Mini-revue Hématologie 2012 ; 18 (4) : 253-6 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Le programme d’expression génique des cellules souches cancéreuses prédit la survie des patients atteints de leucémie aiguë myéloblastique Cancer stem cell gene expression programmes predict AML patient survival Brynn T. Kvinlaug Institut für chirurgische Forschung und Spitalmanagement, Zentrum für Lehre und Forschung, Universitätsspital Basel, Hebelstrasse 20, 4031 Basel, Schweiz <[email protected]> Résumé. Le modèle de cellule souche cancéreuse repose sur le fait qu’au sein de la population de cellules tumorales, une faible proportion possède la capacité de reformer et de maintenir la tumeur. Le modèle de cellule souche cancéreuse permet ainsi d’expliquer pourquoi les patients rechutent après la fin du traitement. Récemment, il a été découvert que les signatures génétiques des cellules souches pouvaient prédire la survie des patients atteints de leucémie aiguë myéloblastique. En effet, il existe une association entre les signatures génétiques et les personnes ayant un mauvais pronostic vital. Par conséquent, il est nécessaire d’obtenir le profil génétique des cellules souches de leucémie aiguë myéloblastique pour déterminer l’issue et la thérapie à utiliser. Mots clés : cellules souches cancéreuses, leucémie aiguë myéloblastique, signatures génétiques doi:10.1684/hma.2012.0730 U Tirés à part : B.T. Kvinlaug ne mauvaise herbe est un cauchemar sans fin pour le jardinier. Ces petites fleurs malveillantes réapparaîtront chaque année malgré la coupe. La clé pour une élimination définitive est d’attaquer les racines. Sans leurs racines, elles ne grandiront pas. Par analogie, les cellules d’une tumeur sont comme une mauvaise herbe, et la racine de la tumeur est la cellule souche cancéreuse (CSC). Le traitement actuel des tumeurs compte exclusivement sur les chimio-, immuno-, et radiothérapies, en plus de la chirurgie, mais ces traitements diminuent seulement la taille de la tumeur et laissent les racines, ou CSC. Malgré les améliorations de la détection et du traitement du cancer, il est difficile de guérir complètement le patient de la maladie, car des CSC subsistent. Les traitements actuels sont très toxiques et non spécifiques : ils ne tuent pas seulement les cellules de la tumeur, mais également les cellules saines avoisinantes. Si le traitement n’éradique pas efficacement les CSC, la tumeur repoussera. Récemment une équipe canadienne a identifié les différences transcriptionnelles fondamentales entre les cellules saines et les CSC qui pourraient expliquer la résistance de ces dernières aux traitements [1]. Les cellules souches cancéreuses Le modèle de CSC repose sur le fait qu’au sein de la population de cellules tumorales, une faible proportion possède la capacité de reformer et de Hématologie, vol. 18, n o 4, juillet-août 2012 Pour citer cet article : Kvinlaug BT. Le programme d’expression génique des cellules souches cancéreuses prédit la survie des patients atteints de leucémie aiguë myéloblastique. Hématologie 2012 ; 18 (4) : 253-6 doi:10.1684/hma.2012.0730 253 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. maintenir la tumeur (figure 1). Ces CSC sont plus résistantes aux thérapies car elles possèdent des niveaux plus élevés de protéines d’efflux des médicaments, de résistance à l’apoptose et de réparation de l’ADN, par rapport aux cellules souches normales. En outre elles peuvent s’autorenouveler indéfiniment, et forment des cellules filles différenciées par division asymétrique cellulaire. Ces cellules filles différenciées composent la majorité de la tumeur et la rendent hétérogène. Ce modèle permet ainsi d’expliquer pourquoi les patients rechutent après la fin du traitement. Les premières CSC furent découvertes chez des patients atteints de leucémie aiguë myéloblastique (LAM) [2]. Ensuite, d’autres CSC ont été détectées dans des tumeurs solides du côlon [3], de la peau [4], de la glande mammaire [5], du poumon [6], du foie [7] et du cerveau [8]. Les progrès techniques de séparation cellulaire (marqueurs de surface et cytométrie de flux) ont également permis de démontrer l’existence de CSC dans le sang [9]. La séparation cellulaire par cytométrie de flux a permis l’isolation de cellules immatures (CD34+ CD38- ) et matures (CD34+ CD38+ ) chez les patients atteints de LAM. Ces cellules ont alors été transplantées dans des souris immunodéprimées. Les résultats démontrent que les cellules immatures initient la leucémie, tandis que les cellules matures n’en sont pas capables [9]. Ces résultats soutiennent un modèle hiérarchique (voir ci-dessous), car il existe des similitudes entre le phénotype de la CSC de LAM et celui d’une cellule souche hématopoïétique : même phénotype CD34+ CD38- , même capacité d’autorenouvellement, et