Université de lausanne Faculté des Lettres - Section de philosophie Cours de philosophie générale 2008-2009 Professeur : R. Célis Assistante : S. Burri ________________________________________________________________________ Introduction à la philosophie générale et systématique La question de la révolte : Nietzsche, Marx, Camus Introduction Lors des séances précédentes, nous avons souligné la critique nietzschéenne du dernier homme. Ainsi parlait Zarathoustra présente une typologie hiérarchique avec, au bas de l'échelle, le dernier homme. Le dernier homme est celui du ressentiment, il est celui qui déprécie toute joie, tout bonheur et qui considère la jouissance comme transgressive. L'homme supérieur, quant à lui est représenté par une série de figures symboliques —pape, roi, etc. —qui ont tous la nostalgie d'une vie passée. Ce sont des sortes de Don Quichotte, de grands conservateurs qui n'arrivent pas à s'accorder avec leur temps. Zarathoustra doit se situer par rapport à ces figures, au sens où les hommes supérieurs s'attachent à lui, croyant trouver en Zarathoustra un maître qui vient leur annoncer la restauration d'un monde ancien. Enfin, le surhomme, présenté sous la figure de l'enfant joueur se caractérise comme un être humain qui, en dépit qu'il se sait mortel, se sait aussi survivre dans ses œuvres. En effet, vivre au travers de ses œuvres est aussi, selon Nietzsche, une forme de rédemption (rédemption autre que celle du monde au-delà). Il s'agit dès lors —et c'est là tout le possible du surhomme, de l'enfant joueur —de marquer son temps et l'avenir, d'être au début d'une nouvelle histoire. Nietzsche, l'histoire et l'esprit du temps A la différence de Marx et de Hegel, Nietzsche n'est pas un philosophe de l'histoire et qui fonde alors sa pensée sur l'idée fondamentale d'une réforme de celle-ci. Nietzsche ne croit pas, à la différence de Marx à une possible révolution. Nietzsche ne pense pas que le type d'hommes que le dernier homme incarne puisse disparaître. Ce qu'il s'agit ici de comprendre c'est que, dans la mesure où dieu est mort, il n'y a pas alors de consolation, d'inspiration et on ne peut plus croire en dieu comme on y croyait autrefois. En effet, l'esprit du temps, marqué par la technique et la science a fondamentalement changé. Les êtres humains ont nourri l'illusion que le progrès technologique et scientifique allait s'accompagner expressément d'une amélioration générale et irréversible de leurs conditions matérielles. Cela Nietzsche ne le croit pas. Il y a dans sa pensée toute une critique de la science comme idéologie, comme eschatologie. Marx, de son côté pensait que l'industrie et le progrès technique étaient certes cause de misère mais à plus long terme une possibilité d'émancipation. L'attitude de Zarathoustra consiste en quelque sorte à ne pas attendre quelque chose comme un événement messianique mais à se faire lui-même l'incarnation de ce fameux soleil dont il s'inspire lorsqu'il redescend dans la vallée. L'existence terrestre et le don L'attitude de Zarathoustra consiste fondamentalement à se donner à fond perdu et à trouver son bonheur précisément dans cette donation oblation de soi-même. Il ne s'agit pas ici de renoncer aux plaisirs de l'existence terrestre mais bien plutôt de consacrer sa vie à faire redécouvrir ce trésor qu'est l'existence sur la terre. Zarathoustra est donc un personnage qui s'expose à un type de souffrance particulière que Nietzsche décrit dans « le chant de nuit ». Ce passage expose ce qu'il en est, selon Nietzsche, de l'homme contemporain en général. Dans un certain sens, tout être humain fait l'épreuve du péril, d'une lésion de la perceptivité. Notre disposition fondamentale à ne plus rien attendre des autres hommes et à ne plus s'en référer à quelque chose de supérieur est peut-être due à une forme moderne de handicap. Notre horizon s'est rétréci et nous ne voyons plus guère ce qu'il y a au -delà du possible. Nietzsche relève que l'être humain est celui qui donne, celui qui prodigue. Il faut entendre ici l'homme dans son acception la plus haute, la plus digne. Si l'on prend Zarathoustra en exemple, ce n'est pas un personnage qui donne au sens d'un croyant. Il doit puiser en lui-même —et non pas dans une croyance en un au-delà — et cet acte de chercher en soi-même demande un effort sur soi, un travail de métamorphose. -1- Université de lausanne Faculté des Lettres - Section de philosophie Cours de philosophie générale 2008-2009 Professeur : R. Célis Assistante : S. Burri C'est en ce sens de l'effort sur soi, du travail de métamorphose qu'on peut qualifier Nietzsche de penseur de la volonté. En effet, Zarathoustra ne demande pas l'aide d'une intervention extérieure. Cette