La thyroïde a-t-elle réellement quelque chose à craindre de l

publicité
Éditorial
La thyroïde a-t-elle réellement
quelque chose à craindre
de l’environnement ?
Has the thyroid something to fear from the environment?
I
l est de bon ton de considérer l’environnement
comme dangereux. Les activités humaines contribuent au réchauffement climatique, libèrent divers
polluants qui contaminent l’eau, l’air, l’alimentation. Ces
polluants constituent des menaces pour la peau, le poumon, le rein, le cœur, le cerveau, etc. Ils perturbent nos
productions stéroïdiennes, font douter de nos capacités
de reproduction, de l’intégrité du développement du
fœtus, du nouveau-né et de l’enfant.
La thyroïde n’échappe pas aux interrogations. Elle est
même considérée comme une cible privilégiée (voir
“Thyroïde et perturbateurs endocriniens”, pp. 214-7 et [1]).
Le mimétisme moléculaire de certains polluants (polychlorobiphényles, dioxine) avec les iodothyronines
rend compte d’une compétition avec leurs sites de
liaison. D’autres (thiocyanates, perchlorates) interfèrent
avec le captage iodé et la synthèse des hormones.
L’accroissement de l’exposition aux radiations ionisantes
à l’occasion des examens et des traitements – et non
seulement des emblématiques essais nucléaires et accidents des centrales –, expose à l’auto-immunité, aux
dysfonctions, aux tumeurs (voir “Thyroïde et radiations
ionisantes”, pp. 218-22). Les crèmes solaires censées
nous protéger des brûlures et des cancers cutanés en
expérimentation animale défreinent la thyréostimuline
(TSH), tout comme certaines activités industrielles, ce
qui a conduit à la fermeture d’usines et au licenciement
de leurs employés.
Les cancers thyroïdiens observés après Hiroshima,
Nagasaki, Tchernobyl ou après une irradiation cervicale, ainsi que les dysfonctions thyroïdiennes définitives
après le conditionnement radiothérapique précédant
les greffes, illustrent bien les conséquences cliniques
réelles des rayonnements. Il faut les connaître, les dépister, les prendre en charge, les prévenir. L’apparition
d’anti­corps antithyroïdiens circulants ou un accrois­
sement modéré et transitoire de la TSH (< 8 mU/l) ont-ils
pour les populations adultes des conséquences délétères ? Quel en est le niveau de preuve ? Les consensus
peinent à établir dans ces circonstances l’opportunité
des traitements substitutifs (2), et l’accroissement
modéré de la TSH apparaît même plutôt protecteur audelà de 70 ans, et habituel (> 10 mU/l) chez qui parvient
à devenir centenaire. La présence de perchlorates dans
l’eau de boisson dans le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie
a conduit les autorités à interdire son utilisation chez les
femmes enceintes et allaitantes et pour la préparation
des biberons (3). Aurait-on observé des désagréments
cliniques au niveau des populations, des modifications
des dosages hormonaux ? Que nenni ! Seul le risque
potentiel d’une réduction de la pénétration de l’iode
au sein de la thyroïde a été pris en compte pour la mise
en œuvre de ce principe de précaution, alors que nulle
part n’a été établie la norme des taux de fixation de
l’iode radio-isotopique par la thyroïde.
ll y a lieu de considérer aussi l’extraordinaire capacité
adaptative du parenchyme thyroïdien aux variations
physiologiques et aux modifications liées à l’environnement. Sont susceptibles de se modifier : la saturation
des protéines de transport (comme au cours de la
grossesse), la pénétration de l’iode dans le parenchyme
thyroïdien (d’abord rétrocontrôlée par la disponibilité
intrathyroïdienne de produits organifiés). Se modulent
le nombre de récepteurs, le niveau de stimulation
du parenchyme thyroïdien par la TSH, l’activité des
désiodases, etc. Ces modifications constituent d’abord
des marqueurs d’adaptation, et non nécessairement
des témoins de perturbations. Tout ceci justifie l’établissement de protocoles d’évaluation rigoureux et
scientifiques concernant les effets délétères réels des
perturbateurs, ainsi que de leurs associations, aussi
bien chez les tout-petits que chez les sujets plus âgés,
ce que souligne clairement l’article de F. Brucker-Davis
et S. Hiéronimus. Des remarques et précautions iden-
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIX - n° 8 - octobre 2015
MET8-EDITO Desailloud.indd 209
209
27/10/2015 17:43
Éditorial
Références
1. Brucker-Davis F, Hiéroni­mus S,
Fénichel P. Thyroïde et environnement. Presse Med. Accepté
pour publication.
2. Pearce SH, Brabant G, Dun­
tas LH et al. 2013 ETA Guideline:
management of subclinical
hypothyroidism. Eur Thyroid
J 2013;2(4):215-28.
3. Desailloud R, Wémeau JL.
Faut-il craindre le perchlorate
dans l’environnement ? Presse
Med. À paraître.
