à connaître Effets psychotropes des antiépileptiques Risques et bénéfices n Les antiépileptiques (AE) sont connus pour leurs propriétés psychotropes positives au travers de leurs nombreuses indications dans le champ de la psychiatrie. Et ces indications peuvent guider des prescriptions chez des patients épileptiques porteurs de symptômes psychiques associés. Cependant, la connaissance des effets psychotropes négatifs de cette classe médicamenteuse est moins certaine et fait souvent appel à l’expérience personnelle des prescripteurs. Or il s’agit d’un questionnement primordial pour le médecin neurologue car l’épilepsie en elle-même, plus qu’une autre pathologie chronique, est associée à des pathologies psychiatriques telles que les troubles de l’humeur, les troubles anxieux, la psychose… L’ objectif de notre travail était de réaliser une revue de la littérature afin d’éclairer cette question des effets psychotropes des traitements antiépileptiques tant positifs que négatifs et de proposer des pistes d’optimisation des prescriptions en tenant compte du terrain sous-jacent. Au lieu de présenter les résultats molécule par molécule comme cela est souvent le cas dans ce type de travail, nous avons souhaité catégoriser les effets psychotropes par grandes fonctions psychiques impactées ou classe de symptômes psychiatriques induits, pour plus de lisibilité. 1. Psychiatre, Hôpital Maison Blanche, service de Neurologie, CHU de Reims 2. Neurologue, Hôpital Maison Blanche, service de Neurologie, CHU de Reims 174 Jean-François Visseaux1 et Anne Thiriaux2 état des lieux des prescriptions d’antiépileptiques La littérature nous apporte une vision objective et récente des prescriptions d’antiépileptiques à l’échelle d’un pays : Landmark et al. [1] quantifièrent l’usage des antiépileptiques dans l’épilepsie­ mais également dans d’autres indications telles que la psychiatrie, les douleurs neuropathiques et les céphalées, au sein de la population norvégienne entre 2004 et 2007, grâce à la base de données centralisée des prescriptions de Norvège (soit un total de 5,1 millions de prescriptions pour 144 653 patients). L’indication des prescriptions des AE restait majoritairement l’épilepsie, suivie par les indications psychiatriques puis les douleurs neuropathiques et enfin les migraines. La répartition des prescriptions d’AE selon l’indication clinique est présentée en figure 1. De façon globale, les trois molécules les plus employées en terme de volume de prescriptions sont la carbamazépine, la lamotrigine et le valproate. Les nouvelles générations d’AE concernent essentiellement les prescriptions pour migraine ou douleurs neuropathiques (96 et 94 % du volume total des prescriptions dans ces indications), alors qu’en psychiatrie elles ne représentent que 64 % des prescriptions et seulement 49 % pour une indication d’épilepsie. Les prescriptions d’AE toutes indications confondues sont à la hausse entre 2004 et 2007 avec une augmentation de 642 % pour la migraine, 360 % pour les douleurs neuropathiques, Neurologies • Mai 2014 • vol. 17 • numéro 168 Effets psychotropes des antiépileptiques à la production d’effet psychotrope [4], bien qu’il s’agisse d’un mécanisme d’action majeur des antiépileptiques. Figure 1 - Répartition des prescriptions d’antiépileptiques en population générale selon l’indication clinique. D’après Landmark et al. [1]. 200 % en psychiatrique et 7 % dans l’épilepsie. Il conviendra de retenir de ces données qu’il existe une utilisation large des AE, avec une prédominance des nouvelles molécules, ainsi qu’une tendance à la hausse des prescriptions plus marquées en dehors des indications pour épilepsie. Physiopathologie des effets psychotropes et usage en psychiatrie Les antiépileptiques font maintenant partie des thérapeutiques médicamenteuses utilisées régulièrement en psychiatrie. La littérature identifie avec un fort niveau de preuve des indications cliniques en psychiatrie où les AE ont montré une efficacité clinique notable [2] : efficacité des benzodiazépines et du phénobarbital dans l’insomnie, efficacité des benzodiazépines et de la gabapentine dans les troubles anxieux, efficacité de la carbamazépine, de l’oxcarbazépine et du valproate dans la phase maniaque des troubles bipolaires, efficacité de la lamotrigine