effets psychotropes des antiépileptiques

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à connaître
Effets psychotropes
des antiépileptiques Risques et bénéfices
n Les antiépileptiques (AE) sont connus pour leurs propriétés psychotropes positives au travers
de leurs nombreuses indications dans le champ de la psychiatrie. Et ces indications peuvent
guider des prescriptions chez des patients épileptiques porteurs de symptômes psychiques
associés. Cependant, la connaissance des effets psychotropes négatifs de cette classe médicamenteuse est moins certaine et fait souvent appel à l’expérience personnelle des prescripteurs. Or il s’agit d’un questionnement primordial pour le médecin neurologue car l’épilepsie
en elle-même, plus qu’une autre pathologie chronique, est associée à des pathologies psychiatriques telles que les troubles de l’humeur, les troubles anxieux, la psychose…
L’
objectif de notre travail était de réaliser
une revue de la littérature afin d’éclairer cette question
des effets psychotropes des traitements antiépileptiques tant positifs que négatifs et de proposer des
pistes d’optimisation des prescriptions en tenant compte du terrain
sous-jacent. Au lieu de présenter
les résultats molécule par molécule comme cela est souvent le cas
dans ce type de travail, nous avons
souhaité catégoriser les effets psychotropes par grandes fonctions
psychiques impactées ou classe
de symptômes psychiatriques induits, pour plus de lisibilité.
1. Psychiatre, Hôpital Maison Blanche, service de Neurologie,
CHU de Reims
2. Neurologue, Hôpital Maison Blanche, service de Neurologie,
CHU de Reims
174
Jean-François Visseaux1 et Anne Thiriaux2
état des lieux
des prescriptions
d’antiépileptiques
La littérature nous apporte une
vision objective et récente des
prescriptions d’antiépileptiques
à l’échelle d’un pays : Landmark
et al. [1] quantifièrent l’usage des
antiépileptiques dans l’épilepsie­
mais également dans d’autres indications telles que la psychiatrie, les douleurs neuropathiques
et les céphalées, au sein de la population norvégienne entre 2004
et 2007, grâce à la base de données centralisée des prescriptions de Norvège (soit un total de
5,1 millions de prescriptions pour
144 653 patients).
L’indication des prescriptions des
AE restait majoritairement l’épilepsie, suivie par les indications
psychiatriques puis les douleurs
neuropathiques et enfin les migraines. La répartition des prescriptions d’AE selon l’indication
clinique est présentée en figure 1.
De façon globale, les trois molécules les plus employées en terme
de volume de prescriptions sont
la carbamazépine, la lamotrigine
et le valproate. Les nouvelles générations d’AE concernent essentiellement les prescriptions
pour migraine ou douleurs neuropathiques (96 et 94 % du volume total des prescriptions dans
ces indications), alors qu’en psychiatrie elles ne représentent que
64 % des prescriptions et seulement 49 % pour une indication d’épilepsie. Les prescriptions
d’AE toutes indications confondues sont à la hausse entre 2004
et 2007 avec une augmentation
de 642 % pour la migraine, 360 %
pour les douleurs neuropathiques,
Neurologies • Mai 2014 • vol. 17 • numéro 168
Effets psychotropes des antiépileptiques à la production d’effet psychotrope [4], bien qu’il s’agisse d’un
mécanisme d’action majeur des
antiépileptiques.
Figure 1 - Répartition des prescriptions d’antiépileptiques en population générale
selon l’indication clinique. D’après Landmark et al. [1].
200 % en psychiatrique et 7 % dans
l’épilepsie.
Il conviendra de retenir de ces
données qu’il existe une utilisation large des AE, avec une prédominance des nouvelles molécules,
ainsi qu’une tendance à la hausse
des prescriptions plus marquées
en dehors des indications pour
épilepsie.
