Extraction et production Alimenter en énergie électrique les plates-formes offshore Quelles solutions pour couvrir les besoins énergétiques des plates-formes pétrolières et gazières ? Rahul Chokhawala La fourniture d’électricité et d’autres formes d’énergie débute par l’exploration de sources d’énergie primaire. Souvent situées dans des sites isolés, leur exploitation pose un défi de taille aux sociétés pétrolières et gazières. Les plates-formes très éloignées de la côte sont une parfaite illustration de ces sites où la sécurité, les contraintes environnementales et la rentabilité sur le cycle de vie figurent en tête des priorités. Avec sa solution HVDC Light®, ABB apporte la réponse la plus économique et la plus écologique pour alimenter en électricité ces plates-formes. 52 Revue ABB 1/2008 Alimenter en énergie électrique les plates-formes offshore Extraction et production 1 Principaux constituants d’un système CCHT à convertisseurs à source de tension Convertisseurs à électronique de puissance Station de conversion à terre Réseau de la plate-forme ’exploitant d’une plateforme a deux options pour faire tourner ses machines électriques : produire l’électricité sur place au moyen de turbines à gaz qui entraînent des générateurs ou l’acheminer depuis la côte par des câbles sousmarins. Or s’il semble naturel de récupérer le gaz produit sur la plate-forme pour alimenter les turbines, dans bien des cas ce n’est pas la solution la plus rentable. Réseau électrique L Station de conversion en mer Câbles CC Conversion CA-CC CA prélevé sur le réseau terrestre Les turbines à gaz sont essentiellement des moteurs thermiques qui récupèrent l’énergie des gaz chauds issus de la combustion de gaz ou de fioul pour entraîner un générateur d’électricité. Ce processus en quatre étapes – combustion, compression, transfert de chaleur et rotation mécanique – nécessite des équipements énergivores dont l’exploitation et la maintenance sont lourdes. Une plate-forme produisant 100 MW rejette en moyenne plus de 500 000 tonnes de CO2 par an. Les plates-formes offshore utilisent principalement des turbines à gaz à cycle simple, plus légères et plus compactes. Ces turbines ont des rendements très médiocres, surtout lorsqu’elles ne tournent pas à plein régime, ce qui est souvent le cas. Actuellement, les plus performantes affichent des rendements de 20 à 30 %. Partant d’un taux de conversion combustible/électricité idéal de 10,8 kWh/Nm3 pour le gaz naturel standard, la combustion d’un normomètre cube de ce gaz produit à peine 3 kWh d’électricité et émet près de 2 kg de CO2. Ainsi, une plate-forme produisant 100 MW rejette en moyenne plus de 500 000 tonnes de CO2 par an et près de 300 tonnes d’oxydes d’azote (NOx), gaz toxiques tant pour l’homme que pour la nature. Conversion CC-CA CA restitué à la plate-forme cinq ou six turbines à des fins de redondance et d’applications spécifiques. Le transport en courant alternatif (CA) par câbles sous-marins jusqu’à des installations offshore souvent distantes de plusieurs dizaines de kilomètres de la côte est une technologie qui a fait ses preuves. Sur des distances supérieures, les liaisons CA souffrent de contraintes intrinsèques. En effet, la capacité répartie des câbles coaxiaux augmente avec leur longueur. Cette capacité produit à son tour de la puissance réactive qui impose d’utiliser, par exemple, une compensation statique ou particulière de puissance réactive. Les problèmes dynamiques liés aux câbles CA longues distances doivent être évalués et atténués. Ainsi, de gros 2 condensateurs en série avec la réactance d’aimantation du transformateur peuvent créer un phénomène de ferrorésonance lors de la mise sous tension de la liaison et entraîner sa défaillance. De même, les creux de tension transitoires provoqués par des perturbations sur le réseau terrestre s’amplifient et se propagent le long des câbles, risquant de déclencher des équipements sensibles de la plate-forme. Les liaisons CC offrent les meilleures performances pour l’alimentation électrique des plates-formes. Les inconvénients des câbles CA longues distances ne se retrouvent pas dans les liaisons à courant continu (CC). En fait, les liaisons CC haute tension (CCHT) mettent en œuvre des convertisseurs à source de tension et sont précisément conçues pour transporter de fortes puissances sur de longues