Rapport adopté par le Conseil national de l’Ordre des médecins lors de la session de décembre 2003 Dr. François STEFANI Recueil des données par les registres du cancer Situation au regard de la loi informatique et libertés Les registres du cancer furent créés pour étudier, sur un territoire donné, la fréquence de cette maladie et surveiller, par des études épidémiologiques, l’éventuelle augmentation de certaines formes de tumeur et le rôle possible de facteurs environnementaux. Pour dresser la liste la plus exhaustive qui soit des cancers survenus dans un département puis suivre le devenir des patients, il fallut demander aux médecins de déclarer au registre tout nouveau cancer pour l’enregistrer avec les éléments nécessaires à une utilisation efficace des données. Dès la création des registres ces déclarations apparurent comme une difficulté majeure : Ø Il fallait obtenir l’adhésion au projet de la plupart des praticiens afin que chaque nouveau cas soit déclaré. Ø Une fois cette adhésion recueillie il fallut éviter les « doublons », un malade pouvait en effet être déclaré par plusieurs médecins : son médecin généraliste, et les différents spécialistes intervenant à l’occasion de sa maladie. Il apparut que le seul moyen d’éviter ces « doublons » était d’obtenir une déclaration nominative pour vérifier si le patient n’était pas déjà enregistré. On pouvait ainsi également connaître le devenir des patients mais au prix d’une entorse grave à la règle du secret médical. N’ayant pas trouvé d’autre moyen de dresser une liste réellement exploitable certains registres dès leur origine, franchirent le pas de l’illégalité et demandèrent aux médecins de leur faire des déclarations nominatives. Conscient de cette difficulté et de l’importance en santé publique de ces recueils, le législateur est intervenu en 1994 pour établir une nouvelle dérogation à la règle du secret professionnel régie par l’article 226-13 du code pénal et l’article4 du code de déontologie. Ainsi la loi : 94-548 du 1/O7/94 permet une déclaration nominative et son enregistrement sur support informatique, puis la loi 2000 -321 du 12 avril 2000 qui précise : 2 « nonobstant les règles du secret professionnel, les membres des professions de santé peuvent transmettre les données nominatives qu’ils détiennent dans le cadre d’un traitement automatisé autorisé en application de l’article 40-1 » (art. 40-3) Mais la loi, si elle autorise le traitement automatisé de données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé, en dérogation aux règles habituelles du secret professionnel, n’en dégage pas pour autant les intervenants de l’ obligation d’informer le patient. Il doit nécessairement dans ce cas être tenu au courrant de l’enregistrement sur un fichier de données qui le concernent conformément aux dispositions de l’article 40-5 du décret du 17 juillet 1978 modifié le par la loi 94-548 du 1/07/94 : « Les personnes auprès desquelles sont recueillies des données nominatives ou à propos desquelles de telles données sont transmises sont avant le début du traitement de ces données individuellement informées : 1) 2) 3) 4) 5) De la nature des informations transmises ; De la finalité du traitement de données ; Des personnes physiques ou morales destinataires des données Du droit d’accès ou de rectification institué au chapitre Du droit d’opposition institué au premier et troisième alinéa de l’article 40-4 ou dans le cas prévu au deuxième alinéa de cet article de l’obligation de recueillir son consentement. Toutefois, ces informations peuvent ne pas être délivrées si, pour des raisons légitimes que le médecin traitant apprécie en conscience le malade est laissé dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic grave…. » L’article 25-21 du décret du 11 mai 1995 précise : « Les personnes accueilles dans les établissements ou les centres où s’exercent des activités de diagnostic et de soins donnant lieu à la transmission de données nominatives en vue d’un traitement automatisé ayant pour fin la recherche en matière de santé sont informées des mentions prescrite par l’article 40-5 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée par la remise d’un document » C’est dans cette information du patient que persiste à l’heure actuelle une difficulté. Les registres du cancer, ont édité des affichettes destinées aux salles d’attente, des praticiens, pour avertir les patients de l’existence de tels fichiers et de l’éventuelle inscription d'informations les concernant ainsi que de leur droit de s’y opposer. Les cliniques, les hôpitaux publics, informent les patients dans leurs livrets d’accueil de leur éventuel enregistrement sur des fichiers informatiques. On pourrait imaginer d’autres campagnes d’information menée par les caisses d’assurance maladie ou les comités d’éducation pour la santé qui permettraient d’atteindre un très large public. Mais cette information générale est insuffisante au regard de la loi qui exige une information personnelle, même si dans certains cas, le médecin « pour des raisons qu’il apprécie en conscience » peut ne pas prévenir le patient. Il s’agit là d’une exception à la loi qui ne peut devenir la règle. 