Mini-revue mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2013 ; 15 (4) : 318-27 Cycle menstruel à l’adolescence : quid de la norme ? Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Normal bleeding patterns in adolescence: any standard? Martine Jacot-Guillarmod Saira-Christine Renteria Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), département de gynécologie – obstétrique, avenue Pierre-Decker 2, 1011 Lausanne, Suisse <[email protected]> Mots clés : adolescence, cycle menstruel, irrégularités de saignements, norme Abstract. After menarche, irregular menstrual bleedings are common. They occur secondary to anovulatory cycles due to the immaturity of the gonadotrophic axis in 50-80% of cases. A thorough evaluation of every adolescent complaining of irregular or heavy bleeding must be achieved because bleeding disorders can reveal a severe underlying condition such as Chlamydia infection, eating disorders, von Willebrand disease, polycystic ovarian syndrome or pregnancy. The challenge for the physician is to distinguish between bleeding abnormalities secondary to anovulation and pathologies where investigations and specific follow-up are mandatory. Bleeding disorders can be very distressing for the adolescents who deserve appropriate counseling according to their fears and comprehension. Key words: adolescents, menstrual cycles, normal bleeding patterns, bleeding disorders I médecine thérapeutique l est communément admis qu’un cycle menstruel régulier de 28 jours représente la norme pour toute femme dès sa ménarche. Tout écart, même de quelques jours, entraîne souvent chez l’adolescente et son entourage des inquiétudes quant à son intégrité féminine et sa fertilité. Les troubles du cycle, en même temps que les questions relatives à la contraception, constituent la première cause de consultation gynécologique à l’adolescence. Ce constat témoigne de l’importante préoccupation liée aux questions relatives à leurs règles, leurs caractéristiques et leur rythmicité. Avec l’émergence des nouvelles technologies (forums et blogs sur internet, applications pour smartphone, etc.), la multiplication des outils disponibles dédiés au cycle menstruel confirment ce besoin de contrôle et de réassurance mais aussi tout simplement de connaissances sur ce sujet. Ces perceptions erronées d’un cycle normal s’inscrivent dans une période de maturation qui se traduit fréquemment par des cycles irréguliers ou des saignements abondants. Peut-on, sachant cela, banaliser ces troubles du cycle alors que l’adolescente consulte avec cette plainte ? La particularité des premiers cycles qui suivent la ménarche, actuellement située en moyenne à 12,9 ans [1], même si la variabilité interindividuelle peut aller jusqu’à quatre ou cinq ans de différence [2], est liée à l’immaturité de l’axe gonadotrope responsable de ces cycles irréguliers ou de saignements abondants. Dans 50-80 % des cas, ces cycles sont anovulatoires les 18 à Pour citer cet article : Jacot-Guillarmod M, Renteria SC. Cycle menstruel à l’adolescence : quid de la norme ? mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2013 ; 15 (4) : 318-27 doi:10.1684/mte.2013.0491 doi:10.1684/mte.2013.0491 Médecine de la Reproduction Gynécologie Endocrinologie Tirés à part : M. Jacot-Guillarmod 318 Résumé. Après la ménarche, les irrégularités des cycles sont fréquentes et dans 50-80 % des cas en lien avec des cycles anovulatoires dus à une immaturité de l’axe gonadotrope. Une évaluation minutieuse s’impose chez toute adolescente consultant pour ce motif car les anomalies de saignements agissent parfois comme le révélateur d’une pathologie sous-jacente telle qu’une infection à Chlamydia, un trouble du comportement alimentaire, une maladie de von Willebrand, un syndrome des ovaires polykystiques, une grossesse ou autre. Le défi pour le praticien est de distinguer les troubles du cycle liés à l’anovulation, qui peuvent être banalisés, des troubles associés à des pathologies nécessitant des investigations et une prise en charge spécifique parfois immédiate. L’anamnèse est l’étape-clé dans l’évaluation d’un trouble du cycle. Les règles abondantes ou irrégulières sont une source de préoccupation pour les adolescentes qui doivent pouvoir bénéficier d’un encadrement qui prenne en considération leurs représentations en levant leurs inquiétudes sans les minimiser. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. 