e N° 30 e e Fiche pratique Fiicchhe ich Fiche F h F c i h c i F F e Sous la responsabilité de leurs auteurs Le sevrage alcool B. Badin de Montjoye*, P. Podevin** Rappel Le sevrage accidentel ou dans l’urgence Le sevrage programmé En ambulatoire Résidentiel Le syndrome de sevrage est défini par l’ensemble des manifestations cliniques survenant dans les suites immédiates (en général 72 heures) ou différées, jusqu’à dix jours après l’arrêt brutal de la consommation d’alcool. Bien que nécessitant une médicalisation, la prise en charge doit rester dans le cadre d’un travail d’équipe multidisciplinaire. Celle-ci peut être somatique : liée à la décompensation aiguë de l’une des complications somatiques (cirrhose, pancréatite aiguë…) ou lors d’une pathologie traumatique. Elle peut être psychiatrique, en particulier l’idéation suicidaire gravissime, ou une situation mettant en jeu la vie du patient ou de l’un de ses proches. L’hospitalisation peut alors se faire dans le cadre d’une hospitalisation à la demande d’un tiers. Sociale : dans de rares cas où le pronostic vital peut être mis en jeu par des conditions de précarité extrême. Il peut s’agir, enfin, d’un sevrage carcéral. Il s’intègre dans la trajectoire de vie du patient. Du récit factuel, avec sa composante de déni et de culpabilité, émergent peu à peu des émotions et des affects. L’idée d’un travail de deuil de l’alcool commence à poindre. La motivation à l’abstinence s’exprime avec plus d’authenticité avec l’élaboration autour du concept d’une meilleure qualité de vie en cas d’abstinence, et d’autres arguments que ceux exclusivement d’un meilleur bien-être de l’entourage. Enfin, passer de la survie – où seule l’immédiateté fait loi – à la vie – où les expériences du passé et les aspirations à un devenir sont prises en compte – est une thématique fréquemment reprise par les patients lorsqu’ils se sentent prêts à programmer un sevrage. Il permet d’effectuer la démarche de soins, tout en maintenant le patient dans son environnement. Cette prise en charge nécessite l’implication active de l’entourage. Les contre-indications : l’alcoolodépendance sévère ou les polyaddictions, l’existence d’une ou plusieurs polypathologies somatiques lourdes ou des troubles psychiatriques aigus, un antécédent de complication médicale du sevrage, un isolement extrême. Il repose sur les éléments suivants : L’information du patient. C’est le point crucial. Il faut rassurer et surtout sécuriser la période de sevrage. Celle-ci se déroule sous la responsabilité d’un médecin appartenant à une structure spécialisée, en synergie avec le reste de l’équipe du centre, si possible en parallèle avec le médecin référent. L’explication donnée au patient, et à une personne qu’il aura désignée, doit être claire, pratique et personnalisée. Cette explication concerne : les coordonnées téléphoniques du centre avec les heures d’ouverture, ainsi que le numéro du service d’urgence de l’hôpital le plus proche ; les effets secondaires des benzodiazépines ; l’impossibilité de conduire ; la nécessité d’un suivi régulier : quotidien durant les 4 premiers jours et en fin de sevrage. Le patient bénéficie d’un arrêt de travail de 10 jours. Les principaux éléments en sont : L’hydratation. Les apports hydriques doivent être suffisants sans hyperhydratation (1,5-2 l/j). La prescription de benzodiazépines. Elle permet de réduire l’incidence et la sévérité des complications du syndrome de sevrage. Il est logique d’utiliser une molécule à demi-vie intermédiaire (10 h-40 h) par voie orale (diazépam, lorazépam, alprazolam, bromazépam, clobazam). La prescription concerne des doses fixes réparties sur le nycthémère à dose pleine durant 3 jours, par exemple diazépam 10 mg toutes les 6 heures, puis à des doses dégressives pour un arrêt en 10 jours maximum. La prescription doit toujours être adaptée à la clinique. À éviter : les carbamates doués d’une faible activité anticomitiale et d’un risque létal en cas d’intoxication volontaire et dont le bénéfice n’est pas validé dans le cadre du sevrage en alcool. En cas de prescription antérieure, ils seront remplacés par une benzodiazépine selon un schéma de chevauchement sur trois jours sous surveillance médicale. Les barbituriques ont également une efficacité démontrée, mais exposent plus aux