distances. Ainsi, cette technologie a permis de s’affranchir des limites de distance [1,2]. Principale différence entre une liaison CC et une liaison CA : pour la premiè- Module HVDC Light® de la plate-forme Troll A de Statoil L’exploitation et la maintenance sont proportionnelles au nombre de turbines. Il n’est pas rare qu’une plateforme consommant 100 MW embarque Revue ABB 1/2008 53 Alimenter en énergie électrique les plates-formes offshore Extraction et production re, la nécessité d’une conversion à chaque extrémité de la ligne (CA/CC côté terre et CC/CA côté mer) 1 . Si ces convertisseurs augmentent le coût de la liaison CC, celle-ci ne requiert que deux câbles à comparer aux trois câbles du transport CA. A cela s’ajoute la section réduite des câbles du fait de leur capacité de transport accrue ; l’un dans l’autre, les économies de câbles compensent largement le coût des convertisseurs au fur et à mesure que les distances s’allongent. La solution HVDC Light® d’ABB est un système de transport par câble basé sur la technologie CCHT à convertisseurs à source de tension. Conçu au départ pour des applications terrestres, le premier système est entré en service en 1997 sur l’île de Gotland en Suède pour raccorder les éoliennes du sud au réseau du nord de l’île. Depuis, huit systèmes de ce type ont été installés à travers le monde pour des applications terrestres, totalisant près Coûts d’investissement, créneaux de marché Liaison CA Puissance (MW) 3 Liaison CC Turbines à gaz Longueur des câbles (km) 4 de 1200 MW sur 500 km. La première version offshore de HVDC Light® est entrée en exploitation en 2005 en mer du Nord sur la gigantesque plate-forme gazière Troll A du Norvégien Statoil 2 . Le champ BP de Valhall, également en mer du Nord, sera prochainement équipé de la technologie HVDC Light®, avec une mise en service prévue pour 2009. Les liaisons CC créent des opportunités pour réduire les coûts d’exploitation. Les convertisseurs de la solution HVDC Light® mettent en œuvre des transistors de puissance de type IGBT (Insulated Gate Bipolar Transistor) avec des fréquences de commutation jusqu’à 2000 Hz pour convertir la tension alternative sinusoïdale. Comparés à une seule turbine à gaz, ils exigent très peu de maintenance, limitée pour l’essentiel aux disjoncteurs CA et aux systèmes de refroidissement. Le développement d’un nouveau champ autorise une démarche innovante avec peu ou pas de dépenses de démolition ou de démontage de l’existant. Le système HVDC Light® installé pour la plate-forme Troll A en est l’exemple probant (compression du gaz suite à une chute de pression dans le réservoir avant son transport en gazoduc [3]). Deuxième exemple : satisfaire les besoins accrus en énergie d’un site existant avec ou sans remplacement des équipements de production d’énergie. C’est ainsi que l’opérateur BP a décidé de retirer la turbine à gaz de son champ de Valhall et d’alimenter le site exclusivement à partir du continent. La solution HVDC Light® a permis de répondre à la hausse des besoins énergétiques [4]. Troisième exemple : l’électrification d’une plate-forme existante ou d’un groupe de champs. Types d’application Solution optimale Le choix d’une solution énergétique pour une plate-forme repose sur plusieurs critères : nature du projet : installation neuve ou modernisation/réaménagement de l’existant ; type d’application ; cadre réglementaire ; coûts d’investissement ; coûts d’exploitation. Lorsqu’un compresseur est commandé en vitesse variable pour des performances maximales, une liaison CCHT et un moteur à haute tension constituent la meilleure solution, comme le démontre le projet de précompression de la plate-forme Troll A [5]. Une autre application peut nécessiter le raccordement direct des moteurs au réseau (comme pour la plate-forme de Valhall), ce qui est pris en compte dès la conception du système CCHT à Eléments entrant dans le calcul des coûts d’exploitation sur le cycle de vie Eléments Norvège Référence Unité Prix de gros de l’électricité 46,7 66,7 US$/MWh Prix de vente du combustible 0,24 0,24 US$/Nm3 Pertes d’un convertisseur HVDC Light® 4% 4% 4–6 % 4–6 % Pertes d’un câble HVDC Light® 54 Nature du projet Conversion combustible/électricité à un rendement de 100 % 10,8 10,8 Rendement d’une turbine à gaz 40 % 30 % kWh/Nm3 Emission de CO2 – 100 % de rendement 0,21 