24 premiers mois, se traduisant parfois par seulement une ou deux menstruations par an. Selon certains auteurs, cette incidence atteint même 95 % [3]. Il s’agit de distinguer le cycle menstruel normal chez l’adolescente d’un trouble du cycle nécessitant des investigations. Néanmoins, un cycle considéré comme physiologique peut, selon les représentations, les attentes et les activités de l’adolescente, entraîner une gêne dont il faut tenir compte. En effet, le milieu culturel dans lequel évolue l’adolescente va influencer de manière importante la perception qu’elle aura de son cycle et cela dès la ménarche dont la survenue même donne lieu à des représentations très diverses selon les sociétés, comprenant célébrations festives, d’une part, ou à l’inverse, dévalorisation, voire humiliation, d’autre part. Le bagage biographique de l’adolescente qui consulte pour un trouble du cycle doit par conséquent être pris en considération de manière à offrir à chaque adolescente une écoute et une prise en charge optimale. Le cycle dit normal : définitions La perception que toute femme a de son cycle, et a fortiori toute adolescente, s’inscrit dans le vécu personnel, familial et socioculturel. Ainsi la perception d’un cycle normal ou pathologique varie d’une femme à une autre. Du point de vue physiologique, le cycle est composé d’une phase folliculaire suivie d’une phase lutéale (figure 1). La durée du cycle est dictée par la phase folliculaire qui peut varier, contrairement à celle de la phase lutéale qui est toujours de 12-14 jours à partir de l’ovulation. La longueur du cycle n’est donc pas un reflet de son caractère ovulatoire ou non et n’autorise par conséquent aucune interprétation quant à la fertilité. La durée moyenne du cycle est de 28 jours, une variation entre 21 et 35 étant considérée comme normale et la durée moyenne des menstruations est de quatre jours avec une variation allant de 1 à 7. La quantité moyenne des pertes de sang est estimée à 30-40 mL avec un maximum de 60-80 mL. Ces différentes caractéristiques du cycle menstruel normal sont énumérées dans le tableau 1. Les troubles du cycle : définitions La littérature manque d’homogénéité dans les définitions pour les différents troubles du cycle, rendant difficile la comparaison des recherches épidémiologiques aussi bien que l’évaluation de différentes approches thérapeutiques [4]. La nomenclature proposée dans le présent article est explicitée dans le tableau 2. Les troubles du cycle sont classés en trois groupes distinguant les variations touchant la quantité de saignement, celles touchant le rythme ou la durée, voire l’absence de règles, et celles touchant la perception sensorielle, en particulier douloureuse, liée au cycle. Les cycles perçus comme irréguliers ou abondants et la dysménorrhée (20-90 % des adolescentes [5], 45 % en Suisse [6]) représentent les plaintes gynécologiques les plus fréquentes à cet âge. Dans la perspective d’un diagnostic différentiel, il s’avère utile de distinguer les différentes composantes du cycle, à savoir la quantité, le rythme et la possible douleur [7]. Le tableau 3 offre un aperçu du vaste diagnostic différentiel concerné et illustre combien les pathologies pouvant être révélées par un trouble du cycle touchant des domaines aussi Tableau 2. Nomenclature des troubles du cycle. Classification des troubles selon les différentes composantes et comparés au cycle dit normal. Variations de la quantité Hyperménorrhée : saignement menstruel excessif (> 80 mL/cycle) ou nécessité de changer de tampon/bande hygiénique toutes les 1-2 h Hypoménorrhée : saignement de faible intensité Variations du rythme ou de la durée Ménorragie : saignement menstruel prolongé (durée > 7 jours) Aménorrhée : absence de menstruation Métrorragie (ou spotting) : saignements survenant à intervalles irréguliers Polyménorrhée : saignements survenant à un intervalle < 21 jours Oligo-aménorrhée (ou spanioménorrhée) : saignement survenant à un intervalle > 45 jours Variations de la perception sensorielle Tableau 1. Définitions du cycle menstruel normal. Dysménorrhée : menstruation douloureuse Durée moyenne des menstruations : 4 jours (1-7) Syndrome prémenstruel : ensemble de symptômes physiques, psychiques et émotionnels survenant en lien avec le cycle menstruel Quantité moyenne de pertes sanguines : 30-40 mL Variation combinée Quantité