Symposium AIP Cas 7

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SEMINAIRE DE LAMES
Pathologie infectieuse
Cas n°7
Tuberculose disséminée du SIDA - Syndrome de restauration immune
Homa Adle-Biassette1, Ranya Soufan1, Dominique Hénin1, Catherine Leport2, Michel Huerre3,
Guillaume Breton4
Renseignements cliniques
Béninoise de 37 ans, en France depuis 1998. Hospitalisation
en 2001 dans le Service des Maladies Infectieuses de
l’hôpital Bichat pour le bilan d’une fi è v re avec toux,
asthénie, a l t é ration de l’état généra l , hépato-splénomégalie,
épanchement péritonéal et polya d é n o p athies. Le bilan
biologique a mis en évidence un syndrome inflammatoire,
une séro p o s i t ivité VIH et une pancytopénie. Taux de
CD4 : 33 / mm3. Charge virale à 308 000 copies.
Les prélèvements multiples ont permis de confi rmer le
diagnostic suspecté (lame soumise : biopsie ostéomédullaire).
Sous traitement antituberculeux (débuté une semaine après
le début des symptômes), l’évolution a été globalement
favo rabl e, p e rmettant l’introduction 2 mois plus tard d’une
multithérapie anti-rétrovirale (ARV : Videx, Epivir, Sustiva).
A j2 après le début des anti-rétroviraux, apparition d’une fièvre
et d’une douleur de l’hypochondre gauche. A j6, baisse de
la charge virale à 43 400 copies. A j10, remontée des CD4
à 308 / mm3. L’IDR devient positive à 13 mm.
Un scanner réalisé à j14 a montré l’ap p a rition d’abcès
spléniques, une rate devenant fissuraire et la persistance des
adénopathies (mais qui augmentaient de taille et devenaient
nécrotiques).
Une splénectomie a été réalisée devant le risque de rupture
(lame soumise pour l’histoséminaire).
Le traitement par les anti-rétroviraux n’a quasiment pas été
interrompu. La patiente est suivie régulièrement à la
consultation ex t e rne. Elle va bien sous Sustiva, Vi re a d,
Epivir. Les derniers chiffres de CD4 sont de 714 / mm3 (36%).
Fig. 7.1 - Biopsie ostéomédullaire. Présence de granulomes “mal
formés” sans cellule géante (HES).
Description du cas présenté
• Histologie de la biopsie ostéomédullaire
On observe des infiltrats macrophagiques diffus, formant par
place des granulomes épithélioïdes lâches ( fi g. 7.1 et
7.2). Les trois lignées sont présentes, c o m p o rtant une
prédominance des cellules immat u res sur la lignée myéloïde.
Il n’y a pas d’hémophago cytose détectable ni d’agent
pathogène sur les colorations histochimiques (Ziehl, PAS,
Gomori-Grocott, Giemsa). Il n’y a pas d’argument en
faveur d’une localisation d’hémopathie lymphoïde.
D evant ce tableau anatomo-clinique, le diagnostic proposé
est celui d’une infection mycobactérienne disséminée,
surtout tuberculeuse. Le profil des granulomes est compatible
avec un stade sévère d’immunodépression.
1 - Service d’Anatomie Pathologique - [email protected]
2 - Service des Maladies Infectieuses
Hôpital Bichat-Claude Bernard - 46 rue Henri Huchard
75877 Paris Cedex 18
3 - Unité de Recherche et d’Expertise en Histotechnologie et
Pathologie - Institut Pasteur - 25-28 rue du Docteur Roux
75724 Paris Cedex15
4 - Service de Médecine Interne - Hôpital de la Pitié Salpêtrière
83 Boulevard de l’Hôpital - 75651 Paris Cedex 13
Bulletin de la Division Française de l'AIP n°46 - Décembre 2007
Fig. 7.2 - Biopsie ostéomédullaire. Présence de granulomes “mal
formés” sans cellule géante (HES).
• Histologie de la rate
Sur le prélèvement splénique, il existe de vastes plages de
nécrose caséeuse (fi g. 7.3), b o rdées par une réaction
granulomateuse histiocytaire comportant des cellules
épithélioïdes et géantes (fig. 7.4 et 7.5). Il n’y a ni BAAR
(bacille acido-alcoolorésistant) ni d’autre agent pat h og è n e.
Pour comparaison, exemple d’une tuberculose ganglionnaire
chez un patient atteint du SIDA (taux de CD4 = 15), riche
en BAAR. Il n’y a pas de réaction gra nu l o m ateuse ni même
histiocytaire diffuse (fig. 7.6).
Tuberculose disséminée du SIDA - Syndrome de restauration immune
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Fig. 7.3 - Rate. Volumineuses plages de nécrose caséeuse (HES).
Fig. 7.5 - Rate. Reconstitution de nombreux granulomes épithélioïdes
et gigantocellulaires (HES).
Fig. 7.4 - Rate. Reconstitution de nombreux granulomes épithélioïdes
et gigantocellulaires (HES).
