Evolution et rotation de la Terre : effets sur le climat

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Evolution et rotation de la Terre :
effets sur le clima t
d'après l'enregistrement de l'exposé donné le 20 janvier 199 3
dans le cadre des Cours Publics du MUR S
par André BERGE R
Ensemble nous allons esayer de comprendre quelle est la variabilité d u
climat de la Terre à l'échelle géologique sans nous arrêter à trop de détails
susceptibles de nous égarer dans le dédale d'une approche plus fondamentale .
Cet exposé sera divisé en trois grandes parties . Une première partie traiter a
des variations naturelles du système climatique à l'échelle astronomique . La
deuxième parlera de la théorie astronomique des paléoclimats et la troisièm e
présentera les résultats préliminaires obtenus en modélisant cette théorie e t
en essayant de quantifier les événements décrits en deuxième partie. En guise
de conclusion, je montrerai qu'il existe une interaction possible entre les activité s
humaines à l'échelle de la décennie ou du siècle et l'évolution naturelle d u
système climatique à l'échelle de la centaine de milliers d'années .
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A. BERGER
Figure 1
Variations du climat depuis l'origine de la Terre jusqu'à nos jours
(les ages glaciaires sont marqués par un épaississement)
extrait de A . Berger, 1992 ; Le climat de la Terre, un passé pour quel avenir ?
(Editions De Boeck, Bruxelles )
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Les Cahiers du MURS n°30/31 -
3/4ème trimestres 199 3
I - Variations naturelles du système climatiqu e
à l'échelle astronomique .
La Terre, personne d'entre vous ne l'ignore , est née il y a environ 4 milliard s
800 millions d'années . Tout au long de son histoire , le climat a en général ét é
beaucoup plus chaud que celui que nous connaissons à l'heure actuelle : la
température moyenne à la surface de la Terre était de l'ordre d'une dizaine ,
voire d'une quinzaine de degrés Celsius, supérieure à celle que nous connaisson s
à l'heure actuelle . Ce n'est que sur 10% (dix pour cent) de la durée de l'histoire
de la Terre que cette même planète a été plongée dans ce que l'on appell e
des âges glaciaires. Ceux-ci possèdent une double caractéristique : leur
température moyenne est un peu inférieure à celle que nous connaissons à
l'heure actuelle et leur climat varie de manière importante entre deux état s
extrêmes que l'on appelle d'un côté, un interglaciaire (ce que nous somme s
en train de vivre), et de l'autre (malheureusement la terminologie français e
n'est pas très claire), un glaciaire .
La figure 1 montre les époques particulières pendant lesquelles on a de s
preuves géologiques de l'existence d'un âge glaciaire . On en compte 4 ou
5 au Précambrien . Il est évident que pour une époque aussi éloignée, les trace s
que nous en avons sont extrêmement peu nombreuses . Il en résulte qu'il est
très difficile de matérialiser la longueur et l'intensité de ces âges glaciaires du
Précambrien . Deux autres âges glaciaires postérieurs sont par contre un pe u
mieux connus . C'est d'abord celui de l'Ordovicien, il y a à peu près 450 million s
d'années. Ensuite plus près de nous encore, c'est celui du Carbonifère ou de
la fin du Carbonifère et du début du Permien il y a à peu près 290 million s
d'années . Aujourd'hui, nous vivons une époque très particulière de l'histoir e
de la Terre qui s'appelle le Quaternaire et qui est aussi un âge glaciaire .
Pour ceux qui ne sont pas rompus à nos disciplines, parler en milliard s
d'années n'est guère familier . Quelques dates cependant jalonnent ces temps
immémoriaux : par exemple les premières traces de vie remontent vraisemblablement
à 3 milliards et demi d'années . Autre repère intéressant : les premières plante s
sur les terres émergées sont apparues au moment du Silurien, il y a 400 million s
d'années environ. Les grandes extensions carbonifères se situent vers 30 0
millions d'années avant notre ère . Quant au Pangée, gros bloc monolithique
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A. BERGER
Figure 2
Le climat des 130 .000 dernières années
(extrait de A . Berger, 1992, voirfigure l)
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Les Cahiers du MURS n°30/31 - 3/4ème trimestres 199 3
continental, il a commencé à se fractionner pour donner naissance aux continent s
que nous connaissons il y a 200 millions d'années . Ce fractionnement es t
essentiellement expliqué par la théorie des plaques tectoniques . C'est aussi à
ce moment qu'a débuté l'âge des dinosaures, lesquels ainsi d'ailleurs qu e
près de 80% des espèces alors vivantes, ont disparu il y a 65 millions d'année s
laissant la place à l'âge des mammifères .
Comment matérialiser l 'évolution du climat au cours de notre âg e
glaciaire ? Mon collègue et ami, Jean Claude Duplessy * vous a précisémen t
donné en janvier 1991 une conférence sur la détermination des climats au
cours du Quaternaire . Les connaissances récemment acquises nous permetten t
de matérialiser par une courbe (figure 2) l'évolution du volume total de glac e
qui existe sur la Terre au cours de ce dernier millions d'années . Le tracé obten u
fait apparaître des fluctuations qui vont de maxima de la courbe, correspondan t
à un minimum de volume de glace, A . des minima de la courbe, traduisant u n
maximum d'extension du volume de glace . Sans entrer dans le détail, le poin t
qui se trouve A. 20 .000 ans à peine du présent est un point caractéristiqu e
extrêmement important parce qu'il représente la dernière avancée glaciaire
maximale.