Physiopathologie des
effets psychotropes
et usage
en psychiatrie
Les antiépileptiques font maintenant partie des thérapeutiques
médicamenteuses utilisées régulièrement en psychiatrie. La littérature identifie avec un fort niveau
de preuve des indications cliniques
en psychiatrie où les AE ont montré une efficacité clinique notable
[2] : efficacité des benzodiazépines
et du phénobarbital dans l’insomnie, efficacité des benzodiazépines et de la gabapentine dans
les troubles anxieux, efficacité de
la carbamazépine, de l’oxcarbazépine et du valproate dans la phase
maniaque des troubles bipolaires,
efficacité de la lamotrigine dans les
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phases de dépression du trouble
bipolaire et enfin de la carbamazépine et des benzodiazépines dans
le sevrage de l’alcool.
Cette efficacité et plus largement
les effets psychotropes des AE sont
liés à une physiopathologie spécifique. Les effets psychotropes des
antiépileptiques s’expliquent par
deux mécanismes principaux [3],
à savoir :
• un premier mécanisme reposant
sur le profil psychotrope de l’AE
avec deux polarités définies par
Ketter et al. [4], l’une GABAergique
et l’autre anti-glutamatergique ;
• et un second mécanisme résultant d’une interaction entre
l’AE et le processus épileptique
sous-jacent.
A ces deux mécanismes viennent
s’ajouter deux mécanismes mineurs complémentaires de nature
à engendrer des effets psychotropes (5) :
• les phénomènes de toxicité
dose-dépendante ;
• et les syndromes de sevrage à
certaines molécules.
Précisons que le blocage des canaux sodiques voltage-dépendants ne semble pas participer
La classification établie par Ketter
et al. [4], bien que simpliste, autorise un cadre de réflexion autour
du profil psychotrope des antiépileptiques. Ce dernier oppose d’un
côté un effet GABAergique de type
sédatif indiqué sur les symptômes
psychiatriques, tels l’agitation et
l’angoisse, avec de l’autre côté un
effet antiglutamatergique de type
stimulant indiqué principalement
en cas de ralentissement et symptômes dépressifs. Les différents
éléments et corollaires cliniques
de cette classification sont repris
dans le tableau 1.
Effets
psychotropes
des antiépileptiques
Au travers d’une revue de la littérature [3-7], nous avons pu dégager des catégories au sein des
grandes fonctions psychiques impactées ou des symptômes psychiatriques induits par les effets
psychotropes des AE. Ces effets
sont, pour une même catégorie,
soit positifs, soit négatifs, allant
dans le sens d’une amélioration ou
d’une détérioration.
Les grandes catégories ainsi identifiées comportent :
• la thymie,
• le comportement,
• l’anxiété,
• la psychose,
• la cognition,
• et le sommeil.
De façon accessoire existent également des effets anorexigènes ou
confusiogènes. L’ensemble des effets répertoriés par cette revue de
la littérature est présenté dans le
tableau 2.
175
à connaître
Tableau 1 - Catégorisation des antiépileptiques selon leur profil
d’action et considérations cliniques. D’après Ketter et al. [4].
Profil GABAergique
Profil
antiglutamatergique
Sédatif, anxiolytique,
dépressogène,
antimaniaque
Stimulant, anxiogène,
antidépresseur
Barbituriques
Benzodiazépines
Valproate
Vigabatrin
Tiagabine
Gabapentine
Topiramate*
Zonisamide
Felbamate
Lamotrigine
Oxcarbazépine
Lévétiracétam*
Profil psychique
”activé”1
Indiqué
Contre-indiqué
Profil psychique
”sédaté”2
Contre-indiqué
Indiqué
Effets psychotropes
Molécules
1. Le profil psychique dit “activé” regroupe les symptômes psychiques suivants : insomnie, agitation,
anxiété, tachypsychie et perte de poids.
2 . Le profil psychique dit “sédaté” regroupe les symptômes suivants : hypersomnie, asthénie, apathie,
affects dépressifs, ralentissement idéo-moteur et prise de poids.