maximale de pertes sanguines : 60-80 mL (> 6 serviettes ou tampons par jour) Ménométrorragie : saignements prolongés à intervalles irréguliers Durée moyenne du cycle : 28 jours (21-35) mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 15, n◦ 4, octobre-novembre-décembre 2013 319 Mini-revue HYPOTHALAMUS Neurones ANTÉHYPOPHYSE Système porte hypothalamo-hypophysaire GnRH POST-HYPOPHYSE Cellules glandulaires Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Circulation sanguine générale FSH LH Pic ovulatoire Cycle des gonadotrophines hypophysaires FSH LH 14 Phase folliculaire Ovulation 28 CORTEX OVARIEN Phase lutéale Cycle ovarien Follicules privilégiés Cycle des hormones ovariennes Corps jaune Follicule de Graaf Dégénérescence fibreuse Progestérone Œstrogènes 1 2 3 4 5 Menstruation Destruction de la zone fonctionnnelle de l’endomètre 14e jour 28e jour UTÉRUS Figure 1. Le cycle menstruel. Les conditions requises pour l’instauration et le maintien d’un cycle régulier sont multiples : axe gonadotrope fonctionnel (hypothalamus-hypophyse-ovaire), filière génitale intacte, endomètre réceptif et réserve folliculaire satisfaisante (d’après [7]). 320 mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 15, n◦ 4, octobre-novembre-décembre 2013 Tableau 3. Diagnostic différentiel des troubles du cycle. Pathologies liées à la quantité Trouble de l’hémostase (20 %) : maladie de von Willebrand, déficit en facteur V, VII ou X Thrombocytopénie : leucémie, purpura thrombopénique idiopathique (PTI) Iatrogène : médicaments (anticoagulation), dispositif intra-utérin (DIU) au cuivre Traumatisme : lacération vaginale Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Atteinte utérine : myome Pathologies liées au rythme Cycles anovulatoires : fonctionnel (80 %), anorexie, sport, stress Infections : cervicite, endométrite, PID (Chlamydia) Endocrinopathies : trouble thyroïdien, hyperprolactinémie, PCO, insuffisance ovarienne, atteinte surrénalienne Iatrogène : chimiothérapie, radiothérapie, médicaments (contraception) Malformation génitale : syndrome de Mayer-Rokitansky-Kuster-Hauser Grossesse : abortus, GEU, maladie trophoblastique, complication post-interruption de grossesse, anomalie placentaire Traumatisme : abus sexuel, rétention de corps étranger (tampon) Atteinte cervicale : polype, ectropion Tumeur : rhabdomyosarcome (vagin/col), tumeur ovarienne cycle suscitent des interprétations qui ne correspondent que rarement à l’appréciation médicale objective. Des travaux sociologiques retracent historiquement la perception des menstruations à travers les époques et les sociétés. Il est frappant de constater que les termes utilisés ont majoritairement des connotations négatives et qu’il faut attendre le XVIIe siècle pour voir apparaître en Angleterre, une appellation plutôt neutre mais puritaine : “at those monthly periods” [9]. Il reste de cette imprégnation historique un important tabou lié aux règles, plus marqué dans certaines cultures. Il est du rôle du praticien d’assurer à chaque adolescente l’accès aux connaissances sur le fonctionnement de son corps et les changements liés à son développement. Bien qu’une des premières démarches thérapeutiques soit souvent de l’informer que des cycles irréguliers peuvent être normaux, il est également important de préciser qu’il est possible de les traiter si ces troubles génèrent une gêne ou un inconfort. À titre d’exemple, la dysménorrhée est encore trop souvent interprétée par l’entourage de la jeune patiente comme un « passage obligé » ou comme un symptôme fictif, négligeable. Les règles survenant habituellement comme ultime étape du développement pubertaire marquent l’accès au statut biologique de femme, point de non-retour pour l’adolescente qui découvre son nouveau corps alors que son psychisme n’a peut-être pas encore assimilé cette réalité. Est-il dès lors étonnant que le vécu du cycle menstruel mais aussi la présence de certains troubles soient intimement liés à l’acceptation de l’adolescente de sa féminité ? Pathologies associées à la douleur Endométriose Comment évaluer le cycle ? Kyste ovarien : torsion, rupture Traumatisme : lacération vaginale Infection : endométrite, PID Grossesse : GEU, abortus Malformation génitale méconnue : hémivagin borgne PID : pelvic inflammatory disease/maladie inflammatoire pelvienne ; GEU : grossessse extra-utérine ; PCO : polycystic ovaries/ovaires