Décrire le climat de cette époque est relativement simple en quelque s
chiffres : on estimait A. 50 millions de km 3 de plus qu'aujourd'hui la glace su r
les continents . Cela signifie qu'à la verticale de ce qui est actuellement Stockholm ,
l'épaisseur de glace atteignait 2 km à 2 km et demi, de même que sur tout e
la partie nord des Etats-Unis et sur le Canada . Cette quantité de glace s'étendai t
jusqu'à New-York ; en Europe, elle s'étalait jusqu'à Londres et le climat d u
nord de la France, de la Belgique, de la Hollande ressemblait étrangement a u
climat de la Sibérie actuelle . Pour accumuler cette énorme masse , il a fall u
évidemment pomper de l'eau aux océans et leur niveau moyen a baissé A. cette
époque d'à peu près 100 à 130 mètres .
On pourrait évidemment décrire pour chacune des dates de ce dernie r
million d'années, peut-être avec moins de précision, la disparité des climat s
* Cahier du MURS "Environnement, actualité et perspectives" n° spécial 199 2
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A. BERGER
successifs de cet âge glaciaire . Nous allons plus simplement dénombrer les
grandes oscillations enregistrées au cours de cette période : on en trouvera un e
dizaine . Dix fois la Terre est entrée dans ce qu'on appelle un cycle glaciair e
inter-glaciaire et chaque cycle est lui-même caractérisé par une évolution e n
dent de scie. Autrement dit, on entre progressivement dans un âge glaciaire, en
mettant à peu près 80 .000 ans pour atteindre le maximum d'extension des glaces .
Par contre, la déglaciation est relativement rapide et prend en général 10 bon s
milliers d'années . Le chiffre de 100 .000 ans comme périodicité moyenne d e
ces cycles glaciaire-interglaciaire est intimement lié à la théorie astronomiqu e
des paléoclimats.
On peut examiner d'un peu plus près les oscillations climatiques de s
dernières 125 .000 années et remarquer que la classification en est basée sur c e
que l'on appelle l'analyse des isotopes de l'oxygène . Celle-ci se pratique sur
les structures de squelettes d'anciens animaux qui vivaient dans les océans e t
que l'on appelle les foraminifères : planctoniques s'ils vivent à la surface ,
benthiques s'ils vivent au fond des océans (cf l'exposé de Jean-Claude Duplessy) .
En fonction de cette analyse, on a pu reconstituer avec grande fidélité l'évolutio n
de la masse totale de glace sur la planète Terre . Les subdivisions que l'on
a obtenues ont été classées de manière fort simple par des chiffres et de s
lettres. Le dernier maximum interglaciaire, l'Eemian en Europe, porte ainsi l e
nom de stade isotopique 5 et est qualifié par une lettre e . Ensuite, apparaît un
refroidissement au stade isotopique 5d, puis de nouveau un léger réchauffemen t
avec le stade isotopique 5c, un refroidissement 5b, enfin un réchauffement 5a .
On plonge par la suite dans un refroidissement beaucoup plus important, c'es t
le stade isotopique 4 . Il convient de se rappeler de la structure générale de cette
évolution parce que c'est elle que dans la troisième partie de cet exposé o n
essaiera de simuler à partir de modèles physico-mathématiques sophistiqués .
On y verra réapparaître cette structure en fonction de la théorie astronomique .
En continuant, on arrive au stade isotopique 3, puis au stade isotopique 2
siège de cette avance glaciaire maximale qui s'est produite il y a 20 .000 ans
et dont on a déjà parlé. La déglaciation culmine au stade 1 que nous vivon s
présentement .
On peut à l'appui procéder à une analyse spectrale . De quoi s'agit-il ?
l'analyse spectrale est une technique mathématique relativement sophistiquée qu i
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Les Cahiers du MURS n°30/31 - 3/4ème trimestres 199 3
permet dans une série temporelle de déceler les périodicités principales . Dan s
la série chronologique telle qu'établie pour représenter le volume de glace, o n
peut, par ce procédé, détecter de telles périodicités . Je vous en ai déjà signalé
une, celle de 100 .000 ans . Si l'on utilise le modèle mathématique adéquat, o n
s'apercevra qu'existent en plus trois autres périodes fondamentales . Lorsque
l'on dispose d'une bonne information géologique datée sur le dernier millio n
d'années, on trouve de manière préférentielle tous les 18 .000, 23 .000, 41 .000
et 100.000 ans, un phénomène climatique important . Voilà bien le messag e
essentiel à retenir . On constate parallèlement que ces périodicités son t
intimement liées aux variations des éléments de l'orbite de la Terre autour d u
soleil et de l'axe de rotation de la Terre . Les chercheurs qui, les premiers, ont
été confrontés avec ces résultats, se sont posés la question de savoir s i
effectivement les changements de l'orbite de la Terre autour du soleil dans l e
temps et de l'axe de rotation de la Terre à la fois dans le temps et dans l'espace ,
étaient liés ou non aux variations climatiques au cours du dernier million
d'années . La question posée a donné naissance à ce qu'on appelle la théorie
astronomique des paléoclimats .
II - La théorie astronomique des paléoclimats
Cette théorie astronomique des paléoclimats ne date pas d'aujourd'hui .
Même si les scientifiques qui nous ont précédé ne disposaient pas des technologie s
que nous avons aujourd'hui pour reconstituer les climats anciens, ils avaient essayé ,
au moins de manière théorique, d'imaginer quelle influence ces variations de s
éléments de l'orbite de la Terre pouvaient exercer sur le climat . Les premier s
à en parler ont été des astronomes mathématiciens au début du 18ème siècle ,
mais ce n'est qu'au 20ème siècle qu'un serbo-croate, M . Milankovitch a
réellement intégré l'ensemble de nos connaissances en astronomie, e n
mathématiques et en climatologie pour la première fois et quantifié cette théorie
astronomique des paléoclimats .
Né en 1879 il est mort en 1958 : ses écrits sont restés célèbres et comm e
notre langue était extrêmement importante au début du 20ème siècle dans l a
littérature scientifique, ce serbo-croate a écrit son premier mémoire en français .