0,21 Ecotaxe ou cours du quota d’émissions de CO2 56,3 16,7 US$/t Emissions de NOx 0,4 0,4 kg/kWh Ecotaxe ou cours du quota d’émissions de NOx (horizon à 20 ans) 7,5 2,5 US$/kg Coût annuel d’exploitation & de maintenance d’une turbine à gaz de 25 MW (+ récupérateur de chaleur + générateur de vapeur, Norvège) 2,5 1,7 M US$/an Coût d’exploitation & de maintenance du système HVDC Light® (toutes tailles) 0,7 0,7 M US$/an Période d’analyse 20 20 an Taux d’intérêt – valeur actualisée nette 7% 7% Revue ABB 1/2008 Alimenter en énergie électrique les plates-formes offshore Extraction et production convertisseurs à source de tension. Toutefois, pour les turbines à gaz et les liaisons CA sous-marines, il convient de prévoir des démarreurs progressifs sur la plate-forme. largement dictés par les besoins de puissance. Plus ils sont importants, plus la solution CCHT est économique car il suffit d’augmenter les capacités de transport de la liaison HVDC Light® (1 000 MW maximum) pour couvrir ces besoins. Si l’on opte pour des turbines, il faut augmenter leur nombre, ce qui fait s’envoler les dépenses d’exploitation et de maintenance qui restent, au contraire, très faibles avec la solution HVDC Light® [6,7]. Cadre réglementaire La réglementation joue un rôle important dans le choix d’équipements offshore performants, sûrs et non polluants. En Norvège, la loi impose d’équiper les nouvelles turbines à gaz offshore de dispositifs dopant leur rendement, notamment des récupérateurs de chaleur et des générateurs de vapeur. En exigeant de faire passer le rendement des turbines à cycle simple de 25–30 % à 40 % environ, on réduit certes la consommation de combustible et les émissions de gaz à effet de serre (GES) soumises à écotaxe, mais on augmente aussi les coûts d’exploitation et de maintenance. Qui plus est, les récupérateurs de chaleur et les générateurs de vapeur constituent des dépenses d’investissement supplémentaires et accroissent les contraintes de masse et d’encombrement de la plate-forme. Il est clair que ce type de réglementation fait pencher la balance en faveur des câbles électriques sousmarins. Les câbles électriques sous-marins réduisent fortement les coûts d’exploitation sur le cycle de vie. Plus les distances sont longues, plus la solution CC s’impose car le surcoût des convertisseurs est compensé par les économies de câbles. Le bilan économique des différentes solutions énergétiques en lice requiert une analyse approfondie au cas par cas, d’une part, des coûts d’investissement et autres coûts initiaux et, d’autre 5 Coûts d’investissement Au vu des spécificités de chaque projet (nature, application, cadre réglementaire), le niveau d’investissement est fonction des facteurs clés que sont la puissance assignée (MW) et la longueur des câbles (km). Tous ces facteurs contribuent à créer des créneaux de marché 3 . Coûts d’exploitation sur le cycle de vie, scénario 100 MW/100 km (Norvège) M US$ M US$ Coût du gaz naturel ou de l’électricité 552 505 Ecotaxe sur le CO2 294 Ecotaxe sur les NOx 30 Coûts d’exploitation & de maintenance Total coûts d’exploitation sur le cycle de vie Pour une distance donnée, les choix d’investissement entre turbines à gaz et liaisons CCHT sous-marines sont Comparaison des coûts d’exploitation sur le cycle de vie (Norvège) 7 Coûts d’exploitation sur le cycle de vie : référence, 100 MW/100 km Turbine Liaisons à gaz sousmarines M US$ M US$ 736 722 0 Ecotaxe sur le CO2 116 0 0 Ecotaxe sur les NOx 10 0 76 8 937 729 8 988 513 Coûts d’exploitation & de maintenance Total coûts d’exploitation sur le cycle de vie Coûts d’exploitation sur le cycle de vie (référence) 2500 Turbines à gaz Câbles électriques sous-marins 2000 Millions de US$ Millions de US$ Coûts d’exploitation sur le cycle de vie, scénario 100 MW/100 km (référence) Comparaison des coûts d’exploitation sur le cycle de vie (référence) 8 Turbines à gaz Câbles électriques sous-marins 2000 Les coûts de combustibles et de personnel offshore d’exploitation et de maintenance constituent les deux principaux postes de dépenses d’exploitation sur le cycle de vie. Ensuite, il convient d’ajouter les écotaxes (Norvège) ou les quotas d’émissions de CO2 (UE). Les coûts d’exploitation sur le cycle de vie alourdissent considéra- Coût du gaz naturel ou de l’électricité 113 Coûts d’exploitation sur le cycle de vie (Norvège) 2500 Contrairement aux coûts d’investissement qui, par définition, ne sont pas diffusés, les données sur les coûts d’exploitation sont dans le domaine public et permettent de comparer le bilan économique sur le cycle de vie des turbines à gaz et des liaisons CC sous-marines pour trois couples de puissance/longueur (250 MW/50 km, 100 MW/100 km et 250 MW/300 km). Ces scénarios s’appliquent à la Norvège et à une région de référence (Union européenne, par exemple) où la réglementation sur les émissions de GES ou l’efficacité énergétique est moins contraignante mais où le prix de l’électricité est plus élevé qu’en Norvège. 