dans les Neurologies • Mai 2014 • vol. 17 • numéro 168 phases de dépression du trouble bipolaire et enfin de la carbamazépine et des benzodiazépines dans le sevrage de l’alcool. Cette efficacité et plus largement les effets psychotropes des AE sont liés à une physiopathologie spécifique. Les effets psychotropes des antiépileptiques s’expliquent par deux mécanismes principaux [3], à savoir : • un premier mécanisme reposant sur le profil psychotrope de l’AE avec deux polarités définies par Ketter et al. [4], l’une GABAergique et l’autre anti-glutamatergique ; • et un second mécanisme résultant d’une interaction entre l’AE et le processus épileptique sous-jacent. A ces deux mécanismes viennent s’ajouter deux mécanismes mineurs complémentaires de nature à engendrer des effets psychotropes (5) : • les phénomènes de toxicité dose-dépendante ; • et les syndromes de sevrage à certaines molécules. Précisons que le blocage des canaux sodiques voltage-dépendants ne semble pas participer La classification établie par Ketter et al. [4], bien que simpliste, autorise un cadre de réflexion autour du profil psychotrope des antiépileptiques. Ce dernier oppose d’un côté un effet GABAergique de type sédatif indiqué sur les symptômes psychiatriques, tels l’agitation et l’angoisse, avec de l’autre côté un effet antiglutamatergique de type stimulant indiqué principalement en cas de ralentissement et symptômes dépressifs. Les différents éléments et corollaires cliniques de cette classification sont repris dans le tableau 1. Effets psychotropes des antiépileptiques Au travers d’une revue de la littérature [3-7], nous avons pu dégager des catégories au sein des grandes fonctions psychiques impactées ou des symptômes psychiatriques induits par les effets psychotropes des AE. Ces effets sont, pour une même catégorie, soit positifs, soit négatifs, allant dans le sens d’une amélioration ou d’une détérioration. Les grandes catégories ainsi identifiées comportent : • la thymie, • le comportement, • l’anxiété, • la psychose, • la cognition, • et le sommeil. De façon accessoire existent également des effets anorexigènes ou confusiogènes. L’ensemble des effets répertoriés par cette revue de la littérature est présenté dans le tableau 2. 175 à connaître Tableau 1 - Catégorisation des antiépileptiques selon leur profil d’action et considérations cliniques. D’après Ketter et al. [4]. Profil GABAergique Profil antiglutamatergique Sédatif, anxiolytique, dépressogène, antimaniaque Stimulant, anxiogène, antidépresseur Barbituriques Benzodiazépines Valproate Vigabatrin Tiagabine Gabapentine Topiramate* Zonisamide Felbamate Lamotrigine Oxcarbazépine Lévétiracétam* Profil psychique ”activé”1 Indiqué Contre-indiqué Profil psychique ”sédaté”2 Contre-indiqué Indiqué Effets psychotropes Molécules 1. Le profil psychique dit “activé” regroupe les symptômes psychiques suivants : insomnie, agitation, anxiété, tachypsychie et perte de poids. 2 . Le profil psychique dit “sédaté” regroupe les symptômes suivants : hypersomnie, asthénie, apathie, affects dépressifs, ralentissement idéo-moteur et prise de poids. * Le topiramate et le lévétiracétam s’intègrent imparfaitement dans cette classification [4, 5] mais, par extension, on peut les classer ainsi [3]. Facteurs de risque d’effet psychotrope négatif Au-delà de la mise en évidence d’effets psychotropes négatifs, il est intéressant pour le prescripteur de pouvoir identifier des facteurs de risque de survenue de ces effets. Il existe quatre grands types de facteurs de risque : 1. Tout d’abord, Weintraub et al. [8] mettent en évidence des facteurs de risque liés à la molécule en elle-même : certains AE sont plus à risque de survenue d’effets psychotropes négatifs en terme de fréquence de survenue. Parmi les AE à risque élevé, on retrouve le lévétiracetam et la tiagabine ; pour les AE à risque intermédiaire on retouve le topiramate et le zonisamide ; et enfin, pour les AE à risque faible, on retrouve le vigabatrin, le felbamate, l’oxcarbazépine, la gabapentine et la lamotrigine. 