même capacité de différentiation. C’est pourquoi il a été suggéré que la CSC de LAM pourrait provenir d’une cellule souche hématopoïétique [9]. Les modèles hiérarchiques et stochastiques Il existe deux modèles qui tentent d’expliquer les différences fonctionnelles entre les cellules de la même tumeur : le hiérarchique et le stochastique. Le modèle stochastique suggère X Figure 1. Le modèle de cellules souches cancéreuses spécifie que les cellules initiatrices de tumeurs, qui sont résistantes aux thérapies traditionnelles (désignées par X), peuvent redevenir une tumeur. que toutes les cellules dans une tumeur peuvent se transformer en cellules initiatrices de tumeurs. Till et al. (1964) [10] furent les premiers à suggérer le terme stochastique pour décrire les événements qui contrôlent la « naissance » et la « mort » de cellules souches dans leurs essais de colonies spléniques. Cependant, le modèle a évolué pour suggérer que toutes les cellules sont homogènes et ont la même probabilité de se transformer en cellule initiant et soutenant le développement tumoral. Ces changements sont aléatoires, mais ils sont influencés par les facteurs extrinsèques et intrinsèques, comme les facteurs de transcription, les voies de signalisation et le microenvironnement. Quelques changements confèrent un avantage aux cellules avoisinantes : cet avantage est appelé la sélection clonale. Surtout, le modèle stochastique ne tente pas de prédire la fréquence de la cellule tumorale initiatrice [11]. Le modèle hiérarchique suggère que les populations uniques de la tumeur possèdent des contraintes prédéterminées si la population veut s’autorenouveler, se différencier, ou proliférer. Le modèle hiérarchique ressemble au développement normal qui place les cellules souches au sommet de la hiérarchie, par rapport aux cellules matures différenciées. Ce modèle est utilisé pour expliquer la faible capacité des cellules matures différenciées à reformer et à maintenir la tumeur à la suite d’une xénotransplantation [9]. Le modèle hiérarchique n’est pas incompatible avec le modèle stochastique, car la sélection clonale et l’évolution des cellules initiatrices de tumeurs sont continues. Il est donc probable que les facteurs stochastiques puissent influencer les CSC. De plus, il est possible que les facteurs stochastiques de la tumeur fournissent les mutations nécessaires aux cellules initiatrices. Les cellules initiatrices du modèle stochastique ne peuvent pas être isolées par leur phénotype de surface car chaque cellule dans la tumeur a la même probabilité d’en initier la croissance. Comme avec le modèle stochastique, le modèle hiérarchique ne prédit pas nécessairement la fréquence des cellules tumorales initiatrices [11]. Dans des travaux antérieurs de l’équipe de John Dick, les cellules leucémiques de patients atteints de LAM ont été séparées par cytométrie de flux dans les populations immatures (CD34+ CD38- ) et matures (CD34+ CD38+ ), puis transplantées dans les souris NOD-SCID [9]. Les dosages de « tumorigénicité » montrent que la population immature est capable de provoquer la leucémie, contrairement à la population mature. Ceci appuie le principe du modèle hiérarchique, car il existe des similitudes entre la fonction et le phénotype de la cellule souche de leucémies (CSL) et de la cellule souche normale hématopoïétique (CSH) (par exemple le marqueur CD34+ CD38- de surface et leur capacité à s’autorenouveler). Il est alors raisonnable de proposer que la CSL provienne d’une CSH. 254 Hématologie, vol. 18, n o 4, juillet-août 2012 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Les signatures géniques de cellules souches prédisent la survie des patients atteints de leucémie aiguë myéloblastique Les premières expériences de Dick et al. ont fourni des modèles in vivo d’hématopoïèse humaine normale et maligne [12, 13]. Ces modèles utilisent des animaux immunodéprimés qui possèdent encore l’immunité résiduelle innée et adaptative de l’hôte, des microenvironnements murins, et des cytokines murines, limitant ainsi la réactivité avec les cellules humaines transplantées. Les expériences de Kamel-Reid et Dick (1988) [12] ont été réalisées à partir d’hôtes murins bg/nu/xid, afin d’examiner la différenciation des progéniteurs granulocytes/monocytes, puis chez la souris SCID pour modéliser la leucémie aiguë lymphoblastique [13]. La greffe hématopoïétique normale est plus efficace lorsque les souris SCID sont transplantées et traitées avec des hormones humaines. De plus, cela a permis de détecter des cellules plus primitives que les progéniteurs [14]. Récemment, le laboratoire de Dick a examiné seize cas de LMA [1]. Ils ont séparé les cellules en différents groupes (CD34+ CD38- , CD34+ CD38+ , CD34- CD38- et CD34- CD38+ ) et les ont utilisées dans un essai amélioré de