Le programme d`expression génique des cellules souches

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Hématologie 2012 ; 18 (4) : 253-6
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Le programme d’expression génique
des cellules souches cancéreuses prédit
la survie des patients atteints de
leucémie aiguë myéloblastique
Cancer stem cell gene expression programmes predict AML patient survival
Brynn T. Kvinlaug
Institut für chirurgische Forschung und
Spitalmanagement,
Zentrum für Lehre und Forschung,
Universitätsspital Basel,
Hebelstrasse 20,
4031 Basel,
Schweiz
<[email protected]>
Résumé. Le modèle de cellule souche cancéreuse repose sur le fait qu’au sein
de la population de cellules tumorales, une faible proportion possède la capacité
de reformer et de maintenir la tumeur. Le modèle de cellule souche cancéreuse
permet ainsi d’expliquer pourquoi les patients rechutent après la fin du traitement.
Récemment, il a été découvert que les signatures génétiques des cellules souches
pouvaient prédire la survie des patients atteints de leucémie aiguë myéloblastique.
En effet, il existe une association entre les signatures génétiques et les personnes
ayant un mauvais pronostic vital. Par conséquent, il est nécessaire d’obtenir le profil
génétique des cellules souches de leucémie aiguë myéloblastique pour déterminer
l’issue et la thérapie à utiliser.
Mots clés : cellules souches cancéreuses, leucémie aiguë myéloblastique, signatures génétiques
doi:10.1684/hma.2012.0730
U
Tirés à part :
B.T. Kvinlaug
ne mauvaise herbe
est
un
cauchemar
sans fin pour le jardinier. Ces petites fleurs
malveillantes réapparaîtront chaque année malgré la
coupe. La clé pour une élimination définitive est d’attaquer les racines. Sans
leurs racines, elles ne grandiront pas.
Par analogie, les cellules d’une tumeur
sont comme une mauvaise herbe, et la
racine de la tumeur est la cellule souche
cancéreuse (CSC). Le traitement actuel
des tumeurs compte exclusivement sur
les chimio-, immuno-, et radiothérapies, en plus de la chirurgie, mais
ces traitements diminuent seulement
la taille de la tumeur et laissent les
racines, ou CSC. Malgré les améliorations de la détection et du traitement du
cancer, il est difficile de guérir complètement le patient de la maladie, car
des CSC subsistent. Les traitements
actuels sont très toxiques et non spécifiques : ils ne tuent pas seulement
les cellules de la tumeur, mais également les cellules saines avoisinantes.
Si le traitement n’éradique pas efficacement les CSC, la tumeur repoussera.
Récemment une équipe canadienne a
identifié les différences transcriptionnelles fondamentales entre les cellules
saines et les CSC qui pourraient expliquer la résistance de ces dernières aux
traitements [1].
Les cellules souches
cancéreuses
Le modèle de CSC repose sur le fait
qu’au sein de la population de cellules tumorales, une faible proportion
possède la capacité de reformer et de
Hématologie, vol. 18, n o 4, juillet-août 2012
Pour citer cet article : Kvinlaug BT. Le programme d’expression génique des cellules souches cancéreuses prédit la survie des patients atteints de leucémie
aiguë myéloblastique. Hématologie 2012 ; 18 (4) : 253-6 doi:10.1684/hma.2012.0730
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maintenir la tumeur (figure 1). Ces CSC sont plus résistantes aux thérapies car elles possèdent des niveaux plus
élevés de protéines d’efflux des médicaments, de résistance
à l’apoptose et de réparation de l’ADN, par rapport
aux cellules souches normales. En outre elles peuvent
s’autorenouveler indéfiniment, et forment des cellules filles
différenciées par division asymétrique cellulaire. Ces
cellules filles différenciées composent la majorité de la
tumeur et la rendent hétérogène. Ce modèle permet ainsi
d’expliquer pourquoi les patients rechutent après la fin du
traitement.
Les premières CSC furent découvertes chez des patients
atteints de leucémie aiguë myéloblastique (LAM) [2]. Ensuite,
d’autres CSC ont été détectées dans des tumeurs solides du
côlon [3], de la peau [4], de la glande mammaire [5], du poumon [6], du foie [7] et du cerveau [8]. Les progrès techniques
de séparation cellulaire (marqueurs de surface et cytométrie
de flux) ont également permis de démontrer l’existence de
CSC dans le sang [9].