polykystiques. variés que l’hématologie, l’endocrinologie, l’infectiologie, l’oncologie, l’obstétrique, voire des atteintes traumatiques ou iatrogènes. Comme déjà évoqué, il est impératif d’appréhender tout problème de cycle dans le contexte global de la jeune patiente. Le contexte influence non seulement la perception qu’une jeune fille a de son cycle mais aussi la décision de consulter [8]. Les représentations varient selon l’origine ethnique, les croyances religieuses et celles transmises dans la lignée féminine des familles. Les règles et le déroulement du L’anamnèse est l’étape clé dans l’identification d’un éventuel problème de cycle. Il s’agit donc de la conduire de manière à obtenir des informations détaillées en posant des questions concrètes et, éventuellement, par la démonstration de matériel d’hygiène menstruelle. Ainsi des questions type dans l’investigation d’un saignement abondant peuvent être : utilisez-vous des tampons ou des bandes hygiéniques et de quel type (capacité d’absorption) ? Combien de fois changez-vous de protection par jour ? Observez-vous parfois des débordements nocturnes malgré l’utilisation de tampons ou bandes très absorbants ? Contrairement à certaines idées reçues, les jeunes filles vierges peuvent porter des tampons hygiéniques et pas exclusivement de taille « mini ». Les tampons ne sont pas toxiques. En effet, l’incidence du syndrome du choc septique est estimée au plus à 3-4 cas pour 100 000 utilisatrices de tampons et les adolescentes ne semblent pas plus à risque que les femmes plus âgées [10]. Le score de Higham [11] (figure 2) est utile pour quantifier et évaluer les pertes sanguines lorsqu’elles sont mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 15, n◦ 4, octobre-novembre-décembre 2013 321 Mini-revue Jour de règles Tampon ou bande J1 J2 J3 J4 J5 J6 J7 J8 Points Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. 1 point/ tampon ou bande 322 5 points/ tampon ou bande 20 points/ tampon ou bande Petit caillot 1 point Grand caillot 5 points • Chaque jour le nombre de bandes hygiéniques (ou tampons) est reporté dans la case correspondant au degré d'imprégnation en sang. • Les points obtenus sont additionnés et, à la fin des règles, la somme obtenue équivaut à la valeur du score de Higham. • Un score supérieur à 100 points correspond à un saignement supérieur à 80 mL (= hyperménorrhée). Figure 2. Score de Higham modifié. Évaluation semi-quantitative par des questions concrètes, éventuellement, par la démonstration de matériel d’hygiène menstruelle (d’après [7]). jugées abondantes. L’utilisation d’un calendrier menstruel constitue aussi une précieuse source d’informations et d’enseignement. En cas de dysménorrhée, l’utilisation d’une échelle visuelle analogique allant de 1 à 10 (10 représentant la douleur maximale imaginable) peut être utile pour évaluer l’intensité de la douleur perçue. De même, la recherche d’absentéisme scolaire induit par la dysménorrhée et de l’interférence des symptômes avec la vie extrascolaire est un bon indicateur de l’intensité du symptôme et de son impact dans le quotidien de l’adolescente. L’anamnèse ciblée permet également de mettre à jour des difficultés que l’adolescente n’aborde pas spontanément, comme l’impossibilité d’introduire un tampon vaginal par exemple, qui peut simplement révéler un manque de connaissances anatomiques mais aussi une anomalie hyménale. Dans ces circonstances, un examen gynécologique est indiqué afin d’exclure une telle anomalie. En utilisant un miroir ou un système vidéo avec écran, l’examen permet d’expliquer l’anatomie et de servir ainsi d’« outil pédagogique » à l’égard de la jeune patiente. L’examen clinique constitue donc parfois la deuxième étape de l’évaluation d’un trouble de cycle en fonction de ce qui est révélé à l’anamnèse mais uniquement sur indication. Ainsi, l’examen est nécessaire lors de l’investigation d’une aménorrhée primaire à la recherche d’une malformation congénitale de type septum vaginal transverse ou agénésie comme lors d’un syndrome de mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 15, n◦ 4, octobre-novembre-décembre 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Mayer-Rokitansky-Kuster-Hauser, par exemple. En cas de suspicion de lésion traumatique ou d’atteinte infectieuse, l’examen est également indiqué. Il importe toutefois d’insister sur le fait que la majorité des