en km/h 0 Mer calme <1 <1 La mer est comme un miroir. 1 Très légère brise 1à3 1à5 Quelques rides sans écume. 2 Légère brise 4à6 6 à 11 Vaguelettes ne déferlant pas. 3 Petite brise 7 à 10 12 à 19 Très petites vagues (< 60 cm) et quelques petits moutons. 4 Jolie brise 11 à 15 20 à 28 Petites vagues (< 1,50 m) et nombreux moutons. 5 Bonne brise 16 à 20 29 à 38 Vagues modérées (2 m) et faibles embruns. 6 Vent frais 21 à 26 39 à 49 Lames (4 m), crêtes d’écume et embruns. 7 Grand vent frais 27 à 33 50 à 61 Traînées d’écumes et lames de 5,5 m au plus, qui commencent à déferler. 8 Coup de vent 34 à 40 62 à 74 Tourbillons d’écume à la crête des lames et traînées d’écume. Vagues jusqu’à 7,5 m de hauteur. 9 Fort coup de vent 41 à 47 75 à 88 Les lames déferlent et les embruns limitent la visibilité. Les vagues atteignent 10 m de hauteur. 10 Tempête 48 à 55 89 à 102 Vagues jusqu’à 12,5 m de hauteur aux crêtes couvertes d’écume. 11 Violente tempête 56 à 64 103 à 117 La mer est recouverte d’écume soufflée par le vent. Vagues jusqu’à 16 m. 12 Ouragan > 65 > 118 Mer blanche d’écume, air rempli d’embrun, visibilité presque nulle. et en partie réfléchi (voir chapitre 2 p. XX). La proportion de lumière réfléchie dépend, entre autres, de l’indice de réfraction de l’eau et de l’angle d’incidence. Plus l’incidence est oblique, plus la réflexion est forte. Aussi la surface de la mer est-elle plus lumineuse vers l’horizon qu’au premier plan. Qu’en est-il de sa couleur ? La couleur de la mer en surface n’est guère prévisible, car elle dépend de nombreux facteurs tels que sa profondeur, la position du Soleil, la couleur du ciel, la présence de La couleur du ciel par un jour de beau temps 0,5 Contraste entre la luminosité de la mer et celle du ciel en fonction de la vitesse du vent v. Les croix correspondent aux mesures effectuées à bord du navire, et le trait épais à une courbe théorique. D’après des résultats publiés par A. V. Byalko et V. N. Pelevin (Izvestiya: Atmospheric and oceanic physics, 1976, vol. 11, p. 473). 2 24 l 0,4 Contraste particules et d’algues en suspension, etc. Tous ces facteurs affectent la réflexion à la surface, la diffusion de la lumière dans la mer et son absorption. Toutefois, la mer est souvent bleue. La raison est que l’eau absorbe moins la lumière entre 400 et 500 nm, dans le bleu, que sur le reste du domaine visible (voir encadré ci-contre). Oh, elle ne l’absorbe pas non plus beaucoup ! Un verre d’eau semble parfaitement transparent. À partir d’une épaisseur de quelques mètres, l’eau commence à les absorber appréciablement. 0,3 0,2 0,1 3,6 0 1 7,2 10,8 14,4 2 3 4 Vitesse du vent le kaléidoscope de la physique 18 km/h 5 m/s Si la couleur de la mer n’est guère facile à prévoir, celle du ciel par beau temps s’explique à partir de principes physiques révélés par le physicien anglais Lord Rayleigh (1842-1919). En l’absence de nuages, la couleur du ciel résulte de l’interaction entre la lumière solaire et les constituants de l’atmosphère, principalement les molécules d’azote et d’oxygène. 3.10 21 3.10 19 Fréquence (Hz) Rayons gamma 1 0–14 1 0–12 3.10 15 8.10 14 4.10 14 Rayons X 1 0–10 UV Infrarouge 1 0–8 400 nm 3.10 11 1 0– 6 1 0– 4 3.10 8 Ondes radio (hertziennes) Micro-ondes 1 0– 2 1 700 nm Visible 1 05 1 02 Longueur d’onde (m) q Les différents domaines du rayonnement électromagnétique et leurs applications. La zone étroite qui s’étend entre 400 et 800 nm (soit à des fréquences comprises entre 400 et 800 THz environ) correspond au domaine visible. Chaque radiation ou « couleur spectrale » est repérée par sa longueur d’onde λ, qui est reliée à la fréquence υ par la relation λ = c/υ où c est la vitesse de la lumière dans le vide. L’œil humain est sensible aux rayonnements électromagnétiques de longueurs d’onde comprises entre 400 nm et 800 nm (voir figure). Les objets apparaissent colorés à cause de la lumière qu’ils émettent, soit parce qu’ils sont chauds (comme un morceau de fer rouge) soit parce qu’ils sont éclairés et qu’il « diffusent » (c’est-à-dire renvoient) une partie de la lumière reçue. La lumière qui parvient jusqu’à l’œil est en général polychromatique, c’est-à-dire qu’elle contient des radiations de diverses longueurs d’onde en proportions différentes. Cette composition détermine la couleur perçue. Un objet qui absorbe toutes les radiations lumineuses apparaît ainsi noir ; un objet qui émet des radiations électromagnétiques de toutes les longueurs d’onde entre 400 nm et 800 nm avec une intensité comparable apparaît blanc. Dans l’œil, la perception des couleurs est assurée par des cellules appelées cônes qui tapissent l’arrière de la rétine. Il existe trois types de cônes (voir figure) qui transmettent au cerveau des signaux que celuici interprète pour aboutir à une sensation visuelle de couleur. Les couleurs perçues ne se limitent pas aux couleurs de l’arc-en-ciel, ou « couleurs spectrales », que l’on obtient en décomposant la lumière blanche. Le magenta, par exemple, s’obtient en combinant une lumière rouge, autour de 680 nm, et une lumière bleue, autour de 480 nm. En outre, une même couleur perçue peut correspondre à des lumières de compositions très différentes. Par exemple, un objet peut nous apparaître jaune parce qu’il émet une lumière monochromatique de longueur d’onde proche de 580 nm, ou encore une lumière blanche privée des radiations de courte longueur d’onde, ou même une lumière rouge et une lumière verte superposées. XXX Comment se comportent ces molécules lorsqu’elles reçoivent de la lumière ? Considérons une lumière incidente « monochromatique », c’est-à-dire de longueur d’onde λ donnée, donc de fréquence n et de couleur données. La lumière est constituée dun champ magnétique et dun champ électrique, oscillant à la fréquence n perpendiculairement à la direction de propagation. Sous leffet du champ électrique oscillant, les électrons de la molécule oscillent également à la fréquence n. Par suite, la molécule réémet de la lumière Absorption relative 1,0 0,8 0,6 0,4 0,2 0 400 450 500 550 600 650 700 Longueur d’onde (nm) q Sensibilité des trois types de cônes en fonction de la longueur d’onde. les couleurs de la mer et du ciel l 25 0 a b 3 Diffusion de la lumière par des molécules et loi de Rayleigh. Sous l’effet d’une lumière monochromatique incidente (a), les molécules renvoient une lumière de même longueur d’onde dans toutes les directions. Le bleu se situe à une longueur d’onde autour de 450 nm et le rouge autour de 650 nm. D’après la loi de Rayleigh (b), la quatrième puissance du rapport 650/450 étant égale à 4,3, l’intensité diffusée dans le bleu est environ 4 fois plus élevée que dans le rouge. a. En journée, un ciel dégagé apparaît bleu, car les molécules de l’atmosphère diffusent fortement le bleu. b. Au coucher du soleil, la lumière solaire qui nous parvient a traversé une épaisseur d’atmosphère bien plus grande, et le ciel est rougeoyant. 4 à la même fréquence dans toutes les directions (quoique de façon inégale dans les diverses directions). Cest par un mécanisme similaire que lantenne dun émetteur de télévision ou de radiocommunication émet des ondes radio. Dans le cas des molécules et de la lumière solaire, la longueur donde est grande par rapport à la taille des molécules : on parle de « diffusion Rayleigh ». Le calcul montre alors que, pour une onde incidente donnée, lintensité lumineuse diffusée est proportionnelle à n4 (ou à 1/ λ4) : c’est la loi de Rayleigh (Figure 3). Quel est le lien avec la couleur du ciel ? D’après cette loi, l’intensité lumineuse diffusée est bien plus forte pour les hautes fréquences que pour les basses fréquences. Ainsi, les molécules de l’atmosphère vont diffuser plus fortement le bleu que le rouge, le vert ou le jaune. Ce sont donc les rayons lumineux de couleur bleue qui vont parvenir majoritairement jusqu’à l’œil. Voilà pourquoi 400 500 600 700 longueur d’onde (nm) le ciel est bleu ! On peut objecter que, d’après ce raisonnement, le ciel devrait être violet, puisque le violet se situe à plus haute fréquence que le bleu. En fait, l’œil reçoit en effet plus de violet que de bleu, mais il reçoit aussi de la lumière d’autres couleurs, notamment du vert en quantité moindre : l’impression que nous en retirons est une affaire de physiologie (voir encadré p. XX). Le ciel au coucher du Soleil… et après Au coucher du Soleil, le ciel prend audessus de l’horizon une belle teinte rougeoyante (Figure 4). Cette couleur est due, une fois encore, à la diffusion de la lumière solaire dans l’atmosphère. La lumière étant diffusée dans toutes les directions, nous en recevons une partie, mais une autre partie est renvoyée dans l’espace. Cette partie est faible, mais non négligeable (Figure 5). Dans le visible, la différence entre l’énergie reçue par les couches supérieures de l’atmosphère et celle reçue au sol est due, surtout, à la diffusion. On voit que celle-ci, en plein jour, réduit l’énergie reçue par le sol d’environ 25 % dans le bleu, et 10 % dans le rouge. Au coucher du Soleil, ces proportions sont modifiées car la lumière traverse alors une épaisseur d’atmosphère bien plus grande (Figure 6). La lumière bleue est ainsi presque totalement diffusée, et un observateur terrestre ne reçoit pratiquement plus que de la lumière rouge. Une fois le Soleil disparu derrière la ligne d’horizon, la nuit tombe progressivement. La couleur du ciel pendant la nuit est un tout autre problème (voir encadré ci-contre). La couleur des nuages Comme le montre le tableau de Rylov (p. XX), les nuages sont blancs, gris ou noirâtres, selon leur épaisseur et l’endroit d’où on les regarde. En tout cas ils sont opaques : on ne voit pas le Soleil à travers un nuage, mais on reçoit sa lumière, plus ou moins intense suivant l’épaisseur du nuage. Cette lumière nous est transmise après diffusion par les gouttes d’eau qui constituent le nuage. Cette diffusion est très intense, plus intense que la diffusion par les molécules d’oxygène et d’azote que nous avons décrite plus haut. Pourquoi ? Crépuscule Jour a 26 l b le kaléidoscope de la physique 2,5 UV Visible Infrarouge : énergie reçue au sommet de l’atmosphère 2 Énergie lumineuse (u.a.) Intensité diffusée relative : énergie reçue au niveau de la mer 1,5 Rayonnement d’un corps noir à 5 250 °C (voir p.65) 1 H 2O 0,5 0 H2O O2 O3 250 H2O CO 2 H2O 500 750 1000 1250 1500 H 2O 1750 2000 2250 2500 (mm) La raison est que de gros objets diffusent bien mieux la lumière que de petits objets. Par exemple, si une goutte d’eau contient un