risques de dépression respiratoire. Les neuroleptiques potentiellement épileptogènes ne doivent pas être utilisés en première intention. Les vitamines. Bien que non remboursées, elles ne doivent pas être oubliées, surtout la thiamine (B1) 500 mg/j, la pyridoxine (B6) 500 mg/j et son coenzyme le nicotinamide (vitamine PP). La prescription de vitamine B6 doit être limitée dans le temps en raison du risque de neuropathie en cas de surdosage. Une consultation quotidienne. Elle est hautement souhaitable au début. Il permet d’effectuer la démarche de soins dans un environnement médicalisé. Les indications. Elles sont addictologiques : alcoolodépendance sévère ou polyaddictions, antécédents de complication de sevrage (convulsion, delirium tremens), échecs de plusieurs sevrages ambulatoires ; somatiques : affections somatiques lourdes isolées, associées, ou décompensées ; psychiatriques : syndrome dépressif, ou pathologie psychiatrique décompensée. L’association de ces deux pathologies peut être responsable d’un diagnostic erroné ou d’un retard à une prise en charge spécialisée. Il est nécessaire de reprendre la diachronie des troubles et rechercher l’existence de symptômes psychiatriques précédant les consommations abusives d’alcool (syndrome dépressif, TS à répétition, conduite d’évitement, anxiété massive et invalidante…) ; socio-environnementales : demande pressante de l’entourage familial ou professionnel, entourage non coopératif, désocialisation avancée. Dans ce cas, dans le cadre d’un projet social établi avant l’admission. Les bénéfices du temps de l’hospitalisation. Il permet de reprendre la biographie du patient avec ses cassures et ses ruptures, son histoire avec ses souvenirs agréables ou aversifs avec le produit alcool. En explorant l’avant, le pendant et l’après, le sevrage devient un élément de repère dans sa vie. En se référant ainsi à un avant et un après sevrage, on espère que le patient évalue, avec plus de clairvoyance, combien l’alcool n’avait pas que des répercussions somatiques, mais aussi 31 Le Courrier des addictions (11) ­– n° 1 – janvier-février-mars 2009 Fiche pratique N° 30 Tableau I. Bilan somatique. Examens biologiques Sous la responsabilité de leurs auteurs NFS plaquettes ASAT, ALAT, PAlc, gGt Albumine, TP Ionogramme, créatininémie Sérologies HIV, HBV, HCV ECG dans tous les champs de sa vie. L’hospitalisation permet aussi un examen clinique complet, un bilan Examens paracliniques systématique (tableau I) et le dépistage des autres cancers associés à l’alcool (côlon, sein, œsophage) Radiographie de thorax chez des patients peu souvent peu concernés par les campagnes de dépistage. Enfin, l’obtention de Radiographie sinus, panoramique l’abstinence permet de réévaluer l’existence ou non de troubles psychiatriques. Les principaux élédentaire ments du traitement médical en sont : L’hydratation. Mêmes modalités que lors du sevrage ambulatoire, sans hyperhydratation ni per- Consultations ORL, gynécologique, cardiologique fusion systématique. (douleur thoracique, allongement Les apports en magnésium et potassium. Nécessaires seulement en cas d’hypokaliémie, révélant PR, QT) souvent une tubulopathie induite par l’alcool TDM cérébral (troubles neuro- ou La prescription de benzodiazépines. Elle peut être systématique ou adaptée à un score validé En fonction de la clinique pour le syndrome de sevrage alcool. En France, le score de Cushman (tableau II) est le plus utilisé, neuropsychologiques, notion de les Anglo-Saxons utilisant plutôt le CIWA. Le traitement est fondé sur l’administration d’une dose chute) initiale de benzodiazépines à demi-vie intermédiaire par voie orale de préférence en fonction du Échographie, TDM abdominal score en adaptant cette dose sur un score refait toutes les 4 heures. Les équivalences sont estimées (cirrhose, pancréatite) comme suit : 10 mg diazépam = 30 mg oxazépam = 2 mg lorazépam = 1 mg alprazolam = 15 mg chlorazépate. Les posologies sont donc adaptées à la clinique, maximale sur 3-4 jours puis à dose Tableau II. Score de Cushman. dégressive sur 10 jours pour permettre un sevrage des benzodiazépines avant la sortie. En cas 0 1 2 3 d’insuffisance hépatocellulaire, les benzodiazépines à demi-vie courte seront préférées (lorazépam, oxazépam). Les bêtabloquants et la clonidine diminuent