Yvon Picard Qui niquera vaincra 2 2 Le printemps était enfin arrivé. Pour le pépaillou c’est le grand rush. Fournir ses femelles en nourriture, les couvrir deux fois par jour pour s’assurer une belle descendance, voler de nids en nids pour être partout à la fois, veiller à ce qu’aucun rival ne vienne lui piquer la place, trier les œufs pour virer les coucous. Avoir le don d’ubiquité, c’est pas facile. Et bien faire gaffe que ses femelles ne soit pas polluée par ces saloperies sournoises de grinders. Le parasite exacerbe les femelles, les rend irritables, hystériques, en proie à des pensées bien énervantes pour un mâle dévoué et jaloux. Une femelle infectée a les yeux rouges, la plume terne. Elle s’oublie dans sa toilette quotidienne. Elle couve de travers. Elle devient boulimique. Et devient accro au strumulus vulgaris. Ça la plonge dans une torpeur qui la déconnecte du réel. Elle ne fait plus la différence entre une agression et une visite de courtoisie. La chasse à la femelle infectée est un sport pour les jeunes pépailloux en cherche d’adrénaline. Mais la vigilance et la vivacité du mâle en titre en font un terrible combattant. Craint et respecté. Les jeunes qui se prenaient une branlée s’en rappelait toute leur vie. Certains se réfugiaient dans les ordres, loin du tumulte, d’autres 2 3 fuyaient vers des contrées inhabitées. D’aucun ne remettait le couvert. De fait, entre deux lâchés de juvéniles, la vie était plutôt cool dans les familles pépailloux. Une seule vilaine ombre venait cependant ternir le tableau. La présence quasi permanente de ces saloperies de troupeaux d’humains de merde qui allaient et venaient en tous sens sans s’inquiéter d’autrui. Le pépaillou est alors partit là ou les hommes ne vont pas. Au milieu des marécages. Une bonne distance faite d’eau crado, de millions de moustiques, de serpents venimeux, de rats gros comme ma cuisse. On oublie les virus et germes pathogènes, les dégagements de méthane, la montée des eaux, l’odeur permanente de cadavre, les sangsues, les tiques, les hautes herbes toxiques, les castors et les loutres géantes cannibales. Sont pas cons les humains. C’est mieux ailleurs. Faut pas être fin pour fonder famille dans un endroit aussi pourrit. Mais nécessité fait loi. Et Darwin à montré au monde entier l’adaptabilité viscérale du vivant. C’est la clé de la durée, de la survie. Même le plus méprisable cafard crado a une vie intime, une femme, des enfants, une vie sociale, un but à atteindre. Pourtant, quand on regarde ça de haut avec des yeux de taupe, c’est pas évident. Juste envie de lui écrabouiller la gueule, parce qu’il traîne par terre et qu’un cafard c’est de la merde sur pattes. T’en vois un, y’ en a cent de planqués. Tu tournes le dos et ils sortent en harde bouffer ta gamelle. Raclures… Dieu dans son infinie grandeur a tout créé, même les cafards. Allez savoir pourquoi. Il a crée Darwin aussi, ce con. Alors quand on me dit que les voies du seigneur sont impénétrables, je dit chapeau bas l’artiste. Chapeau aussi à l’évolutionniste, il a réussit à semer le doute dans certains esprits chafouins. 42 Voyez quand je vais nager cinq heures par semaine à la piscine municipale, petit bassin, avec des brassières, cela depuis plusieurs décennies. Si j’en croit l’autre charlot je devrais avoir les doigts palmés, voire des branchies. Que dalle. C’est toujours le même cirque pour rester à la surface sans avaler des mètres cubes de flotte. Comme quoi tous les mystères de ce monde sont loin d’être étalés en vitrines de grandes surfaces avec des rabais si t’en prends cinq d’un coup. C’est peut-être ici que se trouve la quintessence de l’espoir. En garder un peu sous le coude, ne pas tout dévoiler d’un coup, entretenir la suspens. Tout cela contribue à rester en vie pour voir si des fois y’ aurai pas un gros truc à découvrir, histoire de devenir riche et célèbre. Et se payer toutes les putes et la coke qu’on veut ! J’ai connu un mec, dans une vie antérieure, qui devenait fou à force de ne pouvoir ouvrir une fiole vicieusement operculée d’un bouchon liégeux. Il eut beau se casser