million de molécules (ce qui correspond à un diamètre d’environ 0,04 mm) elle diffuse presque un million de millions de fois plus quun million de molécules isolées ! Doit-on en déduire que si une goutte contient un milliard de molécules, elle diffuse la lumière un milliard de milliard de fois plus quun milliard de molécules isolées ? Eh non ! Le diamètre de cette goutte est de lordre de 0,4 ¼m, non négligeable par rapport à la longueur donde de la lumière visible. Les lois de la diffusion Rayleigh ne sappliquent plus dans ce cas, car les rayonnements diffusés par les diverses molécules ne sont pas en phase et donnent lieu à des interférences destructives, dont nous reparlerons un peu Atmosphère terrestre 5 Énergie lumineuse reçue par les couches supérieures de l’atmosphère (en jaune) et au niveau de la mer (en rouge), en plein jour, en tenant compte de la diffusion et de l’absorption. Les mentions « H2O » et « O2» repèrent respectivement les bandes d’absorption de l’eau et de l’oxygène. Les abscisses sont en nanomètres et les ordonnées en watts par m2 de surface et par nm de longueur d’onde. 6 Les radiations de grande longueur d’onde émises par le Soleil, autour du rouge, sont moins diffusées que les radiations de courte longueur d’onde, autour du bleu. Au crépuscule, un rayon bleu rasant est donc fortement diffusé par l’atmosphère et parvient très atténué jusqu’à la Terre, au contraire d’un rayon rouge. Le jour, la lumière atteint la Terre quelle que soit sa couleur. (Les proportions ne sont pas respectées.) les couleurs de la mer et du ciel l 27 U Les mystères d’une nuit sans Lune Par une nuit sans Lune, le ciel est noir, à part quelques étoiles éparses. Cela semble normal. Pourtant, il y a énormément d’étoiles dans le ciel, peut-être même une infinité. Une infinité d’étoiles devrait produire une luminosité infinie. Le ciel noir est-il l’indice d’un Univers fini ? C’est ce que pensait le savant allemand Johannes Kepler au début du xviie siècle. Au xixe siècle, un autre allemand, Heinrich Olbers, remarqua que les étoiles les plus proches masquent probablement les plus éloignées, de sorte que, même si l’Univers est infini, la luminosité ne doit pas être infinie… mais quand même très grande ! L’explication actuelle est que l’Univers n’est pas infini dans le temps. Depuis le Big- Bang, une période dense et chaude il y a 13,8 milliards d’années, l’Univers est en expansion. Il en résulte que la lumière émise par les galaxies lointaines est décalée vers le rouge. D’autre part, lorsque l’on regarde loin, du fait de la vitesse finie de la lumière, on « remonte le temps » : on voit les galaxies dans l’état où elles étaient lorsqu’elles ont émis leur lumière, il y a des milliards d’années. À partir d’une certaine distance, on remonte à une époque très proche du Big-Bang, où les premières galaxies n’étaient pas encore nées et l’Univers était sombre : on atteint « l’horizon cosmologique », les limites de l’Univers observable. Nous ne pouvons donc pas observer l’Univers entier, qu’il soit fini ou infini, et le ciel nocturne apparaît noir. En fait il n’est pas tout à fait noir, mais rempli d’un rayonnement électromagnétique de longueur d’onde bien plus grande que celle de la lumière visible (de l’ordre du millimètre au lieu du micromètre). Ce rayonnement de faible amplitude, invisible pour nos yeux, est mesurable par un radiotélescope suffisamment sensible (voir figure). Sa découverte fortuite, en 1964, valut aux Américains Arno Penzias et Robert Wilson le prix Nobel de physique 1978. Il s’agit d’un « rayonnement diffus cosmologique » qui n’est pas émis par des étoiles. Il subit l’expansion comme le reste de l’Univers, et il en résulte que sa longueur d’onde augmente avec le temps. t La première « image » de l’Univers, ou rayonnement diffus cosmologique, il y a environ 14 milliards d’années. Elle cartographie les fluctuations de température qui agitaient l’Univers, quelques 380 000 ans après sa naissance, et qui correspondent aux germes des futures galaxies. date d’environ 14 milliards d’années. Depuis la découverte de ce rayonnement radio en 1965, il a été étudié par les télescopes au sol et les instruments embarqués à bord de satellites ou dans des nacelles attachées sous des ballons. Ici, la première image détaillée établie par le satellite Wilkinson – Microwave Anisotropy Probe. plus loin. Le calcul de lintensité diffusée par une goutte sphérique de rayon R quelconque a été effectué par le physicien allemand Gustav Mie en 1908. Son résultat est une somme infinie de termes qu’on peut calculer numériquement. Pour une petite goutte (R>λ est également simple. Dans ce cas l’optique géométrique s’applique. Or que dit la géométrie ? Elle prévoit que le nombre de rayons lumineux interceptés par une sphère est proportionnel à la section de cette sphère, donc à R2. Une grosse goutte intercepte donc plus de rayons qu’une petite goutte. En outre, le calcul 28 l le kaléidoscope de la physique montre que l’intensité totale lumineuse diffusée par une grosse goutte ne dépend guère de la longueur d’onde de la lumière. Ceci explique le fait que la lumière diffusée soit également blanche lorsque la lumière incidente est blanche. Comme la lumière du Soleil est blanche, les nuages nous apparaissent donc blancs ! Interférences et cohérence Le phénomène d’interférence lumineuse fut mis en évidence au début du xixe siècle par une expérience historique Dispositif Figure visible sur l’écran Écran O x M a A B Source S Cache percé de trous d du physicien anglais Thomas Young. Les physiciens de l’époque étaient alors partagés sur la nature de la lumière : ils l’interprétaient comme un phénomène ondulatoire, ce que semblait confirmer l’expérience de Young, ou bien comme un flux de particules. Dans la quatrième partie de ce livre (voir chapitre 22 p. XXX), nous verrons que tous avaient raison. Le dispositif de Young (Figure 7) comprend une source lumineuse ponctuelle S monochromatique, placée derrière une plaque opaque où sont percés deux trous de très faible diamètre (de l’ordre de 0,1 mm) et peu espacés (quelques millimètres). La lumière qui passe par les trous est reçue sur un écran. Et ce qu’on voit sur l’écran, ô surprise, ce n’est pas une tache lumineuse continue, mais une tache montrant une alternance de franges obscures et de franges claires. Que s’est-il passé ? L’intensité lumineuse observée en un point M de l’écran résulte de la superposition des ondes issues des trous A et B. Ce phénomène d’addition algébrique des ondes provenant de points différents s’appelle « interférence ». Il peut aboutir à une intensité totale nulle ou faible : on parle alors d’interférences destructives ; ou à une intensité plus élevée : les interférences sont alors dites constructives. Le caractère constructif ou destructif des interférences dépend du décalage des ondes entre elles, ou déphasage, lorsqu’elles parviennent sur l’écran (Figure 8). Dans l’axe SO, les ondes issues de A et de B arrivent en phase : on observe une frange claire. Lorsque l’on s’écarte de cet axe, selon le point de l’écran considéré, les ondes issues des deux trous ont parcouru une distance différente. Leurs phases se décalent et on observe une succession périodique de franges claires et sombres. Il y a interférence destructive (frange sombre) lorsque la différence de parcours est égale à une demi-longueur d’onde, à un multiple de la longueur d’onde près. Il y a interférence constructive (frange claire) lorsque la différence de parcours est un multiple de la longueur d’onde. Dans le visible, la longueur d’onde λ est de l’ordre du micromètre, ce qui est environ dix fois moins que le diamètre d’un cheveu. Toutefois, la distance entre les franges sur l’écran est notablement plus grande si cet écran se trouve à une distance d suffisante. La position OM = x des franges claires se déduit de la condi- 7 Expérience d’interférences avec les trous d’Young. Une source de lumière cohérente vient éclairer les trous : on observe, sur un écran, une alternance de franges claires et de franges sombres. Les rayons issus de A et de B ont « interféré ». Avec un trou unique, on observerait une tache qui n’est pas nette et entourée d’un anneau, à cause du phénomène de diffraction. 8 a. Deux ondes présentant un déphasage quelconque φ. b. Deux ondes en opposition de phase interfèrent de façon destructive : un maximum d’amplitude de l’une correspond au minimum d’amplitude de l’autre. E t a E t b les couleurs de la mer et du ciel l 29 Soleil 50° Arc secondaire 42° 50° 10 Trajet des rayons lumineux dans l’arc-en-ciel principal et dans l’arc-enciel secondaire. L’angle de déviation moyen est de 42° et de 51° respectivement. Par suite, les rayons lumineux qui constituent l’arc-en-ciel principal forment un cône de révolution dont l’axe est la droite Soleil-observateur et dont l’angle au sommet est 42°. Extrait de B. Valeur, La couleur dans tous ses éclats. Arc secondaire Bande sombre 42° Arc primaire Arc primaire 9 Arc-en-ciel principal (le plus lumineux, à droite) et arc-en-ciel secondaire. Leurs couleurs sont inversées. tion AM – BM = nλ, où n est un nombre entier. Si a = AB est la distance entre les trous, on trouve que la distance entre franges est égale à λd/a. Si λ= 0,5 μm, d = 3 m et a = 0,5 cm, alors les franges sont séparées de 0,3 mm. On voit donc les franges d’interférence à l’œil nu, même si ce n’est pas très facile. Les expériences d’interférence sont redoutées par les étudiants qui doivent les affronter en travaux pratiques, et on peut admirer Young d’avoir su les réaliser. Comme la distance entre les franges dépend de la longueur d’onde, en lumière blanche, les figures d’interférences des différentes radiations sont décalées et se superposent : on observe alors l’apparition de couleurs interférentielles. Au lieu d’utiliser deux trous éclairés par la même source lumineuse, une idée qui vient à l’esprit est de prendre deux sources lumineuses ponctuelles de même couleur. Mais dans ce cas, l’expérience échoue ! Les interférences ne sont possibles que pour des sources cohérentes, dont le déphasage est constant dans le temps. De façon générale, si on ne prend pas de précautions particulières, deux sources prises au hasard ne le sont pas. 30 l le kaléidoscope de la physique Cette difficulté à observer des interférences lumineuses pourrait faire croire qu’elles sont un phénomène exotique. Pas vraiment ! Les couleurs irisées d’une bulle de savon en sont un bon exemple (voir chapitre 6 p. XXX). L’interférence