176 2. Ensuite des facteurs de risque liés aux antécédents neurologiques sont soulignés par Mula et al. [9], avec comme seul paramètre statistiquement significatif la survenue de convulsions fébriles ; alors que l’âge de début de l’épilepsie, la durée d’évolution de l’épilepsie ou encore le type de syndrome épileptique ne présentaient pas de significativité. Cette sensibilité plus grande aux effets psychotropes négatifs en cas de convulsions fébriles s’expliquerait par des lésions précoces du système limbique [10]. 3. Bien entendu, les antécédents psychiatriques personnels et familiaux sont des facteurs de risque essentiels [8, 9]. Weintraub et al. objectivaient 23 % d’effets psychotropes négatifs sous AE contre 12 % en l’absence de tels antécédents [8]. Il existe par ailleurs une continuité entre les antécédents psychiatriques personnels et le symptôme potentiellement induit par l’effet psychotrope négatif : des antécédents de psychose ou de troubles de l’humeur auront tendance à engendrer des symptômes du même champ psychiatrique [11]. Au travers de ces constatations, se pose la question de savoir si l’effet psychotrope négatif constaté est uniquement à rapporter à la iatrogénie de l’AE, ou s’il constitue plutôt une première étape d’un processus pathologique conduisant à une pathologie psychiatrique chronique [9]. 4. Enfin, l’équilibre de la pathologie épileptique en lui-même semble jouer un rôle dans la survenue de certains effets psychotropes, particulièrement les symptômes psychotiques, et plus accessoirement les comportements agressifs et les troubles de l’humeur [9]. Il existe un lien entre l’apparition d’une symptomatologie psychotique et la disparition des crises d’épilepsie sous traitement, plus particulièrement en cas de contrôle trop rapide [9]. Cette association pourrait être une façon d’expliquer le concept de “normalisation forcée”, encore débattu à ce jour. Optimisation des prescriptions d’antiépileptiques L’optimisation du traitement antiépileptique est à considérer selon deux grands axes de réflexion : • tout d’abord, l’adaptation de traitement AE aux comorbidités et antécédents psychiatriques du sujet traité ; • ensuite, selon les interactions médicamenteuses réciproques entre AE et psychotropes. Le premier axe peut se décliner selon les quatre principaux cadres Neurologies • Mai 2014 • vol. 17 • numéro 168 Effets psychotropes des antiépileptiques Tableau 2 - Effets psychotropes positifs et négatifs des antiépileptiques. Effets psychotropes négatifs Effets psychotropes positifs Dépressogène : • PB (adultes/enfants) avec idéations suicidaires • PHT • VGB (si antécédents de dépression) • TPM (si polythérapie, titration rapide, antécédents psychiatriques) avec troubles cognitifs • FBM • TGB (peu de données), avec possiblement troubles cognitifs et psychose • LEV (si antécédents de dépression) • ZNS Thymorégulateur : • PHT (non confirmé) • CBZ (thymorégulateur et antimaniaque) • VPA (thymorégulateur, antimaniaque, antidépresseur) • GBP • LTG (thymorégulateur, antidépresseur) • OXC (non confirmé) Agitation, agressivité : • PB : syndrome de désinhibition (dès faibles doses, adultes/enfants, sur retard mental) • PHT (enfants surtout) • BZD : réaction paradoxale • VGB, FBM (surtout enfants avec troubles des apprentissages) • GBP (adultes/enfants, sur retard mental) • LTG (rare, sur retard mental) • LEV (sur épilepsie avec risque majoré chez les enfants) possible passage à l’acte hétéro-agressif Sédation : • PB • PHT (effet dose-dépendant) • CBZ (moindre) • BZD • VPA (moindre) • GBP • ZNS Effet anti-impulsif : • CBZ • VPA (pour troubles de personnalité, hors démences) • TPM (pour troubles de personnalité et patients institutionnalisés) Anxiogène : • LTG (rare, avec symptômes obsessionnels compulsifs) • FBM • LEV (surtout si trouble anxieux préexistant) Anxiolytique : • PB • CBZ • BZD • GBP (anxiété généralisée et trouble panique) • TGB (anxiété généralisée) • PGB (anxiété sociale) Psychose Propsychotique : • PHT (effet dose-dépendant) • VGB (en post-ictal ou lors du sevrage), surtout si épilepsie sévère • TPM (adultes/enfants, si polythérapie et antécédents psychiatriques, et même hors pathologie épileptique) • LEV • ZNS Antipsychotique : • VPA (pour schizophrénie résistante) • BZD, CBZ, LTG (à un degré moindre) Toujours en association à un neuroleptique pour renforcer son activité antipsychotique Amélioration cognitive : • LTG • FBM Cognition Altération cognitive : • PB (dose-dépendant) • PHT • CBZ (modéré) • BZD • VPA (modéré) • TPM (dose-dépendant, épilepsie ou non) avec ralentissement, perplexité, troubles de concentration et du langage • ZNS (modéré) Sommeil Insomnie : • LTG (avec anxiété et irritabilité) • FBM (augmentation des capacités de veille et d’attention) Hypnotique : • PB • BZD Autre Confusion : • PB • PHT (possible encéphalopathie chronique) • BZD sur sevrage • VPA (encéphalopathie, effet dose-dépendant) Anorexigène : • FBM • TPM • ZNS Thymie Comportement Anxiété Neurologies • Mai 2014 • vol. 17 • numéro 168 PB (barbituriques) ; PHT (phénytoïne) ; CBZ (carbamazépine) ; BZD (benzodiazépines) ; VPA (valproate) ; VGB (vigabatrin) ; GBP (gabapentine) ; LTG (lamotrigine) ; FBM (felbamate) ; TGB (tiagabine) ; TPM (topiramate) ; OXC (oxcarbazepine) ; LEV (lévétiracétam) ; PGB (pregabaline) ; ZNS (zonisamide). 177 à connaître nosologiques psychiatriques rencontrés en association avec l’épilepsie [5, 6] : 1. Pour un patient épileptique présentant une comorbidité psychiatrique de type dépression, il convient d’éviter les AE dépressogènes, et plus particulièrement le phénobarbital, le vigabatrin, la tiagabine, le topiramate et de préférer la lamotrigine. 2. En cas de comorbidité de type psychotique, on évitera les AE propsychotiques, et plus particulièrement le vigabatrin, le topiramate, la phénytoïne . Et il conviendra de porter une attention particulière en cas d’usage du lévétiracétam. On préférera utiliser le valproate, possiblement en association à un neuroleptique si la clinique psychiatrique l’exige. 3. En cas d’anxiété associée, on évitera les AE à effet anxiogène et plus particulièrement la lamotrigine, le felbamate et le lévétiracétam au profil d’AE anxiolytiques, à savoir les benzodiazépines, la gabapentine et le prégabalin. 4. Enfin, en cas d’agitation et ou trouble du comportement on évitera l’usage de la lamotrigine pouvant entraîner insomnie, anxiété, voire hypomanie, ainsi que le lévétiracétam de nature à déclencher des passages à l’acte violents. On préférera dans ce cas le valproate pour ses effets sédatifs et anti-impulsifs, et ce plus particulièrement si coexiste un trouble de la personnalité sous-jacent. Le second axe doit prendre en compte les interactions réciproques entre AE et psychotropes. Les principaux éléments du travail de Brodtkorb et al. (6) sur ce point sont repris ci-dessous : • La première donnée à considérer est le pouvoir inducteur enzymatique de certains AE 178 (carbamazépine, phénobarbital, phénytoïne) responsables d’une décroissance des taux plasmatiques en psychotropes. Par opposition, le valproate ne présente pas ce problème et devra donc être privilégié si l’on souhaite minimiser ce premier type d’interaction. • Inversement, certains psychotropes sont de nature à modifier les concentrations circulantes d’AE. A ce titre, il conviendra de préférer les antidépresseurs sérotoninergiques aux tricycliques qui présentent moins d’interactions avec les AE et, au sein de cette classe la paroxétine, le citalopram et la sertraline qui ne semblent pas influer sur les concentrations d’AE. Pour ce qui est des neuroleptiques, on privilégiera la risperidone pour les mêmes raisons. • Ensuite, il faut considérer les effets indésirables add-on synergiques entre AE et psychotropes. Ces effets peuvent intéresser le système nerveux central, avec des symptômes comme la sédation, la prise de poids ou les tremblements, ou encore le système hématopoïétique, avec des risques d’anémie ou de leucopénie pouvant aller jusqu’à l’agranulocytose (on se méfiera particulièrement de l’association carbamazépine/ clozapine). • Si l’action principale des antiépileptiques est d’augmenter le seuil épileptogène, certains psychotropes présentent l’effet inverse : on évitera ainsi plus particulièrement la clozapine et la chlorpromazine pour les neuroleptiques et le bupropion pour les antidépresseurs (12) qui présentent un risque épileptogène élevé. Précisons que ce risque est faible pour la plupart des autres psychotropes à dose usuelle et en association à un traitement AE bien conduit. Consensus autour des troubles neurocomportementaux liés aux AE dans l’épilepsie Bien qu’il n’existe pas de recommandations officielles en France concernant la prise en charge 1. Troubles neuro-comportementaux et AE : recommandations d’experts [13] Concernant l’estimation et