les ongles et les dents sur le satané goulot, rien n’y fit. Il se dit alors que ruse et réflexion font mieux que force ni que rage. Il allait élever des cochons en inde en attendant de trouver une solution qui puisse résoudre son problème. Il méditait et méditait encore quelques années jusqu’à s’apercevoir ce ces débiles de gorets avaient en eux la solution toute évidente. Leur queue en tire bouchon. Peut-être qu’en enfonçant la queue dans le bouchon, en tournant quelques tours, vous connaissez le principe, pas besoin de dessin. Il s’évertua à courir après un mâle bien fourbi et fut fort dépité de ne pouvoir tire bouchonner sa fiole. Le goret ne l’entendait pas de cette oreille. Le gus eut alors l’idée de couper la queue du michey pour être plus à son aise. Il abattait le goret, lui coupait la queue et 2 5 balançait la carcasse aux vautour. La science est en marche. Mais il faut travailler et encore travailler. La queue en tire bouchon était parfaite dans sa forme mais elle était trop molle. Pas moyen de moyenner. Il se retirait encore plus loin avec sa satanée fiole et sa queue en tire bouchon et fini son voyage au milieu du désert du Youtacan. Il s’assit devant sa fiole rétive et son tire bouchon mou. Mais v’ la-ty pas qu’avec le soleil et la chaleur la queue du goret sécha, se ratiboisa et durcit comme du fer. Fou de joie et très fier de son invention il put enfin dépuceler sa petite bouteille. Seul, accablé de soleil et devant personne il put faire montre de son génie. Le bouchon en liège se délogeait parfaitement et le mec put étancher sa soif. Pas de bol, c’était du vinaigre infâme qui lui niquait l’estomac pour le restant de sa vie. Mais la découverte était magistrale ! Maintenant, il fallait trouver un système pour éviter de trouer un goret à chaque fois qu’on veut ouvrir une bouteille. Pouvoir se servir plusieurs fois du même outil. Il mourut avant de découvrir la loi du dévissage, si simple mais si sournoise. Comme quoi l’origine des inventions est souvent surprenante. On ne se doute pas du chemin intellectuel qu’il faut parcourir pour inventer la clé de douze ou le moteur linéaire. Pensez donc que le pépaillou, à son petit niveau, fait comme les humains. Il se démène pour assurer la pérennité de sa race. Et s’éloigner des fauteurs de troubles. Il faut savoir que le pépaillou de base ne brille pas forcément d’intelligence. Comme tout être vivant il se plie à ses instincts, à ses besoins, il doit se battre pour vivre, comme la méduse, le léopard, le singe bonobo, le ver de terre ou la gazelle des grands fonds. Il vaque à sa vie par réflexe, sans vraiment se demander si tout cela a un sens. Mais il y va 62 vaille que coûte, coûte que vaille, avec toute l’ardeur que son petit cœur lui permet. Un glaçon a-t-il la démarche de se demander pourquoi il fond quand il fait chaud ? Il fond, c’est tout. Le pépaillou ne philosophe pas, il agit. Tel le terminator. En moins violent. Moins armé aussi, simplement à cause du poids des armes. Parce que sinon… Il existe cependant, comme dans toute société, une entité suprême. Nous avons Dieu, qu’il soit vénéré au delà des temps par nous pauvres pécheurs lubriques et vénaux. Les éléphants ont un doyen qui impose sa pensée pour le reste du monde des éléphants, les Mongols ont eut le grand Gengis Khan, terreur vivante qui pouvait tuer d’un seul regard, nous avons eut le grand Charles, bouffeur de nazis, le tout petit Napoléon, dont la soif de sang était inversement proportionnel à sa taille, il y eut Zimdémzim Zidan, qui régnât à coups de boules sur l’empire des pauvres cons adorateurs d’une sphère colorée qui rebondit dans tous les sens. Il y a le grand Schtroumpf, roi benêt de petits schtrompfs qui schtroumpfent dans des schroumpfs et se schtroumpfent une seul schtroumpfette frigide et barjot. Les exemples sont nombreux. Il en va de même pour la grande famille des pépailloux. Quelque part dans le grand marécage sacré des montagnes noires vit en ermite le Pépaillou Suprème, l’oiseau aux mille vies, le seul volatile capable de voler sur le dos pour ne point voir la