* Le topiramate et le lévétiracétam s’intègrent imparfaitement dans cette classification [4, 5] mais, par
extension, on peut les classer ainsi [3].
Facteurs de risque
d’effet psychotrope
négatif
Au-delà de la mise en évidence d’effets psychotropes négatifs, il est intéressant pour le prescripteur de
pouvoir identifier des facteurs de
risque de survenue de ces effets.
Il existe quatre grands types de
facteurs de risque :
1. Tout d’abord, Weintraub et al. [8]
mettent en évidence des facteurs
de risque liés à la molécule en
elle-même : certains AE sont plus
à risque de survenue d’effets psychotropes négatifs en terme de
fréquence de survenue. Parmi les
AE à risque élevé, on retrouve le
lévétiracetam et la tiagabine ; pour
les AE à risque intermédiaire on
retouve le topiramate et le zonisamide ; et enfin, pour les AE à risque
faible, on retrouve le vigabatrin, le
felbamate, l’oxcarbazépine, la gabapentine et la lamotrigine.
176
2. Ensuite des facteurs de risque
liés aux antécédents neurologiques sont soulignés par Mula
et al. [9], avec comme seul paramètre statistiquement significatif la survenue de convulsions fébriles ; alors que l’âge de début de
l’épilepsie, la durée d’évolution
de l’épilepsie ou encore le type de
syndrome épileptique ne présentaient pas de significativité. Cette
sensibilité plus grande aux effets
psychotropes négatifs en cas de
convulsions fébriles s’expliquerait
par des lésions précoces du système limbique [10].
3. Bien entendu, les antécédents
psychiatriques personnels et
familiaux sont des facteurs de
risque essentiels [8, 9]. Weintraub
et al. objectivaient 23 % d’effets
psychotropes négatifs sous AE
contre 12 % en l’absence de tels antécédents [8]. Il existe par ailleurs
une continuité entre les antécédents psychiatriques personnels
et le symptôme potentiellement
induit par l’effet psychotrope négatif : des antécédents de psychose ou de troubles de l’humeur
auront tendance à engendrer des
symptômes du même champ psychiatrique [11]. Au travers de ces
constatations, se pose la question
de savoir si l’effet psychotrope négatif constaté est uniquement à
rapporter à la iatrogénie de l’AE,
ou s’il constitue plutôt une première étape d’un processus pathologique conduisant à une pathologie psychiatrique chronique [9].
4. Enfin, l’équilibre de la pathologie épileptique en lui-même
semble jouer un rôle dans la survenue de certains effets psychotropes,
particulièrement
les
symptômes psychotiques, et plus
accessoirement les comportements agressifs et les troubles
de l’humeur [9]. Il existe un lien
entre l’apparition d’une symptomatologie psychotique et la disparition des crises d’épilepsie sous
traitement, plus particulièrement
en cas de contrôle trop rapide [9].
Cette association pourrait être
une façon d’expliquer le concept
de “normalisation forcée”, encore
débattu à ce jour.
Optimisation
des prescriptions
d’antiépileptiques
L’optimisation du traitement antiépileptique est à considérer selon deux grands axes de réflexion :
• tout d’abord, l’adaptation de traitement AE aux comorbidités et
antécédents psychiatriques du sujet traité ;
• ensuite, selon les interactions
médicamenteuses
réciproques
entre AE et psychotropes.
Le premier axe peut se décliner selon les quatre principaux cadres
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Effets psychotropes des antiépileptiques Tableau 2 - Effets psychotropes positifs et négatifs des antiépileptiques.