La séparation cellulaire par cytométrie de flux a permis
l’isolation de cellules immatures (CD34+ CD38- ) et matures
(CD34+ CD38+ ) chez les patients atteints de LAM. Ces
cellules ont alors été transplantées dans des souris immunodéprimées. Les résultats démontrent que les cellules immatures
initient la leucémie, tandis que les cellules matures n’en
sont pas capables [9]. Ces résultats soutiennent un modèle
hiérarchique (voir ci-dessous), car il existe des similitudes
entre le phénotype de la CSC de LAM et celui d’une cellule
souche hématopoïétique : même phénotype CD34+ CD38- ,
même capacité d’autorenouvellement, et même capacité
de différentiation. C’est pourquoi il a été suggéré que la
CSC de LAM pourrait provenir d’une cellule souche hématopoïétique [9].
Les modèles hiérarchiques
et stochastiques
Il existe deux modèles qui tentent d’expliquer les différences
fonctionnelles entre les cellules de la même tumeur : le hiérarchique et le stochastique. Le modèle stochastique suggère
X
Figure 1. Le modèle de cellules souches cancéreuses spécifie que
les cellules initiatrices de tumeurs, qui sont résistantes aux thérapies
traditionnelles (désignées par X), peuvent redevenir une tumeur.
que toutes les cellules dans une tumeur peuvent se transformer en cellules initiatrices de tumeurs. Till et al. (1964) [10]
furent les premiers à suggérer le terme stochastique pour
décrire les événements qui contrôlent la « naissance » et la
« mort » de cellules souches dans leurs essais de colonies spléniques. Cependant, le modèle a évolué pour suggérer que
toutes les cellules sont homogènes et ont la même probabilité
de se transformer en cellule initiant et soutenant le développement tumoral. Ces changements sont aléatoires, mais ils
sont influencés par les facteurs extrinsèques et intrinsèques,
comme les facteurs de transcription, les voies de signalisation
et le microenvironnement. Quelques changements confèrent
un avantage aux cellules avoisinantes : cet avantage est
appelé la sélection clonale. Surtout, le modèle stochastique
ne tente pas de prédire la fréquence de la cellule tumorale
initiatrice [11].
Le modèle hiérarchique suggère que les populations uniques
de la tumeur possèdent des contraintes prédéterminées si
la population veut s’autorenouveler, se différencier, ou proliférer. Le modèle hiérarchique ressemble au développement
normal qui place les cellules souches au sommet de la hiérarchie, par rapport aux cellules matures différenciées. Ce
modèle est utilisé pour expliquer la faible capacité des cellules matures différenciées à reformer et à maintenir la tumeur
à la suite d’une xénotransplantation [9].
Le modèle hiérarchique n’est pas incompatible avec le
modèle stochastique, car la sélection clonale et l’évolution
des cellules initiatrices de tumeurs sont continues. Il est donc
probable que les facteurs stochastiques puissent influencer
les CSC. De plus, il est possible que les facteurs stochastiques de la tumeur fournissent les mutations nécessaires
aux cellules initiatrices. Les cellules initiatrices du modèle
stochastique ne peuvent pas être isolées par leur phénotype de surface car chaque cellule dans la tumeur a la
même probabilité d’en initier la croissance. Comme avec
le modèle stochastique, le modèle hiérarchique ne prédit pas nécessairement la fréquence des cellules tumorales
initiatrices [11].
Dans des travaux antérieurs de l’équipe de John Dick,
les cellules leucémiques de patients atteints de LAM ont
été séparées par cytométrie de flux dans les populations
immatures (CD34+ CD38- ) et matures (CD34+ CD38+ ), puis
transplantées dans les souris NOD-SCID [9]. Les dosages
de « tumorigénicité » montrent que la population immature
est capable de provoquer la leucémie, contrairement à la
population mature. Ceci appuie le principe du modèle hiérarchique, car il existe des similitudes entre la fonction et
le phénotype de la cellule souche de leucémies (CSL) et
de la cellule souche normale hématopoïétique (CSH) (par
exemple le marqueur CD34+ CD38- de surface et leur capacité à s’autorenouveler). Il est alors raisonnable de proposer
que la CSL provienne d’une CSH.
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Hématologie, vol. 18, n o 4, juillet-août 2012
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Les signatures géniques de cellules
souches prédisent la survie des
patients atteints de leucémie aiguë
myéloblastique
Les premières expériences de Dick et al. ont fourni des
modèles in vivo d’hématopoïèse humaine normale et maligne
[12, 13]. Ces modèles utilisent des animaux immunodéprimés qui possèdent encore l’immunité résiduelle innée et
adaptative de l’hôte, des microenvironnements murins, et des
cytokines murines, limitant ainsi la réactivité avec les cellules
humaines transplantées. Les expériences de Kamel-Reid et
Dick (1988) [12] ont été réalisées à partir d’hôtes murins
bg/nu/xid, afin d’examiner la différenciation des progéniteurs granulocytes/monocytes, puis chez la souris SCID pour
modéliser la leucémie aiguë lymphoblastique [13]. La greffe
hématopoïétique normale est plus efficace lorsque les souris SCID sont transplantées et traitées avec des hormones
humaines. De plus, cela a permis de détecter des cellules
plus primitives que les progéniteurs [14].
