Rencontre d`un patient atteint d`un cancer avec un psychologue

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Rencontre d’un patient atteint d’un cancer
avec un psychologue
● G. Fitoussi*
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e travail de psychologue dépend toujours de la
demande du patient : en fonction du moment et de la
situation dans laquelle le patient se trouve, le travail
du psychologue différera.
Le patient atteint d’un cancer va traverser différents états au
cours desquels une rencontre avec un psychologue s’avérera
utile pour lui permettre d’aborder au mieux la difficulté rencontrée.
Au début, par exemple, la première étape, pour un patient qui a
un cancer – ou toute autre forme de maladie portant atteinte à
l’intégrité physique et psychique – sera de se “faire à l’idée”
d’avoir un cancer. C’est-à-dire que si les représentations liées
au cancer étaient extérieures à lui, il devra tout d’un coup
s’inclure dans un système de représentations lui permettant
d’accéder à cet état et à cette nouvelle situation, du fait que luimême est “touché” par un cancer. En fonction du vécu – social,
économique, familial, psychologique, fantasmatique – du
patient, l’idée “d’avoir un cancer” varie ; cette prise de
conscience ne renverra pas aux mêmes représentations.
L’attitude manifeste que le patient va exprimer – le refus,
l’acceptation aveugle, l’intellectualisation – correspond à des
mécanismes de défense inconscients. Ces attitudes spécifiques
vont lui permettre finalement de s’adapter plus ou moins bien
à la maladie – situation nouvelle et changement, ni souhaités ni
prévus – à laquelle il doit faire face dans son corps et dans sa
vie.
SENS DE L’ACCOMPAGNEMENT
Bien entendu, si le patient résiste à l’idée d’être atteint d’un
cancer, s’il nie le fait d’être malade, selon des modalités multiples, il n’appartient pas au psychologue de le détromper.
Sinon de faire un début de parcours avec lui, de l’accompagner, non pas dans cette négation mais dans une écoute soutenue qui lui permettra peu à peu de franchir certaines barrières,
de négocier avec certaines attitudes défensives, qui l’empêchent pour l’instant d’accepter la maladie.
* Psychologue clinicien, psychanalyste, hôpital Saint-Louis, 1, rue Claude-Vellefaux, 75010 Paris.
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Plutôt que de le confronter à une réalité qu’il ne peut que nier,
il convient pour le psychologue d’écouter le patient et de reformuler la position qu’il exprime. Ceci afin de le placer face à la
situation qu’il décrit et, déjà, de sortir d’un certain flou.
VÉCU SUBJECTIF DE LA MALADIE
Il existe autant de façons d’appréhender la maladie que de
sujets. Chacun d’entre nous a son rythme et son parcours particuliers pour intégrer les événements dramatiques inhérents à
son existence.
Ce sera souvent une première étape pour le patient. En tous
cas, cela correspond certainement à la première règle du travail
du psychologue dans son accompagnement et son écoute du
patient, il n’est effectivement pas question pour le psychologue
d’aller au devant d’une demande quelconque et d’imposer de
prendre conscience de certains phénomènes niés par le patient.
Le psychologue respecte les différents mécanismes de défense
mis en place et en prend acte. Tout en gardant une certaine
disponibilité afin de repérer divers signes de détresse ou de
souffrance exprimés de manière directe ou non, sur un mode
verbal ou non, dans sa confrontation avec la maladie et son
évolution.
TRANSFORMER SA SOUFFRANCE EN MOTS
Le travail du psychologue est de donner la parole au patient,
de lui donner l’opportunité de parler, de dire en mots sa souffrance, de pouvoir poser des mots sur l’angoisse – ce qui
consiste déjà à prendre une certaine distance avec elle ; de
pouvoir aussi entendre les peurs rationnelles ou non, mais toujours légitimes liées à la maladie ou à son évolution ; d’écouter enfin les diverses réactions et appréhensions du patient sans
a priori ni sensiblerie personnelle.