2 3 La situation actuelle est donc celle-ci : Ø Les médecins sont autorisés à déclarer nominativement aux registres habilités les cas de cancer qu’ils sont amenés à diagnostiquer ou à soigner. Le souci de collaborer à une entreprise de santé publique doit les y conduire conformément à l’article 2 du code de déontologie : «Le médecin au service de l’individu et de la santé publique …». Ø Les patients doivent, sauf exception, être informés personnellement de leur enregistrement sur ces registres, pouvoir s’y opposer, vérifier les informations enregistrées qui pourraient les concerner et en demander la modification ou la suppression. Ø Les registres habilités sont autorisés à recevoir, enregistrer, stocker et exploiter dans le cadre de leur mission les informations nominatives qui leurs sont ainsi fournies. Ils doivent tout mettre en œuvre pour qu’une information personnalisée soit donnée au patient, et s’assurer qu’elle est effective. Ø Les médecins traitants qui acceptent de collaborer avec le registre informent le patient au moment qu’ils jugent opportun et en conscience. Mais certains praticiens refusent leur participation par crainte de difficultés d’ordre judiciaire car ils ne maîtrisent pas l’information du malade. Cette attitude, préjudiciable à la qualité du travail des registres, est particulièrement préoccupante lorsqu’il s’agit d’anatomopathologistes dont la spécialité est de poser définitivement et incontestablement le diagnostic (« il n’y a qu’une certitude de cancer disent certains : c’est l’anapath ! »), ou lorsqu’il s’agit des médecins directeurs de l’informatique médicale (DIM) des établissements hospitaliers. Or, pour obtenir une déclaration le plus complète possible et avoir ainsi des données exploitables et incontestables, les registres doivent obtenir la collaboration du maximum de praticiens amenés à diagnostiquer et à traiter des cancers. Il est particulièrement important d’obtenir l’adhésion de ceux qui sont le plus souvent confrontés à ce type de pathologie, d’abord parce que c’est par eux que sera recruté le plus grand nombre de déclaration ensuite parce que la fréquence de ces diagnostics dans leur patientelle doit permettre un réflexe de déclaration quasi automatique que n’aura pas le praticien qui n’observe que quelques cas par an. Des difficultés demeurent donc : On ne peut considérer que la seule information des patients par une affichette placée dans la salle d’attente soit suffisante au regard de la loi. C’est l’opinion du président de la CNIL qui dans une lettre du 8 juillet 2003 adressée au président du CNOM considère : « Qu’il appartient aux responsables des registres de cancer de prendre toutes mesures de nature à s’assurer que l’information individuelle prévue à l’article 40-5 de la loi a été réalisée, seul le médecin traitant en contact direct avec le patient est en mesure de procéder au moment qu’il estime le plus opportun et en conscience, à cette information, conformément aux dispositions de l’article 25-20-III du décret du 17 juillet 1978. » 3 4 Pour la CNIL c’est le médecin traitant, selon la loi, qui informe le patient, lui seul est à son contact et lui seul est à même d’apprécier en conscience si le malade doit être laissé dans l‘ignorance de cette inscription. Le médecin traitant doit ici s’entendre comme le praticien, généraliste ou spécialiste, qui a en charge le suivi et le traitement du patient. Les médecins anatomo-pathologistes et les médecins DIM n’entrent pas dans cette catégorie La volonté de la CNIL est très certainement de favoriser le recueil de données exhaustives, mais sa position, certes conforme à la loi reste contraignante. L’information du patient doit être personnelle, mais, consciente que les anatomopathologistes sont dans l’impossibilité de le faire, elle charge médecins traitants de cette information et demande aux registres de s’assurer qu’elle est bien réelle. Ces exigences peuvent apparaître difficilement réalisables, les responsabilités reposent : Ø Sur le médecin traitant déjà confronté à l’annonce de la maladie et qui devra en plus et sans trop tarder informer le patient de son inscription sur le registre. Mais il n’est pas obligé de collaborer. Ø Sur les responsables des registres qui, s’ils peuvent éventuellement s’assurer d’une information générale de la population grâce par différents moyens, ne peuvent s’immiscer dans la relation médecin malade pour s’assurer d’une information généralisée, et encore moins contacter directement le patient pour l’informer de son enregistrement. Ils doivent en revanche s’assurer de la collaboration effective du médecin traitant. Ø Les anatomopathologistes et les DIM, qui ne sont pas les médecins traitants ne sont pas concernés. Leur participation est libre et volontaire. En conclusion : La déclaration nominative aux registres, régulièrement habilités, est autorisée par la loi. Le secret professionnel n’y fait plus obstacle depuis 1994. Nous pouvons considérer que : Ø Les responsables des registres sont tenus d’informer le médecin traitant de leur intention d’enregistrer le patient, et de s’assurer de sa collaboration. Ils ne doivent pas hésiter à rappeler cette nécessité par des courriers répétés tout au long du suivi. Ø C’est au médecin traitant, généraliste ou spécialiste, ainsi sollicité, qu’il revient d’informer le patient de son inscription sur un registre « au moment qu’il juge le plus opportun et en conscience, la possibilité qui lui est donnée de ne pas l’informer « pour des raisons humanitaire » doit être l’exception et non la règle. Ø Les médecins responsables du diagnostic qui ne sont pas en contact direct avec le malade peuvent communiquer leurs données nominativement, le devoir d’information ne leur incombe pas. Ø La collaboration des uns et des autres reste libre et volontaire, mais la mission de santé publique que confie à tout médecin l’article 2 du code de déontologie doit les inciter à la meilleure participation possible. 4 5 Ø Les registres du Cancer sont responsables de la confidentialité des données qu’ils détiennent, la CNIL exerce son contrôle sur la qualité et l’efficacité des moyens mis en œuvre pour garantir l’inviolabilité des dossiers.. Insistons enfin sur l’importance d’une bonne confraternité pour la réussite de telles entreprises. Le recueil des données et le suivi des malades demande à tous un investissement lourd en temps et en travail. Les finances des associations qui gèrent les registres ne leur permettent pas de rémunérer le travail des praticiens de terrain qui s’y impliquent. Il est donc juste de les remercier, par un retour d’information documenté et régulier, et en les citant dans les publications scientifiques. TEXTES LEGISLATIFS ET REGLEMENTAIRES : Loi informatique et libertés n° 78-17 du 6 janvier 1978 Décret 78-774 du 17 juillet 1978 Loi 94-548 du 1 juillet 1994 Décret 95-682 du 11 mai 1995 Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 5