la prise en charge des troubles neuro-comportementaux des AE dans l’épilepsie, les recommandations issues du groupe de travail expert sont les suivantes : • Risque plus élevé de troubles cognitifs et comportementaux : en cas de polythérapies, titration rapide, hauts dosages. • Atteinte cognitive : plus marquée avec le phénobarbital et le topiramate, mais égale pour les autres molécules. Nécessité de prévenir le patient. • Suivi plus régulier à l’introduction d’un AE si : épilepsie pharmacorésistante, épilepsie impliquant les régions temporo-limbiques, ou antécédents psychiatriques personnels ou familiaux. • Suivi régulier une fois le patient épileptique libre de crises si : antécédent de décompensation psychotique ou de modifications transitoires du comportement. • Si décroissance d’un AE thymorégulateur : décroissance précautionneuse et lente chez les patients avec des antécédents de troubles de l’humeur. Neurologies • Mai 2014 • vol. 17 • numéro 168 Effets psychotropes des antiépileptiques des effets psychotropes des anti­ épileptiques, on peut trouver des recommandations d’experts à ce sujet [13]. Ces recommandations correspondent à une synthèse des données de la littérature ainsi qu’à des avis d’experts reconnus dans ce domaine spécifique (encadré 1). AE et suicide Depuis 2008, un doute existe sur l’association entre suicide et médicaments antiépileptiques. A ce sujet, le Vidal® décrit dans sa section sur les précautions d’emploi des antiépileptiques : « une méta-analyse des essais randomisés, contrôlés, versus placebo portant sur les médicaments antiépileptiques a montré une légère augmentation du risque de pensées et comportement suicidaires », s’ensuivent des recommandations spécifiques en cas de dépression et/ou idées et comportement suicidaires. Cette citation fait référence à une méta-analyse de la Food and Drug Administration (FDA) datant de mai 2008 [14], concernant des essais contrôlés, randomisés, en double aveugle, multicentriques, de type antiépileptique versus placebo. Onze antiépileptiques ont ainsi été testés (anciens et nouveaux), et les auteurs recherchaient des comportements ou idées suicidaires au cours des essais contrôlés avec un antiépileptique. Cette méta-analyse incluait environ 28 000 patients sous AE pour 16 000 contrôles sous placebo. Les indications de prescription des AE étaient l’épilepsie pour 25 %, la psychiatrie pour 27 %, et d’autres indications pour 48 % (migraine, douleurs neuropathiques). Les résultats retrouvaient 4 suicides, tous dans le groupe AE, mais aussi plus d’idéations ou comportement suicidaires sous AE que Neurologies • Mai 2014 • vol. 17 • numéro 168 sous placebo avec un Odd Ratio [OR] = 1,8 (IC 95 % : 1,24-2,66). De même, le risque relatif (RR) était plus élevé en cas de prescription pour une indication d’épilepsie (RR = 3,6 ; IC 95 % : 1,3-12,1) que pour une pathologie psychiatrique (RR = 1,6 ; IC 95 % : 1–2,4) ou pour une autre pathologie (RR = 2,0 ; IC 95 % : 0,8-4,8). La communauté scientifique s’est penchée sur ces résultats et plusieurs études ont tenté de mieux caractériser le lien entre idées et/ou comportement suicidaire et médicaments antiépileptiques. Cependant, ces études étaient perfectibles puisque persistaient des biais méthodologiques importants [15], telle l’absence de contrôle systématique d’antécédents de troubles de l’humeur ou d’antécédents de comportement suicidaires chez les sujets inclus (ces deux éléments sont des facteurs de risque majeurs de survenue d’idées ou comportement suicidaires et de ce fait systématiquement recherchés lors d’une évaluation clinique psychiatrique visant à déterminer le risque suicidaire d’un patient), ou encore l’absence d’évaluation psychiatrique standardisée d’idées ou comportement suicidaire. En 2013, des auteurs s’associent afin de pointer les limites de l’étude princeps de la FDA, et préciser les liens existant entre médicaments antiépileptiques, suicide et épilepsie [16] (encadré 2). • Les limites retenues intéressant l’étude de la FDA étaient les suivantes : absence de collecte prospective systématique des idées ou comportements suicidaires au profit d’un rapport spontané ; extension du risque suicidaire élevé aux 11 antiépileptiques testés (alors que seuls le topiramate et la lamotrigine présentaient