anomalies du cycle menstruel ne justifie pas d’examen gynécologique dont l’apport dans la prise en charge n’est pas contributif. Cela est particulièrement vrai pour des troubles tels que l’hyperménorrhée, la ménorragie ou la dysménorrhée, du moins dans la prise en charge initiale. Un examen gynécologique peut cependant être proposé et apporter une réassurance à certaines adolescentes qui se questionnent sur leur « normalité » féminine, interrogation qu’un trouble du cycle peut exacerber. D’un point de vue paraclinique, les dosages hormonaux explorant l’axe gonadotrope, voire les androgènes en cas de signes cliniques évocateurs, permettent de compléter la démarche diagnostique dans certaines situations. C’est le cas, par exemple, dans des situations de spanioménorrhée associée à des signes d’hyperandrogénie évoquant un syndrome des ovaires polykystiques (PCOS). L’apport de l’imagerie est le plus contributif lors de malformations génitales. L’échographie pelvienne par voie abdominale, périnéale ou anale chez les patientes vierges ou l’imagerie par résonance magnétique (IRM) y occupe une place de choix tant dans le dépistage d’une malformation que dans l’exploration d’une malformation connue mais aussi dans l’exploration secondaire de douleurs pelviennes réfractaires au traitement évoquant une endométriose. L’échographie est souvent réalisée mais s’avère, à l’exception d’une dysménorrhée secondaire sur pathologie somatique (kyste fonctionnel des ovaires, grossesse extra-utérine), dans la majorité des cas normale. Elle peut révéler des ovaires d’aspect polykystique, un endomètre épaissi en cas de ménorragie ou une malformation génitale dans un contexte de dysménorrhée. Les troubles du cycle : quelle thérapeutique ? Il existe de nombreux traitements, essentiellement médicamenteux, pour la prise en charge des troubles du cycle chez l’adolescente. Les indications à instaurer un traitement varient en fonction de la sévérité de la symptomatologie, des complications induites, comme par exemple une anémie ferriprive chronique sur hyperménorrhée ou encore en fonction de certaines réalités. Ainsi, la gestion d’un cycle même normal chez une adolescente présentant un handicap cérébromoteur peut engendrer d’importantes difficultés tant pour la jeune femme que pour son entourage et l’introduction d’un traitement hormonal supprimant les règles peut constituer une aide précieuse dans ces circonstances. Les traitements efficaces en cas de dysménorrhée comprennent les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) par inhibition de la synthèse des prostaglandines, les contraceptifs œstro-progestatifs par suppression du pic ovulatoire ainsi que les progestatifs administrés sous forme dépôt (Depo Provera® , Sayana® , Mirena® ) par l’aménorrhée induite. L’administration d’acétate de médroxyprogestérone (Depo Provera® , Sayana® ) nécessite d’être vigilant car il semble diminuer la densité minérale osseuse chez l’adolescente au moment où le pic de masse osseuse est à atteindre [12]. Il est, par conséquent, recommandé de limiter le traitement à deux ans maximum. En l’absence de contre-indications, l’association d’une « add back therapy » sous forme de substitution œstrogénique peut permettre de prolonger le traitement. Malgré l’observation de variations pondérales individuelles en pratique clinique, une prise de poids spécifique aux contraceptifs à progestérone seule n’a pas été démontrée [13]. Les options thérapeutiques permettant de régulariser un cycle (métrorragies, spanioménorrhée) comprennent en première intention les progestatifs non contraceptifs administrés de manière cyclique ou les contraceptifs œstro-progestatifs. Les progestatifs administrés sous forme dépôt (Depo Provera® , Sayana® , Mirena® ) peuvent également être une alternative intéressante en tenant compte qu’ils entraînent une aménorrhée jusqu’à 70 % en 12 mois [14]. En cas d’hyperménorrhée, le choix thérapeutique comprend l’acide tranexamique (Cyklokapron® ) par son action antifibrinolytique, les AINS, et dans une moindre mesure, les progestatifs non contraceptifs administrés cycliquement, ainsi que les contraceptifs œstro-progestatifs ou les contraceptifs progestatifs sous forme dépôt. Le mécanisme d’action des progestatifs non contraceptifs dans la correction de l’hyperménorrhée n’est pas clairement élucidé [15]. Le dispositif intra-utérin (DIU) au lévonorgestrel (Mirena® ) tient une place de choix dans la prise en charge des troubles du cycle et doit être proposé aux adolescentes [16]. Il inhibe l’ovulation dans environ 25 % des cas, épaissit le mucus cervical et prévient l’épaississement de l’endomètre. En plus de son impact thérapeutique, il garantit une excellente protection contraceptive et offre une alternative valable en cas de contre-indication aux œstrogènes ou de risques thromboemboliques majorés. Le taux de complications infectieuses chez les porteuses de DIU n’est pas plus élevé dans la population adolescente que dans la population féminine générale [17, 18]. La crainte de telles complications ne justifie plus de priver les jeunes patientes de ce dispositif intra-utérin, sous réserve d’une infection sexuellement transmise préexistante. mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 15, n◦ 4, octobre-novembre-décembre 2013 323 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Mini-revue 324 L’administration de désogestrel par voie orale (Cerazette® ) présente peu d’intérêt dans la prise en charge des troubles du cycle à l’adolescence. Même si ce traitement entraîne une aménorrhée intéressante dans certaines situations, il induit des métrorragies jusque dans 50-70 % des cas [19]. Comme déjà évoqué, les contraceptifs oraux combinés (COC) sont efficaces dans le traitement des irrégularités du cycle, de l’hyperménorrhée et de la dysménorrhée, bien que ces indications soient paradoxalement considérées comme des utilisations « off-label » pour la majorité des contraceptifs oraux actuellement sur le marché. Ils inhibent l’ovulation en freinant la production hypophysaire de l’hormone folliculostimulante (FSH) et de l’hormone lutéinisante (LH). Ils peuvent être administrés en respectant un cycle menstruel ou en cycles longs, à savoir de façon continue sur plusieurs mois. La suppression des règles ainsi obtenue offre une atténuation supplémentaire des symptômes. Les COC représentent le premier choix thérapeutique pour le traitement de troubles du cycle complexes, associant un trouble du rythme à un trouble de la quantité, par exemple, et résistant aux autres approches thérapeutiques. Ils occupent évidemment une place de choix lorsqu’un trouble du cycle s’accompagne d’un besoin en contraception. La pilule contraceptive est associée à divers effets secondaires indésirables, démontrés scientifiquement ou non, parmi lesquels le risque de thrombose veineuse profonde (TVP) et autres complications thrombotiques doit être recherché. Le risque de base de TVP est très faible chez les jeunes filles âgées de 15 à 19 ans [20]. Ce risque semble doublé en cas de prise de COC. Malgré certaines controverses dans la littérature, le risque de thrombose paraît supérieur avec les pilules contentant des progestatifs de troisième ou quatrième génération qu’avec les pilules contentant des progestatifs de deuxième génération, à base de lévonorgestrel [21]. Une revue, Cochrane, s’est intéressée à l’utilisation de COC contenant 20 g d’éthinylœstradiol (EE) dans le but de diminuer les complications thromboemboliques par rapport aux COC plus fortement dosés en œstrogènes. Cette revue a révélé une incidence significativement plus élevée de métrorragies dans ce groupe et ne recommande pas les COC à 20 g d’EE en première intention chez les adolescentes [22]. Une recherche minutieuse de facteurs de risque thromboemboliques doit systématiquement être conduite afin de déceler d’éventuelles contre-indications à un COC telles qu’une thrombophilie connue, un tabagisme important associé à un excès pondéral ou un antécédent de TVP ou embolie pulmonaire ou encore une anamnèse familiale évocatrice. Lorsqu’un COC est prescrit, il faut tenir compte de l’identification de facteurs de risque tout en considérant le bénéfice attendu de cette prescription. L’adolescente doit être bien informée afin de participer à part entière à cette décision thérapeutique, et il convient de bien tenir compte de sa capacité de discernement. Les règles : quand faut-il s’alarmer ? Les règles peuvent apparaître comme le signe extérieur de bon fonctionnement sur le plan de la santé reproductive et de la santé en général. Les troubles du cycle présents chez l’adolescente, lorsqu’ils ne sont pas attribuables aux seuls cycles anovulatoires, agissent comme révélateurs de pathologies [23, 24]. L’Académie américaine de pédiatrie et