Edité par Gauthier et Villars au nom de l'Académie Serbe des sciences i l
porte le titre de "Théorie mathématique des phénomènes thermiques produits
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A. BERGER
Daté de 1920, il contient pratiquement la totalit é
de ce que l'on doit savoir si l'on s'intéresse au sujet .
par la radiation solaire" .
Cet ouvrage marque le début de la carrière de Milankovitch qui par l a
suite n'a cessé d'intensifier ses recherches dans ce domaine pour finalemen t
publier l'ensemble de ses oeuvres , cette fois-ci en allemand, dans les année s
1940, sous le titre "Kanon der Erdbestrahlung" ouvrage resté pratiquemen t
inconnu de la plupart des scientifiques jusque dans les années 1960 . Ne parlan t
pas l'allemand, j'ai été amené à l'aide d'un dictionnaire à le traduire pratiquement
mot par mot pour pouvoir aborder mon travail scientifique des années 1965 .
C'est au même moment, à mon insu évidemment, que "l'US Department
of Commerce" aux Etats-Unis a commencé à s'intéresser à ce genre de théorie s
et à payer des étudiants israéliens engagés dans le programme "Israël Programm
for scientific translation" pour traduire l'oeuvre de Milankovitch en anglais . Cette
traduction est malheureusement introuvable, plus introuvable encore que le s
publications originales de Milankovitch .
Il est intéressant de signaler que Milankovitch a vécu à une époque o ù
d'autres scientifiques aujourd'hui célèbres étaient tout aussi méconnus que lui .
Je pense à Alfred Wegener avec lequel Milankovitch a été mis en contac t
par Vladimir Köppen, père d'Elsa Köppen, épouse de Wegener .
Je saisis l'occasion de rappeler que Köppen a donné naissance à cette
fameuse classification des climats qui fait probablement encore souffrir pas mal
d'étudiants étant donné le "savoir par coeur" qu'on est obligé d ' en acquéri r
dans plusieurs disciplines.
Plus récemment, deux livres ont été publiés sur la théorie astronomiqu e
des paléoclimats . Citons d'abord le livre de vulgarisation écrit par notre collègu e
américain John Imbrie et sa fille, "Ice Ages, Solving the Mystery " . Il a été
question de le traduire en français : malheureusement les maisons d'édition
françaises n'ont pas donné suite à la demande . C'est un livre extrêmement populaire ,
traduit en plusieurs langues . Il date de 1979 . L'autre livre est beaucoup plu s
technique . Je l'ai édité avec quelques uns de mes collègues, dont Imbrie, il y
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Les Cahiers du MURS n°30/31 - 3/4ème trimestres 199 3
a moins d'une dizaines d'années . Il réalise la synthèse de l'ensemble des résultat s
théoriques que nous avons obtenus au cours des vingt dernières années dans c e
domaine.
Tel est le cadre historique au sein duquel se situe la contribution de celu i
qui est considéré comme le père de la théorie astronomique des paléoclimats .
Résumons à présent l'esprit de sa théorie . En fait l'idée de Milankovitch était
extrêmement simple et il émettait les hypothèses suivantes : pour avoir u n
glaciaire, il suffit que la neige qui s'accumule pendant l'hiver ne fonde pas e n
été. Si elle ne fond pas en été, l'année suivante présente automatiquement u n
bilan positif de neige stockée . Une calotte polaire s'étend, le pouvoir réflecteu r
de la surface de la Terre augmente, réduisant la part transformable en chaleu r
de l'insolation et l'année suivante, le bilan de neige en voie de glaciatio n
sera d'autant plus positif. C'est ce qu'on appelle en mathématique et en
physique une contre-réaction positive . Une fois amorcée cette boucle de rétro action, les choses ne font qu'empirer du point de vue du climat et d' énorme s
calottes polaires commencent à se former.
En notant un certain nombre de conditions nécessaires, c'est-à-dire e n
supposant que la place des continents il y a deux à trois millions d'années ai t
été exactement celle que nous connaissons à l'heure actuelle (c'est trè s
sensiblement le cas) et en supposant que le pouvoir d'émission du Soleil soi t
resté plus ou moins constant, c'est-à-dire que la constante solaire soit resté e
voisine des 1360 Watts par m 2 que nous mesurons de nos jours, on peut affine r
l'analyse.
Il y a moyen au prix de deux hypothèses de transformer la théorie de
Milankovitch en termes de calcul de l'insolation, c'est-à-dire de l'énergie qu e
nous recevons du Soleil . Les deux hypothèses requises sont :
- primo que la température de l'air à la surface de la Terre soit directemen t
liée à l ' insolation disponible pour une atmosphère complètement transparente .
- secondo que les hautes latitudes de l'hémisphère nord soient les plu s
sensibles au changement climatique .
Si vous retenez ces hypothèses et si vous reprenez la théorie de Milankovitch ,
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A . BERGE R
vous pouvez la formuler d'une autre manière en disant qu'un glaciaire apparaîtr a
chaque fois qu'apparaitront des étés frais aux hautes latitudes de l'hémisphère
nord.
En conséquence, Milankovitch se mit avec l'aide d'astronomes français et
russes de l'époque, à calculer pour la première fois, les éléments orbitaux de
la Terre avec une certaine précision et à transformer les variations de ces élément s
en variation d'insolation en été aux hautes latitudes de l'hémisphère nord, plu s
précisément par 65° de latitude nord . La courbe obtenue sur 600 .000 ans, sans
reproduire rigoureusement les variations du climat qui ont été mises en évidenc e
par d'autres recherches, présente toutefois des oscillations qui ne sont pas san s
rappeler ces variations . Toutefois les imprécisions de la théorie, évaluées pa r
Milankovitch lui-même, étaient relativement importantes . Il y avait donc
en fait peu d'espoir que la courbe initialement obtenue représente effectivemen t
la réalité. Mais l'idée fondamentale est restée pour l'essentiel la même que cell e
énoncée, dès 1920, par Milankovitch .