Récemment, le laboratoire de Dick a examiné seize cas
de LMA [1]. Ils ont séparé les cellules en différents
groupes (CD34+ CD38- , CD34+ CD38+ , CD34- CD38- et
CD34- CD38+ ) et les ont utilisées dans un essai amélioré de xénotransplantation comme ci-dessus. Les données
démontrent que les CSL sont retrouvées dans au moins
deux populations, confirmant ainsi les rapports précédents
[15]. La majorité des CSL sont présentes dans la fraction
CD34+ CD38- , comme l’ont prouvé leurs travaux antérieurs
[2, 9]. Cependant, il y avait également des CSL dans
d’autres populations, ce qui pourrait conduire à une xénogreffe avec les populations n’exprimant pas les marqueurs
CD34+ CD38- . La génération de cellules avec le phénotype
des fractions non-CSL confirme que la LMA est structurée
hiérarchiquement, car il existe la même diversité phénotypique dans les cellules filles différenciées, et les fractions de
CSL peuvent aboutir à des fractions non-CLS. De plus, les
CSL ne peuvent pas être définies par les seuls marqueurs
CD34+ CD38- .
Ensuite, les auteurs ont examiné les programmes transcriptionnels des CSL. Ils ont créé un profil génétique de CSL
afin de le comparer à un profil génétique de CSH. Les
auteurs ont voulu déterminer si les CSL partagent ou non des
programmes d’expression avec les CSH. Utilisant l’analyse
génétique d’enrichissement, ils ont trouvé un groupe de
44 gènes représentatifs des CSH qui sont différentiellement
exprimés dans les CSL, comme par exemple MEIS1, EVI1,
MDR1, ERG et HLF (ces gènes sont importants pour la régulation des cellules souches normales et l’oncogenèse). De plus,
ils ont réalisé une analyse protéomique et ont découvert un
enrichissement des voies de signalisation Jak-STAT et Notch.
Ils ont ensuite étudié la signature génétique des CSL et des
CSH afin d’établir des corrélations possibles avec le devenir
Hématologie, vol. 18, n o 4, juillet-août 2012
clinique des patients. Les auteurs ont classifié 110 cas de
LMA selon leur pronostic (bon ou mauvais) et ont comparé
leur signature génétique. Ils ont trouvé une association entre
leur signature (CSL, CSH) et les personnes ayant un mauvais
pronostic.
Enfin, les auteurs ont examiné 160 personnes atteintes de
LAM sans pronostic (cytogénétiques normaux). Ils ont trouvé
qu’il y existe une corrélation négative entre une expression
élevée de CSL et la rémission des patients. Ils ont également
démontré une corrélation négative entre une expression élevée de CSH et la survie. Ceci prouve qu’un profil génétique
des cellules souches, et non des gènes seuls, peut déterminer
la survie d’un patient.
La mutation FLT3-ITD (duplications internes en tandem de
Flt3) peut prédire un mauvais aboutissement dans la LAM.
Dans cette même étude de 160 LAM, les profils génétiques
de CSL et CSH peuvent identifier les patients avec un mauvais devenir, et ce, indépendamment de la mutation FLT3-ITD.
Par conséquent, les auteurs ont conclu qu’il est nécessaire
d’obtenir le profil génétique des cellules souches (CSL et
CSH) afin de déterminer le pronostic et la thérapie à utiliser
(standard ou greffes de cellules souches).
Potentiel thérapeutique
L’identification et l’isolation de CSC dans les tumeurs solides
et hématologiques ont progressé significativement pendant la
dernière décennie grâce aux améliorations des techniques
de cytométrie de flux et de xénotransplantations et à celle
des anticorps commerciaux. À ce jour, la littérature met
l’accent sur l’élimination des CSC à l’aide d’anticorps spécifiques dirigés contre les antigènes de surface. Néanmoins,
les différences dans les voies de signalisation, démontrées
par le laboratoire de Dick et al., bien que limitées, sont
une autre possibilité de différencier les CSC des CSH. Afin
que les agents thérapeutiques spécifiques des CSC (anticorps, petits inhibiteurs moléculaires, composés synthétiques
et ARN d’interférence) puissent être utilisés comme thérapies
d’avenir, ils auront besoin de démontrer leur spécificité pour
les CSC, sans effets secondaires sur les tissus sains environnants. Le travail de Dick et al. contribue ainsi à la résolution
de ces problèmes. Remerciements. L’auteur remercie le Dr Benoit D. Roussel et Clémentine Le Magnen pour leur relecture.
Conflits d’intérêt : Aucun.
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Hématologie, vol. 18, n o 4, juillet-août 2012
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