Mise au point Dosages hormonaux et médicaments Drugs and hormone assays »»De nombreux traitements médicamenteux peuvent prendre en Many drug treatments can affect hormone determinations. »»Les interférences médicamenteuses peuvent être de 2 types, Drug interactions may be of two types: pharmacological or analytical. défaut les dosages hormonaux. pharmacologiques d’une part et analytiques d’autre part. »»Dans les interférences pharmacologiques, la concentration hormonale dosée in vitro est le reflet de la concentration observée in vivo. »»Devant toute discordance clinicobiologique, le listing exhaustif des médicaments doit être confronté à la technique de dosage utilisée. Highlights P o i nt s f o rt s B. Cauliez, H. Lefebvre* Mots-clés : Hormones – Médicaments – Immunodosages – Interférences pharmacologiques – Interférences analytiques. L * Laboratoire de biochimie médicale et service d’endocrinologie, diabète et maladies métaboliques, CHU de Rouen. 114 es interférences médicamenteuses sont une préoccupation quotidienne pour le biologiste et l’endocrinologue. Elles sont très nombreuses, de mécanismes variés, touchant potentiellement les différents axes endocriniens et pouvant être diverses en fonction de la technique de dosage utilisée. Ces interférences sont de 2 grands types : d’une part, les interférences pharmacologiques, où le résultat du dosage hormonal est le reflet de l’effet du médicament sur l’axe endocrinien et, d’autre part, l’interférence analytique, où le dosage de l’hormone est pris en défaut du fait de la présence du médicament dans l’échantillon biologique. Il est donc primordial de connaître à la fois la liste exhaustive des médicaments du patient et la technique de dosage utilisée, d’où l’importance du dialogue clinicobiologique dans ce contexte. Le propos de cet article est de faire le point sur les principales interférences médicamenteuses rencontrées en pratique quotidienne, en insistant tout particulièrement sur les interférences analytiques. In cases of pharmacological interactions, the hormone concentration obtained in vitro reflects the concentration in vivo. In all cases of clinical or biological discordance, an exhaustive list of the drugs taken should be checked against the determination techniques used. Key words : Hormones – Drugs – Immunoassays – Pharmacological interferences – Analytical interferences. Les interférences pharmacologiques (1) Généralités Les interférences pharmacologiques sont des interférences davantage cliniques que biologiques puisque le tableau clinique est directement la conséquence de la ou des prises médicamenteuses. En effet, il n’y a pas de discordance entre la concentration hormonale in vivo et celle dosée in vitro. Ces interférences sont très nombreuses, touchant toutes les glandes endocrines, et ce à différents niveaux (synthèse ou sécrétion hormonale, modulation de l’effet de l’hormone sur son récepteur, conversion périphérique de l’hormone ou modification de sa clairance métabolique). De nombreux médicaments peuvent agir sur une même cible moléculaire, tels les antidopaminergiques, qui stimulent la sécrétion de prolactine. À l’inverse, un même médicament peut agir à différents niveaux. Ainsi, l’amiodarone inhibe la conversion périphérique de T4 libre en T3 libre dans les tissus périphériques mais également au niveau pituitaire (désiodases de type 1 et de type 2). Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 4 - avril 2012 Dosages hormonaux et médicaments Ce médicament bloque d’autre part l’entrée de T4 libre dans les cellules et peut entrer en compétition avec l’hormone lors de sa liaison à son récepteur (2). De multiples médicaments peuvent aussi agir de façon synergique sur une même cible (3). Exemple d’interférences pharmacologiques multiples : à propos d’un cas d’hypertension maligne (cas clinique 1) Ce cas clinique illustre la potentialisation de l’effet de diverses molécules agissant sur le myocarde et les vaisseaux via le système sympathique, déclenchant un véritable pseudophéochromocytome médicamenteux. Chez ce patient, la concentration très élevée de noradrénaline contraste avec une sécrétion normale d’adrénaline traduisant un relargage présynaptique des catécholamines et non surrénalien. L’augmentation importante de noradrénaline est liée, en partie à une stimulation de sa libération par l’action de l’éphédrine sur les récepteurs β2-adrénergiques, en partie à l’inhibition de sa recapture par la maprotiline, et enfin à une diminution de sa dégradation par inhibition de la monoamine oxydase par la sélégiline. L’éphédrine a également eu des effets sympathomimétiques