se produit alors entre la lumière qui se réfléchit avant de pénétrer dans la pellicule savonneuse, et celle qui se réfléchit avant d’en sortir. Comme l’observation se fait d’habitude en lumière blanche, les radiations se trouvant en opposition de phase ne sont pas vues, et la lumière résultante apparaît donc colorée. La coloration dépend de la position de l’observateur par rapport à la bulle et de l’épaisseur de la pellicule. De telles couleurs interférentielles parent les ailes de papillons comme le Morpho, le plumage d’oiseaux comme le colibri, ainsi que les cuticules de certains insectes. Les couleurs de l’arc-en-ciel Un arc-en-ciel résulte de l’interaction de la lumière solaire avec des gouttelettes d’eau en suspension dans l’atmosphère (Figure 8). Ces gouttes d’eau ont une taille de l’ordre de 0,1 mm, largement supé- rieure à la longueur d’onde de la lumière. Il en résulte que le trajet des rayons lumineux dans chaque goutte peut être décrit par l’optique géométrique, c’est-àdire une réfraction à l’entrée, une réfraction à la sortie, éventuellement séparées par une ou plusieurs réflexions. L’arc-enciel principal, souvent le seul visible, correspond à une réflexion intermédiaire, et l’arc-en-ciel secondaire, parfois appa- rent, est dû à des rayons qui ont subi deux réflexions dans les gouttes d’eau (Figure 9). Pour une longueur d’onde donnée, la déviation par une goutte d’eau d’un rayon lumineux dépend du point où il frappe la goutte, et est déterminée par les lois de la réfraction (voir encadré p. XX). Toutefois, l’angle du rayon émergent avec le rayon entrant ne peut pas prendre n’importe quelle valeur. Dans U Snell, Descartes et Fermat Revenons sur la loi appelée, en France, loi de Snell-Descartes ou plus simplement loi de Descartes, et ailleurs, loi de Snell (voir p. XX). Descartes semble en effet être le premier à l’avoir publiée dans son traité de Dioptrique en 1637, mais elle était déjà connue du mathématicien néerlandais Willebrord Snell (1580-1626). Snell se fondait probablement sur des travaux expérimentaux, alors que Descartes prétendait démontrer sa loi en assimilant le rayon lumineux au trajet d’une balle. Cette démonstration, guère compréhensible, a été critiquée par Pierre de Fermat dans un mémoire publié en 1662, intitulé Synthèse pour les réfractions. Le « principe de Fermat », énoncé dans ce texte, stipule que la lumière emprunte le chemin qui lui permet d’aller le plus vite possible d’un point A à un point B (voir figure). Nous laissons le lecteur retrouver la loi de Snell à partir du principe de Fermat, ce qui est facile si on a quelques connaissances de trigonométrie et de calcul différentiel. Il suffit de chercher le point C qui minimise le temps mis par la lumière à parcourir le trajet ABC, ce temps étant égal à (AC/c) + (BC/v), c étant la vitesse de la lumière dans l’air et v = c/n sa vitesse dans l’eau. Si la démonstration de Descartes est une curiosité d’intérêt épistémologique, le principe de Fermat garde un certain intérêt même dans la physique contemporaine. Par ailleurs, c’est bien Descartes qui a, le premier, expliqué la genèse des deux arcs de l’arc-en-ciel et retrouvé, par le calcul, la valeur des angles de déviation correspondants. Chemin le plus court dans l’eau (3) A Sauveteur Nageur (2) B C (1) Chemin le plus rapide Chemin plus court q Analogie avec le problème du sauveteur. Le sauveteur A court plus vite sur la plage qu’il ne nage dans la mer, et doit secourir le nageur B en difficulté le plus vite possible. Le chemin le plus court, en ligne droite (1), n’est pas le plus rapide : le sauveteur perd alors trop de temps dans la mer. S’il limite au maximum le temps de nage (2), le trajet sur la plage est alors considérablement allongé. Au final, le chemin le plus rapide (3), passant par C, est celui prévu par la loi de Snell-Descartes. les couleurs de la mer et du ciel l 31 le cas de l’arc-en-ciel principal, il varie entre 0° et une valeur de l’ordre de 42°, comme le lecteur pourra le vérifier s’il n’a pas peur des calculs. Les déviations inférieures à 42° sont permises, mais il y a un maximum d’intensité au voisinage de 42°. Pour l’arc secondaire, cet angle est de 51 ° environ. En tournant le dos au Soleil, nous apercevons donc deux arcs circulaires lumineux. Entre ces deux arcs apparaît une bande obscure : en effet, aucun rayon n’émerge entre les deux angles critiques après une ou deux réflexions dans les gouttes d’eau, et cette zone apparaît donc plus sombre que le reste du ciel. Voilà les arcs lumineux expliqués, mais pas leurs couleurs… En réalité, la valeur exacte de l’angle de déviation dépend de la couleur, car l’indice de réfraction de l’eau n augmente quand la longueur d’onde diminue. Donc, pour un angle d’incidence i fixé, l’angle de réfraction r augmente avec la longueur d’onde, c’està-dire quand on va du bleu au rouge. Ainsi, la déviation à l’entrée et à la sortie de la goutte est plus forte pour le bleu que pour le rouge. La couleur rouge se retrouve ainsi à l’extérieur de l’arc-en-ciel principal. C’est le contraire pour l’arc-enciel secondaire, dont les couleurs sont inversées : le rouge est à l’intérieur. Ces étrangetés, qui résultent de la géométrie et des lois de la réfraction, sont des exemples des surprises que réservent parfois les calculs scientifiques. Parfois, l’arc principal s’accompagne également d’arcs surnuméraires. Ils résultent d’interférences entre les rayons issus d’une même goutte d’eau. Comme leur trajet à l’intérieur de la goutte est différent, ils donnent lieu à des interférences destructives ou constructives. Et les oiseaux ? Dans l’analyse que nous avons faite du tableau de Rylov, nous avons délaissé les oiseaux, qui pourtant comptent dans le 32 l le kaléidoscope de la physique charme des bords de mer. Réparons cet oubli avec une devinette : la masse d’un oiseau étant connue, à quelle fréquence bat-il des ailes pour voler ? Peut-être le lecteur aura-t-il du mal à voir la relation entre ces deux grandeurs, et donnera sa langue au chat. Soit m la masse de l’oiseau, S l’aire totale des ailes, v la vitesse moyenne d’une aile, t la durée d’un battement d’aile et ρ la masse volumique de l’air. Au cours d’un battement d’aile, l’oiseau met en mouvement une masse d’air égale à M = ρSvt, et lui communique une vitesse v, ce qui correspond à une accélération moyenne v/t, donc à une force F = Mv/t = ρSv2 qui doit équilibrer le poids mg de l’oiseau, g étant l’accélération de la pesanteur. Ainsi : 11 Les ailes du héron cendré ont une surface de l’ordre du dixième de mètre carré. − v = √ mg . ρS La vitesse v de l’aile est proportionnelle au nombre n de battements dailes par seconde et à la longueur de laile, ellemême proportionnelle à √−s. En supposant (assez arbitrairement) que le facteur de proportionnalité est égal à 2π, on trouve donc : − − mg 1 mg v = v = . ρS 2πS S √ √ Pour le héron cendré, la masse m est de l’ordre de 1 kg (Figure 10). Son envergure est d’environ 2 m, et nous supposerons S » 0,2 m2. Avec les valeurs approximatives ρ = 1 kg/m3 et g = 10 m/s2, la vitesse de battement est alors de l’ordre de 3 battement par seconde, ce qui est en bon accord avec la réalité (entre 2 et 3 battements par seconde en vol battu). Pour aller plus loin, nous allons supposer que tous les oiseaux ont un corps de la même forme et une même masse volumique. L’aire S des ailes est alors proportionnelle à m2/3, et on déduit de la formule précédente que le nombre de battements d’ailes par seconde est inversement proportionnel à m1/6. En effet, n décroît quand la masse de loiseau augmente : le moineau (dont la masse est de lordre de 20 à 30 g) vole à 13 battements par seconde et le pigeon (dont la masse est de lordre de 500 g) à 8 ou 9 battements par seconde, et la buse (dont la masse est de lordre du kilogramme) à 3. Dans le tableau de Rylov, nous ne voyons pas d’insectes, car ils sont trop petits. La fréquence des battements d’aile des insectes est nettement plus élevée que celle des oiseaux, ce qui est en accord qualitatif avec notre formule. Un cas extrême est celui des moustiques, pour lesquels elle est de l’ordre de 400 battements par seconde. En agitant l’air à une telle fréquence, l’insecte produit un son audible par l’homme, ce qui nous avertit de leurs attaques ! Sachant que la masse d’un moustique est de 2 mg, et supposant que les ailes ont une surface S de l’ordre de 10 mm2, on en conclut que la fréquence réelle est supérieure d’un facteur 10 environ à la valeur obtenue par notre formule. Il n’y a pas à s’étonner que la formule ne soit que très grossièrement valable, et il faut plutôt s’émerveiller qu’elle donne des informations qualitatives pour des ordres de grandeur si différents, depuis les gros oiseaux jusqu’aux insectes. Le peintre Rylov se doutait-il, en peignant son tableau, qu’il évoquait autant de lois de la physique ? les couleurs de la mer et du ciel l 33 Temps t a chapitre 4 Le pendule de Foucault et la force de Coriolis N N E Rotation terrestre Temps t + 1 heure b Au début du xixe siècle, tout le monde était persuadé que la Terre est sphérique et qu’elle tourne sur elle-même, mais il manquait une preuve expérimentale certaine. Cette preuve fut apportée par une expérience célèbre de Léon Foucault. La rotation de la Terre sur elle-même explique de nombreux phénomènes, notamment en météorologie et en océanographie. Pour les modéliser, la rotation de la Terre est souvent prise en compte par l’intermédiaire d’une force fictive dont l’idée est due à un certain Gaspard Coriolis. En 1851, le Panthéon, à Paris, fut le théâtre d’une expérience effectuée par le physicien Léon Foucault (1819-1858). Au sommet de la coupole fut suspendue une boule de 28 kg par un fil de 67 m de longueur, formant ainsi un pendule (Figure 1), analogue au balancier de l’horloge de nos arrière-grands-parents. Contrairement au balancier de l’horloge, qui ne peut se mouvoir que dans un plan vertical déterminé, 1 Un pendule de Foucault installé dans la salle du Panthéon à Paris, où eut lieu l’expérience de Foucault en 1851. Le pendule, écarté de sa position d’équilibre, oscille dans un plan qui tourne progressivement. 