Complications neurologiques de la maladie de Lyme

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Neuro-Mémo
Ce qu’il faut
garder
en mémoire
Complications neurologiques
de la maladie de Lyme
S. Benaderette*
Généralités
O
n savait de longue date que les tiques étaient des
sales bêtes. Cependant, il a fallu attendre 1922
pour que Garin et Bujadoux décrivent ce qui sera plus
tard la maladie de Lyme, et 1982, pour identifier son
agent causal. Après l’effet de mode qui avait conduit à
son inflation diagnostique à la fin des années 1980, elle
reste un des fleurons de la neuro-infectiologie.
Fiche signalétique.
La maladie de Lyme survient après une morsure de
tique. Elle est secondaire à
la pénétration dans l’organisme d’une bactérie de la
famille des spirochètes
appelée Borrelia burgdoferi. La première description
de la maladie a été faite en
Europe, en 1922, par
Garin et Bujadoux. Ce n’est qu’en 1982
que William Burgdorfer isola la bactérie
responsable, permettant l’établissement
d’un sérodiagnostic. L’existence d’une
prévalence élevée de polyarthrite dans le
Connecticut (dans les communes de Lyme,
Old Lyme et East Haddam) quelques
années auparavant avait attiré l’attention
des épidémiologistes américains. La responsabilité de la morsure de tique a rapidement été établie, ce qui déboucha sur la
création du sérodiagnostic. Récemment,
quatre espèces de bactéries ont été identifiées par PCR (polymerase chain reaction) :
Borrelia burgdorferi stricto sensu, Borrelia
garinii, Borrelia afzelii et Borrelia japonica. La physiopathologie exacte de la maladie est inconnue. Une action directe de la
bactérie, associée à une inflammation et à
une réaction dysimmunitaire, est probable.
La maladie semble concerner essentiellement l’hémisphère Nord, et la France est
une zone d’endémie avec environ
1 000 nouveaux cas par an.
La maladie de Lyme comporte des atteintes
cutanées, rhumatologiques, cardiaques et
neurologiques. On distingue habituellement une phase aiguë localisée (correspondant à l’érythème cutané migrant), appelée
* Service du Pr Bouche,
hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
Act. Méd. Int. - Neurologie (2) n° 6, juin 2001
également phase primaire, une phase de
dissémination précoce (ou secondaire) et
une phase tardive (ou tertiaire). L’atteinte
neurologique, ou neuroborréliose (NB), est
la plus fréquente et complique l’évolution
de 10 à 40 % des patients présentant une
maladie de Lyme. La NB peut survenir à
n’importe quel stade de la maladie.
Manifestations cliniques
extra-neurologiques
La maladie de Lyme est une maladie
multiviscérale. La présence de signes
extra-neurologiques peut aider à orienter
le diagnostic.
Phase aiguë localisée : l’érythème
cutané migrant (EMC)
La maladie de Lyme débute dans deux tiers
des cas par une lésion cutanée pathognomique, appelée érythème migrant, qui
survient quelques jours, voire quelques
semaines, après la morsure de tique. Il
s’agit d’une macule ou d’une papule érythémateuse indolore de grande taille (généralement supérieure à 5 cm de diamètre).
C’est une lésion annulaire avec un dégagement central.
Elle peut être unique en regard de la morsure ou, dans 15 % des cas, multiple. Les
112
sites concernés sont le plus
souvent le haut de la cuisse,
l’aine, l’aisselle et le dos.
La lésion, peut persister
pendant des mois mais disparaît généralement en
quelques semaines chez un
patient non traité. Cette
phase peut s’accompagner
de fièvre, de myalgies ou
d’arthralgies.
Autres atteintes cutanées
◆ Le lymphocytome correspond à une prolifération lymphocytaire bénigne atteignant
le derme ou le tissu sous-cutané. Il se situe
au niveau du lobe de l’oreille chez l’enfant
et des aréoles chez l’adulte. Il apparaît 6 à
12 mois après le début de l’infection.
◆ L’acrodermatite chronique atrophiante
est plus connue. Elle apparaît des années
après le début de l’infection et se traduit
par une plaque violacée associant atrophie
de l’épiderme et hyperkératose et siège le
plus souvent à l’extrémité distale des
membres.
Autres manifestations
◆ Cardiaques : bloc auriculoventriculaire
de haut grade, péricardite, myocardite.
◆ Rhumatologiques : arthralgies récurrentes, arthrite vraie.
◆ Ophtalmologiques : conjonctivite, uvéite,
kératite, œdème périorbital, panophtalmie.
