Médicaments antiépileptiques et troubles du rythme cardiaque

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Épilepsie et cœur
Épilepsies 2010 ; 22 (3) : 223-5
Médicaments antiépileptiques
et troubles du rythme cardiaque
Cécile Sabourdy
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.70.218 le 18/04/2017.
Service d’explorations fonctionnelles du système nerveux, département de neurologie, CHU de Grenoble,
BP 217, 38043 Grenoble cedex 9, France
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Résumé.
Un certain nombre de médicaments sont connus pour être associés à la survenue de troubles du
rythme cardiaque. Compte tenu des implications notamment en termes de mort subite inexpliquée de l’épileptique
(SUDEP), il est important pour le neurologue de connaître le risque de troubles du rythme (auriculaire ou ventriculaire) associé aux médicaments antiépileptiques. Les données de la littérature sont rares et doivent nous inciter à
la prudence. Toutefois, en dehors de quelques situations particulières que nous détaillons ci-dessous, les antiépileptiques seuls ne semblent pas être particulièrement associés à des troubles de la repolarisation.
Mots clés : antiépileptiques, troubles du rythme cardiaque, espace QT
Abstract. Arrhythmia and antiepileptic drugs
Cardiac dysrrhythmia is often of pharmacologic origin. Herein, we briefly review the reports of adverse cardiac effets of
antiepileptic drugs.
Key words: antiepileptic drugs, cardiac arrhythmia, QT interval
doi: 10.1684/epi.2010.0318
Les morts subites inexpliquées dans
l’épilepsie (SUDEP) constituent une des
causes majeures de décès dans les épilepsies
sévères du sujet jeune. Les mécanismes
physiopathologiques qui sous-tendent la
survenue de ce phénomène restent encore
incertains et pourraient incriminer la survenue
d’apnées (centrales ou obstructives) et/ou
d’arythmies cardiaques (Montavont et al.,
dans cette revue).
Compte tenu de ce risque potentiel, le
prescripteur de traitements antiépileptiques
doit s’interroger sur les risques de troubles du
rythme supraventriculaires ou ventriculaires
encourus par ses patients.
Tirés à part :
C. Sabourdy
Le déclenchement du potentiel d’action
cardiaque met en jeu de nombreux flux ioniques. À la phase initiale, la dépolarisation du
myocyte est la conséquence d’une entrée
massive de sodium, puis survient une phase
223
de plateau, caractérisée par l’entrée de calcium,
et enfin la repolarisation, sous l’influence de
courants potassiques sortants.
Lors de l’enregistrement d’un électrocardiogramme de surface (ECG), le complexe QRS
correspond à la dépolarisation cardiaque et
l’onde T à la repolarisation. Ainsi, lorsqu’un
délai dans la repolarisation cardiaque survient,
on observe un allongement de l’espace QT.
Il s’agit d’un intervalle qui se modifie avec la
fréquence cardiaque (d’où le recours au QT
corrigé selon différentes formules) et qui tend
à augmenter avec l’âge et le sexe féminin
(Surges et al., 2010).
Un allongement du QT est susceptible de
favoriser le développement d’arythmies ventriculaires (en particulier de torsades de pointes)
et constitue donc un facteur de risque de mort
subite, y compris chez des sujets sains (Morita
et al., 2008).
Épilepsies, vol. 22, n° 3, juillet-août-septembre 2010
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C. Sabourdy
On restera par contre attentif en cas de mise en place d’un
régime cétogène, puisque quelques modifications de l’espace
QT ont été rapportées (Best et al., 2000), et lors de la coprescription de médicaments connus pour augmenter le QT et
métabolisés au niveau hépatique via le cytochrome P450, avec
des antiépileptiques inhibiteurs de ce système de cytochromes
tels le valproate de sodium et le stiripentol.
La limite supérieure de la norme pour le QTc est de 450 ms
chez l’homme et 460 ms chez la femme. Bien sûr, la relation
entre le QTc et la survenue de torsades de pointes n’est pas
linéaire ; toutefois, un QTc supérieur à 500 ms ainsi qu’une
augmentation de plus de 60 ms du QTc entre l’ECG basal et
celui réalisé après l’introduction d’un traitement semblent prédictifs de la survenue de torsades de pointes (Schwartz et al.,
1993). L’intervalle QT peut être augmenté, suite à la mutation
de certains canaux ioniques (actuellement une douzaine de
syndromes génétiques du QT long ont été identifiés), mais
nombreuses sont les molécules qui peuvent également provoquer un allongement de la repolarisation myocardique. En
effet, les médicaments sont les principaux responsables du QT
long acquis, et la liste des molécules incriminées ne cesse
d’augmenter. Ces médicaments sont répertoriés sur différents
sites Internet1 et regroupent essentiellement des antiarythmiques, des antihistaminiques, des antibiotiques (essentiellement macrolides tels que l’érythromycine), des antifongiques
de la famille des imidazoles (kétoconazole notamment), des
antimalariques et enfin des psychotropes. Parmi ces derniers,
on note la présence de certains antidépresseurs tricycliques et
antisérotoninergiques (paroxétine et fluoxétine), l’halopéridol,
le lithium (Haverkamp et al., 2000).