misère, talent que les vils corbeaux s’approprièrent pour flamber dans les charts anglais. Ils sont noirs et moches les corbeaux, ils ne méritent pas qu’on en parle. Le pépailloux Suprême, agenouillons-nous à la seule évocation, est celui qui règne sur ses sujets par la crainte. De fous récits l’auréolent de gloire lors de guerres meurtrières. Un guide incontestable, une intelligence surnaturelle, une vision du 2 7 futur claire et limpide, un oiseau qui sait imposer sa volonté et faire taire ses détracteurs. Le Dieu vivant et inaccessible dont la devise est « A vaincre sans péril on triomphe sans gloire », et dont le leitmotiv est « quand on voit la queue du renard c’est qu’on sort de son cul ». Un être suprême, je vous dis. Il est toute fois possible de lui demander audience pour cuicuiter de graves sujets. Le pépaillou suprême est disponible pour rester à l’écoute de ses vassaux. Quand son peuple est en danger il sait sortir de sa retraite pour porter haut sa puissance destructrice. Mais pour cela il faut qu’un pépaillou de base fasse le long et difficile chemin pour s’en référer à son maître. C’était ce à quoi pensait un petit pépaillou en trouvant plusieurs de ses nids honteusement dévastés et vides de toute descendance. Il eut beau cuicuiter sur tout son territoire, faire des vols de reconnaissance, zobi boulette. Plus de femelle, plus de petit, seulement des nids saccagés. Il eut beau cuicuiter avec les mâles environnants il n’eut aucune information digne de ce nom. Le frêle oiseau sortait alors de son territoire pour chercher explication à ses malheur. Il finit par être attiré par une fumée suspecte qui empuantait à l’orée du bois. Il volait alors fébrilement de ses petites ailes nerveuses et allait se poser sur une branche pour espionner tranquillement. Quel ne fut pas son désarroi et sa triste stupeur en constatant que trois de ses femelles tournaient sur elles-même dans le plus simple appareil, une broche à rôtir dans le cul et du persil dans les oreilles. Un putain d’enculé de sa mère d’humain débile et affamé tournait la broche d’une main pendant que de l’autre il touillait une omelette en sifflotant. Et les plumes de ses chères femelles qui volaient au vent dans la plus totale anarchie et sans le 82 moindre respect funéraire. Son sang ne fit qu’un tour. Qu’une de ses femelles se fasse dézinguer par un prédateur, c’est dans la nature des choses. Mais qu’un empaffé d’humain extermine tout son cheptel, c’est pas supportable. C’est une déclaration de guerre. C’est une violation de propriété. Ni une ni douze, il prit la décision d’aller se plaindre au pépaillou Suprême, la-bas, au cœur du marécage sacré des montagnes noires. Il partait plein nord, par delà la forêt du féroce dragon à trois têtes. Il volait d’arrache pied jusqu’au soir, trouvait refuge pour la nuit chez un de ses potes ours qui se réveillait doucement d’une hibernation bienfaitrice. Au petit matin il décarrait vite fait, le plantigrade mal réveillé et affamé ne l’ayant pas reconnu. C’est pas évident d’avoir les yeux en face des trous après trois mois de coma. Le fier volatile continuait sa route, échappait à une attaque en piqué d’un rapace myope, fuyait devant un nuage de chauves souris et dût faire un long détour par l’ Hilamaya, une chaîne de montagnes qui culmine quand même à huit mètres au dessus du niveau de la marée basse, pour ne pas survoler le domaine d’un pépaillou très vilain qui ne supporte pas les intrus chez lui. Il dût supporter les vents contraires, les pluies de gravier, les coups de foudre du domaine du savant fou qui n’avait rien d’autre à glander que de viser les piafs avec un canon à neutrons mal réglé. Le pépaillou est courageux. Aucun danger ne le fera renoncer. Pas même la vicieuse cruauté du tracbuse des nuages, une saloperie de croisement entre l’aigle des taillis et la bécassette des dunes. Le tracbuse à pour habitude de planer nonchalamment dans les cumulo-stratus pour cacher sa vilaine face. Le tracbuse est laid, il le sait, tout le monde le sait, c’est pourquoi il est méchant et vicieux. Quand il croise le fier 2 9