La peur occupe souvent tout l’espace entre le psychologue et
le patient. C’est souvent la peur de l’inconnu liée à l’avenir
proche ou au moyen terme, et la peur de l’inconnu de ce cancer c’est-à-dire des représentations associées à ce terme
jusque-là. L’ignorance, l’absence de savoir médical est aussi
un paramètre de cette peur. Dans ces conditions, les patients,
souvent les plus réfractaires, envisagent de voir un psychologue secrètement, soucieux de discrétion. La peur est alors
imaginaire et liée à toute appréhension de l’inconnu, de ce qui
est étranger, autre.
La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 1 - janvier/février 2001
PROPOSITION PAR UN SOIGNANT DE LA VISITE
D’UN PSYCHOLOGUE
La rencontre avec le psychologue est le plus souvent dédramatisée dès la première visite, surtout lorsque celle-ci est “banalisée”, acceptée et comprise par toute l’équipe.
On observe parfois la proposition de certains soignants qui
invitent le patient, comme en cachette, et manifestement gênés,
à rencontrer le psychologue : comme s’il n’était pas à part
entière l’un des membres de l’équipe. À quoi s’ajoute l’appréhension de se faire interpeller par le patient : “Vous pensez que
je suis fou !” Toutes sortes de résistances et de réticences sont
associées à la place du psychologue. La méconnaissance des
autres soignants de son rôle précis et de sa fonction dans un
service hospitalier s’exprime parfois à travers la maladresse de
la proposition faite au patient de le rencontrer.
Après cette première rencontre, qui aura permis de dédramatiser la situation et aussi d’“humaniser” le psychologue, les rencontres à venir s’en voient facilitées. Si des résistances persistent, elles seront liées à des mécanismes de défense personnels
du patient plus qu’à l’incidence de représentations inconscientes collectives véhiculées par le “signifiant psychologue”.
LIBRE ASSOCIATION
On pourrait penser que le patient atteint de cancer ne parle que
du cancer avec le psychologue. Ce serait méconnaître le psychisme humain que de limiter un entretien psychologique à ce
seul objet. La libre association structure l’entretien psychologique. En quoi cela consiste-t-il ? Très vite, le thème de la
maladie va mener à d’autres thèmes, à d’autres difficultés.
Très vite, le patient va associer sur autre chose que la maladie.
Le travail du psychologue consiste à ce point de l’entretien à
permettre au patient d’orienter son discours sur autre chose
que la maladie quand effectivement autre chose est évoqué,
ou à favoriser le développement d’autres thèmes qui peuvent
lui tenir à cœur. Très vite le cadre de la maladie sera débordé
et renverra à des difficultés antérieures à la découverte de la
maladie.
Seront abordées des difficultés personnelles, familiales, professionnelles qui ont fait irruption dans la vie du patient et qui
permettent, en sens inverse, d’être réabordées par le patient au
cours d’un entretien psychologique. Ceci favorisera une réorganisation de l’économie psychique.
PENSER ET PARTAGER L’INDICIBLE
Tous les nœuds relationnels avec la famille, les parents, les
amis, l’entourage émergent au cours de ce type d’entretien. Audelà du “travail du deuil” de la bonne santé “perdue”, nombre
d’autres thèmes s’articulent ou non dans le discours du patient
dans son rapport à la maladie. Certains projets qui ne pourront
se réaliser du fait des contraintes thérapeutiques du cancer ou
certains autres projets contrariés feront l’objet d’une “rêverie à
voix haute”. Le psychologue encourage dans ces moments-là le
patient à parcourir ses propres circuits imaginaires, à dire à voix
haute les projets envisagés et encore ce qu’il y a au-delà, ce
qu’il avait jusque-là imaginé, la joie associée à telle ou telle
La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 1 - janvier/février 2001
autre activité prévue, dans le déroulement du voyage tant
attendu par exemple – et qui ne pourra se réaliser.
Même si cette option de permettre de “réaliser en pensée et en
parole” le projet contrarié, si ce choix semble cruel a priori,
l’expérience clinique prouve au contraire qu’a posteriori, le
patient se sentira serein : on peut reconnaître un travail du
deuil, une élaboration psychique parallèle au développement
verbal très souvent accompagnée d’une libération d’affects
(pleurs, rires, émotions perceptibles) qui s’apparentent à des
processus de deuil. Cette libération permet au patient d’aborder une situation présente radicalement différente et qui remet
en question son avenir à proche ou moyen terme.