6 Turbine Liaisons à gaz sousmarines Coûts d’exploitation sur le cycle de vie : Norvège, 100 MW/100 km part, des coûts d’exploitation sur le cycle de vie de chaque projet. 1500 1000 500 1500 1000 500 0 0 0 50 Revue ABB 1/2008 100 150 MW 200 250 300 0 50 100 150 MW 200 250 300 55 Alimenter en énergie électrique les plates-formes offshore Extraction et production blement la facture totale et doivent entrer dans le calcul comparatif du coût global de cycle de vie des différentes solutions énergétiques. Le tableau 4 récapitule les principaux éléments inclus dans le calcul des coûts d’exploitation de nos six scénarios. Les liaisons câblées CA et CC présentant des différences mineures en terme de coûts d’exploitation, les résultats des calculs pour les solutions HVDC Light® s’appliquent indifféremment aux liaisons sous-marines CA et CC. Les prix de gros de l’électricité sont des prévisions alors que le cours du quota d’émissions de CO2 pour la région de référence est calculé sur un horizon à 20 ans. Les tableaux 5 et 6 reproduisent des valeurs actualisées nettes estimatives des coûts d’exploitation sur le cycle de vie pour la Norvège et la région de ré9 Réduction des coûts d’exploitation sur le cycle de vie avec les câbles électriques sous-marins dans les six scénarios Réduction des coûts d’exploitation sur le cycle de vie avec les câbles électriques sous-marins 10 Référence M US$ 250 MW, 50 km 114 48 100 MW, 100 km 476 208 250 MW, 300 km 1189 514 Réduction annuelle des émissions de CO2 d’une plate-forme alimentée par câbles sous-marins Réduction annuelle des émissions de CO2 de la plate-forme Norvège Tonnes Référence Tonnes 250 MW, 50 km 114 975 153 300 100 MW, 100 km 459 900 613 200 250 MW, 300 km 11 Norvège M US$ 1 149 750 1 533 000 Réduction annuelle des émissions de NOx d’une plate-forme alimentée par câbles sous-marins férence pour le couple 100 MW/100 km. Ces montants sont élevés et pèsent lourd dans le coût global de cycle de vie (investissement + exploitation), surtout pour les installations neuves ou les projets de réaménagement. Les coûts d’exploitation sur le cycle de vie en fonction de la puissance (Norvège et région de référence) figurent aux tableaux 7 et 8 . surcroît, renforce la sécurité opérationnelle. Si chaque projet doit faire l’objet d’une analyse spécifique, les scénarios présentés ici sont suffisamment parlants pour envisager cette solution à la fois pour les nouveaux projets et les installations existantes. La technologie HVDC Light® d’ABB a apporté la preuve de ses avantages et devrait équiper un nombre croissant de plates-formes dans les années à venir. Enfin, la réduction des coûts d’exploitation est significative pour les six scénarios avec les liaisons sousmarines 9 . Il en va de même des émissions de GES des plates-formes 10 11 . Les liaisons sous-marines : une alternative séduisante Les exemples montrent clairement que l’alimentation électrique des plates-formes offshore par des câbles sous-marins est une solution à la fois économique et écologique qui, de Rahul Chokhawala Anciennement chez ABB Process Automation Oslo (Norvège) [email protected] Bibliographie [1] Hyttinen, M., Lamell, J.-O., Nestli, T., New application of voltage source converter (VSC) HVDC to be installed on the gas platform Troll A, CIGRE, 2004 [2] Chokhawala, R., Maland, A., Nestli, T., 2004, DC transmission to offshore installations, The Journal of Offshore Technology, 12, p. 4–10 Réduction annuelle des émissions de NOx de la plate-forme Norvège Tonnes Référence Tonnes 250 MW, 50 km 88 88 100 MW, 100 km 350 350 250 MW, 300 km 876 876 [3] Nestli, T. F., Stendius, L., Johansson, M. J., Abrahamsson, A., Kjaer, P. 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