les manifestations d’hyperactivité Pouls < 80 80-100 100-120 >120 adrénergique mais n’apportent pas de protection anticomitiale et faussent le score de Cushman. Les vitamines. La prescription de vitamines B1 doit être systématique, surtout en cas PA systolique < 135 135-145 145-155 >155 de perfusion glucosée. L’apport doit être entre 500 et 1 000 mg/j. Elle doit s’associer aux Fr respiratoire < 16 16-25 26-35 >35 vitamines B6 et PP. La prise en charge des coaddictions Tremblements 0 main Membre sup généralisés – Le tabac. Il concerne 80 à 90 % des patients. L’intérêt pour un sevrage combiné est de plus en Sueurs 0 paumes Paumes/front généralisés plus reconnu. La substitution nicotinique doit être proposée de façon systématique. – Les opiacés. La surveillance clinique des benzodiazépines doit être plus importante chez les Agitation 0 discrète Généralisées Généralipatients sous traitement de substitution par buprénorphine haut dosage, en raison du risque de contrôlables sées incondépression respiratoire. Par ailleurs, la posologie du traitement de substitution aux opiacés prescrit trôlables antérieurement doit toujours être réévaluée sur les signes cliniques avant la sortie. Il est préférable de faire le sevrage en opiacés dans un second temps. Troubles 0 Gène/ Hallucinations Hallucina– La cocaïne. La recherche d’une consommation de cocaïne doit être systématique en raison de sensoriels bruit/ critiquées tions non sa fréquence. L’alcool est souvent utilisé pour atténuer ou retarder la deuxième phase, celle de lumière critiquées l’effondrement psychique. L’alcool peut aussi être consommé lors des états d’hypervigilance. Il < 7 sevrage contrôlé ; 7-14 sevrage modéré ; ≥ 15 sevrage sévère. n’existe pas de traitement spécifique du sevrage. La prise en charge des complications du sevrage – Le traitement du delirium tremens. Il fait appel aux neuroleptiques en association systématique avec les benzodiazépines par voie veineuse, en dose de charge (5 à 10 mg diazépam toutes les 5 minutes jusqu’à la sédation puis 5 mg à la demande) ou 10 mg/h en continu. L’administration de midazolam IV ( 2-30 mg/h) est également possible. Ces traitements doivent être administrés en USI, parallèlement à une rééquilibration hydroélectrolytique. La clonidine peut être utile dans les poussées hypertensives. – Le traitement des crises généralisées. Il est avant tout le traitement d’une cause associée (hypoglycémie, hyponatrémie, traumatisme crânien, infection cérébro-méningée, AVC, intoxication médicamenteuse). Dans 90 % des cas, les convulsions surviennent dans les 48 premières heures. Les modalités de sortie de l’hôpital. Plus encore que pour les autres patients, l’ordonnance de sortie revêt une importance cruciale, afin de limiter les risques de mésusage, en particulier l’abus de benzodiazépines. Le patient doit avoir un rendez-vous auprès d’un centre spécialisé ou revoir son référent médical dans un délai rapide avec un compte rendu provisoire de sortie précisant la durée de la prescription. Le soutien socio-médico-psychologique. C’est le fondement même de la prise en charge de toute personne en difficulté avec Le maintien du sevrage l’alcool en association avec les groupes d’anciens buveurs. Le traitement pharmacologique. Il repose actuellement sur les molécules jouant sur l’appétence à l’alcool. L’acamprosate (Aotal®) est un stimulant de la transmission gabaergique, dénué d’effet hypnotique, anxiolytique ou myorelaxant. L’acamprosate augmente le nombre de patients abstinents et le nombre de jours d’abstinence. Les principaux effets secondaires sont les diarrhées, céphalées, prurit. La posologie est de 4 cp/j si < 60 kg, 6cp/j au-delà. Dans l’AMM, la prescription est limitée à un an. La naltrexone (Révia®) est un inhibiteur des récepteurs opioides µ. Il diminue l’effet euphorisant. Les effets secondaires sont les nausées, vomissements, céphalées, anxiété. La posologie est de 50 mg/j par pallier sur une semaine. La naltrexone est contre-indiquée en cas de dépendance aux opiacés ou d’hypersensibilité. Une hépatotoxicité dose-dépendante est possible. L’AMM limite la prescription à trois mois. L’utilité des antidépresseurs doit être évaluée après 4 semaines d’abstinence. Références bibliographiques 1. 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