ANGOISSE DE MORT ET DÉSIR DE VIE
Ainsi, comme on le voit, l’entretien psychologique avec un
patient qui a un cancer, voire un patient qui est en fin de vie,
est souvent du côté de la vie. Ce type d’entretien est souvent
rempli de regret, de tristesse, d’inquiétude, mais aussi de beaucoup de vie, d’espoir et de désirs enfin exprimés. On comprend que, paradoxalement, le travail du psychologue n’est pas
centré sur les processus rituels qui tendent à aliéner le patient
aux représentations de mort.
Par ce biais, le patient prend conscience que ce qui l’angoisse
n’a pas à voir forcément avec la mort, mais renvoie à comment vivre la vie. Ce sont des angoisses liées à la vie à venir :
“comment vivre les choses, y aura-t-il souffrance et douleur
physique, des examens supplémentaires à subir, des traitements difficiles, fatigants, épuisants. Quelles seront mes relations avec mes proches, comment faire pour mon travail, le
reprendre ou pas, à plein temps ou pas. Comment faire pour
continuer à faire vivre ma famille, comment réorganiser, en
fait, toute ma vie ?”
RUPTURE D’UN CONTINUUM
La clinique nous enseigne que la mort n’occupe qu’un espace
relativement restreint de cette écoute que le psychologue propose. Une rupture se produit entre la maladie et la mort. Le
patient vivait dans une continuité familière avant de connaître
sa maladie : comme on le voit dans l’annonce d’un cancer ou,
avec encore plus de violence, lors de l’annonce par le médecin
de la séropositivité au VIH, l’information découverte par le
patient vient bouleverser sa vie. L’effet traumatique de
l’annonce de la “mauvaise nouvelle” tient dans la rupture du
continuum, dans l’effraction produite. C’est une “catastrophe
subjective”.
Le travail que le patient peut effectuer pour obtenir un bienêtre relatif consiste à rompre les liens délétères établis entre
maladie et mort. Sinon il reste pris dans un filet, paralysé,
comme fasciné par la mort alors omniprésente et qui occupe
toute la scène de sa vie quotidienne. Il lui faudra retrouver un
certain équilibre et envisager sa vie à nouveau – autorisant une
nouvelle continuité.
On le voit, une autre fonction de ce travail au cours des différents entretiens avec un patient atteint d’un cancer est de per25
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mettre au patient d’éviter un envahissement morbide des représentations de mort sur sa scène psychique. À ce point, le
patient prend conscience que la maladie est un moment de sa
vie et fait partie de sa vie à présent ; il sait qu’il aura à faire
face autrement aux jours qui vont suivre et autrement
qu’avec des idées obsédantes de mort si invalidantes pour lui.
L’idée de mort qui le paralysait et le privait de toute indépendance et capacité d’avancer, de réaliser ou de poursuivre certaines activités.
Ce tournant de l’entretien clinique correspond à un moment
très spécifique : il essaie de dire son désir de (continuer à)
vivre.
VIVRE, MAIS DANS QUELLE PERSPECTIVE ?
Il va falloir vivre avec la maladie même si l’idée de mort persiste. Il serait faux de croire que le patient, après un entretien
psychologique, ne pense plus à la mort. Une nouvelle façon
pour lui de gérer sa vie est de pouvoir mieux s’armer contre les
moments d’angoisse, d’inquiétude soudaine, très invalidants
qui pourront survenir.
Le patient saura ensuite “utiliser” le psychologue et les différents entretiens à venir pour pouvoir parler de ces angoisses
parfois violentes qui l’assaillent à des moments inopportuns et
inattendus. Cette nouvelle relation ainsi créée avec le psychologue permettra au patient d’être plus disponible avec son
propre entourage.