Fig. 7.6 - Ganglion de tuberculose du SIDA riche en BK (Taux de
CD4 : 15 / mm3). A titre de comparaison, pour montrer l’absence
de formation de granulome à ce stade sévère d’immunodépression.
Diagnostics proposés
- une réaction para d oxale avec aggravation des symptômes
sous traitement anti-infectieux adapté
- des réactions inflammatoires démasquant une infection latente
- des pathologies inflammatoires ou auto-immunes.
• Réaction paradoxale : aggravation des symptômes
sous traitement anti-infectieux adapté
C’est un diagnostic d’exclusion (voir critères plus loin).
Les prélèvements sont stériles.
Exemples : tuberculose,CMV, cryptococcose, Histoplasma
caspsulatum.
L’évolution est favo rable spontanément ou sous antiinflammatoires (stéroïdes).
• Réactions inflammatoires démasquant une infection
latente
Le diagnostic est microbiologique / histologique
E xemples : MAC (Mycobacterium avium complexe s ) ,
CMV (cy t o m é ga l ov i ru s ) , c ry p t o c o q u e s , H i s t o p l a s m a
caspsulatum, etc., ...
Il faut instituer un traitement anti-infectieux adapté et lui associer
parfois un traitement anti-inflammatoire.
• Syndrome de restauration immune et pathologies
inflammatoires ou auto-immunes
Dans ce contex t e, on peut observer une sarcoïdose (apparition
ou aggravation), une thyroïdite de Hashimoto, …
Biopsie ostéomédullaire : tuberculose disséminée du
SIDA.
Rate : syndrome de restauration immune.
Discussion
• Généralités
La reconstitution des réponses immunitaires au cours du VIH
sous anti-rétrov i raux peut entraîner des manife s t ations
pathologiques liées à la présence d’une réponse immunitaire
excessive dirigée contre des antigènes d’un agent infectieux
ou non infectieux, à l’ori gine d’un syndrome de restauration
immune (IRIS des anglo-saxons).
La physiopathologie, partiellement élucidée, associe une
reconstitution des réponses immu n i t a i res acquises mais
aussi innées et des phénomènes inflammatoires. Le syndrome
de re s t a u ration immune est un événement fréquent, observé
chez près d’un tiers des patients au cours de différentes
p at h o l ogies infectieuses, auto-immunes ou inflammatoires.
• Manifestations du syndrome de restauration
immune
Les manifestations sont polymorphes. Le diagnostic est
complexe et la prise en charge thérapeutique n’est pas
codifiée. De façon schématique, 3 situations peuvent être
observées :
Bulletin de la Division Française de l'AIP n°46 - Décembre 2007
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Homa Adle-Biassette
• Diagnostic de syndrome de restauration
immune
• Critères diagnostiques du syndrome de restauration
immune
Ce diagnostic doit être évoqué devant l’association des
critères suivants :
- Apparition de manifestations cliniques, biologiques ou
m o rp h o l ogiques après l ’ i n t roduction du traitement antirétroviral chez un patient infecté par le VIH
- Manife s t ations non expliquées par un effet indésirable des
traitements, par une infection opportuniste ou communautaire
nouvellement acquise, par un échec du traitement d’une
i n fection préalablement identifiée (résistance,
i n o b s e rvance, …) ou par l’évolution d’une infection
préalablement identifiée
- Surve nue de ces manife s t ations dans un c o n t e x t e
d’efficacité du traitement anti-rétroviral : baisse
significative de la charge virale VIH et (habituellement)
augmentation des lymphocytes CD4 en valeur absolue et/ou
en pourcentage.
• Arguments retenus dans le cas présenté
Le diagnostic de syndrome de restauration immune a été retenu
devant :
- l’apparition d’une fièvre après l’administration d’antirétroviraux avec aggravation des lésions initialement
présentes (augmentation des adénopathies et de la
splénomégalie avec apparition de nécrose)
- l’efficacité thérapeutique des anti-rétroviraux avec une baisse
de la charge virale (> 1 log) et une augmentation des
lymphocytes CD4+
- l’absence de manifestation immuno-allergique, d’infection
opportuniste ou de lymphome.
Le traitement anti-tuberculeux a été efficace.
L’examen anatomopathologique n’était pas “indispensabl e ”
au diagnostic mais il s’agit d’un des rares documents
histologiques confi rmant la restauration immune ave c
formation de granulomes “immunocompétents”.
• Evolution du syndrome de restauration
immune
L’évolution du syndrome de restauration immune est parfois
favorable mais peut nécessiter le recours à un traitement
“approprié” : soit un anti-infectieux adapté, soit au contra i re
des anti-infl a m m at o i re s , en particulier une cort i c o t h é rapie
qui peut être délétère en cas d’erreur diagnostique.
Le syndrome de restauration immune peut constituer un
cofacteur de mortalité précoce des cohortes de patients
t raités par des anti-rétroviraux dans des pays aux ressources
limités.
Bulletin de la Division Française de l'AIP n°46 - Décembre 2007
BIBLIOGRAPHIE
Adle-Biassette H, Huerre M, Breton G, Ruimy R,
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