1 ADAPTER LE TARIF DES ASSURANCES AU RISQUE RÉEL DU PATIENT Sulzer Philippe octobre 2008, par serge cannasse Philippe Sulzer est médecin conseil principal auprès de BNP Paribas Assurance. Dans cet entretien, il explique le principe de la convention AREAS, qui permet d’assurer des personnes qui autrefois ne pouvaient l’être en raison de leur état de santé, et ce que propose sa compagnie pour adapter les tarifs assurantiels à leur risque réel de santé. Suivant quels principes les assureurs sont ils fondés à demander des renseignements de santé à leurs assurés ? Le principe de l’assurance est la mutualisation des risques : un grand nombre de personnes cotisent pour pouvoir faire face à un risque qui ne se réalisera que chez un petit nombre d’entre elles. Pour que le système soit viable, le montant des indemnités versées à celles-ci doit évidemment rester inférieur au montant total des primes encaissées. En ce qui concerne les assurances personnelles couvrant le risque de décès, d’invalidité ou d’incapacité de travail, par exemple en cas d’emprunt immobilier, le montant de la prime d’assurance repose entre autres sur deux éléments : le capital versé en cas de réalisation du risque et l’âge de l’assuré. Cela fonctionne bien si tous les assurés ont par ailleurs, à âge égal, la même espérance de vie, c’est-à-dire globalement le même état de santé. Pour l’estimer, nous demandons à la personne qui souhaite souscrire un contrat de répondre à quelques questions. Il est normal qu’à la transparence du contrat proposé par l’assureur quant aux garanties d’indemnisation du risque réponde la transparence de l’assuré quant à la hauteur de ce risque chez lui. Au départ, il s’agit donc d’une question de confiance. La confiance est à la base même de tout contrat, qu’il soit ou non d’assurance. L’assureur demande à l’assuré de remplir une déclaration de bonne santé et, éventuellement de faire pratiquer un examen médical ou quelques examens complémentaires. Son problème est en effet d’adapter ses tarifs en fonction du risque. 2 Cet examen médical peut il être pratiqué par tout médecin, choisi par le patient ? En principe oui. Mais le Conseil de l’Ordre des médecins a récemment publié des recommandations aux médecins, notamment au médecin traitant de l’assuré, concernant le respect du secret médical et la relation de confiance avec son patient. Ainsi, les résultats de l’examen doivent donc être communiqués à ce dernier, qui se charge lui-même de les transmettre au médecin de l’assureur, médecin qui est bien sûr lui aussi tenu au secret médical. Pour éviter tout risque de confusion, certains pensent que cet examen devrait même être fait par un médecin autre que le médecin traitant. Qu’est ce qu’un risque de santé aggravé ? A âge égal, c’est la différence d’espérance de vie entre une personne en bonne santé et celle qui est atteinte d’une pathologie ou présente un ou des facteurs de risque. Il s’exprime en pourcentage de hausse par rapport au tarif d’une personne en bonne santé. Par exemple, chez un coronarien de 45 ans, bien suivi, avec des angioplasties bien stabilisées datant de plus de 6 mois, ce pourcentage varie entre 100 et 150, en fonction d’un certain nombre d’autres facteurs. Comment est-il calculé ? Chaque assureur a sa propre façon de le calculer, mais globalement tout le monde se fonde d’un part sur les statistiques fournies par les réassureurs, d’autre part sur la veille scientifique. Le réassureur, c’est l’assureur des assureurs. De ce fait, il récolte des informations en provenance du monde entier, donc très complètes. Seraient elles éventuellement utiles en santé publique ? Historiquement, les assureurs ont effectivement été précurseurs dans les études épidémiologiques. Aujourd’hui, ils utilisent plutôt les données publiques. Le second élément est donc la veille scientifique, qui permet de prendre en compte les évolutions médicales. Un bon exemple a été donné avec le sida dont les patients étaient inassurables jusqu’en 1990, et qui le sont devenus grâce aux bithérapies et aux trithérapies. La convention dite Belorgey (rapport parlementaire de Monsieur Belorgey) a permis une avancée supplémentaire pour toutes les personnes présentant un risque de santé aggravé en leur facilitant l’accès au crédit et à l’assurance. La convention AREAS qui lui a succédé est entrée en vigueur en janvier 2007. 