un risque statistiquement significatif ) afin de ne pas modifier les pratiques de prescription ; et enfin le plus grand nombre de traitements médicamenteux complémentaires dans le sous-groupe épilepsie par rapport aux sousgroupes troubles psychiatriques ou autres indications (92 contre 14 et 15 %). • Quant au lien entre suicide et médicaments antiépileptiques, la littérature ne permet pas de conclure car il n’existe pas de contrôle des 2. AE et suicide : recommandations [16] A l’issue de ce travail, Mula et al. émettent des recommandations sur cette thématique : • Le risque suicidaire est faible sous traitements antiépileptiques, et il existe un risque supérieur en cas d’arrêt ou de non-instauration d’un traitement antiépileptique indiqué par la clinique. • Le suicide est multifactoriel dans l’épilepsie. Il convient de prendre en compte les antécédents psychiatriques personnels et familiaux et les antécédents suicidaires surtout. Orienter vers un psychiatre si présence de ces éléments, mais ne pas arrêter le traitement antiépileptique en cours, même en cas de facteurs de risque de suicide. • Informer le patient à l’instauration ou au changement d’antiépileptique du risque de modification de l’humeur et/ou d’idéation suicidaire. Une évaluation standardisée du risque suicidaire est possible (avec l’échelle C-SSRS par exemple) [19]. 179 à connaître antécédents suicidaires dans les études traitant de cette problématique. L’association suicide et médicaments antiépileptiques est à considérer selon les effets psychotropes précédemment décrits (en particuliers les molécules à effet dépressogène). Enfin l’association entre suicide et épilepsie est avérée avec 3 fois plus de risque qu’en population générale (17), avec une relation complexe, multifactorielle et bidirectionnelle (de façon symétrique il y a 5 fois plus de risque de développer une épilepsie en cas d’antécédents de comportement suicidaire) [18]. Conclusions Au travers de cette revue de la littérature, nous pouvons constater des prescriptions croissantes de traitements antiépileptiques, avec une plus forte croissance intéressant les indications hors du champ de l’épilepsie. Ces traitements s’accompagnent d’effets psychotropes de polarité positive ou négative intéressant diverses fonctions psychiques ou symptômes psychiatriques tels la thymie, le comportement, l’anxiété, la psychose, la cognition, le sommeil. Ces différents effets pourraient être expliqués par le profil de la molécule utilisée soit gabaergique soit anti-glutamatergique. Afin d’anticiper la survenue d’effets psychotropes négatifs, il convient de prendre en compte les facteurs de risque (plus particulièrement le terrain psychiatrique sous-jacent) et les interactions médicamenteuses pour optimiser les prescriptions. Quelques recommandations apparaissent afin de guider les prescriptions. Quant au suicide, malgré des recommandations officielles allant dans le sens d’une précaution importante, il faut maintenir l’attitude thérapeutique habituelle tout en informant et surveillant les patients. En cas de facteur de risque de suicide, il y a indication à orienter les patients vers un psychiatre et à discuter d’une adaptation prudente du traitement antiépileptique (en privilégiant les molécules thymorégulatrices). Mais il ne faut en aucun cas, même si facteurs de risque de suicide, arrêter brutalement les antiépileptiques ou surseoir à un traitement antiépileptique que la n clinique exige. Correspondance Dr Jean-François Visseaux et Dr Anne Thiriaux CHU de Reims Hôpital Maison Blanche, service de Neurologie, 45 rue Cognacq-Jay, 51092 Reims Cedex E-mails : [email protected] [email protected] Mots-clés : Antiépileptiques, Effets psychotropes, Epilepsie, Iatrogénie, Suicide Bibliographie 1. Landmarka CJ, Larssonb PG, Rytter E et al. Antiepileptic drugs in epilepsy and other disorders. A population-based study of prescriptions. Epilepsy Res 2009 ; 87 : 31-9. 2. Rogawski MA, Löscher W. The neurobiology of antiepileptic drugs for the treatment of nonepileptic conditions. Nat Med 2004 ; 10 : 685-92. 3. Cavanna AE, Ali F, Rickards HE et al. Behavioral and cognitive effects of anti-epileptic drugs. Discov Med 2010 ; 9 : 138-44. 4. Ketter TA, Post RM, Theodore WH. 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