xénotransplantation comme ci-dessus. Les données démontrent que les CSL sont retrouvées dans au moins deux populations, confirmant ainsi les rapports précédents [15]. La majorité des CSL sont présentes dans la fraction CD34+ CD38- , comme l’ont prouvé leurs travaux antérieurs [2, 9]. Cependant, il y avait également des CSL dans d’autres populations, ce qui pourrait conduire à une xénogreffe avec les populations n’exprimant pas les marqueurs CD34+ CD38- . La génération de cellules avec le phénotype des fractions non-CSL confirme que la LMA est structurée hiérarchiquement, car il existe la même diversité phénotypique dans les cellules filles différenciées, et les fractions de CSL peuvent aboutir à des fractions non-CLS. De plus, les CSL ne peuvent pas être définies par les seuls marqueurs CD34+ CD38- . Ensuite, les auteurs ont examiné les programmes transcriptionnels des CSL. Ils ont créé un profil génétique de CSL afin de le comparer à un profil génétique de CSH. Les auteurs ont voulu déterminer si les CSL partagent ou non des programmes d’expression avec les CSH. Utilisant l’analyse génétique d’enrichissement, ils ont trouvé un groupe de 44 gènes représentatifs des CSH qui sont différentiellement exprimés dans les CSL, comme par exemple MEIS1, EVI1, MDR1, ERG et HLF (ces gènes sont importants pour la régulation des cellules souches normales et l’oncogenèse). De plus, ils ont réalisé une analyse protéomique et ont découvert un enrichissement des voies de signalisation Jak-STAT et Notch. Ils ont ensuite étudié la signature génétique des CSL et des CSH afin d’établir des corrélations possibles avec le devenir Hématologie, vol. 18, n o 4, juillet-août 2012 clinique des patients. Les auteurs ont classifié 110 cas de LMA selon leur pronostic (bon ou mauvais) et ont comparé leur signature génétique. Ils ont trouvé une association entre leur signature (CSL, CSH) et les personnes ayant un mauvais pronostic. Enfin, les auteurs ont examiné 160 personnes atteintes de LAM sans pronostic (cytogénétiques normaux). Ils ont trouvé qu’il y existe une corrélation négative entre une expression élevée de CSL et la rémission des patients. Ils ont également démontré une corrélation négative entre une expression élevée de CSH et la survie. Ceci prouve qu’un profil génétique des cellules souches, et non des gènes seuls, peut déterminer la survie d’un patient. La mutation FLT3-ITD (duplications internes en tandem de Flt3) peut prédire un mauvais aboutissement dans la LAM. Dans cette même étude de 160 LAM, les profils génétiques de CSL et CSH peuvent identifier les patients avec un mauvais devenir, et ce, indépendamment de la mutation FLT3-ITD. Par conséquent, les auteurs ont conclu qu’il est nécessaire d’obtenir le profil génétique des cellules souches (CSL et CSH) afin de déterminer le pronostic et la thérapie à utiliser (standard ou greffes de cellules souches). Potentiel thérapeutique L’identification et l’isolation de CSC dans les tumeurs solides et hématologiques ont progressé significativement pendant la dernière décennie grâce aux améliorations des techniques de cytométrie de flux et de xénotransplantations et à celle des anticorps commerciaux. À ce jour, la littérature met l’accent sur l’élimination des CSC à l’aide d’anticorps spécifiques dirigés contre les antigènes de surface. Néanmoins, les différences dans les voies de signalisation, démontrées par le laboratoire de Dick et al., bien que limitées, sont une autre possibilité de différencier les CSC des CSH. Afin que les agents thérapeutiques spécifiques des CSC (anticorps, petits inhibiteurs moléculaires, composés synthétiques et ARN d’interférence) puissent être utilisés comme thérapies d’avenir, ils auront besoin de démontrer leur spécificité pour les CSC, sans effets secondaires sur les tissus sains environnants. Le travail de Dick et al. contribue ainsi à la résolution de ces problèmes. Remerciements. L’auteur remercie le Dr Benoit D. Roussel et Clémentine Le Magnen pour leur relecture. Conflits d’intérêt : Aucun. RÉFÉRENCES 1. Eppert K, Takenaka K, Lechman ER, et al. Stem cell gene expression programs influence clinical outcome in human leukemia. Nat Med 2011 ; 17 : 1086-93. 255 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. 2. Lapidot T, Sirard C, Vormoor J, et al. A cell initiating human acute myeloid leukemia after transplantation into SCID mice. Nat 1994 ; 367 : 645-8. 9. Bonnet D, Dick JE. Human acute myeloid leukemia is organized as a hierarchy that originates from a primitive hematopoietic cell. Nat Med 1997 ; 3 : 730-7. 3. O’Brien CA, Pollett A, Gallinger S, Dick JE. A human colon cancer cell capable of initiating tumour growth in immunodeficient mice. Nat 2007 ; 445 : 106-10. 10. Till JE, McCulloch EA, Siminovitch L. 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