3 Qu’est ce que la convention AREAS ? C’est une convention qui permet l’accès à l’assurance de personnes ayant un risque de santé aggravé (« s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé »), sous certaines conditions. Elle concerne les prêts immobiliers, les prêts professionnels et les crédits à la consommation dédiés. Il y a des limites très précises en termes de montant de capitaux et d’âge. Elle prévoit un système à trois niveaux. Si l’état de santé du client ne lui permet pas d’être assuré par un contrat standard (premier niveau) son dossier doit être réexaminé au niveau 2 par le service médical spécialisé de l’assureur. Si à l’issue de l’examen de niveau 2 une proposition d’assurance ne peut pas être établie, il y a un troisième niveau d’examen réalisé par les médecins d’ un pool d’assureurs. A chaque niveau, les médecins sont différents. Au final, cette procédure permet d’adapter au mieux les conditions d’assurance au risque aggravé du client. En quoi votre démarche va-t-elle plus loin que la convention AREAS ? Elle procède d’une double préoccupation : d’une part poursuivre les avancées de la convention AREAS, d’autre part répondre à la notion de Responsabilité Sociétale de l’Entreprise, ou RSE, fondamentale pour notre compagnie. La RSE est l’application des principes du développement durable, à tous les niveaux de l’entreprise : gouvernance, relations avec l’ensemble des parties prenantes (collaborateurs, clients, fournisseurs, grand public …), produits responsables, protection de l’environnement, etc. Nous nous sommes donc penchés sur des pathologies qui relèvent à la fois du risque aggravé de santé et ont une forte connotation environnementale. Les pathologies respiratoires y correspondent bien. Dans celles-ci, nous avons commencé par l’asthme du fait de sa prévalence (5,8% des Français, soit 3 millions de patients). Les assureurs avaient jusque là un raisonnement très simple sur cette pathologie : ils considéraient que l’asthme était susceptible de s’aggraver, de passer à des pathologies plus lourdes, comme la BPCO, et qu’il était donc difficile d’assurer certains clients en garantie invalidité ou incapacité de travail. En étudiant notre propre portefeuille de sinistres, nous nous sommes aperçus qu’en fait, nous pouvions segmenter le risque lié à l’asthme. Nous pouvons ainsi proposer des conditions d’assurance plus adaptées : nous utilisons un questionnaire médical spécifique pour une évaluation plus précise de l’assurabilité réelle du client et la tarification, plus adaptée, tient compte de l’observance thérapeutique de l’assuré. Notamment, nous nous sommes rendus compte que pour un certain nombre de personnes, la probabilité d’incapacité de travail était faible. Quand il n’est pas 4 automédiqué et s‘il est bien suivi, l’asthme n’est pas une pathologie grave. Il devient donc possible d’adapter les tarifs en fonction du risque réel. La réflexion se porte maintenant sur un autre aspect de l’asthme : les asthmes professionnels. Ce sont eux qui sont à l’origine des arrêts de travail prolongés, pour une raison très simple. Ils concernent des professions (boulangerie, coiffure, etc) où les personnes sont amenées à être en contact avec l’allergène. Résultat : le médecin du travail les met en arrêt de travail prolongé qui, à partir d’un certain âge, peut aller jusqu’à trois ans et se solder par une invalidité. On sait qu’il est très difficile pour ces personnes de retrouver un emploi. Le contrat ne peut pas changer en fonction de l’évolution de la maladie ? Non, le contrat doit rester identique à ce qu’il était le jour où il a été signé entre les deux parties. Cependant, dans un certain nombre de cas, on peut proposer une diminution de cotisation quand l’évolution de l’état de santé est favorable ou quand la prise en charge de la pathologie concernée a progressé. Nous sommes en train d’étudier cette question, mais il faut bien réaliser que les durées des contrats sont de plus en plus longues, pouvant aller jusqu’à 30, voire 50 ans, et qu’il est quasiment impossible de faire des prédictions sur une aussi longue période. Après l’asthme, vos efforts vont porter sur quelles pathologies ? Nous sommes en train de travailler sur la BPCO et sur les apnées du sommeil. L’approche est différente, parce que ce sont deux pathologies bien plus multifactorielles que l’asthme. En ce qui concerne les apnées du sommeil, un certain nombre de patients ont de plus des pathologies associées, comme le surpoids, l’obésité, le diabète, les dyslipidémies, etc. Nous travaillons également sur le handicap, dont la paraplégie, et espérons proposer une tarification plus adaptée. Le but de ces démarches est de prendre en compte la réalité des pathologies et, via un questionnaire médical complet, d’appréhender au mieux le risque évolutif des traumatismes medullaires. Vous êtes également actifs en prévention. Oui. Nous avons noué un partenariat avec Asthme et Allergies, qui est la principale association de malades pour ces pathologies. Nous avons le projet de faire circuler un bus dans 10 villes de France ; il permettra de sensibiliser de nombreux patients dans une démarche d’éducation thérapeutique. Entretien paru sous une forme abrégée et légèrement modifié dans le numéro 14 du Concours médical du 23 septembre 2008