attitude entraîne d'ailleurs paradoxalement une froideur. Mais cette froideur n'est pas dirigée vers les autres mais envers soi-même; il s'agit d'une sorte d'assombrissement intérieur. Le sentiment qu'éprouve le surhomme, Zarathoustra, est alors une nostalgie particulière; c'est la nostalgie du bonheur de ceux qui reçoivent. Dans « le chant de nuit » une phrase résume cette nostalgie : « Entre donner et recevoir il est une faille; et plus petite faille est la dernière qui se franchisse. » Ce qu'il faut entendre ici c'est que pour savoir recevoir, sans en vouloir à celui qui donne, il faut une certaine dose de courage. En effet, ce qui surgit souvent chez celui qui reçoit c'est la conscience d'une dette. Et ça, la conscience de la dette c'est, selon Nietzsche un poison au sens où cela engendre une certaine rancune. Toutefois, selon Nietzsche, il existe aussi un grand bonheur à recevoir, lorsque l'on n'est pas dans une attitude commerçante. C'est donc un art, une vertu que de pouvoir recevoir. Cependant, lorsque l'on devient comme Zarathoustra, c'est-à-dire dans la solitude et la souffrance, on n'est plus capable de recevoir les dons. Cette souffrance est corrélative d'une certaine cécité, d'une déception fondamentale. Nietzsche enseigne alors à ne pas attendre, à ne pas se disposer mais bien plutôt à renoncer. Toutefois ce renoncement n'est pas sans souffrance, la soif qui est en chaque homme est quelque chose de difficile à surmonter, à dépasser. En analogie avec l'Evangile, Zarathoustra fait donc l'épreuve du désert. Il y a pour lui la tentation de la mélancolie au sens où le mélancolique est celui qui souffre de ne plus avoir de monde. Les textes qui suivent « Le chant de nuit », « Le voyageur » et « De la vision et de l'énigme » sont autant de tentatives de réponse à cette difficulté. Zarathoustra dit : « Et quelque destin encore que me vienne à présent, quelque expérience vécue, —y seront toujours cheminement et escalade de montagnes; on ne vit à la fit d'autre expérience encore que soi-même ». Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu'il faut trouver son bonheur dans ce dépassement, dans cette escalade continuelle. Selon Nietzsche, il faut savoir à la fois se mépriser et s'aimer pour se surmonter. Lorsque Zarathoustra accomplit quelque chose, il n'en est pas satisfait et il faut sans cesse recommencer. C'est parce que le temps dans lequel nous vivons ne clôt jamais rien, on ne peut jamais affirmer que tout est accompli. Et l'idée de recommencement renvoie, une fois encore à la figure de l'enfanta joueur, celui qui recommence sans cesse. Le recommencement implique une conception du temps particulière. Le concept de temps Lors d'un voyage à Sils Maria, en Engadine, Nietzsche a eu la vision, la saisie de ce qu'il appelle l'éternel retour. Qu'est-ce à dire ? Cette expérience est racontée dans le Zarathoustra sous la forme d'une porte, d'un portique. Le portique apparaît à Zarathoustra comme un instant décisif, le traverser est un acte décisif. Mais pourquoi ? Parce que lorsque l'on franchit un seuil, que l'on s'engage dans une direction, on peut avoir l'impression que l'on décide de toute sa vie. D'un coup, le passé devient quelque chose d'irrévocable, quelque chose auquel on ne peut rien changer. De plus, selon Nietzsche, ce passé n'a pas vraiment de fin. En effet, nous ne sommes que la maillons d'une chaîne infinie des générations. Ce que nous considérons comme irrévocable appartient à la fatalité de l'histoire entendue ici au sens de sa nécessité (de ce qui ne peut être autrement). L'image du portique présente alors, sous une forme figurative, ce moment où l'homme décide de quelque chose de manière définitive. Alors, à ce moment, apparaît la question de l'avenir. L'avenir peut-il apparaître comme quelque chose de différent ? Est-ce qu'il peut être transformé ?L'idée de boucle temporelle est la plus effrayante au sens où tout serait à traverser, où l'on serait en quelque sorte condamnés à la même mode continuelle. Toutefois Zarathoustra ne conçoit pas le temps ainsi. Pour concevoir le temps autrement, il s'agit de comprendre la donation du temps. Le temps se donne à chaque instant, il surgit et il faut alors percevoir que chaque moment est unique. Il faut percevoir qu'un instant peut se dilater en un instant intense. Un tel instant ne se répètera dès lors jamais. En ce sens -2- Université de lausanne Faculté des Lettres - Section de philosophie Cours de philosophie générale 2008-2009 Professeur : R. Célis Assistante : S. Burri le moment, l'instant peut être l'occasion d'un tremplin, d'une véritable révolution où l'on choisit un autre chemin, où l'on bifurque. Compte-rendu de la séance du 9 décembre -3-