34 l le kaléidoscope de la physique le pendule de Foucault était libre d’osciller toutes les directions. L’expérience consista à écarter le pendule de sa direction d’équilibre (verticale), puis à le lâcher et à le laisser osciller. Les frottements au niveau du point d’attache et les frottements de l’air étant très faibles, le pendule oscillait très longtemps sans s’amortir. Qu’observèrent les expérimentateurs ? Lors des premières oscillations, le pendule sembla O N Rotation terrestre rester dans un même plan vertical, celui défini par l’axe du pendule et la position initiale, comme le prévoit le calcul simple que l’on fait au lycée. Au bout de quelques minutes cependant, ils s’aperçurent que le plan d’oscillation du pendule tournait de façon progressive ! Et il tournait toujours dans le même sens, un sens précis que nous allons préciser. Le pendule de Foucault au pôle Nord Pourquoi le plan d’oscillation du pendule tourne-t-il ? L’expérience de Foucault se comprend bien en se plaçant au pôle Nord (ou au pôle Sud). Imaginons un pendule dont la direction d’équilibre est dans l’axe du pôle, et qui est lâché à partir d’une position initiale donnée (Figure 2.a). Pour un observateur immobile par rapport au Soleil et aux étoiles (la position relative des étoiles étant indépendante du temps avec une bonne approximation), le pendule oscille bien dans un plan vertical fixe (Figure 2.b). Ce n’est pas le cas pour un observateur terrestre, car la Terre tourne sur elle-même autour de son axe, confondu dans ce cas avec la verticale du point d’attache du pendule. Elle tourne donc par rapport au plan d’oscillation du pendule, et l’observateur terrestre, qui ne 2 Mise en évidence de la rotation de la Terre avec un pendule de Foucault. a. Position initiale du pendule, au pôle Nord, et d’un observateur lié à la Terre. b. Au bout d’une heure, par rapport aux étoiles, la Terre a tourné sur elle-même (dans le sens de la flèche rouge, qui indique l’est), le support a tourné, mais le plan d’oscillation du pendule reste fixe. XXXPour l’observateur lié à la Terre cependant, à la même date, le support a conservé sa position initiale, et le plan d’oscillation du pendule donne l’impression d’avoir tourné.XXX se rend pas compte qu’il tourne avec la Terre, a l’impression que le plan d’oscillation du pendule tourne : la boule semble déviée vers l’ouest. Le lecteur vérifiera aisément qu’au pôle Sud, elle serait déviée vers l’est. Au pôle, le plan d’oscillation du pendule effectue un tour complet en 24 heures1. À Paris, il faut nettement plus d’un jour pour que le plan d’oscillation du pendule fasse un tour. Voyons pourquoi. La force de Coriolis Il est gênant de devoir passer par l’intermédiaire d’un observateur immobile par rapport aux étoiles pour deviner ce que voit l’observateur qui tourne en même temps que la Terre. Il serait bien commode de raisonner du point de vue de l’observateur terrestre uniquement, en disant simplement que la boule subit une force qui la fait dévier vers l’ouest… On peut effectivement faire ce choix ! On calcule alors le mouvement du pendule de Foucault dans un système d’axes lié 1. En fait, un peu moins de 24 heures. Dans tout ce chapitre en effet, nous négligeons la rotation de la Terre autour du Soleil. L’erreur relative ainsi commise est de 1/365, soit une erreur absolue d’environ 4 minutes. D’autre part, il suffit de la moitié d’un tour, soit un peu moins de 12 heures, pour que le plan d’oscillation du pendule reprenne sa position initiale. le pendule de foucault et la force de coriolis l 35 3 Gaspard-Gustave Coriolis (1792-1843). Ce portrait, effectué par Belliard d’après une peinture de Roller, est un des rares connus. Le nom de Coriolis, à côté de ceux de 71 autres savants, est commémoré par une gravure au premier étage de la tour Eiffel. à la Terre, ou « référentiel ». Pour tenir compte de la rotation de la Terre sur ellemême, on suppose que la boule subit, en plus du poids, une autre force. Cette force s’appelle « force de Coriolis », du nom du mathématicien français Gaspard-Gustave Coriolis (Figure 3). Pour aller plus loin, abandonnons le pendule de Foucault, dont les oscillations compliquent le raisonnement, et considérons plutôt une balle de masse m tirée à partir d’un fusil. Pour simplifier encore, nous supposerons que cette balle avance en ligne droite, et nous nous préoccuperons seulement de l’effet de la rotation 4 Déviation d’un projectile par la force de Coriolis, dans un référentiel lié à la Terre. Une balle de fusil, tirée dans la direction de la cible C depuis le pôle Nord N, dévie vers l’ouest par rapport à la cible. Pour un observateur extérieur à la Terre, la trajectoire de la balle est une ligne droite (– . – . – . –). Pour un observateur lié à la Terre, la trajectoire de la balle est courbe (-----) (sa courbure est fortement exagérée ici) : le projectile est soumis à une accélération Γco, l’accélération de Coriolis, représentée en deux instants différents. 36 l Trajectoire de la cible vue par un observateur extérieur à la Terre CO N CO le kaléidoscope de la physique N de la Terre sur sa trajectoire. Cette supposition est totalement irréaliste, comme nous le verrons ; ce n’est qu’un artifice destiné à simplifier le raisonnement. Imaginons que le tireur se trouve au pôle Nord, en N (Figure 4). Il tire en direction de la cible C, solidaire de la Terre, un projectile P à la vitesse initiale v. La Terre tourne autour de son axe à une vitesse angulaire Ω égale à un tour par jour. Au bout d’un temps t, elle a donc tourné d’un angle Ωt et la cible s’est déplacée avec elle. Pourtant, du point de vue du tireur se tenant au pôle Nord et regardant vers la cible, tout se passe comme si celle-ci était fixe, et que la balle déviait de la trajectoire NC qu’il voulait lui donner. La distance de P à la ligne NC à l’instant t est approximativement, pour t petit, le produit de l’angle Ωt par la distance vt parcourue par la balle, soit Ωvt2 ; à condition de mesurer Ω en radians par seconde, le radian étant en l’occurrence l’unité la plus commode. Ainsi, par rapport à la Terre, la balle est animée, pour t petit, d’un mouvement uniforme dans la direction NC, et uniformément accéléré vers sa droite, dans la direction perpendiculaire à NC (ce serait vers sa gauche si on se plaçait au pôle Sud). Dans cette direction, l’accélération, dite accélération de Coriolis, vaut 2Ωv (on a dérivé deux fois, par rapport au temps, la distance parcourue Ωvt2). D’après le principe fondamental de la dynamique (voir encadré ci-contre), cela signifie qu’une force de valeur 2Ωvm, dirigée dans le sens de l’accélération de Coriolis, s’exerce sur la balle. Cette force, c’est la force de Coriolis. De façon générale, l’accélération de Coriolis est perpendiculaire à la vitesse instantanée (Figure 4). Il y a par ailleurs, rappelons-le, une accélération verticale, dirigée vers le bas, due à la pesanteur dont nous ne tenons pas compte ici (au contraire des artilleurs !). Précisons que la force de Coriolis est une force « fictive », ou « inertielle », car elle n’est pas due à un corps agissant U La mécanique newtonienne Au début du xviie siècle, le savant italien Galilée (1564-1642) montre qu’un objet en chute libre est animé d’un mouvement uniformément accéléré. Peu après, l’astronome allemand Johann Kepler (1571-1630) énonce les lois qui régissent le mouvement des planètes : celles-ci décrivent des ellipses dont le Soleil est un foyer. L’Anglais Isaac Newton (1643-1727) jeta les bases de la mécanique dite « classique » en montrant que ces propriétés peuvent s’expliquer à partir de quelques hypothèses simples. L’une de ces hypothèses, la deuxième loi de Newton ou principe fondamental de la dynamique, est que l’accélération a = dv/dt subie par un objet ponctuel et multipliée par sa masse m est égale à la somme des forces extérieures f qu’il subit : formule?????? (illisible sur le word) Notons que l’accélération est définie comme la dérivée de la vitesse par rapport au temps, et peut très bien correspondre, contrairement au langage courant, à un freinage (cas où le vecteur a est dans un sens opposé à celui de la trajectoire) ! De cette loi découle la première loi de Newton ou principe d’inertie : « Tout corps persévère dans son état de repos ou de mouvement rectiligne uniforme quand les forces qui s’exercent sur lui se compensent », qui en est un cas particulier. La troisième loi de Newton ou principe de l’action et de la réaction affirme que : « Tout corps exerçant une force sur un autre corps subit une force opposée, de même valeur et de même direction, exercée par ce corps ». Enfin, la loi de l’attraction universelle ou de la gravitation affirme que deux corps massifs s’attirent avec une force proportionnelle à l’inverse du carré de la distance qui les sépare (voir chapitre 5 p. XX). Les lois de Newton rendent compte, avec une extrême précision, de tous les problèmes de mécanique qu’on se posait à l’époque. Elles furent appliquées avec succès en astronomie pour calculer la trajectoire des satellites autour des planètes, ou encore prévoir le retour de la comète de Halley en 1759. q Page de titre des Philosophiae Naturalis Principia Mathematica (Principes mathématiques de la philosophie naturelle), publié en 1687, où Newton présente ses résultats fondamentaux pour la mécanique. Cet exemplaire, conservé à la Bibliothèque de l’Observatoire de Paris, montre une dédicace de l’astronome Edmond Halley à Jean-Dominique Cassini. physiquement sur un autre. La force de Coriolis s’applique aux corps en mouvement (ici, la balle), se déplaçant sur un support lui-même animé d’un mouvement de rotation (ici, la Terre) et auquel est lié le référentiel d’observation. Si le tireur ne tient pas compte de la force de Coriolis, va-t-il vraiment rater sa cible ? Supposons que celle-ci soit située à d = 100 m et que la vitesse v de la balle soit de 1 000 m/s. Le temps mis par la balle pour atteindre la cible est t = d/v = 0,1 s. La vitesse de rotation de la Terre est de Ω = 2π radians/jour, soit environ 0,7⋅10–4 radian/seconde. La déviation y due à la force de Coriolis est alors égale à y = Ωvt2 = 0,7 mm. Le tireur ne rate donc pas sa cible et ne se rend pas compte que celle-ci a bougé par rapport à l’axe du tir. On peut aussi calculer l’accélération de Coriolis qui vaut 2Ωv, soit 0,14 m/s2. En météorologie, où les vitesses mises en jeu sont plus faibles et les distances plus grandes, la force de Coriolis doit absolument être prise en compte pour décrire le mouvement des masses d’air et d’eau. En effet, la déviation y = Ωvt2 due à la force de Coriolis peut s’écrire y = Ωx2/v, en introduisant la distance parcourue x = vt. Si la distance x est de l’ordre d’une le pendule de foucault et la force de coriolis l 37 U Le sens de la force de Coriolis et le produit vectoriel La force de