propres sur les vaisseaux, majorant le vasospame induit par l’excès de noradrénaline. Enfin, la théophylline a potentialisé les manifestations cardiovasculaires de l’hyperadrénergie par le biais de son action inhibitrice des phosphodiestérases, qui aboutit in fine à une augmentation du taux intracellulaire d’AMP cyclique et renforce ainsi l’efficacité du mécanisme de transduction des récepteurs β-adrénergiques. Tous ces traitements ont été interrompus chez le patient et les symptômes ont régressé sans séquelles, avec une normalisation des concentrations de noradrénaline. L’élimination des médicaments n’étant pas immédiate, l’interruption thérapeutique a dû être associée à l’administration en urgence de nicardipine par voie i.v. continue devant la gravité du tableau initial (4). cialisés, comme l’HPLC (chromatographie liquide haute performance) ou la spectrométrie de masse, sont soumises à beaucoup moins d’interférences médicamenteuses (6, 7). Au cours des interférences analytiques médicamenteuses, la concentration hormonale in vitro n’est pas, contrairement à l’interférence pharmacologique, le reflet du tableau clinique du patient. Ces interférences peuvent être divisées en 3 grands types : ✓✓ Le médicament ou l’un de ses métabolites présente des caractéristiques physiques très proches de celles de l’hormone à doser, et le dosage biologique prend en compte de façon plus ou moins prononcée ce médicament. Un exemple fréquemment rencontré Présentation clinique – Patient de 57 ans hospitalisé pour poussée hypertensive – Antécédents : syndrome de Parkinson, syndrome dépressif, broncho­ pathie spastique – À l’examen clinique, TA à 300/150 mmHg, pouls à 110/mn, confusion, vasoconstriction, sueurs froides profuses Examens biologiques – Dosages urinaires : adrénaline : N ; noradrénaline : 2 × N ; métanéphrines : N ; normétanéphrines : 3 × N – Dosages sanguins : adrénaline : N ; noradrénaline : 5 × N – Scanner abdominal : normal Thérapeutique – Sélégiline (IMAO-B), L-DOPA, maprotiline (Ludiomil®), théophylline – Prise d’éphédrine depuis 15 jours Mécanismes physiopathologiques proposés Maprotiline Terminaison sympathique périphérique Tachycardie R-β1 NA L-DOPA NA Théophylline Les interférences médicamenteuses analytiques NA NA NA MAO Sélégiline HTA Vasospasme R-β2 Métabolites Généralités Bien que les interférences analytiques puissent toucher toutes les techniques de dosage, ce paragraphe sera centré sur les immunodosages, principale technique de dosage employée en routine dans les laboratoires de biologie (5). De plus, les autres techniques utilisées dans des laboratoires plus spé- Théophylline MAO Éphédrine TA : hypertension artérielle ; L-DOPA : L-3-4dihydroxyphénylalanine ; MAO : monoamine oxydase ; NA : noradrénaline ; H R-β2 : récepteurs β2-adrénergiques. Cas clinique 1. Présentation et mécanismes physiopathologiques proposés. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 4 - avril 2012 115 Mise au point concerne l’influence des corticoïdes de synthèse sur le dosage du cortisol endogène. L’homologie de structure de certains d’entre eux avec le cortisol induit une réaction croisée variable d’un corticoïde à l’autre. Avec la technique de dosage utilisée au laboratoire, la réaction croisée avec la prednisolone (structure très proche de celle du cortisol avec sa fonction hydroxyle sur le carbone 11) est très importante (> 100 %) alors qu’elle est négligeable avec la prednisone (0,3 %). Pour la dexaméthasone, la réaction croisée est quasi nulle (< 0,1 %), ce qui est d’ailleurs une condition sine qua non pour la réalisation des tests de freination de l’axe corticotrope. Pour un certain nombre d’hormones naturelles administrées par voie exogène (hydrocortisone, hormone de croissance [GH]), le dosage ne peut évidemment pas faire la part entre sécrétion endogène et administration exogène. Cela peut être le cas également pour certains médicaments antagonistes. En effet, ces derniers ont une structure très proche de l’agoniste − ce qui leur permet de se fixer au récepteur tout en étant inactifs −, cette structure très proche étant souvent reconnue par la technique de dosage. En fonction de la concentration de ce médicament et de la technique utilisée, il peut y avoir une sur- ou une sous-estimation de la concentration. L’exemple type de ce cas de figure est le pegvisomant (Somavert®), antagoniste du récepteur de la GH employé dans le traitement de l’acromégalie et dont l’administration thérapeutique oblige à écarter le dosage de la GH dans le suivi des patients concernés (8). ✓✓ Le médicament induit une augmentation de la concentration en protéine de transport et donc une Tableau. Principales interférences médicamenteuses analytiques. Dosages Médicaments Mécanismes Conséquences Déplacement équilibre libre/lié Furosémide, salicylates, AINS… In vivo transitoire T4L Héparine In vitro artéfactuelle T4L GH Pegvisomant Dosage du médicament ou artéfactuelle de la GH Estradiol Estrogénothérapie Contraceptifs oraux OP’DDD [SHBG] [E2] total Estrogénothérapie Contraceptifs oraux OP’DDD [CBG] [cortisol] total Prednisone Prednisolone… Réaction croisée artéfactuelle cortisol T4L / T3L Cortisol E2 : estradiol ; CBG : cortisol binding globulin ; SHBG : sex hormone binding globulin. 