le Collège américain des gynécologues et obstétriciens incitent à intégrer l’anamnèse menstruelle des jeunes filles au même titre que tout autre signe vital dans le bilan de santé à l’adolescence [25]. L’identification de troubles du cycle peut permettre d’anticiper des problèmes de santé révélés parfois seulement à l’âge adulte ou mettre en évidence une maladie systémique méconnue. C’est le cas pour le PCOS [26]. Ce syndrome est caractérisé par une oligoménorrhée ou une aménorrhée secondaire accompagnée de signes cliniques et biologiques d’hyperandrogénie persistant au-delà de la période d’hyperandrogénie relative physiologique et transitoire de l’adolescence due aux cycles anovulatoires. Le syndrome métabolique peut être discret à l’adolescence mais en l’absence de prise en charge adéquate, il évolue à l’âge adulte vers une insulinorésistance sévère avec ses diverses complications. Cette issue rend une prise en charge précoce et si possible multidisciplinaire indispensable. L’aménorrhée secondaire ouvre un large volet de diagnostics possibles. Parmi ces diagnostics, une grossesse, un trouble du comportement alimentaire de type anorexie ou une hyperprolactinémie représentent les causes les plus fréquentes d’aménorrhée secondaire à l’adolescence et doivent être recherchées. Le diagnostic d’un trouble du comportement alimentaire impose la mise en place d’un encadrement où le trouble du cycle en soi ne constitue pas la priorité thérapeutique mais peut agir comme élément déclencheur à une prise de conscience et à l’instauration de mesures thérapeutiques. Quant à l’hyperprolactinémie chez l’adolescente, elle présente la particularité d’être rarement associée à un écoulement mammaire contrairement à ses manifestations chez l’adulte et l’absence de règles est souvent le seul signe clinique de ce dérèglement endocrinien. L’hyperménorrhée chez la patiente adolescente peut être le premier signe d’un trouble de l’hémostase. La maladie de von Willebrand est la pathologie la plus communément associée à une hyperménorrhée à la ménarche lorsque celle-ci n’est pas fonctionnelle. Elle touche 1 % de la population générale et, parmi les adolescentes, une fille sur six qui consulte pour hyperménorrhée sévère est atteinte de cette maladie. Lorsque le diagnostic mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 15, n◦ 4, octobre-novembre-décembre 2013 est posé à cet âge cela permet d’anticiper la survenue de graves hémorragies et de prévenir une anémie chronique. Il existe des pathologies telles l’endométriose, certaines malformations génitales ou des infections pelviennes qui se manifestent par une dysménorrhée. La dysménorrhée membraneuse, rare, correspond à l’expulsion de la décidue endométriale en un bloc tissulaire et génère souvent beaucoup d’inquiétude. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Les règles : attention ! Parmi les pathologies révélées, il s’agit de déceler les critères de sévérité qui imposent une prise en charge immédiate [27]. Ces critères comprennent la durée du trouble, la sévérité des symptômes cliniques et leur répercussion dans le quotidien de la jeune patiente. Une dysménorrhée ou hyperménorrhée sévère difficile à gérer peut être à l’origine d’absentéisme scolaire ou d’un retrait social, par exemple. En dehors du critère de sévérité, c’est la possible association à une pathologie qui détermine l’indication à investiguer. Dans le vaste diagnostic différentiel des métrorragies (tableau 3), il y a des situations où le trouble du cycle est l’expression clinique d’une pathologie sousjacente. Les métrorragies peuvent aussi bien révéler un tampon oublié qu’une grossesse méconnue, par exemple, et signifier une grossesse extra-utérine, un abortus ou la complication d’une interruption de grossesse. La suspicion d’une infection génitale lors de métrorragies même faibles doit faire rechercher une infection, en particulier à Chlamydia. La sévérité des symptômes accompagnants tels que fièvre, altération de l’état général et douleurs abdominales dicte la prise en charge ambulatoire ou hospitalière. Dans les cas d’infections génitales, plus la prise en charge spécifique est rapide, meilleur est le pronostic en termes de fertilité. Les métrorragies sont parfois le témoin d’une tumeur génitale, le rhabdomyosarcome étant la plus fréquente (4-6 % des néoplasies chez la fillette et l’adolescente) ou ovarienne (kystes fonctionnels fréquents, tumeurs malignes très rares < 20 ans) qui impose une prise en charge urgente. Par conséquent, le bilan initial d’évaluation de métrorragies doit comprendre un test de grossesse et la recherche de germes responsables de maladies sexuellement transmissibles (Chlamydia, gonocoques) en cas d’activité sexuelle possible, un examen gynécologique minutieux et/ou une échographie. Qu’en est-il de l’hémorragie aiguë ? L’hémorragie aiguë, dysfunctional uterine bleeding (DUB), est définie par un saignement excessif, parfois prolongé, de l’endomètre sans cause organique identifiée. Dans 90 % des cas, l’hémorragie est associée à un cycle anovulatoire. L’hypothèse physiopathologique stipule un manque de rétrocontrôle négatif des œstrogènes sur la sécrétion de FSH dont la chute, dans un cycle normal, entraîne une diminution du taux d’œstrogènes. Ainsi, la sécrétion d’œstrogènes continue d’être stimulée entraînant un épaississement excessif de l’endomètre. L’hospitalisation est parfois nécessaire pour stabiliser la patiente sur le plan hémodynamique. Le traitement est hormonal. L’objectif de ce traitement est d’administrer des œstrogènes pour tarir le saignement en accentuant la prolifération endométriale tout en administrant des progestatifs qui stabilisent l’endomètre. Il existe différents schémas thérapeutiques reconnus selon les critères d’une médecine basée sur les évidences. L’utilisation de pilules contraceptives œstroprogestatives est habituelle [4, 28]. Conclusion : les troubles du cycle sont-ils à banaliser ? Puisqu’il est habituel que les premiers cycles suivant la ménarche soient irréguliers tant sur le plan de la fréquence des menstruations que sur le plan de la quantité des saignements, quand faut-il s’en inquiéter ? L’évaluation d’une jeune patiente présentant un trouble du cycle doit permettre de déterminer quelle adolescente nécessite un traitement médical spécifique après d’éventuelles investigations complémentaires et quelle adolescente peut bénéficier d’une attitude expectative jusqu’à maturation complète de l’axe gonadotrope ou d’un traitement symptomatique répondant à ses besoins. Il est par conséquent essentiel de connaître le mécanisme des premiers cycles menstruels et les possibles affections liées à des irrégularités du cycle afin de ne pas banaliser à tort toute anomalie de saignement chez une patiente adolescente. Selon les circonstances, la prise en charge vise à régulariser le cycle et soulager de possibles douleurs après avoir exclu une pathologie associée (figure 3). Le médecin joue souvent un rôle de réassurance par une information ciblée et adaptée à l’adolescente qui vient compléter l’éducation sexuelle. La prise en charge précoce des troubles du cycle doit être encouragée afin d’améliorer la qualité de vie des jeunes patientes concernées et de préserver leur santé reproductive en diminuant le risque de complications ultérieures. Pour ce faire une prise de conscience rapide ainsi qu’une évaluation prévoyante sont requises. L’aménorrhée en particulier a un fort impact sur la qualité de vie des adolescentes qui peut se traduire par une baisse mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 15, n◦ 4, octobre-novembre-décembre 2013 325 Mini-revue AINS Antifibrinolytique Ex : acide méfénamique Ex : acide tranexamique 3 x 500 mg/j dès J1 4 x 1000 mg/j J1 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. 3 x 1000 mg/j J2+ J3 Traitement pendant 3 mois et réévaluation (Isolé ± en association d’emblée selon indication) Si échec : association des 2 médications Figure 3. Prise en charge thérapeutique lors d’hyperménorrhée (±dysménorrhée) (d’après [7]). d’estime de soi [29], elle-même génératrice de comportements à risque. C’est d’ailleurs le propre de tout élément du parcours de l’adolescente induisant un doute sur la fertilité. 7. Jacot-Guillarmod M, Renteria SC. Troubles du cycle à l’adolescence : une banalité ? Rev Med Suisse 2010 ; 6 : 1236-41. Liens d’intérêts : aucun. 8. Bitzer J, Tschudin S, Stadlmayer W. Die Menstruation und ihre Bedeutung für die Frauengesundheit. Zentralbl Gynakol 2005 ; 127 : 282-7. Références 1. Narring F, Tschumper A, Inderwildi L, et al. Santé et styles de vie des adolescents âgés de 16-20 ans en Suisse 2002. SMASH 2002: Swiss multicenter adolescent survey on Health 2002.95a,211. 2004. 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