En termes d'éléments orbitaux eux-mêmes, on peut démontrer que pour
avoir des étés frais aux hautes latitudes polaires de l'hémisphère nord, il fau t
que l'obliquité de l'écliptique soit faible ; il faut également que la précessio n
soit telle que l'été de l'hémisphère nord se présente au moment où la Terre es t
le plus loin du soleil c'est-à-dire à l ' aphélie. Il faut en outre que l'excentricit é
de l'orbite de la Terre soit grande . Essayons de pallier une insuffisance éventuellemen t
bien excusable des connaissances en astronomie du lecteur en exposan t
succinctement ce qu'est cette obliquité de l'écliptique et la précession climatique ,
combinaison de l'excentricité et de la longitude du périhélie .
Une bonne compréhension de la théorie astronomique des paléoclimat s
exige de bien définir ces éléments qui en sont à la base . L'obliquité d e
l'écliptique exprime l'inclinaison de l'axe de rotation de la Terre par rapport à
une perpendiculaire au plan de l'écliptique . Autrement dit c'est le même angl e
que celui qui est formé entre le plan de l'équateur et le plan dans lequel la Terr e
tourne autour du soleil . C'est ce même angle qui permet de définir le cercle polair e
et les tropiques . A l'heure actuelle il vaut 23°27' ; c'est la latitude des tropique s
du Cancer et du Capricorne . L'obliquité oscille suivant une période principal e
de l'ordre de 41 .000 ans. Les données géologiques montrent également un signa l
à 41 .000 ans .
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Les Cahiers du MURS n°30/31 - 3/4ème trimestres 199 3
L'autre élément que nous devons considérer est l'excentricité, c'est-à-dir e
la forme de l'orbite de la Terre . Une ellipse peut se rapprocher d'un cercle e t
même se confondre avec lui auquel cas l'excentricité est égale à 0 . Elle peut
aussi se déformer de manière importante l'excentricité devenant alors d'autan t
plus grande . Il y a donc intérêt à prendre en compte ce paramètre parce que l a
distance entre le soleil qui se trouve à un des foyers de l ' éllipse et le poin t
de l'orbite qui en est le plus éloigné -l'aphélie- est d'autant plus grande
que l'excentricité est grande . On peut en déduire que si la Terre est loin d u
soleil à un moment donné et que si au même moment c'est l'été dan s
l'hémisphère nord, cet été de l'hémisphère nord sera d'autant moins ensoleillé .
La formule qui donne l'évolution dans le temps de l'excentricité de la Terr e
montre qu'une des périodes principales de sa variation est d'environ 100 .000
ans.
Le troisième paramètre est malheureusement un peu plus compliqué san s
toutefois poser de problème pour les astronomes . Il s'agit de la longitude du
périhélie, qui est l'angle de positionnement des saisons par rapport au périhéli e
et à l'aphélie. Cet angle varie dans le temps . A l'heure actuelle, nous savon s
que l'hiver de l'hémisphère nord se présente aux alentours du 22 décembre .
Il se fait, par accident de la nature, que le point où la Terre est la plus proch e
du soleil se situe au 4 janvier . Au moment où nous vivons l'hiver dan s
l'hémisphère nord, nous sommes donc proches du soleil, bien plus proches qu e
pendant l'été, car l'été se situe au moment ou la Terre est pratiquement au plu s
loin du soleil . Si cet angle varie, la position des saisons variera dans le temp s
par rapport au périhélie et par conséquent la distance Terre-Soleil au périhélie .
Les oscillations principales que l'on trouve se situent cette fois-ci aux environ s
de 19 .000 et 23 .000 ans, ce qui correspond aux deux dernières périodes dont
on a vu apparaître les signaux importants dans le passé géologique .
Rappelons que dans un passé récent la France a joué un rôle importan t
dans l'élaboration de la théorie . C'est grâce à une collaboration avec Pierr e
Bretagnon, astronome au Bureau des Longitudes qu'on a publié pour la premièr e
fois en 1974 un tableau établi avec une grande précision de ces éléments orbitau x
et c'est à nouveau avec un de ses collaborateurs, Jacques Lascar, qu'en 1988 ,
nous avons trouvé une deuxième solution améliorant la précédente surtout pou r
47
A. BERGE R
le passé éloigné de plus d'un million d'années . Ce nouveau tableau nous perme t
désormais de remonter jusqu'à 3 millions d'années dans le passé de l'histoir e
de la Terre .
Comme les informations géologiques disponibles à ce jour présentent l e
maximum de précisions pour les 125 .000 dernières années seulement, nou s
nous restreindrons à l'analyse de ces 125 .000 dernières années c'est-à-dire l e
dernier cycle glaciaire-inter-glaciaire . Le concernant, examinons correlativemen t
l'évolution de l'excentricité, l'évolution de l'obliquité et celle de la précessio n
climatique . Appliquant strictement la théorie de Milankovitch, on devrait trouve r
des dates où l'on obtienne en concordance une valeur minimale de l'obliquité ,
une valeur de l'excentricité maximale et une valeur de la précession climatiqu e
telle que les étés de l'hémisphère nord se passent loin du Soleil . Pour matérialise r
cette théorie, nous observons qu'il y a 22 .000 ans, les étés dans l'hémisphèr e
nord survenaient au moment où la Terre était loin du soleil, situation d'ailleur s
à peu près identique à celle d'aujourd'hui . De son côté l'obliquité était plus faible
qu'à présent il y a 22 à 23 .000 ans. Heureusement, car dans le cas contrair e
nous ne pourrions pas voir la différence entre cette époque marquée par un e
avancée glaciaire extraordinairement importante et l'époque actuelle caractérisé e
par ce qu'on appelle un inter-glaciaire. Quand au troisième
paramètre ,
l'excentricité,
contrairement à
ce que
Milankovitch exigeait,
elle est
manifestement faible . Elle était beaucoup plus importante il y a 125 .000 ans.