116 augmentation de la quantité d’hormone liée à cette protéine : la concentration plasmatique de l’hormone totale n’est plus le reflet de la concentration d’hormone libre, seule forme biologiquement active (cas clinique 2). ✓✓ Le médicament modifie l’équilibre hormone libre/ hormone liée. L’interférence des médicaments sur le dosage des hormones libres concerne essentiellement les hormones thyroïdiennes, principales hormones plasmatiques estimées sous leur forme libre en pratique quotidienne (9-12). En effet, le dosage du cortisol libre se fait principalement dans des fluides où seule la forme libre est filtrée (salive, urines). Quant à la testostérone libre, son dosage reste spécialisé. La thyroxine étant liée à l’albumine (5 à 10 %), à la transthyrétine (15 à 20 %) et à la thyroxine binding globulin (TGB) [75 à 80 %], tout médicament se fixant sur l’une de ces 3 protéines de transport déplace potentiellement l’équilibre thyroxine libre/thyroxine liée. Cependant, ce mécanisme ayant lieu in vivo, la discordance thyroxine libre/TSH n’est que très transitoire puisque les variations du taux de T4 libre entraînent rapidement une adaptation physiologique de l’axe thyroïdien. En revanche, pour l’héparine, les choses peuvent être différentes puisque le déplacement de l’équilibre T4 libre/liée initié in vivo peut continuer in vitro et donc se majorer. En effet, l’héparine, même de bas poids moléculaire, stimule la lipoprotéine lipase endothéliale qui active l’hydrolyse des triglycérides en glycérol et acides gras, acides gras qui déplacent ensuite les hormones thyroïdiennes de leur fixation sur l’albumine. Il s’ensuit une libération d’hormones thyroïdiennes libres qui vont perdurer dans le tube de prélèvement (13, 14). L’amélioration des techniques de dosage depuis une dizaine d’années a permis cependant de minimiser ce phénomène. Les interférences analytiques les plus fréquentes sont résumées dans le tableau. Exemples d’interférences analytiques À propos d’un cas clinique d’hypercorticisme Ce cas clinique décrit, (cas clinique 2) les interférences résultant de la prise d’estramustine chez un patient de 80 ans. L’estramustine (Estracyt®) est une association d’un antimitotique (moutarde azotée) et d’estrogènes. Chez ce patient, la discordance entre des valeurs très élevées de cortisol sanguin (dosage du cortisol total) et des valeurs normales de cortisol libre urinaire (CLU) et de cortisol salivaire (dosages du cortisol libre) s’explique par l’augmentation importante de la protéine de transport du cortisol, la cortisol binding globulin (CBG). En effet, Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 4 - avril 2012 Dosages hormonaux et médicaments l’estradiol contenu dans le médicament a stimulé de façon très importante la synthèse hépatique de diverses protéines, dont celle de la CBG, qui a atteint le triple des valeurs normales, ainsi que celle de la sex hormone binding globulin (SHBG), protéine porteuse des stéroïdes sexuels. Ce cas clinique illustre donc 3 interférences médicamenteuses différentes : 2 analytiques et 1 pharmacologique. En effet, un des métabolites de l’estramustine, l’estradiol, est dosé au même titre que l’estradiol endogène du patient. De plus, l’augmentation de la synthèse de SHBG (× 20) et de CBG (× 3) induite par l’estradiol entraîne une augmentation des concentrations totales de l’estradiol et du cortisol. Enfin, l’augmentation de l’estradiolémie libre entraîne un rétrocontrôle négatif sur l’axe gonadotrope (testostéronémie effondrée) ainsi qu’une augmentation de la prolactine. Cette interférence pharmacologique qui génère un effet antigonadotrope est d’ailleurs l’un des mécanismes d’action souhaités de l’estramustine. À propos d’un cas de la littérature (15) Un cas très particulier concerne les interférences liées aux prises médicamenteuses du personnel de laboratoire traitant les prélèvements. Cela concerne les médicaments lipophiles à application percutanée et donc essentiellement les stéroïdes. L’exemple