Coriolis qui s’exerce sur un objet de masse m s’exprime commodément à partir du produit vectoriel entre sa vitesse v et le vecteur de rotation Ω : Fco = 2m v × Ω Rappelons que Ω est un vecteur associé à tout objet solide tournant (ici, la Terre), parallèle à son axe de rotation, et dont la norme est égale à la vitesse angulaire Ω. À quoi correspond ce produit vectoriel ? Le produit vectoriel de deux vecteurs v et Ω, faisant entre un angle a, est un troisième vecteur orthogonal aux deux premiers, de norme v sin a, et dont le sens est défini par la règle de la main gauche (voir figure). Le produit vectoriel est un formalisme utile pour décrire bien d’autres phénomènes physiques, notamment en électromagnétisme. a v F F q Règle de la main gauche pour définir le sens du produit vectoriel F = v × Ω. La main gauche est placée perpendiculairement au vecteur Ω, de façon que celui-ci la traverse à partir de la paume et que l’index soit dirigé dans le sens du vecteur v. En écartant le pouce, celui-ci indique la direction de F. a. Cas où v est perpendiculaire à l’axe de rotation. b. Cas général. Loin des pôles Jusqu’ici nous avons supposé que nos expériences s’effectuaient en un pôle. Que se passe-t-il si l’on s’en éloigne ? En quelques lignes d’équations, les manuels de mécanique montrent que la force de Coriolis subie par un projectile de masse m et de vitesse v par rapport à la Terre est un vecteur perpendiculaire à l’axe de rotation terrestre et à la vitesse v, dont la norme est Fco = 2mΩvsinφ, où φ est l’angle entre l’axe de rotation et v. Pour préciser l’orientation de Fco, on peut utiliser la « règle de la main gauche » (voir encadré ci-dessous). La force de Coriolis a une composante horizontale qui fait tourner le plan d’osle kaléidoscope de la physique b v centaine de kilomètres, à une vitesse d’une vingtaine de kilomètres à l’heure, la déviation y est alors du même ordre que x. Par exemple, pour un courant marin de vitesse v = 60 m/s, soit environ 22 km/h, la déviation due à la force de Coriolis est de l’ordre de 10 km après 100 km de parcours ! Nous reviendrons sur ce point plus loin dans ce chapitre. 38 l U Foucault, Galilée et Aristote cillation du pendule de Foucault, et plus généralement dévie les objets mobiles vers la droite dans l’hémisphère nord, et vers la gauche dans l’hémisphère sud. Mais la force de Coriolis a aussi une composante verticale, donc parallèle au poids de l’objet. Cette composante n’est généralement pas très importante parce qu’elle est, pour des vitesses usuelles, faible par rapport au poids. Si nous reprenons l’exemple d’une balle de fusil à la vitesse de 1000 m/s, la composante verticale de l’accélération de Coriolis prend au maximum la valeur de 0,14 m/s2 calculée plus haut, ce qui est plus de 70 fois plus faible que l’accélération de la pesanteur g (voir p. XX). Pour une balle de tennis, beaucoup moins rapide, le rapport sera même supérieur à 1000 ! Maintenant que nous sommes plus savants, revenons à notre pendule de Foucault et à la période de rotation de son plan d’oscillation. De la formule Fco = 2mΩvsinφ, on peut déduire la composante horizontale de la force de Coriolis qui est F’co = 2mΩvsin α, où α est la latitude du lieu. Cette composante est maximale au pôle Nord, où sin α = 1, et on retrouve un résultat déjà obtenu : le plan Parmi les pendules de Foucault qui ont été en service dans le monde, il en est un qui mérite une mention spéciale : celui qui se trouvait à la cathédrale Saint-Isaac à Leningrad, avant que cette ville ne redevienne SaintPétersbourg en 1991. Cette cathédrale avait été transformée en musée de l’athéisme. Quel rapport entre le pendule de Foucault et la religion ? La présence du pendule de Foucault dans un établissement antireligieux faisait allusion à la condamnation de Galilée par le Saint-Office en 1633 (voir figure). Galilée affirmait en effet que la Terre évolue autour du Soleil, et tourne sur elle-même en un jour. Les cardinaux se souvenaient que, selon la Bible, Josué avait jadis arrêté la rotation du Soleil autour de la Terre, et non pas la rotation de la Terre sur elle-même. Aussi rendirent-ils le jugement suivant : « Nous prononçons, jugeons et déclarons que toi, Galilée, tu t’es rendu gravement suspect d’hérésie auprès du Saint-Office, pour avoir cru et affirmé une doctrine fausse et contraire aux saintes et divines Écritures, à savoir : que le Soleil est le centre de l’Univers, qu’il ne se meut pas d’orient en occident, que la Terre se meut et n’est pas le centre du monde ». Après ce jugement, Galilée dut abjurer sa théorie. Pourtant, en proclamant que la Terre tournait sur elle-même, il n’avait pas vraiment de preuve. Il avait seulement extrapolé les observations de Copernic et de Kepler, qui avaient remarqué que les mouvements astronomiques se décrivaient bien plus simplement en supposant que la Terre tourne ! En 1851, l’expérience de Foucault apporta une preuve directe de la rotation de la Terre sur elle-même, et mit un point final à une controverse qui avait commencé vingt-quatre siècles plus tôt, quand Aristote avait décrit un Univers parfait et éternel, où la Terre était placée au centre. En réalité, Foucault ne fut pas le premier à donner une preuve expérimentale de la rotation de la Terre. En 1833, le savant allemand Ferdinand Reich avait jeté des cailloux dans un puits de mine et constaté une déviation de 28 mm après une chute de 158 m, ce qui était en accord avec ce qu’on peut déduire de la force de Coriolis. Et déjà d’oscillation du pendule effectue un tour complet en 24 heures. À l’équateur, α = 0 et le pendule de Foucault ne tourne pas. XXX Aux autres points de la Terre, la période de rotation est ce qu’elle serait aux pôles si la période de rotation de la Terre était multipliée par sin α, donc si la durée du jour était multipliée par 1/sinα. La période de rotation du pendule de Foucault en fonction de la latitude est donc égale à 24/sin α, en heures, puisqu’elle est de 24 heures aux pôles. XXX Sur le 45e parallèle, qui passe à peu de choses près par Genève et par Montréal, sin α = 1/√–2 et le pendule de Foucault tourne √–2 fois moins vite qu’au pôle : au lieu de faire un tour en 24 heures, il le fera en 24√–2 heures, soit environ 34 heures. en 1661, peu de temps après la mort de Galilée, l’éminent savant florentin Vincenzo Viviani avait fait une expérience analogue à celle de Foucault. Mais il n’avait pas fourni l’explication, soit parce qu’il ne l’avait pas, soit par crainte de l’Inquisition. q Galilée devant l’Inquisition, chromolithographie du xxe siècle. Où voir un pendule de Foucault ? Un pendule de Foucault est un objet tellement fascinant que le lecteur aura sans doute envie d’en voir (voir encadré ci-contre). À Paris, le pendule a fait son retour au Panthéon en 1995, et y est visible lorsqu’il n’est pas en réparation ; un autre est visible au musée des Arts et Métiers. Pourquoi ne pas bricoler son propre pendule de Foucault ? Ce n’est pas forcément une bonne idée, car les difficultés sont sérieuses. D’abord, le pendule doit être de grande taille pour que sa période soit longue, ce qui permet de limiter l’importance du frottement. Celui de Leningrad mesurait 98 m de haut ! Il faut donc disposer d’un support élevé et y accrocher le pendule en évitant une chute… Une fois le pendule de foucault et la force de coriolis l 39 5 Le motocycliste se penche vers l’intérieur du virage afin que son poids vienne compenser l’effet d’éjection provoqué par la force centrifuge. Plus la courbe du virage est serrée, plus la vitesse de rotation ω est grande et donc la force centrifuge importante. installé et lancé, le pendule tend à profiter des degrés de liberté interdits à ses congénères dans les horloges : il se tortille sur lui-même, ce qui augmente le frottement ; plus grave encore, au lieu de rester dans un plan qui tourne lentement, le pendule a tendance à décrire un cône autour de ce plan. Les chercheurs de l’Université de Grenoble, qui ont installé un pendule de Foucault pour leurs étudiants en 2013, ont pu mesurer l’ampleur de ces difficultés. Une autre force fictive : la force centrifuge Un autre exemple de force « fictive » est la force centrifuge, dont les manifestations nous sont plus familières que celles de la force de Coriolis. Elle apparaît dans un référentiel en rotation par rapport aux étoiles fixes, et a tendance à éloigner les objets liés à ce référentiel du centre de rotation. Au quotidien, elle nous permet par exemple d’essorer le linge dans la machine à laver : l’eau est chassée vers l’extérieur à travers les trous du tambour. Nous la ressentons également dans un autobus quand il prend un virage serré, et que nous sommes projetés vers l’extérieur du virage dans les bras de notre voisin (Figure 7). Que vaut cette force centrifuqe ? XXX Considérons un enfant sur un manège de fête foraine de rayon R, et qui tourne à la vitesse angulaire w exprimée en radians 40 l le kaléidoscope de la physique par seconde. Lenfant lâche un ours en peluche. Lours est éjecté et (si on néglige la pesanteur) décrit alors une ligne droite à vitesse uniforme v = Rw par rapport au sol (par définition de la vitesse angulaire). Aux temps courts, par rapport à l’enfant, l’ours s’éloigne avec un mouvement uniformément accéléré d’accélération égale à v2/R = w2R. Cette accélération provient du fait que l’on décrive le mouvement de l’ours relativement à un support qui tourne. D’après le principe fondamental de la dynamique (voir p. XXX), dans ce référentiel tournant, tout se passe comme si l’ours de masse m était soumis à une force Fce provenant du centre du manège et de module égal à mw2R. Cette force est la force centrifuge ! XXX De même que l’enfant et son ours sur le manège, nous subissons une force centrifuge due à la rotation de la Terre. Elle est environ 300 fois plus faible que notre poids, et nous n’y sommes donc guère sensibles. Elle a pour effet de produire un léger renflement de la Terre, plus épaisse de 43 km à l’équateur que d’un pôle à l’autre, mais cette différence d’environ 0,3 % n’a pas de conséquence spectaculaire. XXX D’autre part la force centrifuge due à la rotation de la Terre n’a pas d’influence sur le mouvement relatif des objets par rapport à celle-ci, par exemple sur le vent qui est un mouvement de l’air par rapport au sol. En effet la force centrifuge s’exerce tout aussi bien sur l’air que sur le sol, et ne dépend que de la distance au centre de rotation. XXX La force de Coriolis, au contraire, est nulle pour