Effets psychotropes négatifs
Effets psychotropes positifs
Dépressogène :
• PB (adultes/enfants) avec idéations suicidaires
• PHT
• VGB (si antécédents de dépression)
• TPM (si polythérapie, titration rapide, antécédents
psychiatriques) avec troubles cognitifs
• FBM
• TGB (peu de données), avec possiblement troubles
cognitifs et psychose
• LEV (si antécédents de dépression)
• ZNS
Thymorégulateur :
• PHT (non confirmé)
• CBZ (thymorégulateur et antimaniaque)
• VPA (thymorégulateur, antimaniaque, antidépresseur)
• GBP
• LTG (thymorégulateur, antidépresseur)
• OXC (non confirmé)
Agitation, agressivité :
• PB : syndrome de désinhibition (dès faibles doses,
adultes/enfants, sur retard mental)
• PHT (enfants surtout)
• BZD : réaction paradoxale
• VGB, FBM (surtout enfants avec troubles des apprentissages)
• GBP (adultes/enfants, sur retard mental)
• LTG (rare, sur retard mental)
• LEV (sur épilepsie avec risque majoré chez les
enfants) possible passage à l’acte hétéro-agressif
Sédation :
• PB
• PHT (effet dose-dépendant)
• CBZ (moindre)
• BZD
• VPA (moindre)
• GBP
• ZNS
Effet anti-impulsif :
• CBZ
• VPA (pour troubles de personnalité, hors démences)
• TPM (pour troubles de personnalité et patients
institutionnalisés)
Anxiogène :
• LTG (rare, avec symptômes obsessionnels compulsifs)
• FBM
• LEV (surtout si trouble anxieux préexistant)
Anxiolytique :
• PB
• CBZ
• BZD
• GBP (anxiété généralisée et trouble panique)
• TGB (anxiété généralisée)
• PGB (anxiété sociale)
Psychose
Propsychotique :
• PHT (effet dose-dépendant)
• VGB (en post-ictal ou lors du sevrage), surtout si
épilepsie sévère
• TPM (adultes/enfants, si polythérapie et antécédents
psychiatriques, et même hors pathologie épileptique)
• LEV
• ZNS
Antipsychotique :
• VPA (pour schizophrénie résistante)
• BZD, CBZ, LTG (à un degré moindre)
Toujours en association à un neuroleptique pour
renforcer son activité antipsychotique
Amélioration cognitive :
• LTG
• FBM
Cognition
Altération cognitive :
• PB (dose-dépendant)
• PHT
• CBZ (modéré)
• BZD
• VPA (modéré)
• TPM (dose-dépendant, épilepsie ou non) avec
ralentissement, perplexité, troubles de concentration
et du langage
• ZNS (modéré)
Sommeil
Insomnie :
• LTG (avec anxiété et irritabilité)
• FBM (augmentation des capacités de veille et
d’attention)
Hypnotique :
• PB
• BZD
Autre
Confusion :
• PB
• PHT (possible encéphalopathie chronique)
• BZD sur sevrage
• VPA (encéphalopathie, effet dose-dépendant)
Anorexigène :
• FBM
• TPM
• ZNS
Thymie
Comportement
Anxiété
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PB (barbituriques) ; PHT (phénytoïne) ; CBZ (carbamazépine) ; BZD (benzodiazépines) ; VPA (valproate) ; VGB (vigabatrin) ; GBP (gabapentine) ; LTG (lamotrigine) ;
FBM (felbamate) ; TGB (tiagabine) ; TPM (topiramate) ; OXC (oxcarbazepine) ; LEV (lévétiracétam) ; PGB (pregabaline) ; ZNS (zonisamide).
177
à connaître
nosologiques psychiatriques rencontrés en association avec l’épilepsie [5, 6] :
1. Pour un patient épileptique
présentant une comorbidité
psychiatrique de type dépression, il convient d’éviter les AE
dépressogènes, et plus particulièrement le phénobarbital, le vigabatrin, la tiagabine, le topiramate
et de préférer la lamotrigine.