de la littérature choisi pour illustrer cette situation concerne l’application percutanée de testostérone par le laborantin qui manipule les échantillons. Dans ce cas très bien documenté, la contamination des prélèvements a été concomitante au changement de voie d’administration de la testostérone chez le laborantin : passage d’injections intramusculaires de testostérone (Sustanon®) à une application percutanée (Androgel®). Cette contamination avait lieu au niveau du bouchon lors de l’ouverture du tube de prélèvement, bouchon qui se retrouvait ensuite au contact de l’échantillon. L’interférence a pu être mise en évidence grâce à l’utilisation de contrôles de qualité, pour lesquels la concentration de testostérone retrouvée était très supérieure à celle attendue (2 à 3 fois la valeur cible). Dans notre expérience au laboratoire, de telles anomalies biologiques ont été recensées pour le dosage de l’estradiol (notamment en radioanalyse, où les techniques sont manuelles et les concentrations attendues peuvent être faibles), en relation avec la prise d’un traitement hormonal substitutif de la ménopause chez plusieurs techniciennes. Pour l’une d’entre elles, la contamination se faisait au niveau du cône de pipetage au moment de la préparation des Présentation clinique Patient de 80 ans hospitalisé pour altération de l’état général, chutes à répétition et perte d’autonomie Antécédents : – diabète multicompliqué (rétinopathie, cardiopathie ischémique, insuffisance rénale) – carcinome prostatique multimétastasé À l’examen clinique, le patient présente un faciès arrondi, une amyotrophie et une gynécomastie bilatérale Examens biologiques – Cortisol plasmatique à minuit : 1 476 nmol/l – Cortisol salivaire à minuit : 2,4 nmol/l (N < 5) – CLU : 153 nmol/24 h (N : 55 – 220) – Testostérone : 0,21 ng/ml (N : 0,7 – 8) – Estradiol : 13 391 ng/ml (N : 10 – 60) – Prolactine 20 ng/ml (N < 15) – LH, FSH effondrées, hCG indosable – SHBG : 651 nmol/l (N < 34) – CBG : 141 µg/ml (N : 30 – 45) Thérapeutique – Estramustine (Estracyt®) : 1 – 0 – 1 – Macrogol 4 000 (Forlax®) : 2 – 0 – 0 – Sertraline (Zoloft®) : 1 – 0 – 0 – Glibenclamide (Daonil 5®) : 3 cp/j – Acide acétylsalicylique (Kardégic 160®) : 1 sachet/j – Ézétimibe/simvastatine (Inegy 10/40®) : 1 cp le soir – Esoméprazole (Inexium 20®) : 1 cp/j – Irbésartan/hydrochlorothiazidique (Coaprovel 300/12,5®) : 1 cp/j Mécanismes physiopathologiques proposés Estromustine Estramustine LH, FSH Estrone E2 libre E2 Testostérone Prl E2 total Cortisol total SHBG Cortisol lié E2 lié CBG CBG : cortisol binding globulin ; FSH : follicle-stimulating hormone ; LH : luteinizing hormone ; Prl : prolactine ; SHBG : sex hormone binding globulin. Cas clinique 2. Présentation et mécanismes physiopathologiques proposés. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 4 - avril 2012 117 au point boîtes de cônes. Dans les autres cas, le phénomène avait lieu au niveau du tube secondaire au cours de l’aliquotage. L’utilisation de gants peut être une solution, mais cette utilisation doit être rigoureuse pour éviter qu’ils soient eux-mêmes contaminés. En pratique, il nous est apparu plus simple que les quelques personnes du laboratoire prenant l’un de ces traitements ne soient pas affectées au secteur d’hormonologie. Le résultat est-il compatible avec le contexte clinique ? Listing exhaustif des médicaments Oui Non Penser à l’interférence analytique Penser à l’interférence pharmacologique Arrêt des médicaments en cause Traitement d’urgence si nécessaire Conclusion Quelle est la technique utilisée ? Est-elle connue pour être prise en défaut de façon significative par le médicament ou l’un de ses métabolites ? Oui Non Dosage avec une autre technique plus spécifique ? Dosage après arrêt du médicament ? Figure. Proposition de logigramme devant une suspicion d'interférence médicamenteuse. Devant toute suspicion d’interférence médicamenteuse, une démarche clinicobiologique rigoureuse impliquant une concertation entre endocrinologue et biologiste doit être engagée (16). Dans un premier temps, il est impératif de connaître l’intégralité des médicaments prescrits au patient et de s’interroger sur une éventuelle automédication. Si l’interférence médicamenteuse semble être analytique, le listing exhaustif des médicaments sera dans un second temps confronté à la technique de dosage utilisée (figure). ■ Références 1. Godouet-Getti B, Loeber D. Interférences médicamenteuses et dosages hormonaux en endocrinologie. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition 2007:52-63. 2. Basaria S, Cooper DS. 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