Int roduction 1. La psychanalyse est la seule a psychologie )) qui ait réellement compté en France depuis 1950 Ce livre repose sur un présupposé peu habituel, et même une hypothèse originale, qui méritent d’être tout d’abord exposés et justifiés. On adopte la perspective d’écarter d’emblée la notion d’une psychologie en général, prenant le parti de considérer qu’elle est une espèce de vulgate de caractère international, en fait, aujourd’hui et de plus en plus, à forte coloration anglophone, pour ne pas dire nord-américaine. À partir de là, on se demande si la notion d’une psychologie française, voire plus largement d’une psychologie européenne, pourrait avoir encore une signification, et si oui, laquelle exactement. De fait, en ce domaine comme en d’autres, une mondialisation ravageuse aurait tendance à développer plus qu’un fort tropisme vers la mamelle américaine. En tout état de cause, il est légitime de se demander si ce processus laisse encore subsister plus ou moins des îlots nationaux. Avançons. Un assez large public en France s’intéresse aux questions d’ordre << psychologique », en distinguant, de façon plus ou moins confuse à cet égard, d’une part, la nouvelle psychologie cognitive, dont un nombre non négligeable de médias pousse à l’avant-scène la panoplie des plus récentes conquêtes - par exemple dans le domaine de la << bébélogie >> -, d’autre part, la psychanalyse, et plus largement le domaine des psychothérapies, dont la représentation médiatique est certainement encore plus importante. De toute manière, bien que le pouvoir médical, en alliance avec une certaine frange du pouvoir politique, pousse en avant la psychologie cognitive, disons même objective, le public continue à considérer spontanément que la << psy >> ou les << psys », au moins pour lui et dans le sens le plus évident, c’est la psychanalyse, c’est-à-dire la << psychologie >> qui soigne, écoute et assiste - au lieu de simplement conformer, canaliser et adapter - quelles que soient les 9 La psychanalyse et la psychologie clinique diverses appellations que l’on puisse lui donner en divers contextes plus techniques : psychologie clinique, psychopathologie, psychothérapie (pas toutes ses espèces). Dans le cadre particulier de l’université, comme on l’a montré dans un autre ouvrage, le paradigme de la psychologie objective (cognitive, et une assez large partie des sousdisciplines sociale, développementale, et différentielle) domine largement celui de la psychanalyse, dans un rapport de 7 à 3 en principe, mais probablement bien plus serré si l’on tient compte de la composante de ces sous-disciplinesqui << sympathise >> encore d’une certaine manière avec la psychanalyse universitaire. Par contre, ce rapport s’inverse complètement en dehors de l’université, dans le champ des pratiques professionnelles, où l’on peut considérer que 75 % des praticiens sont des psychologues cliniciens,voire des psychothérapeutes, y compris des psychanalystes. Or, si l’on examine avec attention les références invoquées par la psychologie objective universitaire, il est incontestable que celles-ci sont de source anglophone, et plus précisément nord-américaine, à 95 % au moins, contre une minuscule portion de couleur francophone. À y regarder même de plus près, toutes les connaissances nouvelles, toutes les inventions méthodologiques et conceptuelles, toutes les découvertes en matière de modèles relèvent du génie américain, d’un talent particulier propre à 1’amm’can way of thinking pour l’expérimentation dans les champs conjoints de la vie mentale et comportementale, cependant que les auteurs français ne font guère autre chose depuis cinquante ans que de citer, reprendre, résumer, commenter, accommoder et présenter, dupliquer, si ce n’est même, à l’occasion, plagier - sans aucune originalité, à de très rares exceptions près - la matière nord-américaine. La conséquence de ce qui précède, c’est que, s’il existe une psychologie objective internationale de couleur nord-américaine, qui fait aujourd’hui largement sentir son influence, à ce que l’on sache, dans toutes les nations européennes, il n’existe pas réellement de psychologie scientifique française originale. Ou plutôt, s’il existait une psychologie française originale, il faudrait envisager que le noyau dur en fût constitué ni plus ni moins que par la psychanalyse française. De fait, il existe une très nombreuse, très productive et très originale école de psychanalyse de langue française, qui s’est même avérée au surplus être la plus féconde dans le paysage de la culture mondiale depuis la guerre 1939-1945. On étudiera plus loin le collectif très étoffé de ses représentants les plus marquants. D’après nous, cette école française de psychanalyse porterait la marque particulière de la culture nationale, au point qu’il convient de se la représenter dans la grande tradition des auteurs qualifiés comme << Moralistes », c’est-à-dire experts en matière de moralia, ou, si l’on veut, connaisseurs dans la vie de l’esprit. Ce n’est pas par hasard que Lacan a si souvent cité Pascal et La Rochefoucauld, sans parler de Rabelais, Montaigne, Descartes, La Bruyère, La Fontaine, Racine, Molière, Malebranche, sans oublier 10