un objet solidaire au sol dans le référentiel terrestre, mais s’exerce sur l’air en mouvement. Il en résulte qu’elle joue un rôle important en météorologie comme nous allons le voir. pression ou de haute pression (Figure 8). On pourrait penser que les masses d’air affluent directement dans les zones de basse pression (on parle de « dépression », souvent notée D sur les cartes météorologiques). En réalité, les vents sont déviés par la force de Coriolis. Dans l’hémisphère nord, les vents tournent autour de la dépression dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Dans le cas des anticyclones (notés A), centres d’une zone de haute pression, les vents circulent dans le sens des aiguilles d’une montre. En pratique, il ne se forme pas toujours un tourbillon complet comme représenté sur la figure 8 ; on peut quand même énoncer la règle que, dans l’hémisphère nord, les vents ont les basses pressions à leur gauche et les hautes pressions à leur droite (Figure 9). C’est le contraire dans l’hémisphère sud (voir encadré ci-contre). Une autre manifestation de la force de Coriolis est la direction des vents alizés, qui soufflent assez systématiquement vers l’ouest entre le 30e parallèle Sud et le 30e parallèle Nord. La cause première de ces vents est la convection (voir chapitre 7 p. XX) : l’air équatorial chaud monte et laisse place à l’air frais provenant des D FP FCO plus hautes latitudes. En surface, des vents naissent donc, dirigés du Nord au Sud dans l’hémisphère nord, et du sud au nord dans l’hémisphère sud : les vents alizés. La force de Coriolis dévie ces vents vers l’ouest (Figure 10). La force de Coriolis n’agit pas que sur les vents : elle agit aussi sur les courants marins et sur les marées (voir chapitre 5 p. XXX). L’action de la rotation de la Terre sur le déplacement des masses d’eau avait été remarquée par Laplace au xviiie siècle, bien avant Coriolis. Mais Laplace n’avait pas voulu introduire une force fictive pour la représenter. L’idée de Coriolis ne fut pas acceptée sans réticences. Un membre 6 Le vent autour d’une dépression centrée en D dans l’hémisphère nord. La différence de pression (en orange) provoque un afflux d’air vers la dépression (vent représenté par une flèche rouge). Ce vent est dévié par la force de Coriolis (en bleu) et approche donc du centre de la dépression en tournant dans le sens anti-horaire (flèches vertes). Flèches noires : direction approximative du vent telle qu’elle résulterait de l’équilibre entre la force de Coriolis et la force due à la pression. 7 L’ouragan XXX approchant des côtes de XXX en XXXX 2XXX, dans l’hémisphère Nord, vu d’un satellite. La rotation des masses d’air autour de la dépression centrale s’effectue dans le sens inverse des aiguilles d’une montre ; c’est l’inverse dans l’hémisphère Sud. Manifestations météorologiques de la force de Coriolis Un effet important de la force de Coriolis est la formation de tourbillons de sens bien défini autour de toute zone de basse le pendule de foucault et la force de coriolis l 41 U Dans les salles de bains australes et boréales Nous avons tous constaté qu’un tourbillon se forme lorsqu’un lavabo se vide. Dans quel sens tourne-t-il ? Une erreur répandue consiste à penser que les tourbillons de l’hémisphère nord tournent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre (Figure 8), alors que les tourbillons de l’hémisphère sud tournent dans l’autre sens. Il y certes une influence de la force de Coriolis sur la vidange d’un récipient, mais il faut que celui-ci soit de grande dimension pour que son effet soit prépondérant. L’expérience a été faite au Massachusetts Institute of Technology (États-Unis) par Ascher Shapiro en 1962. Son baquet mesurait environ 2 mètres de diamètre pour une profondeur d’une quinzaine de centimètres. Il se vidait en 20 minutes, et un tourbillon (mis en évidence grâce à un objet flottant) se formait effectivement en sens inverse des aiguilles d’une montre au bout d’un quart d’heure. En ce qui concerne nos lavabos, qui sont bien plus petits et se vident bien plus vite, le sens des tourbillons est dû plutôt aux détails de la géométrie (aspérités du lavabo, impulsion initialement donnée à l’eau, etc.). Les deux sens de rotation restent donc possibles ! de l’Académie des Sciences écrivait en 1859 : « Ces forces fictives conduisent à un résultat exact ; mais précisément parce qu’elles sont fictives, elles ne paraissent pas de nature à faire bien comprendre le mécanisme du phénomène en donnant l’analyse des causes réelles ». Cette remarque fait bien ressortir le caractère novateur du concept introduit par Coriolis, dont l’utilité est aujourd’hui incontestée. Retour sur la loi de Baer Selon la loi de Baer, la rive droite des cours d’eau est plus escarpée que la rive la rive gauche. Le mécanisme a une certaine analogie avec la formation des méandres (voir chapitre 1 p. XXX). Cependant, si on cherche à évaluer l’effet de la force de Coriolis, on trouve qu’il est très faible. Pour cette raison, on ne peut considérer comme résolu ce problème qui fut l’objet d’un article d’Einstein et d’une controverse de plusieurs semaines en 1859 à l’Académie des sciences française. N v FCO FCO 9 La force de Coriolis F cor dévie le courant des fleuves vers la rive droite dans l’hémisphère Nord, et vers la rive gauche dans l’hémisphère Sud. v FCO v FCO v S Conclusion q Tourbillon se formant lors de la vidange d’un évier. Contrairement à une idée répandue, son sens de rotation ne dépend pas de l’hémisphère terrestre où il se trouve. gauche dans l’hémisphère Nord, l’effet contraire étant observé dans l’hémisphère Sud (voir chapitre 1 p. XX). Cette observation a été faite pour des fleuves sibériens, pour le Nil, ou encore pour le Danube. Une explication de ce phénomène fait appel à la force de Coriolis, qui fait dévier l’eau du fleuve vers la rive droite (Figure 11). À cause du frottement contre les rives, le courant est plus rapide à la surface qu’au fond du cours d’eau, et la force de Coriolis est donc également plus grande en surface. Il en résulte une circulation verticale de l’eau qui favorise l’érosion de la rive droite et le dépôt d’alluvions sur N Pour résoudre un problème de mécanique, les chercheurs ont le choix entre deux méthodes. Les astronomes choisissent le plus souvent des axes de coordonnées non tournants, repérés par des étoiles lointaines aussi fixes que possible. L’autre méthode est de prendre des axes liés à la Terre, ce qui oblige à introduire des forces fictives qui sont la force de Coriolis et la force centrifuge. C’est ce qui est fait en météorologie : l’inconvénient est mineur puisque la plupart des forces (poids, frottement, etc.) seraient difficiles à prendre en compte dans un repère lié à des étoiles fixes. Il n’est toutefois pas toujours facile de tenir compte de la force de Coriolis dans les calculs, et il convient de les confirmer par des expériences. C’est le but de la « plate-forme Coriolis » installée à Grenoble, un bassin de 13 mètres de diamètre, atteignant 300 tonnes et tournant jusqu’à 4 tours par minute (Figure 12). 10 La plate-forme Coriolis à Grenoble en 2000. Elle a été démantelée dans les premières années du xxie siècle. En 2014, elle était en cours de reconstruction. N FCO Alizés O 8 Les vents alizés sont détournés vers l’ouest par la rotation de la Terre à cause de la force de Coriolis (a), comme on peut s’en rendre compte grâce à la règle de la main gauche (b). 42 l FCO FCO v E v Alizés FCO S le kaléidoscope de la physique S le pendule de foucault et la force de coriolis l 43 chapitre 5 Flux et reflux des marées On dit que le navigateur marseillais Pytheas, au ive siècle avant Jésus-Christ, soupçonnait déjà que la Lune était la cause principale des marées, car il avait remarqué que le rythme des marées correspondait aux rotations de la Lune autour de la Terre. On sait aujourd’hui que les marées sont effectivement dues à l’action des forces gravitationnelles de la Lune et du Soleil sur les masses d’eau. Nous allons détailler leur fonctionnement dans ce chapitre. 1 Le village breton de Roscoff, à marée basse et à marée haute. XXX Le marnage (c’est-à dire la différence de hauteur d’eau en un même lieu) y atteint une dizaine de mètres. Dans une mer fermée comme la mer Méditerranée, le marnage est de l’ordre de la dizaine de centimètres. 44 l Les marées sont des phénomènes spectaculaires en certains endroits, par exemple sur les côtes de la Manche (Figure 1), et dangereux pour les promeneurs qui s’aventurent sur les plages de l’océan. Depuis Newton (voir chapitre 4 p. XX), nous savons quelle loi physique est à l’origine des marées : peu après avoir énoncé la loi de l’attraction universelle, il montra que les marées en étaient une des applications. La Lune attire l’eau de l’océan qui forme ainsi un renflement. Ce renflement reste tourné vers la Lune, tandis que la Terre tourne sur son axe. le kaléidoscope de la physique Quand cette masse d’eau rencontre une côte, la marée monte, puis redescend avec le reflux quand la Lune a tourné. Cette description peut cependant soulever des objections. Première objection : la Terre tourne sur elle-même en 24 heures, la Lune ne bougeant guère pendant ce temps (il lui faut 27 jours environ pour tourner autour de la Terre). On pourrait donc s’attendre à ce qu’il y ait une marée par jour. Or il s’en produit deux ! Deuxième objection : pourquoi le rôle de la Lune est-il si important dans le phénomène de marée, alors que la Terre est bien plus fortement attirée par le Soleil ? La réponse à ces questions se trouve dans le phénomène de gravitation découvert par Newton. Newton, fondateur de la physique moderne La légende veut que Newton ait eu la révélation de la loi d’attraction universelle alors qu’il se reposait sous un pommier, à la vue d’une pomme chutant au sol (Figure 2). C’est, se dit-il, la preuve que la Terre exerce sur la pomme une force attractive. Évidemment, elle ne l’exerce pas seulement sur la pomme : également sur tous les objets qui se trouvent au voisinage de la Terre. Mais pourquoi seulement la Terre ? Newton eut une intuition géniale : l’attraction devait être universelle, et donc s’exercer aussi entre le Soleil et les planètes, et plus généralement entre tous les corps massifs ! La chute de la pomme et le mouvement des planètes s’expliquent si on admet que deux objets de masses M et m, distants de D, exercent l’un sur l’autre une force d’attraction (Figure 3) égale à : GMm F = , D2 où G est une constante, appelée