Il y a 20.000 ans, deux des conditions de la théorie de Milankovitc h
étaient donc réunies : obliquité faible et survenance des étés dans l'hémisphèr e
nord au moment où la Terre est loin du soleil . Disposant de cette formulation ,
il n'est pas compliqué de calculer l'énergie qui nous vient du Soleil pour chacu n
des jours de l'année et pour chacune de latitudes de la Terre . On s'aperçoi t
alors qu'il y a 125 .000 ans les hautes latitudes polaires recevaient beaucou p
plus d'énergie en été qu'à l'heure actuelle (10 à 12% en plus) ; à moins
d'énergie il y a à peu près 22 .000 ans a succédé un maximum d'énergie il y
a 10.000 ans . A l'heure actuelle, aux alentours de 500 Watts/m 2 sont recueilli s
par 70° de latitude nord au mois de juin . Une autre possibilité intéressant e
est de calculer la longueur des saisons et en particulier la longueur de l'ét é
dans l'hémisphère nord . Cette longueur n'est pas fixe : c'est toujours en fonction
de ces
éléments de l'orbite de la Terre et en particulier de la précession
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Les Cahiers du MURS n°30/31 - 3/4ème trimestres 199 3
climatique que ces saisons varient . Leur durée moyenne est évidemment d'u n
quart d'année, c'est-à-dire 91 jours, mais cette longueur des saisons peut varie r
entre 82 jours et 100 jours . Autrement dit, l'été qui à l ' heure actuelle dure
environ 93 jours a pu à un moment donné avoir été plus court d'une dizain e
de jours ou plus long de plus de deux semaines . Il faut donc tenir compt e
de cet ensemble d'informations lorsqu'on est amené à modéliser l'impact de s
variations des éléments de l'orbite de la Terre sur le climat .
Sans entrer dans le détail, on peut maintenant pour les 125 .000 dernières
années représenter l'écart, pour un mois donné, de l'énergie reçue par rappor t
à celle qu'on reçoit à notre époque (figure 3, panneau supérieur) . Il es t
remarquable de voir qu'il y a 20 .000 ans, moment où l'on avait une extension
glaciaire maximale, le mois de juin était sous-ensoleillé pratiquement partou t
du pôle nord au pôle sud . Par contre, il y a 10 .000 ans, au moment où nou s
sommes passés dans une autre phase extrême l'inter-glaciaire de l'Holocène ,
pratiquement toutes les latitudes du pôle nord au pôle sud, au mois de juillet ,
recevaient plus d'énergie qu'elles n'en reçoivent à l'heure actuelle . En
conséquence, la théorie astronomique semble en bon accord avec l'observatio n
de l'évolution climatique au cours des 125 .000 dernières années . Encore fautil que cet accord apparent passe au crible du calcul beaucoup plus rigoureu x
et beaucoup plus difficile à effectuer qu'est le calcul de la modélisation d u
système climatique .
III - La modélisatio n
La troisième partie de mon exposé va montrer comment on peut, à parti r
de modèles de prévision du climat, essayer de calculer la réponse de ce systèm e
climatique aux variations d'insolation et donc aux variations des éléments d e
l'orbite ainsi que de l'axe de rotation de la Terre . Il existe à ce jour deux
grands types de modèles climatiques . Les modèles les plus sophistiqués son t
les modèles qui sont écrits à trois dimensions, c'est-à-dire où la réalité spatiale
des composantes est totalement prise en considération . Ces trois dimensions
sont la latitude, la longitude et l'altitude . Malheureusement, ces modèles son t
d'une telle complexité mathématique que nous ne pouvons pas écrire toutes le s
équations qui gouvernent le comportement de l'océan, de l'atmosphère, de s
49
A. BERGER
Time (Kyr BP )
Figure 3
Variation au cours des 125 .000 dernières années :
1. de l'insolation à 65°N en juin et de la concentration en CO2 dans l'ai r
2. du volume de glace simulé par le modèle de Louvain-la-Neuv e
et reconstruit à partir des données isotopiques de Gif-sur-Yvett e
50
Les Cahiers du MURS n°30/31 - 3/4ème trimestres 199 3
calottes de glace, des surfaces continentales et de la biosphère . Aucun ordinateu r
n'est suffisamment puissant à l'heure actuelle pour pouvoir recevoir en blo c
toutes ces équations. Deux solutions s'offrent : ou bien on simplifie le systèm e
dans son ensemble, ou bien on élimine une partie du système climatique . Eliminer
une partie du système climatique n'est pas très judicieux parce que comme o n
l'a vu, le climat n'est pas uniquement représenté par l'atmosphère mais dépen d
également des volumes considérables de glace . Nous devons évidemment e n
intégrer l'évolution dans le modèle ; de plus, pour former cette glace, il a bie n
fallu évaporer l'eau des océans . Par conséquent les océans aussi doivent
constamment être présents dans ce système . La solution choisie dans mo n
laboratoire a donc été de simplifier mathématiquement les équations pour obtenir
un modèle que l'on appelle "modèle à deux dimensions et demie" .
Cela étant, l'essentiel est de retenir que ce modèle possède en fait d e
manière schématique une atmosphère, un océan, que la surface de l'océan peu t
être libre de glace, ou couverte de glace marine et qu'au sein même de ces glaces ,
nous sommes capables de représenter ce que l'on appelle les chenaux . Ces
chenaux sont importants parce que la glace a une température voisine de 0°C ,
alors que l'atmosphère au-dessus d'elle peut avoir une température de -50°C . Si
nous constatons l'apparition d'un chenal au milieu de cette glace c'est la preuv e
que la température de surface de l'océan est de quelques degrés alors que cell e
de l'air qui le recouvre est -40 à -50 degrés . Il existe donc des contraste s
importants entre les deux parties principales du système et évidemment ce s
contrastes doivent être pris en compte, car ils ont une influence sur l'extensio n
même de la surface de la glace polaire .