2. En cas de comorbidité de
type psychotique, on évitera les
AE propsychotiques, et plus particulièrement le vigabatrin, le topiramate, la phénytoïne . Et il
conviendra de porter une attention particulière en cas d’usage du
lévétiracétam. On préférera utiliser le valproate, possiblement en
association à un neuroleptique si
la clinique psychiatrique l’exige.
3. En cas d’anxiété associée, on
évitera les AE à effet anxiogène et
plus particulièrement la lamotrigine, le felbamate et le lévétiracétam au profil d’AE anxiolytiques, à
savoir les benzodiazépines, la gabapentine et le prégabalin.
4. Enfin, en cas d’agitation et
ou trouble du comportement
on évitera l’usage de la lamotrigine pouvant entraîner insomnie, anxiété, voire hypomanie,
ainsi que le lévétiracétam de nature à déclencher des passages à
l’acte violents. On préférera dans
ce cas le valproate pour ses effets
sédatifs et anti-impulsifs, et ce
plus particulièrement si coexiste
un trouble de la personnalité
sous-jacent.
Le second axe doit prendre en
compte les interactions réciproques entre AE et psychotropes.
Les principaux éléments du travail
de Brodtkorb et al. (6) sur ce point
sont repris ci-dessous :
• La première donnée à considérer est le pouvoir inducteur
enzymatique de certains AE
178
(carbamazépine, phénobarbital,
phénytoïne) responsables d’une
décroissance des taux plasmatiques en psychotropes. Par opposition, le valproate ne présente pas ce problème et devra
donc être privilégié si l’on souhaite minimiser ce premier type
d’interaction.
• Inversement, certains psychotropes sont de nature à modifier
les concentrations circulantes
d’AE. A ce titre, il conviendra de
préférer les antidépresseurs sérotoninergiques aux tricycliques qui
présentent moins d’interactions
avec les AE et, au sein de cette
classe la paroxétine, le citalopram
et la sertraline qui ne semblent
pas influer sur les concentrations
d’AE. Pour ce qui est des neuroleptiques, on privilégiera la risperidone pour les mêmes raisons.
• Ensuite, il faut considérer les effets indésirables add-on synergiques entre AE et psychotropes.
Ces effets peuvent intéresser le
système nerveux central, avec
des symptômes comme la sédation, la prise de poids ou les tremblements, ou encore le système
hématopoïétique, avec des risques
d’anémie ou de leucopénie pouvant aller jusqu’à l’agranulocytose
(on se méfiera particulièrement
de l’association carbamazépine/
clozapine).
• Si l’action principale des antiépileptiques est d’augmenter
le seuil épileptogène, certains
psychotropes présentent l’effet inverse : on évitera ainsi plus
particulièrement la clozapine et
la chlorpromazine pour les neuroleptiques et le bupropion pour
les antidépresseurs (12) qui présentent un risque épileptogène
élevé. Précisons que ce risque est
faible pour la plupart des autres
psychotropes à dose usuelle et en
association à un traitement AE
bien conduit.
Consensus autour
des troubles neurocomportementaux
liés aux AE dans
l’épilepsie
Bien qu’il n’existe pas de recommandations officielles en France
concernant la prise en charge
1. Troubles neuro-comportementaux et AE :
recommandations d’experts [13]
Concernant l’estimation et la prise en charge des troubles neuro-comportementaux des AE dans l’épilepsie, les recommandations issues du
groupe de travail expert sont les suivantes :
• Risque plus élevé de troubles cognitifs et comportementaux : en cas
de polythérapies, titration rapide, hauts dosages.
• Atteinte cognitive : plus marquée avec le phénobarbital et le topiramate,
mais égale pour les autres molécules. Nécessité de prévenir le patient.
• Suivi plus régulier à l’introduction d’un AE si : épilepsie pharmacorésistante, épilepsie impliquant les régions temporo-limbiques, ou
antécédents psychiatriques personnels ou familiaux.
