Gynéco et société G ynéco et société Dire ce qu’est le fœtus et quels sont ses droits : la dangereuse confusion des genres I. Nisand* L a cour de cassation a cassé, le 6 février 2008 un arrêt de la cour d’appel qui subordonnait l’inscription, à l’état civil, d’un enfant né sans vie au poids ou à la durée de la grossesse (500 g ou 22 semaines d’aménorrhée [SA][1]), alors que ces conditions n’étaient pas prévues par l’article 79-1 alinéa 2 du code civil. Le texte prévoit en effet que lorsqu’un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, et à défaut de production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable, l’officier d’état civil établit un acte d’enfant né sans vie, qui énonce les jour, heure et lieu de l’accouchement ; cet acte est en outre inscrit à sa date sur les registres de décès. Le texte du code civil ne détermine donc aucune limite inférieure à cette inscription par l’officier d’état civil, alors que ce serait raisonnable. Cette décision, très attendue par de nombreuses familles confrontées à la perte précoce d’un enfant, restitue un droit aux parents sans modifier le complexe statut juridique de l’embryon et du fœtus. Elle a cependant soulevé de nombreuses réactions de réserve et d’inquiétude paraissant s’inscrire dans une régression annoncée de la possibilité de pratiquer une IVG. Or, le statut juridique de l’embryon et du fœtus, en constante évolution, ne peut pas être confondu avec l’essence de l’embryon et du fœtus, qui est de nature philosophique, voire théologique, mais sûrement pas juridique. L’embryon et le fœtus humains sont bien sûr des êtres humains potentiels qui n’ont pas encore les droits de la personne. Les évolutions des droits rattachés au fœtus tombent sous le sens, tant il est vrai que les situations d’un embryon congelé en attente de projet parental ne sont pas les mêmes que celles d’un embryon nidé dans l’utérus de sa mère qui eux-mêmes ne sont pas les mêmes que celles d’un fœtus de plus de 14 SA[2]. L’étape de la viabilité ne se fait pas à 22 SA mais plutôt entre 24 et 26 SA. Cependant, jusqu’au terme, un couple peut demander l’arrêt de la grossesse si le fœtus est porteur d’une anomalie d’une particulière gravité de l’incurabilité de laquelle les médecins attestent. Après la naissance, on ne peut plus interrompre la vie d’un enfant, fût-il gravement malformé et incurable de son anomalie. Ces étapes constituent bel et bien un statut juridique de l’embryon et du fœtus humains et ce statut est susceptible de modifications d’ordre juridique. La connaissance de l’embryon et du fœtus humains par la constellation familiale s’est transformée complètement en deux décennies. Les parents désormais voient de plus en plus tôt le visage de leur fœtus qui, de fait, quitte cette terminologie anatomique : pour eux, c’est un enfant, c’est leur enfant et le jeu des ressemblances commence donc bien avant * Chef de service de gynécologie obstétrique, CHU de Strasbourg. [1] Proposition de l’OMS faite en 1977 pour uniformiser les calculs statistiques entre pays quant au taux d’accouchements prématurés, de mortalité périnatale et de fausses couches. [2] Délai au-delà duquel une femme ne peut plus demander une IVG. 4 la naissance. Il est bien souvent nommé dès cette période et son investissement psychique par les parents est désormais le même que celui qui se portait auparavant sur l’enfant dès que sa naissance permettait enfin de le voir et de le comparer aux autres membres de la famille. Or, les humains, depuis la nuit des temps, se débrouillent tant bien que mal avec la question de la mort. Ce rapport à la mort est lié au langage. Et c’est le langage qui constitue le pansement le plus efficace à la disparition d’un être cher, disparition qui nous rappelle notre propre mort à venir. Pratiquer un culte funéraire, c’est mettre des mots sur la mort. Donner un nom au défunt, c’est l’inscrire dans le lignage familial, c’est permettre de s’en souvenir, c’est permettre d’empêcher qu’il ne disparaisse totalement des mémoires familiales, c’est faire en sorte qu’il ne soit pas “innommable”. La découverte, par l’image, de l’enfant attendu l’installe donc plus tôt qu’autrefois dans le cercle de famille. Et sa mort est dès lors la mort d’un être d’autant plus cher qu’il avait été nommé et contemplé. Surtout quand ce sont les parents qui ont, à leur corps défendant, participé à la décision de mettre fin à une vie qui n’aurait été qu’un long calvaire pour un enfant malformé ou trop malade pour qu’on puisse le guérir. Ce droit des parents de nommer, d’inscrire et d’inhumer, quel que soit le culte qu’ils choisiront, ne doit pas être une obligation. Mais lorsqu’il est revendiqué, pourquoi l’interdire ? Que protège-t-on en interdisant une démarche d’accompagnement du deuil aussi ancienne que l’humanité ? Sûrement pas le droit à l’IVG. Car, bien sûr, les remarques qui précèdent pourraient servir de motif valable pour exclure de ce droit des parents ceux qui ont volontairement interrompu la grossesse. Les arrêts de grossesse au premier trimestre sont de natures très différentes : parfois, l’embryon ne s’est pas développé du tout ; parfois son développement s’est arrêté à un stade très précoce où il est impossible de le nommer puisque le phénotype sexuel est encore indéterminable ; parfois encore, ce sont les parents ou la mère qui ont décidé volontairement de cet arrêt de la grossesse. Il n’y a d’ailleurs pas de demande d’inscription du fœtus dans ces contextes d’arrêt de grossesse au premier trimestre, et il serait légitime de limiter le droit des parents à inscrire un fœtus à l’état civil à la 15e SA, c’est-à-dire au-delà de la possibilité pour la mère de demander et d’obtenir une IVG. L’inscription à l’état civil et l’inhumation doivent donc être possibles lorsqu’elles sont demandées par les parents ou par la mère au-delà de la 14e SA, sans que cela ne confère aucun autre droit associé par ailleurs à ce genre d’inscription. Il s’agit bien d’un droit des parents et non d’une modification du complexe statut juridique de l’embryon et du fœtus. ■ © Le Courrier de l’éthique médicale (8), n° 1, 1er semestre 2008. La Lettre du Gynécologue - n° 337 - décembre 2008