Sur les continents nous avons a représenter, d'une part, un sol classiqu e
avec la possibilité d'un couvert forestier et, d'autre part, des champs de neig e
avec des précipitations soit neigeuses soit simplement liquides, qui finissen t
par construire ces calottes glaciaires dont je vous ai décrit l'évolution au cour s
des 20.000 dernières années . Les modèles de ce deuxième type, même s'il s
paraissent plus simples, sont d'une complexité relativement grande et suffisant e
pour déjà à eux seuls saturer les ordinateurs en service actuellement . Il faut
à ce propos noter que les climatologues sont, exception faite des militaires ,
les plus grands utilisateurs d'ordinateurs du moment .
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A . BERGE R
Une fois construit un tel modèle, on va étudier sa réponse lorsqu'il es t
forcé par les variations d'insolation précédemment définies . Sans entrer dan s
le détail, on voit qu'uniquement à partir de ces variations d'insolation, il es t
possible de représenter les grandes allures de l'évolution du volume total de glac e
au cours des 130 .000 dernières années . Il faut toutefois faire remarquer que nou s
ne parvenons pas à former toute la glace telle qu'elle a été estimée il y a 20 .000
ans par les géologues . En fait l'évolution de l'insolation et des éléments de l'orbite
de la Terre ne permet d'expliquer que les 2/3 du volume total de glace effectivemen t
constaté .
Soulignons que le modèle est capable non seulement de reproduire l e
volume total de glace , mais également le volume de chacune des calotte s
glaciaires prises séparément . Il y a 20 .000 ans, par exemple, le modèle simul e
une énorme calotte de glace sur le nord de l'Europe et de l'Asie, une autre tell e
que nous la connaissons au Groenland et une troisième sur le nord des Etats Unis et sur le Canada .
De ce qui précède, on peut retenir que les éléments de l'orbite de la Terre
peuvent engendrer des variations climatiques, mais qu'à eux seuls ils ne son t
pas capables de rendre compte de l'ampleur totale des variations constatées . En
particulier si on représente, à partir de ces éléments seulement, l'évolution de
la température au cours des 120 .000 dernières années pour tout l'hémisphèr e
nord on s'aperçoit qu'au moment de l'extension maximale de la glace il y a
20.000 ans, cette température n'aurait été que de 2° à peine plus basse qu' à
l'heure actuelle alors que l'observation montre qu'elle était de l'ordre de 5 °
inférieure à celle que nous connaissons aujourd'hui . Nous avons ainsi fait
apparaître une des déficiences du modèle dont nous allons essayer de détecte r
la raison .
Cette déficience n'est pas la seule : les calottes polaires et en particulie r
la calotte polaire du nord des Etats-Unis ne s'étendent pas suffisamment ver s
le sud au moment du dernier maximum glaciaire . La simulation fait apparaître
une extension jusqu'à 60° de latitude nord alors que l'observation montre un e
extension jusqu'à la latitude de New-York (environ 40°) . Comment y remédier?
Il faut avoir présent à l'esprit que dans le modèle retenu , on n'a fait varier qu e
l'insolation en fonction des éléments de l'orbite de la Terre . Or nous savon s
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Les Cahiers du MURS n°30/31 - 3/4ème trimestres 199 3
depuis plusieurs années grâce à l'équipe de Grenoble, que le contenu en gaz
carbonique de l'air a également changé au cours des 125 .000 dernières années.
Effectivement, il y 125 .000 ans, la concentration en CO2 dans l'air était de
l'ordre de 290 parties par million en volume, ce qu'elle était également a u
début de la révolution industrielle vers le milieu du 18ème siècle . Cette
concentration en CO2 a diminué progressivement pour atteindre un minimum d e
l'ordre de 200 parties par million en volume il y a à peu près 20 .000 ans .
A l'heure actuelle, la concentration en CO2 dans l'air suite aux activité s
humaines et à l'industrialisation est remontée à 360 parties par million e n
volume . Il n 'est pas sans intérêt de noter qu'il a fallu 80.000 ans à peu prè s
à la nature pour faire passer la concentration de 290 à 200 ppmv (partie pa r
million en volume) , ensuite il a fallu 10 .000 ans pour repasser de 200 à 28 0
ppmv, mais 200 ans ont suffi aux activités humaines pour la faire grimpe r
de 280 à 360 . L'évolution de la concentration en CO 2 dans l'air au cours de s
200 dernières années est donc 100 fois plus rapide que l'évolution naturell e
dans le système à l'échelle géologique . De toute façon, cette évolution de l a
concentration en CO 2 dans l'air doit être prise en considération et lorsqu'on
l'introduit dans la modélisation, en plus de la variation d'insolation, nou s
réussissons à mieux simuler la réalité, en particulier, il y a 20 .000 ans, époque
où le volume total de glace évalué par la simulation est de l'ordre de 50 million s
de km3 en plus de ce que nous avons à l'heure actuelle, ce qui correspond gross o
modo à la réalité observée .
De même, si on simule le volume des trois calottes glaciaires constituantes ,
celle de l'Amérique du Nord, celle de l'Europe et de l'Asie et celle du Groënland ,
il faut remarquer qu'en Europe, il y a 100 .000 ans et il y a 75 .000 ans, cette
calotte glaciaire avait disparu . Pratiquement ce sont, avec l'époque actuelle, le s
seuls moments où le nord de l'Europe était libre de glace . Il n'en va pas de
même de la calotte nord-américaine . Finalement, la simulation a aussi montré
très nettement que lors de la déglaciation d'il y a 10 .000 ans, la disparition de
la calotte du nord de l'Europe et de l'Asie a eu lieu avant la disparition d e
la calotte de l'Amérique du Nord, ce que l'observation semble effectivemen t
confirmer .