Souvent, on constate que le patient a moins envie de parler de
sa maladie à son entourage, ce qui permet un meilleur échange
avec lui, sans toutefois nier la maladie, mais en pouvant parler
avec plus de franchise, de distance de ce qui lui arrive, évitant
ainsi des moments douloureux à la charge affective énorme.
Toute une élaboration de la pensée, un travail psychique
s’effectue donc d’un rendez-vous à l’autre, ce qui va mener
le patient à une sorte de “maturation psychologique”, travail
que la psychanalyse dénomme perlaboration. Ce patient
percevra de manière plus adéquate sa place et son rôle redéfinis dans la constellation familiale bousculée par l’irruption
de la maladie.
AUTRES ASPECTS DE L’ENTRETIEN CLINIQUE
L’entretien permet parfois au patient de se défaire d’un silence
lié à une pudeur ou à une peur, parfois à certains tabous
concernant des éléments connexes à la maladie et à l’hospitalisation ; ou de dédramatiser certains thèmes qu’il n’aurait pas
jusque-là abordés avec son entourage, sa famille et qu’il a
pourtant le désir de partager avec eux.
Certains patients se sentent menacés par l’idée de ce que peut
représenter le terme de cancer pour leur entourage. Cependant,
ils ne se croient aptes à partager ce sentiment avec aucun
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membre de leur entourage ou de l’équipe soignante. Le patient
pourra ainsi s’éprouver dans une relation de confiance (où le
secret professionnel est respecté) qui l’incite à dire ce qui lui
semblait ineffable. Il prendra plus de recul, car, répétons-le,
une peur ou une angoisse sur laquelle on met un mot n’est déjà
plus la même : elle est nommée et permet de s’en tenir à distance. Nommer le réel c’est l’apprivoiser.
PARADOXALE ÉMERGENCE DU SUJET
Le travail spécifique de l’entretien psychologique consiste à
permettre au patient d’explorer certains circuits imaginaires
qui donnent parfois l’impression à l’entourage que le malade
délire. Comme frappé par cette échéance qui fait que la mort
se profile à l’horizon, le patient utilise cet élément comme
levier pour dépasser un bon nombre d’obstacles lui permettant
d’explorer ses propres désirs qui sommeillaient jusque-là en
lui : soudain, il réalise que c’est de sa vie qu’il s’agit comme si
cette échéance plus rapprochée que celle vécue jusque-là
(voire niée) venait le mettre face à lui-même en lui permettant
de réaliser qu’il n’a qu’une vie et donc qu’il est grand temps
d’exister de la façon dont lui-même l’entend.
La menace d’une échéance annoncée incite le patient à révéler
à ceux qui l’entourent ce qu’il n’a pu que dissimuler ou tenter
de dire à mots couverts. Il choisira, suite à la prise de
conscience due à ce travail psychique fraîchement réalisé,
d’échanger avec les siens et optera pour une authenticité
jusque-là vécue comme impossible, alors qu’elle était inconsciemment interdite.
Cette souffrance “préférée” qui le maintenait dans son silence,
ne constitue plus à présent un enjeu valable. La parole vraie se
substitue au subterfuge, au leurre. Le désir de “révélation” aux
proches surpassera la menace d’être rejeté, voire abandonné.
LIENS D’UNE NOUVELLE NATURE
C’est alors la porte ouverte à une autre nature de relation affective avec ses proches. Enfin, le patient s’autorise à un amour
que nul n’aurait suspecté et sans aucune sensiblerie. Il réalise
que cette existence n’était in fine pas si difficile à “gagner” :
cette prise de conscience fait partie de l’accompagnement du
malade qui s’interroge sur le sens de sa vie. Un des acquis
pour le patient consistera au cours de cet accompagnement à
repérer que là où il se sentait menacé, fragilisé ou en danger
auparavant, il peut enfin mieux vivre une situation et ne plus
se laisser envahir par un élément du réel non maîtrisable qui, là
aussi, faisait irruption. La menace disparue, il peut vivre, tout
simplement.
Belle leçon que le patient atteint de cancer donne indirectement aux mieux-portants au fond bien plus fragiles et vulnérables.
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La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 1 - janvier/février 2001
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