Par ailleurs, des situations de QT particulièrement court
(< 320 ms) peuvent également entraîner des troubles du
rythme (Morita et al., 2008), et certains anticonvulsivants tels
la primidone (DeSilvey et Moss, 1980) et le rufinamide (ChengHakimian et al., 2006) sont connus comme pouvant être
responsables d’un raccourcissement de l’espace QT. Toutefois,
l’implication clinique d’un QT court semble actuellement bien
moins claire que celle d’un QT long (Lu et al., 2008).
En ce qui concerne les risques d’arythmies supraventriculaires, là encore les données sont relativement rares et reposent
essentiellement sur des cas cliniques ou de petites études non
contrôlées et concernent essentiellement la phénytoïne et la
carbamazépine.
Pour la phénytoïne, on retrouve essentiellement, des bradyarythmies chez des patients âgés avec des anomalies cardiaques préexistantes (Tomson et Kennebäck, 1997).
Pour les antiépileptiques, en dehors du felbamate, il
n’existe pas de données très claires en faveur de troubles de la
repolarisation cardiaque qui leur soient associés.
De même pour la carbamazépine, les anomalies rapportées à
type de bradycardie sinusale ou de bloc auriculoventriculaire le
sont essentiellement chez des patients prédisposés (Tomson et
Kennebäck, 1997), mais ne sont pas retrouvées lors d’études électrophysiologiques plus systématiques sur un plus grand nombre
de patients (Kennebäck et al., 1992, Matteoli et al., 1994).
Une équipe a rapporté un blocage plus important in vitro
d’un courant potassique Ikr par la lamotrigine comparée au
topiramate et à la gabapentine (Danielsson et al., 2005), mais
ces données n’ont pas été confirmées par une étude clinique
ayant recherché un allongement de l’espace QTc avant et
après traitement par lamotrigine chez des adultes sains (Dixon
et al., 2008).
Ainsi, au vu des données de la littérature, les médicaments
antiépileptiques ne semblent pas associés de façon notable à la
survenue de troubles du rythme cardiaque. Nos patients sont
toutefois fréquemment traités avec des médicaments allongeant le QT tels que certains antidépresseurs, neuroleptiques,
lithium… Il conviendra dans ces conditions d’être plus attentif
à la prescription d’inhibiteurs du cytochrome P450 surtout
dans des contextes connus pour être des facteurs de risque
d’allongement du QT (hypokaliémie, hypomagnésémie, sexe
féminin) (Wolbrette, 2004).
En ce qui concerne les autres molécules, Saetre et al. (2009)
n’ont pas mis en évidence de différence significative en termes
de durée du QRS et d’intervalle QTc entre 108 patients traités
soit par carbamazépine, soit par lamotrigine dans le cadre
d’une étude de monothérapie de première intention chez des
sujets de plus de 65 ans.
Pour la carbamazépine, aucun trouble de la repolarisation
n’a été rapporté chez de jeunes patients sains (Kennebäck
et al., 1995) ou épileptiques (Matteoli et al., 1994).
Enfin, au moindre doute et surtout en cas d’antécédents
familiaux de mort subite, le neurologue ne devra pas hésiter à
réaliser un ECG et à ressortir sa règle !
□
Par ailleurs, une équipe coréenne a mesuré l’espace QTc
chez 152 enfants sous antiépileptiques (valproate de sodium,
carbamazépine, oxcarbazépine, topiramate) et n’a pas trouvé
de différence significative avec le groupe témoin non traité
(Kwon et al., 2004).
Conflit d’intérêts : aucun.
Références
Il s’agit certes de quelques rares études comportant un
nombre limité de patients, mais il ne semble pas exister de
données cliniques très claires en faveur de l’existence d’une
augmentation du QT par les antiépileptiques.
1
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http://www.qtdrugs.org
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