En définitive, on semble bien avoir mieux approché la réalité des chose s
en tenant compte de deux facteurs :
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A . BERGER
1) le facteur qui est à la base de la théorie astronomique, la variation de s
éléments de l'orbite de la Terre et de l'insolation ;
2) la variation de la concentration en CO 2 dans l'air telle qu'elle a été
mise en évidence par l'équipe de Grenoble .
Non seulement le volume de glace est alors beaucoup mieux représenté ,
mais l'évolution de la température au cours des 130 .000 dernières années pour
l'hémisphère nord fait apparaître une diminution de l'ordre de 4°C il y a 20 .000
ans, diminution qui est beaucoup plus en accord avec la réalité observée .
Finalement, cette simulation montre également très nettement une extension
beaucoup plus vers le Sud de la calotte glaciaire américaine, extension qui s e
rapproche sensiblement de 50° de latitude nord . Même si ce n'est pas encor e
la latitude de New-York, l'amélioration est relativement importante .
Dans le contexte de la question fondamentale posée à l'heure actuelle, à
savoir les activités humaines et en particulier l'augmentation de la concentratio n
en CO2 dans l'air vont-elles changer le climat du XXIème siècle, il es t
intéressant de savoir quelle est la partie de la variation des climats due à
l'insolation et quelle est la partie due à l'évolution de la concentration en CO 2
dans l'air . Cette analyse mathématique débouche sur un ensemble de chiffre s
dont nous allons essayer d'en décomposer la complexité de manière relativemen t
simple. En maintenant le gaz carbonique en concentration fixe au cours de s
125.000 dernières années, la diminution de la température en fonction de l a
théorie astronomique il y a 20 .000 ans serait de 3,2° . Si la concentration en CO 2
varie telle que l'observation le montre, soit à prendre en compte il y a 20 .000
ans une concentration en CO 2 de l'ordre de 200 parties par million en volume,
la diminution en température est alors de l'ordre de 4,5° . Cela permet d e
distinguer quelle est la partie de la variation du climat expliquée par la théori e
astronomique, d'une part, et uniquement par le CO2 , d'autre part . La partie
expliquée par la théorie astronomique représente à peu près les 2/3 de l a
variation globale alors que la contribution due à la variation du gaz carboniqu e
est, elle, de l'ordre de 33% .
En allant un peu plus profondément, on peut également analyser quell e
est la partie intrinsèquement liée à la variation secondaire de la concentratio n
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Les Cahiers du MURS n°30/31 - 3/4ème trimestres 199 3
en vapeur d ' eau dans l'air . Celle-ci survient de manière relativement simpl e
indépendamment de l'action directe de l'homme . Pourquoi ? Simplement parc e
que si la surface de la Terre se réchauffe, il est évident que l'évaporatio n
augmente et que, par conséquent, davantage de vapeur d'eau se retrouve dan s
l'atmosphère . Cette vapeur d'eau est un gaz à effet de serre extraordinairemen t
puissant, plus puissant que le CO 2. Il faut donc impérativement tenir compt e
de cette évolution même si elle ne se fait qu'indirectement .
Cela permet de répondre à la question fondamentale, aliment d'un de s
grands débats actuels du monde scientifique, de savoir si oui ou non l e
changement du climat imputable aux activités humaines sera important a u
cours du XXIème siècle . Il est évident que le CO 2 et la vapeur d'eau jouent u n
rôle clef . Nous avons dès lors étendu ces calculs aux 200 .000 dernière s
années pour pouvoir schématiser l'évolution du volume total de glace au cour s
de deux cycles glaciaire-interglaciaire . Si nous comparons le résultat avec le s
données géologiques, il faut, admettre qu'il existe un parallélisme entre le volum e
total de glace déduit des données géologiques et celui avancé par la simulation .
Manifestement, la théorie astronomique et l'évolution des gaz à effet de serr e
conjugués sont capables de représenter l'évolution du climat telle qu'elle es t
donnée par les géologues .
Si nous avons réussi à obtenir un modèle physico-mathématiqu e
apte à représenter de façon suffisamment acceptable les climats du passé, il es t
tentant d'utiliser ce même modèle pour extrapoler dans le futur et essayer d e
prévoir quel sera le climat des prochains millénaires . C'est une chose que l'o n
peut faire facilement pour deux raisons : la première, le modèle existe . La
deuxième : la mécanique céleste fournit la théorie astronomique sur laquell e
s'appuyer pour calculer les éléments de l'orbite de la Terre dans le passé mai s
également dans le futur . Cette théorie d'une extrême précision est suffisant e
pour permettre une extrapolation sur les 100 .000 prochaines années . Connaissan t
les variations d'insolation et disposant d'un modèle, cette extrapolation prévoit ,
en fixant la concentration en CO 2 à sa valeur pré-industrielle, qu'il va se former
de plus en plus de glace pour aboutir dans à peu près 55 .000 ans à 26 million s
de km3 de glace de plus dans l'hémisphère nord qu'il n'y en a maintenant .
Autrement dit, nous allons à l'échelle naturelle géologique progressivement ver s
un nouvel âge glaciaire comparable à celui survenu il y a20.000 ans.
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A. BERGER
Toutefois, l'évolution du climat au cours du XXIème siècle suite au x
activités humaines, si réchauffement il y a, ne serait-il pas capable de perturber
cette évolution naturelle du système climatique ? C'est une question fondamental e
pour deux raisons :
1) parce qu'elle montrerait que pour la première fois dans l'histoire de l a
planète Terre, l'Homme serait capable d'interférer avec l'évolution naturelle du
système . La question qui se poserait alors automatiquement est : l'homme a-til le droit, en tant qu'être extrêmement fugitif dans l'histoire du climat de l a
Terre, de perturber suffisamment l'évolution future du système de telle sort e
que celui-ci devienne différent et compromette sa survie ?