constante gravitationnelle. D’après le principe fondamental de la dynamique (voir p. XX), si on considère la force d’attraction exercée par la Terre sur la pomme et si on néglige les frottements de l’air, le fruit tombe d’un mouvement uniformément accéléré, conformément à la découverte un peu antérieure de Galilée (voir p. XX). Son accélération est alors égale à g = GMT/RT2, où MT est la masse de la Terre et RT son rayon. Ce rayon (environ 6400 km) était connu depuis l’Antiquité, et l’accélération de la pesanteur g (environ égale à 10 m⋅s–2) était mesurable expérimentalement. En supposant que la densité de la Terre est à peu près uniforme, Newton pouvait donc 2 Newton, quelques secondes avant sa découverte de loi de l’attraction universelle. Le fruit qui avait fait l’infortune d’Ève fit la fortune de Newton. évaluer l’ordre de grandeur de la masse MT et en déduire celui de la constante G. La valeur précise de G, telle qu’on la connaît aujourd’hui, est G = 6,674⋅10–11 m3⋅kg–1⋅s–2. Ce n’est pas beaucoup ! Entre un proton et un électron, l’attraction gravitationnelle est négligeable par rapport à l’attraction électrostatique, qui évolue également comme l’inverse du carré de la distance. Pour un gros objet comme la Terre, elle est suffisante pour nous maintenir au sol… et pour que nous nous fassions très mal quand nous tombons de haut. Le ciel nous tombe sur la tête Contrairement à la pomme, la Lune ne tombe pas sur la Terre, et la Terre ne tombe pas non plus sur le Soleil. Pour- A B FB/A FB/A D 3 Loi de la gravitation. Deux objets A et B à une distance d exercent l’un sur l’autre une force attractive proportionnelle à 1/d2. flux et reflux des marées l 45 Attraction exercée par un astre (Soleil ou Lune) sur la matière terrestre. Au centre de la Terre, en O, la force gravitationnelle est équilibrée par la force centrifuge. En A, la force gravitationnelle est plus grande que la force centrifuge. En B, la force gravitationnelle est plus faible que la force centrifuge. La résultante F de ces deux forces est indiquée par la flèche rouge. Les masses d’eau océaniques sont donc attirées par l’astre en A, repoussées en B. 4 46 l √ L’origine des marées Pour étudier les marées, la prise en compte des interactions entre la Terre, la Lune et le Soleil mènerait à des calculs bien trop compliqués. Nous allons donc commencer par faire comme si la Lune n’existait pas (une hypothèse abusive dans le cas des marées, mais qui facilitera l’explication !), et considérer la Terre et le Soleil comme deux corps isolés. Nous avons dit plus haut que la force centrifuge et la force d’attraction gravitationnelle qui s’exercent sur la Terre s’annulent. C’est bien le cas au centre de la Terre, mais pas en un point de la surface terrestre. En un point plus proche du Soleil (comme le point A sur la Figure 4) la distance R au Soleil est plus petite, l’attraction par le Soleil (proportionnelle à 1/R2) est donc plus forte, tandis que la force centrifuge (proportionnelle à R) est plus faible. La force résultante est donc 1. L’excentricité de l’orbite terrestre (rapport entre la distance entre les foyers et le grand axe) est actuellement 0,017, assez proche de la valeur 0 qui correspondrait à un cercle. Celle de l’ellipse décrite par la Lune autour de la Terre est 0,55. Fmarée Soleil ou Lune le kaléidoscope de la physique Soleil, mais une ellipse1. Cela se déduit encore de la loi d’attraction universelle, mais le calcul est notablement plus compliqué. La loi de la gravitation, comme le remarqua Newton, explique le mouvement de la Terre autour du Soleil, et celui de la Lune autour de la Terre. Il montra qu’elle expliquait aussi les marées. D A F1 O F2 B tournée vers le Soleil. L’eau se trouvant en A est attirée vers le Soleil : il s’y produit une marée haute ! En un point plus éloigné du Soleil (comme le point B) la distance R au Soleil est plus grande, l’attraction vers le Soleil est donc plus faible tandis que la force centrifuge est plus faible. La force résultante éloigne les masses d’eau du Soleil : il s’y produit également une marée haute. Si le Soleil était l’unique astre à l’origine des marées, nous aurions exactement deux marées hautes par jour : une au midi solaire quand l’attraction gravitationnelle domine, et une à minuit quand la force centrifuge est maximale. En conséquence, si la Terre était entourée d’eau de toutes parts, elle aurait la forme d’un ellipsoïde allongé (oh, très, très peu allongé comme nous verrons) ou, comme on dit parfois plaisamment, d’un ballon de rugby (Figure 4). L’allongement des pointes de l’ellipsoïde est limité par l’attraction gravitationnelle de la Terre elle-même sur les masses d’eau, évidemment bien plus forte que celles de la Lune ou du Soleil. Le raisonnement fait pour le Soleil est également valable pour la Lune : les masses d’eau les plus proches de la Lune sont attirées par elle, et les plus éloignées sont repoussées. Quel est donc l’astre qui a le plus d’influence : le Soleil ou la Lune ? Pour le déterminer, il faut faire un petit calcul (voir encadré ci-dessous). Il en résulte que la force agissant En nouvelle Lune Dernier quartier Dernier croissant Nouvelle Lune 5 1 2 4 C ro i s s a n t e 3 Premier croissant Lune gibbeuse croissante Premier quartier 1 2 3 4 5 6 sur une masse d’eau au point A le plus proche de l’astre attracteur (Soleil ou Lune) est proportionnelle à M/D3, où M est la masse de l’astre attracteur et D sa distance à la Terre. Or le rapport MS/DS3 est environ deux fois plus petit que ML/ DL3. L’influence de la Lune sur les marées est environ deux fois plus forte que celle du Soleil ! Comme la Lune ne tourne pas très vite autour de la Terre, il se produit à peu près deux marées en 24 heures. Comme elle tourne un peu quand même, il y un peu plus de 12 heures entre deux marées (12 heures et 25 minutes). L’effet du Soleil sur les marées est loin d’être négligeable cependant. Quand les trois astres sont à peu près alignés, ce qui se produit un peu plus d’une fois par mois Marée des vives eaux 7 8 5 Les phases de la Lune. Pour un observateur terrestre, la portion de l’astre illuminée dépend de sa position sur son orbite par rapport au Soleil. Une quinzaine de jours séparent une Lune nouvelle de la pleine Lune suivante. En pleine Lune Terre En premier quartier 6 Terre Marée des mortes eaux Fmarée Lune gibbeuse décroissante 7 oissante Décr 8 Soleil quoi, puisque la loi d’attraction universelle s’applique dans tous les cas ? Il suffit d’un calcul assez simple pour le comprendre, mais on conçoit que ce paradoxe ait semblé extraordinaire à de nombreux contemporains de Newton. Et il reste un peu étonnant pour nous, si bien que nous allons en rappeler la solution. Si la Terre était brusquement soustraite à l’attraction gravitationnelle du Soleil, elle poursuivrait sa route en s’éloignant d’un mouvement uniforme, d’après le principe de l’inertie (voir p. XX). L’attraction du Soleil empêche donc la Terre de s’en éloigner, mais ne suffit pas à la faire tomber sur son étoile. Pour le comprendre, on peut faire intervenir la force centrifuge (voir chapitre 4 p. XX) qui s’introduit quand on applique le principe fondamental de la dynamique à un système tournant. Quand ce système est animé d’un mouvement circulaire de centre O, à une vitesse angulaire Ω, l’expression de la force centrifuge agissant sur une masse m, à distance D du centre, est : F = mΩ2D Celle-ci est dirigée vers l’extérieur de la trajectoire circulaire. Dans le cas de la Terre, qui tourne autour du Soleil, la force centrifuge F2 compense exactement la force gravitationnelle F1 exercée par le Soleil, et la planète ne tombe donc pas sur le Soleil. Cela se produit si le cercle de rayon DS que la Terre décrit autour du Soleil est parcouru par celle-ci à la vitesse angulaire : − GMs Ω = D s3 où MS est la masse du Soleil. En réalité, la Terre ne décrit pas un cercle autour du En dernier quartier 6 Lors de la pleine Lune et de la nouvelle Lune, les effets de la Lune et du Soleil s’additionnent et les marées sont particulièrement fortes. Au contraire, la marée est atténuée lors des premiers et derniers quartiers. flux et reflux des marées l 47 U Lutte d’influence entre le Soleil et la Lune Est-ce la Lune qui est la principale responsable des marées, ou le Soleil ? Pour simplifier, nous limiterons la discussion au point A le plus proche de l’astre attracteur et au point le plus éloigné B, de sorte que les deux forces F1 (gravitationnelle) et F2 (centrifuge) sont dirigées selon l’axe Terre-Soleil ou Terre-Lune : nous n’avons alors à considérer que leur norme, et non leur orientation. Soit M la masse de l’astre attracteur et D sa distance à la Terre. Estimons la force exercée par l’astre sur une masse δm en A ou B. Entre le centre O de la Terre et le point A ou B, la distance à l’astre subit une variation relative égale à RT/D, où RT est le rayon de la Terre. La variation relative des deux forces F1 et F2 entre le point O et le point A ou B est proportionnelle à cette quantité. Or, en O, les normes des deux forces sont égales (en valeur absolue) à GM ´m/D2. La variation absolue des forces en A ou B est donc proportionnelle à GM ´mRT/ D3, et la force résultante F = F1 + F2, dite force génératrice de marée, est elle-même proportionnelle à GMdmRT/ D3 en valeur absolue (les forces étant de directions opposées en A et B). XXX Le calcul montre que le coefficient de proportionnalité est 3 (mais cela ne joue aucun rôle dans l’argument).XXX Soleil MS = 1,99⋅1030 DS = 149 598 000 0,89⋅1014 0,59⋅106 Lune ML = 7,35⋅1022 DL = 384 400 0,50⋅1012 1,30⋅106 Terre MT = 5,98⋅1024 – – – En conséquence, si l’astre attracteur est le Soleil, la force résultante en A ou B sera égale (en valeur absolue) à GMSδmRT/DS3, et si l’astre attracteur est la Lune, la force sera GMLδmRT/DL3. Un coup d’œil au tableau ci-dessous montre que la force due à la Lune est deux fois plus forte que celle due au Soleil. Par contre, la force d’attraction gravitationnelle exercée par la Lune sur la Terre est bien plus faible que celle exercée par le Soleil. Car la force exercée par une masse M à distance D est proportionnelle à M/D2, et le rapport MS/DS2 est presque 200 fois plus grand que le rapport ML/DL2 (voir tableau). Et que dire de l’influence du Soleil sur le mouvement de la Lune ? Il faut maintenant comparer MS/DS2 et MT/DL2, où MT est la masse de la Terre. Ces deux quantités sont du même ordre de grandeur (voir tableau). On ne peut donc pas négliger l’effet du Soleil sur le mouvement de la Lune1. La hauteur des marées et leur prévision La théorie de Newton, géniale et simple, est incapable de prédire correctement le kaléidoscope de la physique q Données sur la Terre, la Lune et le Soleil. Les rapports calculés en 4e et 5e colonnes permettent de comparer les importances relatives des forces d’attraction gravitationnelles du Soleil et de la Lune qui s’exercent sur la Terre, et leur effet sur les marées. q La Lune, un joyau du ciel nocturne, a inspiré nombre de croyances et de superstitions. Si elle est en effet responsable des marées pour la plus grande part, son influence sur la montée de sève dans les plantes ou sur notre humeur (ou encore sur la forme des loups-garous) reste à démontrer. 