• Suivi régulier une fois le patient épileptique libre de crises si : antécédent de décompensation psychotique ou de modifications transitoires du comportement.
• Si décroissance d’un AE thymorégulateur : décroissance précautionneuse et lente chez les patients avec des antécédents de troubles de
l’humeur.
Neurologies • Mai 2014 • vol. 17 • numéro 168
Effets psychotropes des antiépileptiques des effets psychotropes des anti­
épileptiques, on peut trouver des
recommandations d’experts à ce
sujet [13]. Ces recommandations
correspondent à une synthèse des
données de la littérature ainsi qu’à
des avis d’experts reconnus dans
ce domaine spécifique (encadré 1).
AE et suicide
Depuis 2008, un doute existe sur
l’association entre suicide et médicaments antiépileptiques. A ce sujet, le Vidal® décrit dans sa section
sur les précautions d’emploi des
antiépileptiques : « une méta-analyse des essais randomisés, contrôlés, versus placebo portant sur les
médicaments antiépileptiques a
montré une légère augmentation
du risque de pensées et comportement suicidaires », s’ensuivent
des recommandations spécifiques
en cas de dépression et/ou idées et
comportement suicidaires.
Cette citation fait référence à une
méta-analyse de la Food and Drug
Administration (FDA) datant de
mai 2008 [14], concernant des essais contrôlés, randomisés, en
double aveugle, multicentriques,
de type antiépileptique versus
placebo. Onze antiépileptiques
ont ainsi été testés (anciens et
nouveaux), et les auteurs recherchaient des comportements ou
idées suicidaires au cours des essais contrôlés avec un antiépileptique. Cette méta-analyse incluait
environ 28 000 patients sous AE
pour 16 000 contrôles sous placebo. Les indications de prescription des AE étaient l’épilepsie pour
25 %, la psychiatrie pour 27 %, et
d’autres indications pour 48 % (migraine, douleurs neuropathiques).
Les résultats retrouvaient 4 suicides, tous dans le groupe AE, mais
aussi plus d’idéations ou comportement suicidaires sous AE que
Neurologies • Mai 2014 • vol. 17 • numéro 168
sous placebo avec un Odd Ratio
[OR] = 1,8 (IC 95 % : 1,24-2,66). De
même, le risque relatif (RR) était
plus élevé en cas de prescription
pour une indication d’épilepsie
(RR = 3,6 ; IC 95 % : 1,3-12,1) que
pour une pathologie psychiatrique
(RR = 1,6 ; IC 95 % : 1–2,4) ou pour
une autre pathologie (RR = 2,0 ; IC
95 % : 0,8-4,8).
La communauté scientifique
s’est penchée sur ces résultats
et plusieurs études ont tenté de
mieux caractériser le lien entre
idées et/ou comportement suicidaire et médicaments antiépileptiques. Cependant, ces études
étaient perfectibles puisque persistaient des biais méthodologiques importants [15], telle
l’absence de contrôle systématique d’antécédents de troubles
de l’humeur ou d’antécédents
de comportement suicidaires
chez les sujets inclus (ces deux
éléments sont des facteurs de
risque majeurs de survenue
d’idées ou comportement suicidaires et de ce fait systématiquement recherchés lors d’une évaluation clinique psychiatrique
visant à déterminer le risque suicidaire d’un patient), ou encore
l’absence d’évaluation psychiatrique standardisée d’idées ou
comportement suicidaire.
En 2013, des auteurs s’associent
afin de pointer les limites de
l’étude princeps de la FDA, et préciser les liens existant entre médicaments antiépileptiques, suicide et épilepsie [16] (encadré 2).
• Les limites retenues intéressant
l’étude de la FDA étaient les suivantes : absence de collecte prospective systématique des idées
ou comportements suicidaires au
profit d’un rapport spontané ; extension du risque suicidaire élevé aux 11 antiépileptiques testés
(alors que seuls le topiramate et
la lamotrigine présentaient un
risque statistiquement significatif ) afin de ne pas modifier les
pratiques de prescription ; et enfin le plus grand nombre de traitements médicamenteux complémentaires dans le sous-groupe
épilepsie par rapport aux sousgroupes troubles psychiatriques
ou autres indications (92 contre
14 et 15 %).