Les complications
neurologiques :
la neuroborréliose
Les complications neurologiques sont de
loin les plus fréquentes et atteignent 10 à
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40 % des patients infectés. La méningite
lymphocytaire, les méningoradiculites et
les atteintes des nerfs crâniens sont les
atteintes les plus précoces, faisant suite à
l’érythème cutané migrant (phase secondaire). Au stade tertiaire peuvent apparaître des neuropathies périphériques
(plutôt sensitives) et des atteintes du système nerveux central responsables d’encéphalopathie ou de démence (tableau).
d’endémie, 20 à 40 % des paralysies
faciales périphériques seraient secondaires à une maladie de Lyme. Des neuropathies optiques, des atteintes phréniques et des signes d’Argyll-Robertson
ont également été décrits mais sont
beaucoup plus rares.
À ce stade, bien que les anomalies du
LCR persistent, les signes méningés
sont discrets.
La méningite lymphocytaire
La méningite lymphocytaire est une
complication fréquente de la maladie.
Elle peut coexister avec l’EMC ou rapidement lui succéder.
Les céphalées en sont le principal
symptôme. La fièvre et les signes
méningés sont inconstants. Les patients
non traités peuvent présenter des
périodes aiguës alternant avec des
phases de rémission. Parfois, des signes
évoquant une encéphalopathie (troubles
du sommeil, altération des fonctions
supérieures et crises d’épilepsie) sont au
premier plan.
Le liquide céphalo-rachidien (LCR)
montre une élévation des lymphocytes
et une hyperprotéinorachie. La glycorachie reste dans les limites de la normale. La sérologie est positive dans le sang
et le LCR (mais, en général, pas avant
4 semaines d’évolution).
Autres atteintes de la phase
secondaire
D’autres manifestations ont été rapportées mais beaucoup plus rarement. On
retiendra l’existence de myélite et de
syndrome de Guillain-Barré.
Les méningoradiculites et atteintes
des paires crâniennes
Les méningoradiculites surviennent fréquemment lors de la phase précoce de
dissémination de la maladie (phase
secondaire). Ces atteintes sont le plus
souvent pluriradiculaires, entraînant des
déficits moteurs et sensitifs dans les territoires atteints. Ce sont des manifestations douloureuses.
Dans 50 % des cas, on observe l’association d’une paralysie faciale pouvant
être bilatérale. L’atteinte du VII peut
également être isolée et, dans les zones
Atteintes de la phase tertiaire
Les neuropathies
Deux tiers des patients non traités à ce
stade présentent des neuropathies périphériques associées à l’acrodermatite
chronique atrophiante. Les principaux
symptômes sont des paresthésies ou des
zones d’hypoesthésie, dont la situation
tend à correspondre aux atteintes
cutanées. Cependant, les atteintes électrophysiologique et histopathologique
existent souvent sans manifestation clinique franche.
Sur le plan électrophysiologique, l’électromyogramme est en faveur d’une atteinte
axonale distale sensitivomotrice avec
démyélinisation radiculaire proximale.
La biopsie nerveuse met en évidence une
réaction périvasculaire inflammatoire
sans nécrose des vaisseaux, associée à
des lésions axonales aspécifiques. Le
LCR peut être normal et la production
d’anticorps intrathécale absente.
L’encéphalomyélite
et l’encéphalopathie
L’encéphalomyélite et l’encéphalopathie
sont des complications rares de la maladie
de Lyme. Ainsi, la fréquence des encéphalomyélites est estimée à 3 à 5 cas pour un
million de patients infectés par Borrelia
burgdoferi. Les phases précédentes de la
maladie passent souvent inaperçues, ce
qui rend le diagnostic plus délicat.
Dans le cas de l’encéphalomyélite, le
tableau clinique est composé d’une
Tableau. Complications neurologiques de la maladie de Lyme.
Phase
Méningite
secondaire
Méningoradiculites
secondaire
Paralysie
faciale
secondaire
Neuropathie
sensitivomotrice
Encéphalopathie
Encéphalomyélite
tertiaire
tertiaire
113
LCR
Sérologie
Remarques
– hyperlymphocytose
sang : +
sérologie négative
– hyperprotéinorachie
LCR : +
avant 4 semaines
– glycorachie peu perturbée
– hyperlymphocytose
sang : +
– hyperprotéinorachie
LCR : +
– glycorachie peu perturbée
peut être normal
sang : +
quand la paralysie faciale
LCR : + le
est isolée
plus souvent
peut être normal
sang : +
EMG : atteinte
LCR : + le
axonale distale
plus souvent
– hyperlymphocytose
sang : +
hypersignaux diffus
– hyperprotéinorachie
LCR : +
de la substance
– glycorachie peu perturbée
blanche à l’IRM
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paraparésie spastique, de troubles
sphinctériens, d’une altération des fonctions supérieures et d’une atteinte des
paires crâniennes (le plus souvent le VII
et le VIII). L’encéphalopathie se révèle
par des troubles du sommeil et du caractère et par un déclin intellectuel.