2) Parce qu'elle permettrait de déceler une interférence possible d e
l'évolution des climats avec la stabilité des sites où l'on prévoit d'entrepose r
les déchets en provenance des centrales nucléaires . Le problème majeur de s
centrales nucléaires en l'état présent n'est pas leur sécurité . La sécurité de s
centrales nucléaires est certes un problème en Russie, mais ce n'en est pa s
un en Europe de l'Ouest ni aux Etats-Unis d'Amérique . L'important est de savoir
ce que l'on va faire avec les déchets des centrales nucléaires et comment o n
va démonter les installations obsolètes . De toute façon ces déchets et les décombre s
industriels devront être stockés pendant un nombre important d'années qui
correspond à la décroissance de la radioactivité de ces éléments ( de 10 .000 à
100.000 ans). Par conséquent, il faut repérer des sites où pendant 10 .000 à
100.000 ans, on est plus ou moins certain que rien de majeur ne va se passer .
Quels facteurs pourraient perturber un site de stockage des déchets nucléaires ?
Il en existe plusieurs : le premier, c'est l'activité sismique et volcanique .
Le deuxième c'est un envahissement par l'eau, qu'il s'agisse d'inondations due s
à des pluies torrentielles ou d'élévation du niveau de la mer . Le troisième ,
c ' est la formation d 'une énorme calotte polaire à proximité immédiate ou au dessus du site, ce qui pourrait comprimer ce dernier suffisamment pour diffuse r
à l'air libre les éléments radioactifs entreposés .
On voit bien que le climat est un des éléments qu'il faut connaître à lon g
terme, c'est-à-dire à l'échelle de la théorie astronomique, pour pouvoir décide r
si un site est apte à l'entreposage des déchets nucléaires pour une durée d e
10 .000 à 100.000 ans. C'est la raison pour laquelle cette théorie qui initialemen t
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Les Cahiers du MURS n°30/31 - 3/4ème trimestres 199 3
relevait d'une recherche fondamentale dont on percevait à peine l'intérêt pou r
la société, est devenue maintenant une théorie très sollicitée en particulier pa r
tous ceux qui s'occupent des déchets nucléaires . En France, le Commissariat à
l'Energie Atomique est sensibilisé à ce genre de simulations . Par conséquent ,
l'extrapolation que nous avons effectuée offre certainement un intérêt dans
l'hypothèse que je viens d'évoquer mais l'intérêt n'est pas moindre dan s
celle d'une évolution du climat vers un réchauffement . En se réchauffant, le
climat pourrait, par exemple, faire fondre la calotte groenlandaise, éventuellemen t
la calotte polaire antarctique, et également rejeter dans l'atmosphère de s
quantités importantes de gaz carbonique, lesquelles évidemment mettraient u n
certain temps avant de disparaître de l'atmosphère . Elles contribueraient donc
éventuellement à pertuber le climat au cours de milliers, voire de dizaine s
de milliers d'années . Pour en évaluer les effets, nous avons supposé que l a
température allait augmenter de plusieurs degrés, (4 à 5 degrés) au cours d e
la période allant du XXIème au XXIVème siècles et que la calotte groenlandais e
allait disparaître. Comment alors évoluerait le climat à l'échelle des 100 .000
prochaines années ? Contrairement à l'évolution naturelle, pendant à peu prè s
15 .000 ans nous n'assisterions plus à la formation de glace sur la planète dan s
l'hémisphère nord. Au rythme de l'évolution naturelle, dans 15 .000 ans, nous
devrions avoir 10 millions de km 3 de glace en plus. Dans l'hypothèse d'un
réchauffement du climat au cours des prochains siècles, la glace ne commencerai t
à se former que dans 15 .000 ans environ pour atteindre un maximum dan s
60 .000 ans, lequel maximum serait de l'ordre de 18 millions de km 3 au lieu des
26 millions de km3 attendus par la simulation du cas où ce réchauffement n'aurai t
pas lieu . Répétons qu'il ne s'agit là que de résultats provisoires .
Le modèle ne prétend pas décrire la réalité absolue des choses . Il faudra
faire beaucoup d'autres recherches et surtout que beaucoup d'autres modèle s
confirment ces résultats avant qu'ils ne soient pleinement pris en compte . De
toute façon, cela montre qu'il existe une probabilité non négligeable que l e
réchauffement des siècles à venir, s'il a lieu, interfère réellement avec l'évolutio n
naturelle du système climatique, y compris à l'échelle géologique . Un changement
à l'échelle séculaire pourrait donc induire un changement important d u
comportement du climat à l'échelle de la théorie astronomique . C'est là qu'apparaît
la complexité du système climatique : non seulement l'astronomie intervient ,
les mathématiques sont nécessaires mais également la totalité des sciences qu i
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A. BERGE R
font appel à l'atmosphère, à l'océan, à la biosphère, à la lithosphère, à l a
couverture de la surface des continents et à la cryosphère . Voilà la raison pou r
laquelle on peut avoir l'impression que peu de progrès quantitatifs ont été fait s
au cours de ces vingt dernières années . En fait toute la communauté scientifiqu e
est concernée. Malheureusement, il faut bien l'avouer, peu de chercheurs fac e
à la besogne qui nous attend, nous rejoignent étant plus attirés par le s
sciences qui sont plus appliquées et rémunératrices que la recherche fondamental e
sur le climat de la Terre .
André BERGE R
Docteur en science s
Professeur à l'Université Catholique de Louvain-la-Neuv e
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