• Quant au lien entre suicide et médicaments antiépileptiques, la littérature ne permet pas de conclure
car il n’existe pas de contrôle des
2. AE et suicide : recommandations [16]
A l’issue de ce travail, Mula et al. émettent des recommandations sur
cette thématique :
• Le risque suicidaire est faible sous traitements antiépileptiques, et il
existe un risque supérieur en cas d’arrêt ou de non-instauration d’un
traitement antiépileptique indiqué par la clinique.
• Le suicide est multifactoriel dans l’épilepsie. Il convient de prendre
en compte les antécédents psychiatriques personnels et familiaux
et les antécédents suicidaires surtout. Orienter vers un psychiatre si
présence de ces éléments, mais ne pas arrêter le traitement antiépileptique en cours, même en cas de facteurs de risque de suicide.
• Informer le patient à l’instauration ou au changement d’antiépileptique du risque de modification de l’humeur et/ou d’idéation suicidaire. Une évaluation standardisée du risque suicidaire est possible
(avec l’échelle C-SSRS par exemple) [19].
179
à connaître
antécédents suicidaires dans les
études traitant de cette problématique. L’association suicide et médicaments antiépileptiques est à considérer selon les effets psychotropes
précédemment décrits (en particuliers les molécules à effet dépressogène). Enfin l’association entre suicide et épilepsie est avérée avec 3 fois
plus de risque qu’en population générale (17), avec une relation complexe, multifactorielle et bidirectionnelle (de façon symétrique il y a
5 fois plus de risque de développer
une épilepsie en cas d’antécédents
de comportement suicidaire) [18].
Conclusions
Au travers de cette revue de la littérature, nous pouvons constater
des prescriptions croissantes de
traitements antiépileptiques, avec
une plus forte croissance intéressant les indications hors du champ
de l’épilepsie.
Ces traitements s’accompagnent
d’effets psychotropes de polarité
positive ou négative intéressant
diverses fonctions psychiques ou
symptômes psychiatriques tels
la thymie, le comportement,
l’anxiété, la psychose, la cognition, le sommeil. Ces différents
effets pourraient être expliqués par le profil de la molécule
utilisée soit gabaergique soit
anti-glutamatergique.
Afin d’anticiper la survenue d’effets psychotropes négatifs, il
convient de prendre en compte les
facteurs de risque (plus particulièrement le terrain psychiatrique
sous-jacent) et les interactions
médicamenteuses pour optimiser les prescriptions. Quelques recommandations apparaissent afin
de guider les prescriptions.
Quant au suicide, malgré des recommandations officielles allant
dans le sens d’une précaution importante, il faut maintenir l’attitude thérapeutique habituelle
tout en informant et surveillant
les patients. En cas de facteur de
risque de suicide, il y a indication à orienter les patients vers
un psychiatre et à discuter d’une
adaptation prudente du traitement antiépileptique (en privilégiant les molécules thymorégulatrices). Mais il ne faut en aucun
cas, même si facteurs de risque de
suicide, arrêter brutalement les
antiépileptiques ou surseoir à un
traitement antiépileptique que la
n
clinique exige.
Correspondance
Dr Jean-François Visseaux et
Dr Anne Thiriaux
CHU de Reims
Hôpital Maison Blanche,
service de Neurologie,
45 rue Cognacq-Jay,
51092 Reims Cedex
E-mails : [email protected]
[email protected]
Mots-clés :
Antiépileptiques, Effets psychotropes,
Epilepsie, Iatrogénie, Suicide
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Neurologies • Mai 2014 • vol. 17 • numéro 168
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