4. Andersson M, Karumbuna­
than V, Zimmermann MB.
Global iodine status in 2011
and trends over the past decade.
J Nutr 2012;142(6):744-50.
tiques sont à formuler pour l’évaluation de l’impact
des médicaments (voir “Médicaments et fonction thyroïdienne : des interactions complexes”, pp. 224-9).
S’il est une évidence de l’influence de l’environnement
sur la thyroïde, c’est bien l’effet de la charge iodée.
Historiquement, la reconnaissance tardive des états de
carence iodée sévère a constitué un événement considérable pour les populations des Alpes, des Andes, de
l’Afrique équatoriale et subtropicale et de l’Amérique du
Sud, qui souffraient dramatiquement du crétinisme et
des goitres endémiques. Ailleurs a été prise en compte
l’influence délétère du déficit iodé modéré, contribuant
à la goitrogenèse, à la nodulogenèse thyroïdienne, à la
prévalence accrue de cancers thyroïdiens moins différenciés, au déficit intellectuel de l’enfant. Sous l’influence
de fortes personnalités (John Dunn aux États-Unis,
François Delange en Europe) et de plusieurs organismes
(Organisation mondiale de la santé, Conseil international
de lutte contre les troubles dus à la carence en iode
[ICCIDD]) est née une prise de conscience au niveau
des États de la nécessité de corriger la déficience iodée.
Celle-ci est maintenant obtenue chez plus des 2/3 de la
population mondiale, le déficit continue à se réduire, et
l’on observe même dans certaines contrées une légère
surcharge iodée (4). En l’affaire, l’homme a amélioré
l’environnement et réduit les risques thyroïdiens. Pour
autant, les goitres n’ont pas été éradiqués, et la situation
du déficit iodé des femmes enceintes reste pour l’instant
très imparfaitement résolue.
On ne peut non plus passer sous silence l’extraordinaire
capacité que manifestent les espèces à s’adapter aux
modifications de l’environnement. La vie, dit-on, naquit
en milieu marin, là où la température et la disponibilité
de l’iode sont constantes. Lorsque la vie s’aventura sur
terre, il fallut bien s’adapter pour disposer en permanence d’iode et d’hormones thyroïdiennes, indispensables à la thermorégulation et à l’homéothermie.
Ainsi s’explique sans doute l’originale structure vésiculaire de la thyroïde où le produit de sécrétion est
stocké et en permanence disponible. Le goitre lui-même
est apparu comme une modalité adaptative, majorant
la capacité de concentration de l’iode et de stockage
hormonal. De même, le degré de pigmentation cutanée
s’est adapté au niveau d’ensoleillement.
En définitive, en la matière, la thyroïde apparaît
d’abord comme la victime de sa capacité à être évaluée, morphologiquement et fonctionnellement,
bien mieux que toute autre glande endocrine, ce qui
l’a placée comme la cible privilégiée des polluants.
Pourtant, les atypies observées n’ont pas nécessairement l’évidence d’effets indésirables, ni pour la thyroïde elle-même ni pour l’individu. Les évaluations
doivent être poursuivies.
La correction progressive de la carence iodée, au cours
des dernières décennies, démontre bien que les progrès
des connaissances et la meilleure maîtrise de l’environnement par l’humanité représentent un gain pour
la thyroïde.
Jean-Louis Wémeau
(CHRU de Lille)
Rachel Desailloud
(CHU d’Amiens)
AVIS AUX LECTEURS
Les revues Edimark sont publiées en toute indépendance et sous l’unique et entière responsabilité du directeur de la publication et du rédacteur en chef.
Le comité de rédaction est composé d’une dizaine de praticiens (chercheurs, hospitaliers, universitaires et libéraux), installés partout en France, qui représentent,
dans leur diversité (lieu et mode d’exercice, domaine de prédilection, âge, etc.), la pluralité de la discipline. L’équipe se réunit 2 ou 3 fois par an pour débattre des
sujets et des auteurs à publier.
La qualité des textes est garantie par la sollicitation systématique d’une relecture scientifique en double aveugle, l’implication d’un service de rédaction/révision
in situ et la validation des épreuves par les auteurs et les rédacteurs en chef.
Notre publication répond aux critères d’exigence de la presse :
· accréditation par la CPPAP (Commission paritaire des publications et agences de presse) réservée aux revues sur abonnements,
· adhésion au SPEPS (Syndicat de la presse et de l’édition des professions de santé),
· indexation dans la base de données INIST-CNRS et Thomson Reuters et partenariats avec les sociétés savantes (SFE, …),
· déclaration publique de liens d’intérêts demandée à nos auteurs,
· identification claire et transparente des espaces publicitaires et des publirédactionnels en marge des articles scientifiques.
210
MET8-EDITO Desailloud.indd 210
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIX - n° 8 - octobre 2015
27/10/2015 17:43
Téléchargement