L’IRM cérébrale montre des hypersignaux de la substance blanche pouvant
orienter le diagnostic vers une sclérose
en plaques. Cependant, ces hypersignaux
sont en général éloignés des ventricules,
et la sérologie est positive dans le LCR.
Certains patients atteints de la maladie
présentent des encéphalopathies avec
notamment des troubles de la mémoire
sans anomalies du LCR ni de l’IRM.
Dans ce cas, le processus pathologique
en cause serait l’effet systémique des
lymphokines.
Diagnostic biologique
Comme nous l’avons vu, le diagnostic
est essentiellement clinique. Cependant,
les tests de laboratoire sont indispensables pour affirmer le diagnostic, d’autant plus si l’EMC est passé inaperçu.
Culture et isolement des spirochètes
La culture et l’isolement des spirochètes
à partir du sang et des tissus ont été utilisés par le passé. Cette technique est
actuellement abandonnée, car les bactéries sont présentes en trop petite quantité
et de façon variable dans le temps.
Tests sérologiques
Actuellement, la détection d’anticorps
(immunoglobulines G et M) se fait par la
technique dite ELISA. Dans le sang, la
sérologie devient positive 2 à 4 semaines
après l’exposition. Ainsi, en cas de manifestation précoce, la sérologie peut être
négative, et il faut savoir répéter l’examen si la suspicion clinique est forte. La
technique du Western blot est utilisée
pour confirmer un test ELISA positif et
Act. Méd. Int. - Neurologie (2) n° 6, juin 2001
permet de trancher entre les vrais et faux
positifs (notamment quand les taux de
ELISA sont limites). Dans les zones
d’endémie, 5 à 10 % de la population ont
une sérologie positive de façon asymptomatique. Il faut donc se méfier de
conclusions trop hâtives dans ces
régions. De plus, les patients atteints
d’affections auto-immunes peuvent présenter des résultats faussement positifs,
et il existe des réactions croisées.
La recherche d’anticorps dans le LCR
reste le test le plus spécifique de NB (la
spécificité est estimée à 95 %). La sensibilité de ce test est estimée à 90 % en cas
de méningoradiculite. Mais en cas de
manifestation tardive (notamment en cas
de neuropathie), la sensibilité de ce test
peut chuter jusqu’à 50 % selon certaines
études. En pratique, chez un patient présentant une neuropathie associée à une
sérologie de Lyme positive dans le sang
mais négative dans le LCR, d’autres étiologies doivent être envisagées avant de
conclure à une maladie de Lyme.
Le taux d’anticorps peut rester identique
malgré un traitement bien conduit, surtout si l’on se situe dans la phase tertiaire
de la maladie. La surveillance sérologique n’est donc pas conseillée.
Polymerase chain reaction (PCR)
Le principe de la PCR repose sur l’amplification des séquences d’ADN des
spirochètes présents dans le LCR. Les
avantages de cette méthode sont sa grande
sensibilité et sa grande spécificité. La
difficulté réside dans l’interprétation des
résultats. Actuellement, cette technique
reste dans le domaine de la recherche et
n’est pas utilisée en routine.
Traitement
Le traitement de la maladie de Lyme
repose sur les antibiotiques. En ce qui
concerne la neuroborréliose, plusieurs
possibilités existent :
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– pénicilline V 20 millions d’unités par
jour en i.v., pendant 2 à 4 semaines ;
– ceftriaxone 2 mg par jour, en i.v. ou en
i.m., pendant 4 à 6 semaines.
En cas d’allergie aux bêta-lactamines, un
traitement par tétracyclines per os sera
délivré.
Dans le cas des méningoradiculites, un
traitement par doxycycline 200 mg per
os par jour pendant 2 semaines s’est
révélé efficace.
Après avoir reçu un traitement adapté, certains patients (principalement ceux dont la
maladie a été diagnostiquée tardivement)
peuvent présenter des symptômes non spécifiques tels que malaises, asthénie, dépression ou troubles cognitifs. Généralement,
ces manifestations disparaissent au bout de
quelques mois ou de quelques années.
L’efficacité de cures prolongées d’antibiotiques n’a pas été démontrée.
Conclusion
La maladie de Lyme se complique fréquemment d’atteintes neurologiques.
Deux écueils sont à éviter : ne pas y penser ou l’évoquer à tort. Pour cela, une
connaissance des manifestations cliniques
et une interprétation rigoureuse des examens sérologiques sont indispensables.
Références
1. Garcia-Monco JC, Benach JL. Lyme neuroborreliosis. Ann Neurol 1995 ; 37 : 691-702.
2. Halperin JJ, Logigian EL, Finkel MF, Pearl
RA. Practice parameters for the diagnosis of
patients with nervous system Lyme borreliosis (Lyme disease). Neurology 1996 ; 46 :
619-27.
Sites Internet
●
●
http://lyme.free.fr
http://www.snof.org
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