1. Martin C. Gutzwiller, Rev. Mod. Phys., 70, 589-639, 1998. (Figure 5), l’action de la Lune renforce celle du Soleil et les marées sont particulièrement fortes. Ces marées de « vives-eaux » correspondent à la pleine Lune ou à la nouvelle Lune, et font le pendant des faibles marées de « mortes-eaux » au premier ou au dernier quartier (Figure 6). D’autre part, les marées sont particulièrement fortes aux équinoxes, car le Soleil se trouve alors dans le plan de l’équateur terrestre. 48 l B Masse M (en kg) Distance D à la Terre (en km) Rapport M/D2 Rapport M/D3 l’amplitude des marées. Elle prévoit en effet une hauteur de marée (différence de niveau entre marée haute et marée basse) de quelques dizaines de centimètres. En réalité, la hauteur de marée atteint couramment une dizaine de mètres sur les côtes des océans. En outre elle varie considérablement d’une côte à l’autre, ce qu’on ne peut pas expliquer avec les seuls arguments qui précèdent. Newton imaginait que la surface de l’océan était toujours à peu près en équilibre, et obéissait sagement aux forces qui lui sont appliquées. C’est le mathématicien et physicien français Pierre-Simon Laplace (1749-1827) qui, presque un siècle après Newton, montra qu’une théorie correcte devait être dyna- N F O A Lune Terre mique. Les phénomènes de résonance tiennent en effet une grande place dans le mécanisme : les marées à une date donnée subissent les effets des jours précédents et influencent les marées suivantes. La force de Coriolis joue aussi un rôle en déviant le mouvement des masses d’eau : c’est pourquoi la marée sur les côtes de la Manche comporte des variations de niveau d’une dizaine de mètres du côté français, mais plus faible de 4 mètres environ du côté anglais ! La hauteur des marées est déterminée non seulement par les mouvements de la Lune et du Soleil par rapport à la Terre, mais aussi par le dessin des côtes et le relief sous-marin (Figure 7). Un tel calcul serait extrêmement complexe, et on ne sait pas le faire. Fort heureusement, il est possible de prévoir les marées avec une très grande précision en considérant le niveau de la mer, en un point donné, comme une somme de fonctions sinusoïdales du temps, Saisin(ωit – ai). Une dizaine de termes suffisent. Les fréquences ωi sont parfaitement connues, et les coefficients ai sont déterminés expérimentalement en chaque point de la côte, ainsi que les déphasages ai. Terre et ses masses d’eau à un ellipsoïde allongé, cela veut dire que son grand axe n’est pas tout à fait dirigé vers la Lune, mais fait avec l’axe Terre-Lune un angle φ de l’ordre de 3° (Figure 8). En effet, l’eau n’arrive pas à trouver sa position le plus favorable, car son déplacement est retardé par des frottements au fond des océans et sur les côtes. Ces frottements dissipent de l’énergie, qui est prise à l’énergie cinétique de rotation de la Terre. Les marées en freinent donc la rotation ! Par conséquent, la durée du jour augmente, comme l’avait affirmé au xixe siècle le physicien anglais Lord Kelvin. Cette augmentation a été évaluée depuis avec une bonne précision. En effet, des chercheurs ont étudié des coraux fossilisés qui se trouvaient dans l’Océan Indien depuis 400 millions d’années et y ont trouvé des structures en anneau, dits anneaux journaliers, qui traduisent l’alternance du jour et de la nuit. 7 Conséquence du retard des marées sur le mouvement de la Lune. La Terre T et la Lune L sont vues par un observateur situé au dessus du pôle Nord. La Lune L tourne dans le même sens que la Terre, avec une vitesse angulaire bien plus faible (environ un tour par mois). Les marées terrestres sont décalées d’un angle Φ (très exagéré ici) sur le mouvement apparent de la Lune. À cause de ce retard, la force d›attraction exercée par la Terre sur la Lune comporte une petite composante f, perpendiculaire à l’axe (LT), qui éloigne la Lune de la Terre. 8 Mesure de la distance Terre-Lune à l’aide d’un faisceau laser à l’Observatoire de la Côte d’Azur. Des réflecteurs, déposés sur la surface lunaire au cours de missions américaines Apollo et de missions soviétiques Lunakhod, renvoient le faisceau laser émis depuis la Terre. La détermination précise du temps de trajet permet de calculer la distance entre les deux astres, à quelques millimètres près. Des jours de plus en plus longs… et une Lune de plus en plus lointaine L’observation montre que les marées sont retardées d’une douzaine de minutes par rapport au mouvement apparent de la Lune. En assimilant la flux et reflux des marées l 49 U L’énergie des marées Les marées représentent une énergie appréciable qu’il est tentant de vouloir récupérer. C’est le but des usines marémotrices (voir figure) qui mettent à profit les courants de marée ou les différences de hauteur d’eau qui y sont liées pour produire de l’électricité. L’énergie des marées est-elle vraiment inépuisable et gratuite comme les énergies solaire ou éolienne ? Nous avons vu que les pertes d’énergie lors des marées entraînent un ralentissement de la rotation de la Terre. En principe, l’exploitation de l’énergie des marées est susceptible d’accentuer ce ralentissement... Évaluons d’abord l’énergie que les hommes peuvent tirer, au maximum, de chaque marée. Nous allons donner un ordre de grandeur très grossier en supposant que la marée élève chaque jour d’une hauteur h = 1 m une surface d’eau égale à RT2. On obtient une énergie de l’ordre de gρR2h2, soit environ 1018 J par jour, ce qui est de l’ordre de grandeur de la consommation d’énergie dans le monde en 2008 (soit une consommation annuelle de 5⋅1020 J). Comparons à présent cette valeur à l’énergie cinétique de rotation de la Terre. Elle est de l’ordre de (1/5)MTRT2ω2, chapitre 6 Bulles et gouttes Bulles et gouttes fascinent les enfants… et aussi les grands enfants que sont les scientifiques. « Faites une bulle de savon et regardez-la. Vous pourriez passer votre vie à l’étudier sans cesser d’y trouver des leçons de physique », écrivait le physicien anglais Lord Kelvin. Nous n’épuiserons donc pas le sujet au cours de ce chapitre. Nous verrons quand même pourquoi, comme les gouttes, les bulles aiment la forme sphérique ; comment obtenir des bulles cylindriques ou en forme de selle de cheval… et comment fabriquer un microphone avec un robinet qui fuit ! où la masse de la Terre est MT = 6⋅1024 kg, son rayon RT de 6,37⋅106 m, et sa vitesse angulaire ω d’un tour par jour, soit environ 7⋅10–5 radians par seconde. Elle vaut donc à peu près 2,4⋅1029 J. En divisant ce résultat par 5⋅1020 J, on en déduit que la Terre pourrait encore tourner un demi-milliard d’années si l’humanité récupérait la totalité de l’énergie des marées (ce qui, techniquement, semble impossible). En comptant ces anneaux, ils ont établi que l’année solaire, c’est-à-dire le temps que la Terre met à tourner autour du Soleil (et qui était alors le même qu’aujourd’hui) était à cette époque de 395 jours. Le jour ne durait que 22 heures ! Ce « retard » des marées a une autre conséquence : la Lune s’éloigne de la Terre ! Cette dernière prenant une forme de ballon 50 l le kaléidoscope de la physique q En France, dans le nord de la Bretagne, l’usine marémotrice de la Rance fonctionne de façon satisfaisante depuis 1967. Le barrage (qui sert également de pont) produit de l’électricité grâce à des turbines qui sont tour à tour actionnées par le courant du fleuve. Ce dernier est augmenté par la marée montante puis la marée descendante. de rugby qui n’est pas orienté dans l’axe Terre-Lune, la force d’attraction exercée par la Terre sur la Lune n’est pas exactement dirigée vers le centre de la Terre : elle comporte une composante perpendiculaire à l’axe Terre-Lune. Et cette force éloigne la Lune de la Terre de 3,8 cm par an (Figure 9)… nous séparant de plus en plus de nos voisins sélénites ! Pourquoi la pluie tombe-t-elle goutte à goutte ? L’eau se met souvent sous forme de gouttes, dont les dimensions sont de l’ordre du millimètre. Il suffit de voir la pluie tomber pour s’en rendre compte. Pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi l’eau mise dans un compte-gouttes n’en sortelle que sous l’effet d’une légère pression et sous forme de gouttes à peu près rondes de diamètre bien défini ? Minimisation de l’énergie potentielle et tension superficielle Les objets tendent à minimiser leur énergie potentielle, c’est-à-dire l’énergie qu’ils emmagasinent du fait de leur position dans l’espace et des interactions extérieures. C’est en vertu de ce principe que les boules de billard tombent dans les trous, de même que les humains quelquefois : ils minimisent ainsi leur énergie potentielle due à l’attraction gravitationnelle de la Terre. Les gouttes, quant à elles, tendent à prendre une forme qui est déterminée par la minimisation de l’énergie de surface. En effet, pour augmenter la surface d’un liquide, il faut fournir de l’énergie. C’est celle-ci qui est appelée « énergie de surface » (ou « d’interface »). Quelle est son origine ? Les molécules qui constituent la surface d’un liquide sont dans une situation particulière : au lieu d’être environnées de molécules semblables, comme le sont les molécules de l’intérieur du liquide, elles n’ont de voisines identiques que d’un seul côté ; de l’autre se trouvent de rares molécules d’air. Or, en général, les molécules d’un liquide s’attirent : les molécules à la surface, plus isolées, se trouvent donc dans un état énergétique défavorable. 1 Une pellicule d’eau savonneuse exerce une force 2F (la pellicule ayant deux faces) sur une tige mobile. Si la tige se déplace d’une longueur x, le travail 2Fx de la force est égal à la diminution d’énergie potentielle 2sLx de la pellicule. La tension superficielle s est donc égale à la force par unité de longueur F/L. bulles et gouttes l 51